Interview
Albert Algoud et Fluide Glacial : Rendez-Vous d’humour.
Albert Algoud : Alors, avec une image poétique ou de conte de fée, je dirais que c’était la Belle au Bois Dormant quand je suis arrivé, c’est à dire qu’il y avait des belles choses mais, à mon avis, elles n’étaient pas suffisamment en valeur… Et si j’emploie un langage marketing, je dirais que j’ai constaté que la marque et le produit n’étaient pas en adéquation. C’est à dire que Fluide est une marque hyper connue et pourtant peu de monde le lisait, un peu comme moi d’ailleurs. Donc la marque était très connue mais à l’intérieur, le produit était peu identifiable.
Quand je suis arrivé, j’ai trouvé un journal en noir et blanc à une époque où la couleur est dans la rétine de tout le monde, en bien ou en mal d’ailleurs, mais bon, la couleur est partout donc à mon avis on pourrait l’utiliser au mieux pour mettre en valeur certaines choses, et puis la couleur ça n’interdit pas le noir et blanc ! Au contraire, ça fait un noir et blanc encore plus beau.
Il y avait une maquette qui était existante mais extrêmement triste. Certaines choses n’étaient pas mises en valeur.. Il y avait un fouillis décourageant de la lecture : page 2 et page 3 par exemple, cette espèce de jungle de graffitis auxquels je ne comprenais rien. C’était du private joke ! En tant que lecteur lambda (puisque je ne lisais pas depuis quelques temps), je ne comprenais rien, c’était très « à usage interne » et je trouve ça très dangereux. Le lecteur n’a pas à savoir les histoires de cuisine, les trucs privés, les règlements de compte..
Et puis il y avait un problème de taille : il n’y avait pas suffisamment de communication autour du renom de Fluide Glacial alors que c’était nécessaire pour faire savoir que le titre était vivant ! Il y a plein de gens qui me disaient « Ah bon.. Fluide ça existe encore ? ».
Sceneario.com : Il fallait recréer une identité ?
Albert Algoud : Non… Je me méfie du terme "identité" parce qu’il y a eu tellement de réactions, soit de certains auteurs, soit des lecteurs….! Et moi les replis identitaires, c’est un des trucs dont je me méfie le plus au monde. Aujourd’hui, la planète est à moitié en train de crever à cause du communautarisme et des replis identitaires.
L’identité, ça n’existe pas. L’identité c’est fait de rencontres, de croisements, de changements, d’évolution et d’ouverture sur le monde.
C’est ça qui est positif. On peut préserver cette identité tout en s’ouvrant aux autres et en étant curieux et enthousiaste. Donc je me méfie… mais disons qu’il s’agit de préserver l’esprit de Fluide, c’est à dire un « magasine d’humour et de bandes dessinées », mais en exaltant ce qui est bien. C’est ce qu’on a commencé à faire depuis un an.
D’abord, il y a eu le passage à la couleur qui a été progressif puis assez rapide. La maquette continue d’évoluer. Il y a aussi tout le rédactionnel, dont une partie n’était pas lue, de l’aveu même de certains auteurs.. Parce que trop grisâtre, trop ennuyeuse, pas mise en valeur etc… Là encore il y avait un travail de mise en forme.
J’en profite pour annoncer qu’au prochain n°, la gazette va changer. Ca va être une gazette très différente avec des gens différents, une maquette différente, beaucoup plus attrayante et beaucoup plus lisible.
Sceneario.com : Et au niveau de ce repli sur eux-mêmes qu’avaient les dessinateurs entre eux, vous avez tout de même choisi de maintenir les marges…?
Albert Algoud : Alors là, ce n’est pas une contradiction, ça peut peut-être paraître un paradoxe, mais les marges c’était une tradition disons de « déconnage » donc les marges ont toutes leur raison d’être, surtout si la gazette est plus lisible et plus aérée. Ca respire mieux et c’est un moment d’intimité surtout pour les auteurs. Peut être que les marges, à un certain moment accueillaient trop de monde. Enfin je ne sais pas, il n’y a pas de loi … Donc en les resserrant un petit peu, en ayant des auteurs qui sont en interaction les uns par rapport aux autres, moins tournés vers des problèmes qui ont été les leurs (des problèmes internes, de statuts, de droits etc.). Une fois réglés ces trucs là, ça amène au code-barre. C’est le sentiment que j’ai depuis quelques temps.
