Exposition - Salon
Exposition Richard Corben – Angoulême 2019
Du 24 janvier au 10 mars 2019
DONNER CORPS À L’IMAGINAIRE
Né en 1940 dans une ferme du Missouri, Richard Corben passe son enfance au Kansas, dans une commune prospérant autour de I’armement. Le jeune garçon découvre _Superman_, _Les Contes de la crypte_ et autres récits de genre achetés dans la seule épicerie de la ville. De temps à autre, il va voir l’un des rares films du cinéma local. Dès cette époque, il produit ses premières bandes dessinées. À la fin des années 1950, il étudie la peinture et la sculpture au Kansas City Art Institute et décroche son diplôme en 1965. Pendant son temps libre, il réalise des courts métrages d’animation et l’un d’eux attire l’attention de l’agence de publicité Calvin, qui l’embauche. Durant neuf ans, il y réalise des affiches, brochures, plans, spots, films publicitaires ou d’entreprise. Mais la découverte des magazines d’horreur des éditions Warren puis des fanzines le ramène à la bande dessinée et la nuit, Corben travaille pour son plaisir personnel. Touche-à-tout, il expérimente et emploie des techniques variées: cinéma, animation, dessin, peinture, sculpture.
Publiant d’abord dans des fanzines, il est rattrapé en 1970 par la culture underground, où la liberté éditoriale est totale et les salaires meilleurs. À la même époque, il obtient son premier contrat avec la maison d’édition Warren et à partir de 1972, se consacre exclusivement a la bande dessinée. Commence alors une carrière éclectique, forte d’environ cinq mille pages, dans lesquelles Corben fait souvent tout, scénario, dessin, encrage et mise en couleur peu fréquent dans l’industrie américaine de la bande dessinée.
En réponse à la constance des obsessions et des thèmes de son œuvre, son dessin se fera veritable laboratoire graphique et se renouvellera quasiment à chaque projet. Corben choisissant des techniques et des partis pris tranchés sublimant les enjeux du récit. Aujourd’hui encore, à 78 ans, il se réinvente à chaque histoire, à la recherche d’un dessin avant tout narratif. pour un imaginaire débordant de fantasmagories à incarner.
DE L’UNDERGROUND AU RÉCIT DE GENRE
Pour Richard Corben, tout commente par la découverte des fanzines, dans la seconde moitié des années 1960 : un véritable choc.
Il propose alors des illustrations aux rédactions et son carnet de commande se remplit rapidement, surtout dans le domaine du récit de genre. Son style et ses techniques se complexifient, il alterne peinture, dessin et. plus tard, aérographe.En 1968, son court métrage _Neverwhere_, mêlant prises de vue réelles et animation, remporte le Trophée de la Japan Cultural Society. Simultanément, sa première bande dessinée est publiée en épisodes dans le fanzine _Voice of Comicdom_.
Son intérêt pour ce monde d’expression prend alors le pas sur l’animation, au moment même où, pour pour la première fois, la scène underground lui propose de le publier.Il répond ä la commande avec _Le Bonheur de Benoît le Boiteux_ (_Lame Les’s Love_), publié dans la revue _Skull_. Fasciné par la liberté de la bande dessinée, il décide d’en faire son métier. Un rêve à portée de main puisque les commandes d’éditeurs underground affluent. Sa rencontre avec le scénariste et éditeur Jan Strnad marque le début de sa plus longue collaboration avec un écrivain.
Déçu par la qualité de fabrication des fanzines en général, Corben decice de devenir son propre éditeur. Commence l’aventure _Fantagor_, en 1970. Tiré à 1000 exemplaires, vendu 1.50$, c’est un échec commercial qui conduit Richard Corben à interrompre sa publication en 1972, après quatre numéros. Un an plus tard, le personnage de Den inventé pour le film _Neverwhere_. s’exile dan la dessinée. Le succès naissant incite Corben à quitter san travail alimentaire et à vivre de ses créations. Mauvais timing : c’est à cette époque que l’édition underground entre en crise. Les tirages baissent, les salaires aussi. Avec un total d’environ 400 pages produites entre 1970 et 1975, Corben reste néanmoins le dessinateur le plus publié de l’underground.
