Exposition - Salon
Exposition Rutu Modan – Angoulême 2019
Du 24 au 27 janvier 2019
Rutu Modan est née en 1966 et a passé les premières années de sa vie à dessiner dans les résidences des médecins du centre médical Sheba. Son père était le professeur BARUCH MODAN, chercheur sur le cancer et directeur du ministère de la Santé israélien dans les années 1980. MICHALEA MODAN, sa mère, est une épidémiologiste spécialisée dans la recherche sur le diabète. Sa soeur aînée est également médecin. Seule sa cadette a échappé à la carrière médicale, en devenant actrice et écrivaine.
Dans sa famille, Rutu est « la dessinatrice » et cette pratique est véritablement fondatrice de la manière dont l’artiste a construit son identité. Alors qu’elle se destinait à une carrière dans la chimie, Rutu Modan reprend le dessin après son service militaire et s’inscrit à l’Académie des arts et du design Bezalel de Jérusalem. Elle découvre alors la bande dessinée dans la classe de MICHEL KICHKA (auteur de Deuxième génération, éd. Dargaud, 2012) un auteur de bande dessinée belge qui a migré en Israël. Après avoir obtenu son diplôme, elle fonde la maison d’édition ACTUS TRAGICUS en 1995, avec son ami YIRMI PINKUS. Le projet initial est de publier la version israélienne du magazine américan d’humour _Mad_. Un échec. La maison change de forme et devient alors la plateforme de publication collective la plus vivante de Tel-Aviv. En parrallèle, Rutu Modan multiplie les experiences : elle publie un strip dans un grand quotidien de Jérusalem, illustre des nouvelles d’ETGAR KERET, écrit des livres pour la jeunesse, s’essaie à l’animation et devient enseignante à l’université. Modan a ainsi reçu le prix Jeune artiste de l’année en 1997 et le prix du meilleur livre jeunesse illustré du Département de la jeunesse du Musée d’Israël en 1998. En 2005, elle est élue artiste exceptionnelle de la Fondation pour l’excellence culturelle israélienne. Enfin , en 2007, elle publie son premier roman graphique, _Exit Wound_, sous l’impulsion des éditions canadiennes DRAWN AND QUARTERLY. Dans ce formidable road trip doublé d’une quête du père, le paysage politique israélien se mêle au drame individuel … Le livre remporte un Eisner Award, le prix France Info, et le prix « Essentiel » du Festival d’Angoulême. _La Propriété_, publiée en 2013, confirme le style de l’autrice, mêlant une ligne claire épurée au portrait complexe d’une société israélienne tiraillée par son passé. Elle remporte alors le Eisner Award du meilleur album de l’année et le Prix spécial du jury au Festival d’Angoulême. Rutu Modan est ainsi devenue la tête de file de la première génération d’auteurs de bande dessinée israélienne.
ACTUS TRAGICUS
Rutu Modan est devenue éditrice par accident. Son oncle, qui n’y connaissait rien en bande dessinée, à l’envie de créer une version israélienne du magazine d’humour américain Mad. Comme sa nièce fait des études d’art, il lui confie cette mission. Rutu Modan s’associe alors aves son ami YIRMI PINKUS avec qui elle crée une maison baptisée ACTUS TRAGICUS pour mener à bien cette folle entreprise… qui tourne à l’echec après 11 numéros. Le magazine n’a jamais rencontré de succès et pour cause : les 25% de publication israéliennes autorisées par contrat ressemblent beaucoup plus à de la bande dessinée alternative sous influence de _RAW_ de Art Spiegleman et François Mouly, qu’à de la parodie. Comme le dit Rutu Modan en interview : « Ceux qui aimaient Mad détestaient nos créations et ceux qui aimaient nos créations détestaient Mad ». Quitte à perdre de l’argent, autant publier des livres qui leur resemble, se dient les deux éditeurs qui pensent tout d’abors à s’autoéditer. Mais un voyage au festival d’Angoulême fait naître une nouvelle ambition : devenir un véritable éditeur alternatif. Rapidement se réunissent autours d’eux plusieurs créaateurs motivés par le projet. Ils prennent l’habitude de se retrouver et de se critiquer franchement pour améliorer leur travail, devenant en quelque sorte les éditeurs des uns et des autres. Cette aventure collectice, construire autour de la publication d’une anthologie annuelle, dure dix ans. Les formats changent en fonction de l’argent disponible, ce qui les oblige à perpétuellement exprérimenter pour adapter leur récit à l’objet. Dans les derniers numéros, ils invitent même des auteurs de toutes nationalités comme ANKE FEUCHTENBERGER, SUEHIRO MARUO ou encore STÉPHANE BLANQUET et font le lien avec leurs élèves et héritiers, dont RUTH GWILY.