Sceneario.com : Les auteurs de Fluide vous ont-ils appris quelque chose ?
Albert Algoud: Ah oui, bien sûr.. d’abord rédac-chef, je n’avais jamais fait ça de ma vie, alors ça implique plein de choses. C’est un boulot où il faut être à la fois avec les auteurs, les encourager, être contre eux parfois ..
Sceneario.com : Avec certains auteurs comme Maëster, Coyote, qui sont quand même d’une certaine trempe…est-ce facile à gérer ?
Albert Algoud: Oui et non (rires). Il faut peser les œufs de mouches dans les toiles d’araignée… Parce qu’il y a des susceptibilités, comme partout ! Les artistes sont solitaires et pointilleux sur leur travail et sur le regard qu’on a dessus. Avec certains, ça a été extrêmement facile parce que je pense qu’humainement ils ont compris à qui ils avaient affaire. D’autres étaient plus soupçonneux parce que je venais de la télé… (Alors qu’en fait, je suis arrivé à la télé à 38 balais !) Et à la télé on me regardait de travers parce que je venais d’ailleurs, je venais d’un autre monde et les mœurs de la télé faisaient tellement pleurer, de dépit ou de rire… Et là, j’arrive dans un univers où les mecs pensent que je suis un mec de la télé ; c’est à mourir de rire. Mais ça s’est réglé vite avec la plupart. Il y en a peut-être deux ou trois qui sont réticents, mais tout le monde a des préventions sur tout le monde. Disons que parfois, chez certains, ça a été un peu du repli identitaire dans tout ce que ça a de négatif, c’est à dire que tout ce qui provient de l’extérieur est considéré comme une menace.
Sceneario.com : C’était du protectionnisme ?
Albert Algoud : Exactement ! Et aussi du corporatisme, c’est à dire : « Nous on est des artisans, on a la vrai esprit.. on est toujours le « pur » par rapport à « l’impur » et l’impur devient vite un traître par rapport à ce qui menace la cohésion d’un groupe » et c’est très dangereux. C’est pareil dans beaucoup de milieux. Mais peut-être que là c’était plus fort chez certains parce qu’ils avaient peur.
Sceneario.com : Est-ce important qu’il y ait de nouveaux talents, de nouveaux dessinateurs qui entrent dans l’équipe ?
Albert Algoud: Oui bien sûr ! Déjà, les gens évoluent.. Maintenant on est en ordre de marche. Par exemple, un des pilliers du journal c’est Léandri ! Léandri, avec ses moustaches, j’aurai pu dire : "Tiens c’est le Astérix de Fluide qui va défendre son image !" Et bien c’est un des mecs les plus ouverts d’esprit que je connaisse ! Nous avons appris à nous apprécier. On bosse ensemble sur les Hors série maintenant et on s’éclate vraiment ! Mon but, c’était ça ! Je voulais faire un truc très crétin et si possible assez beau ! « Beau et Crétin » , c’est un bon slogan publicitaire ça ! Et puis on s’amuse en le faisant, quitte à souffrir un peu.
Coyote, que je ne connaissais pas, est humainement un mec formidable… du coup là il fait son retour en N&B avec des lavis absolument invraisemblables, c’est un boulot magnifique !
Hugo, on ne se connaissait pas, mais il savait que j’appréciais son travail, Edika pareil, Binet, c’est la même chose. Donc ça c’est pour la vieille garde… Et puis il y de jeunes dessinateurs à Fluide qui ont vraiment du talent ! Relom par exemple qui était déjà en place. Il y a Luz et Charb qui sont là depuis quelques temps, qui ont vraiment beaucoup de talent, acide, marrant, acerbe et original.
Sceneario.com : Et puis, il y a des genres nouveaux,avec Dominique Bertail par exemple ?