HÉROS OU PICAROS
Comme dans la litterature de gare qui l’inspire, Corben aime les types ordinaires embarqués malgré eux dans des situations rocambolesqes, des picaros, dont le comportement est tout sauf héroïque. Ses protagonistes ne partagent gas le goût pour l’action des héros classiques et essaient souvent d’esquiver des problèmes qui finissent toujours par les rattraper. Jouisseurs plus que valeureux. naîfs plus que portés par des idéaux, ces personnages brillent par leur crédulité, leur brutalité et leur roublardise Ce sont de véritables anti-héros.
L’un des premiers à se présenter sous cette forme est _Razar le lache_ (1970) Comme l’intitulé le laisse présager, ce barbare est loin de posseder les qualités nécessaires au héros classique; Il ne se bat jamais à la loyale, se montre peureux, court derrière la moindre femme sculpturale et travaille pour l’argent. Les mâchoires carrées et les silhouettes musculeuse propres à l’archétype du héros, contrastant avec le comportement, qui s’accorde davantage au désenchantement qui contamine l’Amérique à l’aube des années 1970.
Cette faiblesse de caractère semble également trouver sa source dans le réalisme un peu pessimiste de Corben qui, à l’évidence, ne croit ni en la bravoure ni au sens de la justice chez l’être humain. Les récits de genre se prêtent à ce type de détournement de valeurs. Les années suivantes, il creusera les aspects les plus sombres de l’âme humaine dans ses publications pour Warren. C’est avec _Bloodstar_ (Morning Star Press. 1976) que des figures plus personnelles de héros apparaissent enfin, acteurs de grande épopées et d’errances. Ainsi, vers la fin des années 1970, ces personnages seront de plus en plus souvent empreints d’innocence, et parfois même habités par des valeurs nobles. Cependant, la figure du lâche continuera de hanter les œuvres de Corben. à l’image de _Pilgor_, héros ridicule décliné sous plusieurs formes de récit.
PLUS QUE LA TECHNIQUE
La technique joue un role déterminant chez Corben.
À ses débuts dans l’underground, il utilise un noir et blanc saturé de lignes, soutenu tantôt par des crayons gras de ton gris qu’il estompe à la main, tantôt par une combinaison des deux. Son esthétique peut évoquer les anatomies de Wallace Wood, les dégradés de gris de John Severin au l’humour de Jack Davis, mais son trait s’inspire aussi des grands maltres de la peinture classique dont il revendique l’étude. Ainsi il aborde souvent le dessin comme s’il pratiquait l’huile, en superpnsant d’abord un fond, puis les volumes par couches successives, du plus éloigné au plus proche, du plus foncé au plus clair, pour finir avec les rehauts de lumière et d’ombre. La représentation des muscles, des peaux, des matières, trahit également sa recherche picturale.
En parallèle, Corben produit sculptures, films d’animation, peintures à l’acrylique, à l’aérographe ou à l’huile, qui enrichissent son approche picturale. À cette époque, surtout, il développe une technique de mise en couleur unique, qui s’appuie sur le principe mécanique des plaques séparèes de la quadrichromie et qui lui vaudra longtemps sa réputation de génie graphique.
L’autre grande révolution arrive au milieu des années 1980, avec l’informatique. Corben expérimente avec les outils numériques : trames numériques, mises en couleurs, intégradion 3D et bien d’autres effets encore. La postproduction infomatique devient même le socle de son dessin dans la seconde moitié des années 1990.
