Vous n'aurez pas les enfants

26 août 1942, 1016 Juifs étrangers de la région Rhône-Alpes sont arrêtés et internés à Vénissieux, par le Gouvernement de Vichy, avant d’être déportés. Parmi eux figurent des centaines d’enfants. L’Abbé Glasberg, fondateur de l’Amitié chrétienne, Gilbert Lesage, chef du Service social des étrangers de Vichy, et d’autres, réussissent à pénétrer dans le camp, afin d’aider au « tri » des internés. Ils comptent bien exfiltrer un maximum de personnes, mais il faut faire vite…

Par v-degache, le 20 mars 2025

Notre avis sur Vous n’aurez pas les enfants

Le 26 août 1942, 1016 Juifs étrangers de la région Rhône-Alpes, alors encore sous administration du gouvernement de Vichy, sont raflés par la police et la gendarmerie françaises et emmenés dans le camp militaire désaffecté de Vénissieux, jusqu’alors occupé par des Indochinois de la Main d’œuvre Indigène (M.O.I.). Contrairement à celle du Vel’d’Hiv’, commanditée par les Allemands, celle-ci est ordonnée par les autorités françaises. Elle s’inscrit dans une opération plus large, qui va concerner l’ensemble de la Zone Sud.

Le prêtre jésuite Pierre Chaillet en 1931, résistant et Juste parmi les Nations.

Gilbert Lesage, chef du Service social des étrangers (SSE) de Vichy, le père Chaillet et l’abbé Glasberg de l’Amitié chrétienne, réseau d’entraide interconfessionnel pour les réfugiés, spécialisé dans le secours aux juifs, une équipe de l’Œuvre de secours aux enfants juifs (OSE), ou bien encore Madeleine Barot de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) sont autorisés à entrer le camp, Glasberg et Lesage faisant même partie de la « Commission de criblage », chargée de trier ceux qui iront au camp de transit de Drancy, et ceux qui seront libérés, ceci avec la bénédiction du Cardinal Gerlier, Primat des Gaules. Ils vont entreprendre un vaste plan de sauvetage, comptant jouer sur des leviers administratifs pour faire libérer un maximum de prisonniers, avant qu’ils ne soient déportés. Ils vont notamment s’appuyer sur une circulaire excluant les enfants non accompagnés des convois de déportation. Pour cela, il va falloir convaincre les familles de signer des délégations de paternité en faveur de l’Amitié chrétienne. Le temps presse, d’autant plus qu’un télégramme enjoignant de livrer les enfants avec les adultes a été envoyé, mais, celui-ci a heureusement pu être intercepté, et momentanément caché des autorités.

Une course contre-la-montre funeste s’engage alors à l’intérieur même du camp, face à l’administration vichyste. Arnaud le Gouëfflec réussit à restituer cette tension extrême, l’urgence de ces hommes et femmes à extraire le maximum de personnes avant le départ du convoi vers une mort presque certaine. Il garde parfaitement lisible ce drame, malgré les nombreux acteurs croisés au fil des pages. Face au lecteur, les bourreaux Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le préfet Alexandre Angeli, ou bien encore Claude Cornier, Chef de la division du service de police du Bureau des étrangers du Rhône à Vichy, viennent froidement stopper, momentanément, les interactions entre les victimes et leurs sauveteurs, tentant de justifier leurs actes et leur participation à l’entreprise génocidaire nazie.

L’essentiel de l’action va se dérouler au sein de ce camp de Vénissieux, et de bâtiments abritant initialement une légion de travailleurs indochinois au chômage, dont certains sont encore présents, alors qu’arrivent les déportés. Ils seront témoins des évènements et Ngô Trong Chiêu prendra même plusieurs clichés, dont seize seront retrouvés en 2018 ! Ce quasi huis clos est d’autant plus angoissant qu’il s’inscrit dans une réalité historique qui n’a nullement besoin d’être fictionnée pour prendre aux tripes.

Cette folle histoire conduira, le 29 août, au sauvetage de 108 enfants, emmenés dans des bus vers un ancien couvent lyonnais, avant leur dispersion, par exemple vers le village de Saint-Sauveur-de-Montagut, en Ardèche. 546 adultes seront transférés à Drancy puis déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Ce sera le plus grand sauvetage d’enfants juifs entrepris en France durant la Seconde Guerre mondiale.

Le trait semi-réaliste d’Olivier Balez, et sa colorisation tout en nuance, sont également à saluer, participant grandement à rentrer pleinement dans ce récit bouleversant. Les choix graphiques sont intelligents. Point de pathos malvenu, quelques parenthèses oniriques permettant de souffler dans cette atmosphère étouffante et sombre.

L’ouvrage s’appuie sur le travail de près de trente ans, entamé en 1993 par l’historienne Valérie Portheret, qui fera sortir de l’oubli cet incroyable acte de résistance, à une époque où les travaux historiques sur les sauvetages de la Shoah ne sont pas vraiment légion. La bd met brillamment en image ce travail colossal, et les années passées dans les archives, ou à recueillir les témoignages des survivants. Après avoir soutenu sa thèse, elle publie en 2020 chez XO Vous n’aurez pas les enfants, dont la bd est directement l’adaptation. Participant à mettre en lumière cette grande rafle de l’été 42 en Zone libre, éclipsée par celle du Vel’d’Hiv’ qui l’a précédée, c’est aussi un travail pharaonique qui a été réalisé en termes d’anamnèse, V. Portheret consacrant des années à identifier les survivants, à recueillir leurs mots, souvent en les filmant, partout dans le monde. Saluons le contenu du passionnant dossier final qui ne se contente pas de revenir sur les faits, mais met en lumière le formidable travail de la chercheuse.


N’hésitez pas une seule seconde à vous procurer Vous n’aurez pas les enfants, d’après le livre de Valérie Portheret. Le 9ème Art démontre ici, une nouvelle fois, toute sa force dans le traitement de l’Histoire et l’évocation de notre mémoire nationale, dans ses heures les plus sombres.
Indispensable.

Par Vincent, le 20 mars 2025

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