Albert Algoud: Oui, Bertail est vraiment très très bon ! Dans un prochain numéro il y a une illustration de lui, c’est magnifique ! Il y a Dimitri Planchon que j’ai fait venir, dont je m’étais aperçu qu’il avait été recalé par certains de mes prédécesseurs. Il a 26 ans, il fait des dessins sur ordinateur, des compositions, des espèces de romans photo parodiques et dans le Hors série, c’est un truc sur le loft, vous verrez, c’est à mourir de rire, c’est vraiment remarquable
Il a 26 ans, il est dans la sensibilité des gens de cet âge là aujourd’hui, c’est subversif, c’est marrant et il fallait absolument que Fluide s’ouvre à ça ! C’était indispensable pour éviter le vieillissement du lectorat et puis si on veut s’amuser, il faut être dans l’humeur ou la mauvaise humeur de cette génération là. Il y a Lindingre qui est à Nancy, qui fait des trucs avec Lefred-Thouron . Il a vraiment du talent ! Il se cherche un peu sur certains trucs mais lui, à mon avis quand il va se trouver à faire des histoires de trois-quatre pages, ça va vraiment être bien.
En Belgique aussi il y a vraiment des gens intéressants. Là, il y en a un qui arrive avec des dessins pleine page, il s’appelle Steve, c’est un Flamant d’Anvers. Il est en page 2 du Hors série. Lui c’est vraiment un grand, il pourrait se faire attraper par L’express, comme Voutch ! Il a vraiment du talent..
Il y a Kamagurka qui revient. Ce n’est pas un « tout jeune », mais à 50 balais il continue de nous envoyer des trucs à mourir de rire… De façon générale, ce sont les auteurs qui proposent, sans que nous ayons à aller les chercher. Ca montre que ça bouge !
Sceneario.com : Une telle spontanéité, c’est magique ?
Albert Algoud : Oui et la refonte de la gazette va permettre à des gens de nous envoyer des strips verticaux et horizontaux. Cela permettra à des gens talentueux comme Raynal et Claire (« Francis sauve le monde » chez Cornelius) d’être publiés dans ce cadre.
Tout cela un peu en vrac pour vous montrer que ça avance… Un autre exemple d’ailleurs : les couvertures… Elles sont, à mon sens, trop classiques, trop « couv d’auteurs » et cela déroute les gens en kiosque.
J’étais il y a peu à Marseille, pour voir les diffuseurs et les dépositaires. Il en ressort qu’il y a 2700 titres par mois. Il y a au moins 500 titres du genre « Sanglier Passion » ou « Le journal de l’opinel », mais même sans ceux-là, il reste 2200 titres parmi lesquels il faut se distinguer. Certes il y a l’automobile, la télé et les magazines féminins qui représentent une bonne part, néanmoins on peut être rapidement dilués au milieu de cette marée.
Il faut donc que le lecteur se dise « Tiens qu’est-ce que c’est que cette connerie, ce truc complètement crétin ? ». Peut-être que celui-ci feuillettera, et peut-être qu’il achètera. La couv est donc capitale pour les distributeurs qui, en fonction de celle-ci, mettront le magazine plus ou moins en avant.
En plus si ça peut faire marrer aussi les distributeurs qui ont un boulot difficile, qui se lèvent à pas d’heure pour 14% de marge, ce sera aussi une bonne chose.
Sceneario.com : En parlant de presse, de très nombreux mags sont arrivés sur le marché depuis janvier. On peut citer « Virus Manga », « J’aime la BD », « Bédéka », « Pif » qui va ressortir, « Black » le semestriel italien, "Capsule" pour les enfants… Saine émulation ou rude concurrence ?
Albert Algoud: Je trouve cela plutôt bien à partir du moment où ce sont des magazines de qualité. C’est d’ailleurs un milieu que j’ai découvert à mon arrivée chez Fluide. Je peux vous citer en exemple le one-shot « Pilote ». Il est sorti l’an dernier en même temps qu’un Hors Série d’été Fluide. On pourrait penser que quelqu’un qui avait acheté Pilote n’achèterait pas Fluide. Et bien le Hors Série d’été a cartonné à plus de 100 000, ce qui est un score excellent. Quand il n’y avait plus de Pilote, les gens achetaient Fluide et inversement.
Il n’y a pas vraiment de concurrent direct pour Fluide Glacial. Il y a «L’écho des Savanes » mais la BD est saucissonnée entre du cul et du trash… Ils vont d’ailleurs lancer une nouvelle formule en raison du vieillissement de leurs lecteurs. Leur lectorat jeune se fait bouffer par FHM et Maximal, plus trash, plus jeune que l’Echo qui est maintenant pour le public des parents des lecteurs de FHM. Les audaces ou fausses audaces de l’Echo sont bien trash, bien racoleuses, bien dans l’esprit zapping, c’est très malin, mais ce n’est pas un concurrent car dans Fluide, il y a finalement peu de rédactionnel, et celui-ci ne donne pas dans l’événementiel.