Quand sa maison d’édition fait faillite, Corben doit gagner en productivité pour répondre aux travaux de commande. Son noir et blanc se dépouille, les détails se raréfient. Vers la fin de années 1990, il commence à travailler pour les grands éditeurs spécialisés dans les histoires de super-héros et laisse la mise en couleur à d’autres, comme cela se pratique dans ce type de circuit. Son retour sur le devant de la scène, dans les années 2000, marque enfin la reprose de l’expérimentation formelle libérée et du contrôle sur toutes les étapes.
AUTEUR ÉROTIQUE OU PEINTRE DE NUS
Très présente dans la plupart de ses bandes dessinées jusqu’en1988, la nudité s’accompagne rarement chez Corben de scènes d’amour physique, plus souvent suggérées. On en retrouve dans seulement une dizaine de cases sur les milliers que compte l’œuvre. Cette sexualité est d’ailleurs empreinte d’une innocence qui la situerait plutôt dans un cadre ludique loin du péché. Rolf et son amour animal pour Myara, son attachement visceral pour Kath. Den et son attirance irrepressible pour Helva ou encore Dimento et son amour enfantin pour Julie (_Monde mutant_) sont quelques exemples de cette vision sentimentale.
Le goût de Corben pour la representation des corps, leur musculature et leurs mouvements, associé à l’importance qu’il prête à l’amour en général et perticulièrement a l’amour physique dans ce qu’il a de primesautier et d’innocent, l’a souvent fait classer dans les dessinateurs érotiques. En réalité, il est plutôt un anatomiste, comme l’étaient les peintres et sculpteurs qu’il a étudiés et ou’il considère comme ses maîtres ! Rembrandt, Michel-Ange ou Le Caravage.
Corben a d’ailleurs toute sa vie pratiqué le dessin et la peinture de nu d’après modèle. Tout son travail graphique, particulièrement changeant sur le plan technique, a comme constante l’interrogation des volumes et leur représentation. L’étude à l’huile, d’après modèle vivant, est l’occasion pour lui de travailler ses recherches d’attitudes, de lumières et de modelés, alimentant sa gamme, creusant sans fin sa recherche et sa compréhension du corps.
LES DINOSAURES
Les monstres, au-delà de leur portée allégorique qui fascine Corben, sont l’occasion pour le dessinateur de se confronter à l’étude picturale de matieres et de textures. Rendre le pelage d’un loup-garou, la peau écailleuse des dinosaures et autres créatures reptiliennes lui procure un plaisir manifeste. Alors que son intéret graphique pour ce bestiaire remonte à l’enfance, sa fascination pour les dinosaures éclate dans sa relation avec Bruce Jones, qui lui écrira la quasi-totalité des scénarios sur le sujet.
Dès la première image de dinosaure, Corben montre un soin particulier à leur représentation. Admirateur de Ray Harryhausen (le spécialiste des effets spéciaux) et des peintres paléontologues comme Zdenëk Burian, le dessinateur essaie d’être scrupuleux et réaliste sur le plan scientifique – même si un bon dinosaure doit avant tout être effrayant et sa peau offrir une belle réflectivité à la lumière.
L’approche anatomique du bestiaire laisse deviner un dessin d’après modèle, à partir de jouets en plastique, d’extraits de films ou de sculptures que l’auteur a lui-même réalisées. Le modelé des épidermes demande beaucoup plus de travail que celui des peaux humaines car il doit exprimer, en plus des volumes et lumières, des textures singulières des réseaux de craquelures ou d’écailles. Motifs, lumière, volume se confondent alors dans un même trait. Corben surmonte cette complexité en utilisant encore une fois sa gamme de crayons gris, travaillant par couches successives.
Cette approche, laborieuse et chronophage, ne peut pas être utilisée systématiquement et quand Corben tentera de la synthétiser en un dessin uniquement au trait comme dans _Une femme bafouée_, il peinera à conserver le réalisme.