_Jamilti_ est le dernier récit court réalisé par Rutu Modan. Elle qui s’attaquait jusqu’alors peu aux problématiques israéliennes se confronte ici de manière frontale aux problèmes des attentats et des liens entre Arabes et Israéliens. Pour autant, les peintures des relations humaines et familiales priment encore. L’explosion n’est qu’une péripétie dans la vie d’un couple promis à la séparation à la veille de leur mariage. Au passage Rutu Modan propose un message de paix renversant : un baiser iconique entre l’israélienne qui vient de découvrir la face sombre de son futur mari et le terroriste libanais qui a fait exploser sa ceinture par accident.
_Retour à la maison_
Publié dans le collectif _Happy end_, cette nouvelle est la première dans laquelle Rutu Modan décide de mélanger son écriture de l’intime à la réalité israélienne. Jusqu’alors, elle évitait de se confronter au sujet, par peur de sombrer dans le commentaire politique ou journalistique, la dimension romanesque et fictionnelle restant toujours prioritaire à ses yeux. Ce récit marque donc une certaine forme de rupture dans le choix des thèmes qui la mènera bientôt au roman graphique. Dès lors, elle s’engouffre dans une écriture qu’elle qualifie de plus « sincère », dépouillée d’effets sans pour autant perdre son ambivalence, toujours plus au service de la peinture de la nature humaine : ici les membres d’un kibboutz espérant le retour d’un de leurs membres, soldat disparu au Liban 6 ans plus tôt.
UN THÉÂTRE TRAGI-COMIQUE
Au début des années 2000, RUTU MODAN abandonne le format court pour se lancer dans son premier roman graphique. Ses deux dernières nouvelles, _Retour à la maison_ et _Jamilti_, annonçaient déjà une mue graphique et thématique. Son écriture s’emparait des problématiques de la société israélienne, non pour produire un commentaire politique, mais pour amplifier les drames humains et les relations familiales conflictuelles, sujet central de son oeuvre depuis ses débuts. Son dessin, en réaction, séparait en partie des effets comiques et grotesques pour affermir une ligne claire laissant plus de place à cette réalité. Visuellement, la perception de l’environnement et des personnages devenait plus directe et franche, moins stylisées.
Convaincues par cette évolution, les éditions canadiennes DRAWN AND QUARTERLY, avec qui Rutu Modan discutait depuis quelques années, lui proposent de finance son premier roman grahique : _Exit Wounds_. Devant un tel chantier, Rutu Modan prend le temps de découper un story-board relativement précis. elle confie également, pour la première fois, ses personnages à des acteurs qu’elle dirige et photographie. Parmi eux se trouvent bien évidemment des anciens membre d’Actus Tragicus, et des amis comme BATIA KOLTON et YIRMI PINKUS. Grâce aux répétitions, le scénario s’enrichit et évolue, porté par l’interprétation des acteurs, qui s’emparent des protagonites. Avec ce dispositif, la dimension théâtrale au coeur de la mise en scène de Rutu Modan trouve une nouvelle ampleur. La ligne, quand à elle évolue encore vers toujours plus d’épure, ce qui permer de cerner, avec justersse, les postures et les expressions découlant du travail des comédiens. Derrière les drames intimes et familiaux, Rutu Modan exprime le portrait de la nouvelle société israélienne, iconoclaste, abandonnée par ses pères fondateurs, obsédée par les questions d’héritage et la mémoire.