Au passage, la partie rédactionnelle d’avant était, passez-moi l’expression, tellement "chiante", triste et grisâtre, qu’elle détournait le lectorat de Fluide qui fuyait l’ennui de ces pages. Quand j’ai découvert que certains piliers du journal ne lisaient pas ces pages, j’ai compris qu’il fallait tout changer. Maintenant chacun revendique une part du changement, c’est plutôt bien car cela montre que chacun s’est impliqué dans le changement.
Je conclue sur les couv’ : il y a un gros travail à faire. Certaines sont indiscutables comme celles d’Edika, toujours bon et drôle, mais qu’on ne peut pas mettre tous les mois. Certaines couv’, qui ne sont pas des couv’ d’auteurs, comme « RIRE TUE », avec un quatrième de couverture cohérent, peuvent vraiment bien marcher. Il y a beaucoup de choses à faire pour changer les habitudes et aller vers cet état d’esprit.
Sceneario.com : A propos du Hors Série, il est « Spécial télé ». Pourquoi ce thème ?
Albert Algoud : Excellent débat… Après le « spécial crime » il fallait changer. J’avais pensé à un « Spécial Vieux » (rires), ç’aurait été génial, avec une couv’ très jeune, mais Léandri nous a orienté vers un Hors Série « nouvelle télé ». Il y avait déjà eu un hors série sur ce thème, mais il était intéressant de se focaliser sur la télé d’aujourd’hui : Real-TV, séries à la con, nouvelles technos et écrans plats, les nouvelles habitudes télévisuelles.
On a ainsi sorti ce jeu débile, « star virus », qui dans le fond correspond à ce qu’est la télé réalité : « Tuer tout le monde sauf le dernier ». Si la télé réalité pouvait faire Roller-Ball, elle le ferait ! A la limite pourquoi pas, dans la mesure où toute la putasserie et l’archaïsme du concept apparaîtraient alors.
La télé réalité, c’est à la fois ultra libéral et ultra communiste. Un peu comme les appartements collectifs d’URSS… C’est du communisme sympa, avec de la délation sympa. C’est la Lubianka sympa ! On devrait en faire un jeu, la « Lubianka », les mecs finiraient avec une balle dans la tête, au fond d’une cave, il y aurait un goulag, de la neige, des toques. J’ai déposé le concept.
Sceneario.com : Donc ce numéro est partagé entre marketing et passion ?
Albert Algoud : Plus ou moins. C’est surtout s’amuser d’un truc qui parle à tout le monde… Vous avez des esthètes de la télé qui vous disent de regarder ceci plutôt que cela, ça fait partie des paradoxes de la télé. Il y a du conditionnement mais aussi du libre arbitre. Si les gens ne veulent pas regarder de la merde, ils peuvent couper. Il y a des millions de gens qui regardent, mais on ne parle pas assez de tous les autres qui sont dans l’abstention, qui écoutent la radio, surfent sur le net… Les meilleurs scores à la radio sont obtenus par les radios indépendantes qui, toutes réunies, font plus que RTL ou Inter. Ca représente énormément de monde. Nova est une radio indépendante, c’est aussi une audience énorme.
Sceneario.com : … Et Radio Libertaire qui est une radio indépendante et qui parle de BD…
Albert Algoud : … je ne l’écoute pas hélas ! Je connaissais surtout de cette radio un nommé René, qui s’amusait à faire d’immenses silences à la radio. On le passait souvent dans notre zapping radio sur RFM, qui s’appelait ba-be-bi-bo-bu. On parodiait ce gars en faisait des concours de silence à la radio. Et on s’est fait virer…
Sceneario.com : Ca a changé, maintenant l’animateur est Christian Marmonier et c’est vraiment bien. Revenons au Hors-Série : quel est le tirage ?
Albert Algoud : Trois millions d’exemplaires ! ..Je déconne ! Au niveau vente, hors abonnement et étranger on fait dans les cent mille (pour un mag on fait plutôt vers quatre vingt mille). Dans le contexte d’aujourd’hui ce sont des beaux chiffres car la presse magazine ne se porte pas vraiment bien.