LA PÉRIODE WARREN
Juste avant que la scéne underground ne commence à dévisser, Corben se fait embaucher par Warren, qui édite _Creepy_, _Eerie_ et _Vampirella_, et illustre une douzaine d’histoires en noir et blanc. Mais, rapidement, la technique de mise en couleur inventée pour sa bande dessinée CIDOPEY l’incite a poursuivre ses recherches.
Comme beaucoup d’auteurs avant débuté par des histoires courtes, et plus encore par le récit de genre (tels Wallace Wood, Alex Toth ou Bernie Krigstein), Corben développe un gout pour l’expérience formelle. Warren vient d’introduire la quadrichromie dans ses magazines et commande à Corben une histoire avec ses fameuses couleurs sélectionnées à la main. Ça sera Lycanklutz, pour le n°56 de _Creepy_, en 1973.
L’engouement du public est tel que Warren demande à Corben de réaliser une histoire en couleur pour chacun de ses magazines. En 1974, il réalise ainsi 14 récits en couleur de 6 à 10 pages pour Warren. Corben tient ce rythme effréné six mois avant de ralentir.
En l’espace de huit ans, il dessinera pas moins de quarante histoires. Son style glisse lentement d’une esthétique underground à une représentation plus littérale, du second degré à une dramaturgie embrassant dimension mythologique et souffle épique. Il s’attaque autant à la fantasy qu’à la science-fiction, à la parodie de figures horrifiques qu’à la critique de l’Amérique contemporaine.
Dans cette période se distinguent surtout les histoires réalisées avec Bruce Jones et les adaptations d’Edgar Allan Poe, sur des scénarios de Richard Margopoulos. En plus des histoires courtes, Corben produit huit illustrations de couverture, dont certaines parmi les plus mémorables de Warren – remplissant par là-même, aux côtés de Frank Frazetta, Sanjuliàn ou Enrich, la mission de cette maison d’édition qui cherchait a bousculer les codes en engageant des peintres de renom pour ses couvertures et en publiant des cahiers couleur.
FANTAGOR ET LE RETOUR DES PULPS
Encouragé par une scène émergente d’artistes indépendants, Corben se laisse a nouveau tenter par l’édition. En 1986, il fonde _Fantagor_, une maison qui épouse immédiatement les codes des pulps. Une direction contraire à ses dernières années d’exercice dans le registre du roman graphique.
Mais peut-être parce que ce dernier est trop onéreux à produire, ou parce que l’aventure bon marché est ancrée dans son ADN, c’est vers ce genre de feuilleton populaire aux couvertures alléchantes et mensongères, cherchant à envoûter l’acheteur, qu’il se dirige. Corben joue le jeu à fond : chaque numéro promet à coup sûr la grarde aventure, le dépaysement, le rêve. Sa première série s’intitule _Temps déchiré_, et il tire le premier numéro à 25000 exemplaires.
L’intrigue est typique des productions Jones/Corben : un couple amoureux, un voyage dans le temps, des savants fous, de l’action, beaucoup d’action, de la violence aussi, et surtout… des dinosaures, d’une perfection graphique sans égale. Corben joue avec les codes de production bas de gamme des publications des pulps et les magnifie: noir et blanc, papier cheap – toujours en quête de perfection, il va jusgu’à solliciter trois imprimeries differentes pour chacun des trois premiers numéros afin de trouver le bon papier.
Maîtrisant à nouveau sa photogravure, il se lance dans la retouche informatique. Il ajoute des valeurs de gris à l’ordinateur pour distinguer les plans ou retouche au crayon gras ceux déjà posés pour amplifier les volumes. À l’étape de la photogravure, Corben ajoute cette trame d’impression à gros points volontairement visible qui joue une part cruciale dans le rendu final, écrasant l’identification des materiaux qu’il utilise. Comme toujours chez lui, impossible de savoir “comment c’est fait », le rendu imprimé sublime l’atmosphère et l’immersion dans ce spectacle grandiose.