LA FEMME QUI PLEURE
(_Exit Wounds_)
Numi, « grande girafe » qui fait son service militaire, découvre, dans le journal, sur la photo des décombres d’un attentat qui a eu lieu à Tel-Aviv, la gourmette qu’elle avait offert à son amant, le père d’un certain Kobi, chauffeur de taxi. Tous deux vont partir à la recherche de cet homme, dans un Tel-Aviv sous les bombes, à la croisée des témoins et des lieux détruits. Cette odyssée en voiture fait résonner la quête d’un père, ou d’un lien paternel, chez les personnages, en écho à une société israélienne abandonnée par les pères fondateurs. Cette femme au travail, qui pleure son mari disparu compte parmi les personnages les plus tristes de l’oeuvre de Rutu Modan. Son geste, tout en retenue, exprime le tempérament d’une femme forte qui sait qu’il faut continuer à vivre malgré le drame.
LE CHÂTEAU DE CARTES
(_La Propriété_)
Ce château de cartes est un exemple du sens de la mise en scène chez Rutu Modan. Ce monument de fragilité est omniprésent tout le long de la scène et annonce une tragèdie à venir, comme un effet comique attendu. Mais, jouant avec les attentes de son lecteur, Rutu Modan effondre le château à contre-temps, non pour amplifier l’annonce de la mort d’un protagoniste, comme on pourrait s’y attendre, mais quelques cases plus tard, lorsque la personne qui essayait de masquer son émotion devant cette nouvelle s’effondre intérieurement, trahissant son secret attachement à ce défunt qu’il ne devrait pas connaître.
LE FOTOPLASTIKON
(_La Propriété_)
Devant le fotoplastikon de Varsovie se retrouvent les deux anciens amants qui ne se sont pas vus depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’ils plongent leurs yeux dans les lorgnettes, ils réalisent que les images ont changés. Avant la guerre, le Fotoplastikon était rempli de diapositives présentant les splendeurs du monde entier. Mais aujourd’hui, c’est le Varsovie disparu, les vestiges de la guerre, qui emplissent la machine. Véritable allégorie, le Fotoplastikon permet à Rutu Modan d’évoquer un des thèmes les plus importants dans son oeuvre ; l’écrasant obsession de la mémoire, du souvenir de l’horreur sur le présent, dans la société israélienne, qui empêche parfois de se focaliser sur le présent et la beauté qui nous entoure.
L’AVION
(_La Propriété_)
La Propriété raconte le voyage de Régina Segal et de sa petite fille, Mica, à Varsovie où elles epèrent récupérer une propriété familiale spoliée perndant la Seconde Guerre mondiale. Le trajet en avion est tout un périple qui commence dès les portiques de sécurité. Dans l’avion, les deux femmes sont assises non loin d’une classe d’étudiants partie en voyage scolaire en Pologne sur les traces de leur passé, comme c’est la tradition. Cette fresque fait le portrait de la jeunesse israélienne contemporaine et annonce l’un des thèmes centraux du récit : le rapport à la mémoire, au poids de la culpabilité, omniprésent dans la société. Plus loin, les héroïnes découvent qu’il existe une visite guidée du ghetto de Varsovie déguisé en déporté, avec la reconstitution d’une rafle, dans la rue, organisée par l’Association de la mémoire des juifs.
LA PLAGE
(_Exit Wounds_)
Alors que le véhicule se retrouvent en panne, les deux protagonistes échouent sur une plage qui leur offre une parenthèse de complicité. Cette scène revient sur le thème de l’héritage des parents, sur lequel Rutu Modan porte un regard très critique depuis ses débuts. Les figures de mère dévoreuse ou de père absent sont nombreuses dans son oeuvre. Dans _Exit Wounds_, en particulier, le complexe lié aux partents s’exprime une première fois dans cette scène de baignade, durant laquelle les deux héros réalisent qu’ils ont appris à « prendre la vague » avec le même homme, pére de l’un et amant de l’autre. Plus loin, alors qu’ils se rapprochent, la scène de sexe entre les deux personnages est avortée par une mauvaise blague de Numi qui déclame « tel père, tel fils. »
L’APPARTEMENT
(_La Propriété_)
Le héros de cette scène est un dessinateur, auteur de bande dessinée, qui a pour ambition d »écrire le Persepolis polonais. Pour les illustration de son carnet, Rutu Modan a fait appel à son appel à son ami Asaf Hanuka. Comme le dessin est pour Rutu Modan constitutif de l’identité, elle ne pouvait pas dessiner elle même les créations de son personnage. D’une manière générale, cette scène illustre parfaitement la manière dont Rutu Modan évoque la complexité des rapports homme/femme, souvent empêchés par les histoires personelles.