EDGAR ALLAN POE
Nombreux sont les écrivains et cinéastes de science-fiction et d’heroic fantasy à avoir inspiré Richard Corben. Trois références notamment se détachent et irriguent son œuvre : Edgar Allan Poe, Edgar Rice Burroughs et Howard Phillips Lovecraft.
De Poe, plus particulierement, Corben a illustré non moins de vingt et un de ses contes, poèmes et nouvelles. Certains de ces textes ont même été revisités a plusieurs reprises. Le Corbeau existe ainsi dans trois versions différentes, et les nouvelles _Ombre_, _La Chute de la maison Usher_, _La Dormeuse_, _Le Ver conquérant_ et _Bérénice_, dans deux versions chacune .
Alors que Corben se lance dans sa première adaptation du Corbeau, aucun auteur de bande dessinée ne s’y est encore aventuré. Probablement que la comparaison avec les approches picturales d’Édouard Manet, en 1875, ou celles de Gustave Doré, en 1883, dissuadent les artistes du 9e art, au dessin forcément plus synthétique. Publiée dans le n° 67 de Creepy, en 1974, cette version aux éclairages expressionnistes et au trait réaliste marque les esprits.
À cette époque, le magazine compte sur la popularité de Poe pour recruter de nouveaux lecteurs et Corben répond à la commande de son éditeur et du scénariste Richard Margopoulos. Le dessinateur connait encore mal l’œuvre du poète américain, dont il n’a lu que quelques livres et vu les adaptations cinématographiques réalisées par Roger Corman. Cette première version est donc assez littérale et illustratives. Margopoulos transforme le poème en prose, paraphrasant les vers sans en altérer le sens original.
Les deux reprises suivantes. en 2006 et surtout 2013 se font plus personnelles. Richard Corben y cherche moins à illustrer le texte qu’à exprimer l’émotion que celui-ci lui provoque. Dans cette optique, il étudie les procédés d’adaptation mis en place dans nombre de médiums comme la littérature, l’illustration, la bande dessinée et le cinéma. notamment celui de Roger Corman ou Jean Epstein avec _La Chute de la maison Usher_ (1928).
Mais les hommages rendus à l’écrivain vont bien au-delà de l’adaptation directe. Son imaginaire et notamment les lieux dans lesquels il situe ses récits, nourrissent beaucoup d’œuvres de Corben. Les multiples cimetières, marais et caves qui servent de theatre à nombre de ses nouvelles illustrées renvoient assurément à son univers poétique, de la même manière que son esprit se reconnaît derrière les croyances et mythes anciens du très récent _Rat God_.
LE LOUP GAROU
Á ses débuts, Corben s’empare de la figure tradionnelle du lycanthrope avec humour et distance. Ses premiers loups-garous sont souvent dégénérées qui jouent avec les codes des mythes médiévaux et des contes de fées. le pelage s’avère particulièrement propice aux expériences de dessin.
D’ailleurs, c’est avec une hitoire de loup-garou, _Lycanpuce_ (lycanklutz, 1973) que Corben introduit la couleur dans les récits commandés par les édition Warren. _Dead Hill_ (1971), _La Bête de la lande-aux-loups_ (1972) ou _Rowlf_ (1972) font partie de l’époque du pelage sculpté en myriade de petits traits à la plume, de manière classique. Lycanpuce marque l’arrivée du crayon gras comme base, avec des touffes modelées en gris puis rehaussées de traits dessinés directement en couleur sur transparent, pour un rendu soyeux.
Quelques mois plus tard, Corben pousse cette technique a son paroxysme dans _Le Carnaval des monstres_ (Change… into Someting Comfortable, 1973), un récit d’horreur pour les éditions Warren. Mais ensuite, pendant sept ans, Corben délaisse le lycanthrope au profit d’autres animaux fantastiques ou de dinosaures. En 1980, il revient rapidement sur le sujet en publiant _La belle est la bête_ (The Spirit of the Beast), conclusion attendue de la trilogie amorcée en 1972 avec _La Bête de la lande-aux-loups_ (The Beast of wolfton) et _Rowf_.
En 1984, presque dix ans après ses derniers récits Warren, une anthologie regroupant tous ses récits sur le sujet offre à Corben l’occasion de renouveler son approche, tant graphique que thématique. Il complète l’ouvrage avec deux créations, _Roda and the wolf_ et _Entre chien et loup_ (Fur Trade). La première nouvelle se veut exotique et d’un inattendu second degré ; la deuxième se montre au contraire fidèle aux mythes médiévaux. Cerner les deux extrêmes de la mise en scène est une belle manière pour Corben de faire ses adieux à cet amour de jeunesse qu’était le loup-garou et à l’esprit des éditions Warren d’une manière générale.
LA PEINTURE
Dans ses œuvres, Corben atomise en plusieurs éléments (niveaux de gris, mises en couleur par calques successifs ) la planche originale, qui de facto n’existe plus. Il empêche ainsi le lecteur de comprendre le procédé de création. Le résultat imprimé, porteur du récit, est sa seule priorité et Corben se range ainsi du côté des conteurs en bande dessinée et moins du côté des dessinateurs.
À l’opposé, son travail de peinture reste très attaché aux images léchées de l’illustration, son geste témoignant de son goût pour le genre pompier, mais également d’une envie de « bien faire ». La peinture l’autorise à déployer tout son savoir-faire technique, impossible a utiliser en bande dessinée car nécessitant de gros moyens financiers. Elle offre également une autre forme de plaisir, oeuvrant pour une pièce unique et autonome.
Au final, si la bande dessinée se présente comme un territoire de liberté technique où le plaisir naît de l’expérimentation, la peinture offre l’occasion de se perdre dans des savoir-faire académiques et des raffinements somptueux.
Les peintures de Corben sont ainsi d’une facture classique parfaite. Son imaginaire formé à la culture populaire se rapproche de celui de ses confrères illustrateurs, Frank Frazetta et Boris Vallejo. Son imagerie trouve sa source chez les peintres-illustrateurs de fantastique Hannes Bok et Maxfield Parrish, disparus dans les années 1960, que Corben vénère.
Ses tableaux séduisent le public depuis le début de sa carrière. Il vend ses toiles dès 1967 dans une convention, avant même de publier sa première bande dessinée. Rapidement, de nombreux éditeurs lui commandent des illustrations pour des couvertures de fanzines, de magazines ou de romans. Ses toiles déclinent les motifs les plus connus de la fantasy et de la science-fiction, revisitant parfois des classiques de la Renaissance à l’aune d’une imagerie plus fantastique, comme dans sa peinture wizard’s Dreams, inspirée du Jérémie pleurant sur la destruction de Jérusalem de Rembrandt.
MÉTAL HURLANT ET LA SAGA DEN
Den, assurément le heros le plus embématique de Corben, naît en 1968 dans le court métrage _Neverwhere_ et est transposé en 1973 dans une bande dessinée de 15 pages publiée dans _Grim wit_.
Jean-Pierre Dionnet, enthousiaste, demande à Corben de transformer cette ébauche en une œuvre longue. De juin 1975 à mars 1976, les 32 premieres planches de Den : _Le Voyage fantastique à Nullepart_ paraissent en premiere mondiale dans _Métal Hurlant_. C’est un choc puissant pour toute la scène française, de Moebius à Druillet.
Les histoires violentes et étranges de l’Américain s’étaient déjà invitées dès le n°1 de la revue: CIDOPEY et ses couleurs flashy s’intégraient parfaitement à un sommaire désireux de renverser les codes de la bande dessinée. Bien qu’il ait été auparavant publié en France par _Actuel_, Corben est immédiatement considéré comme un auteur maison. Pourtant, après la publication de Den, Corben disparaît du sommaire pendant trois ans. Au même moment, aux États-Unis, on le rencontre dans _Heavy Metal_ – récréation américaine indépendante de _Métal Hurlant_.
En 1981, l’histoire rebondit avec de nouveaux personnages et affiche une cohérence graphique renforcée dans _Muvovum_ (en France, Den : Seconde époque). En 1987, le scénariste Simon Revelstroke réussit l’exercice complexe de transformer la bande dessinée _Enfants au feu_ en préquel du _Voyage fantastique à Nullepart_.
La collaboration entre Corben et Revelstroke s’installe, marquée par deux nouveaux albums, _Dreams_ et _Elements_. De 1992 à 1994, Corben reprend le poste de scénariste et produit DenSaga En 1996-1997, _Denz_ vient temporairement clore la saga. Scénarisé par Jan Strnad, l’épisode se démarque par son humour et son aspect satirique. Surtout. le style graphique signe une nouvelle approche des anatomies, plus grotesque et moins sensuelle, qui annonce les futurs travaux de Corben autour des super-héros.
Trente ans de compagnonnage et d’évolutions artistiques, 600 planches. Den, héros d’un « roman de formation » jamais achevé, est à l’image de son créateur : en perpétuel devenir et à la recherche de nouvelles formes. La saga de Den est aussi celle de Corben.
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LITTÉRATURE ET CULTURE DES PULPS
Imposssible de comprendre l’œuvre de Richard Corben sans parler de la cultule des pulps, ces revues de gare imprimées sur du mauvais papier avec de sublimes couvertures en quadrichromie. Extrêmement populaire au début du xx“ siecle, cette industrie n’a pas survécu à la Seconde Guerre mondiale, mais le genre, lui, si.
Ainsi, l’univers graphique et littéraire de Corben s’inscrit dans le droit héritage de cette tradition. Les héros et les décors de science-fiction de ces premieres histoires semblent inspirés par les grandes figures du genre, _Tarzan_ ou _Conan_. Les œuvres d’Edgar Rice Burroughs, de Robert E. Howard et de Lovecraft nourrissent son imaginaire. Burroughs est cité dès le court métrage _Neverwhere_ et le monde de Den semble tout entier renvoyer aux romans du Cycle de Mars mettant en scène John Carter: un homme grand, nu, musclé et amnésique erre dans une étendue semi-désertique, se rappelle de bribes de son passé et doit affronter des créatures extraterrestres.
Comme beaucoup d’auteurs de science-fiction contemporains, Corben revendique l’influence du monde de Barsoom où guerroie John Carter. Son œuvre se démarque cependant très nettement des délires masculinistes des Chroniques de Cor de John Norman, publiées à la même époque. En effet. les meilleurs travaux de Corben interrogent au contraire l’articulation difficile entre la libération des moeurs des années 1960-1970 et la reformulation du genre, amenant les motifs des pulps à dialoguer avec le progressisme moral de son époque.
Les grandes figures, les couleurs, les thèmes et même la forme éditoriale bon marché des pulps accompagneront longtemps Corben, jusqu’à la renaissance de sa maison d’édition Fantagor, dans le milieu des années 1980. qui en reprendra le concept éditorial. Quant à Lovecraft, pionnier du genre, ses monstres souterrains ou enfouis au fond des océans, masses mouvantes aux contours incertains, sont indescriptibles. L’écrivain les évoque plus par l’horreur qu’ils suscítent que par une représentation imagée.
Les dessiner est par conséquent une gageure que Corben relève en adaptant neuf nouvelles ou poèmes pour un album hélas inédit en France. La divinité Uluhtc de Den, le démon des abysses du nord dans Bloodstar, la chose « gigantesque » invoquée par Roddmoth Urthruk dans La Cité morte assurément le souvenir des romans de Lovecraft.
Exposition Richard Corben – Angoulême 2019
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