Il y a un grand débat sur la concurrence entre le magazine et le hors série. Pour ma part je pense qu’ils sont complémentaires.
Je crois beaucoup aux couvertures pour le mensuel, qui sont un appel fort pour le lecteur.
Sceneario.com : Savez-vous estimer la proportion de « fidèles » parmi vos lecteurs ?
Albert Algoud : Non pas vraiment, mais ça a dramatiquement baissé. Ca représente tout de même plusieurs milliers de personnes. Mais on peut comparer la baisse à celle qu’a connue Canal Plus. A partir du moment où quelqu’un se désabonne, il y a une perte quasi irréversible, comme un amour déçu… Le drame que connaissait Fluide était celui de la désaffection. Très honnêtement, il y a un an et demi ou deux ans je n’aurais pas acheté. En mettant le nez dans les collections, je trouve beaucoup de tristesse. Ce qui était drôle n’était pas mis en valeur et je suis sûr que les gens passaient à côté. Des génies comme Edika ou Goossens n’étaient pas mis en valeur comme ils méritaient de l’être. Quand un journal est triste, on va voir ailleurs.
Sceneario.com : A propos des nombreux journaux avec lesquels vous avez collaboré, avez-vous un petit mot pour Gébé ?
Albert Algoud : Oui bien sûr, je l’ai connu aux mardis d’Hara-Kiri. C’était en quatre vingt… quatre… la dernière année du vrai Hara-Kiri, avant que ce soit repris par un pote à Choron avec qui j’avais sympathisé car il avait édité des "Tartarin de Tarascon" dont je suis collectionneur. Je me rappelle que je me couchais devant sa porte pour être payé !
Gébé je l’ai recroisé par la suite, je l’avais invité à France-Inter dans mon émission. On dit « Fumer Tue ». Et Voilà.
Gébé était un grand détecteur de talent. Aujourd’hui on dirait « directeur artistique ». Les "Vuillemin" sont passés dans ses pattes, par exemple . Il avait l’œil, mais savait rester discret. C’était quelqu’un d’important dans la Bande Dessinée. Sympa et honnête, mais il savait être audacieux et novateur.
Sceneario.com : On dit de lui qu’il était un philosophe ?
Albert Algoud : Oui mais il faut se méfier de ce genre d’appellation. Disons qu’il ne se laissait pas prendre par les différents pièges de la marchandise… Disons que c’était un libre-penseur. Sa part de jeunesse était là !
Sceneario.com : A propos de “libre-pensée”, quelle est votre opinion sur la censure en tant que rédac’ chef ? Acceptez-vous que l’on parle de tout ?
Albert Algoud : Oui bien sûr, mais c’est une question à laquelle j’ai du mal à répondre… Déjà pour moi, museler les fachos c’est leur faire de la pub. Je me méfie par exemple de l’anti-lepenisme primaire auquel on avait assisté en 2002. Chacun se devait de se faire une dent chez Le Pen, et se refaisait une santé comme cela. Je me rappelle que pour être invité chez Pascal Clark sur Inter il fallait accepter de dire à l’antenne « haro sur Le Pen ». Je trouve cela étrange, c’était une forme de censure dans un sens. Il aurait mieux valu inviter des fachos et leur rentrer dedans, ça aurait été un peu plus marrant.
Sceneario.com : Surfez-vous de temps en temps ?
Albert Algoud : Absolument pas ! Je n’ai même pas d’ordinateur sur mon bureau, je n’ai même plus d’écran ! Je suis plutôt épistolier et téléphone.
Non bien sûr je surfe régulièrement, j’ai un PC chez moi, mais je ne suis pas trop Internet. Pour les infos, oui, mais pour la communication, je préfère la lettre et la voix. Surtout avec les artistes, j’ai une grande méfiance vis à vis du mail, car ça devient vite lapidaire et ça monte très vite ! L’écriture par mail est assez réductrice…
Sceneario.com : Pour conclure, entre Tintin dont tu es le spécialiste et Sœur Marie Thérèse, entre la ligne claire et le dessin à gros nez, ton cœur balance ?
Albert Algoud : C’est avant tout une question de qualité. Indépendamment du trait, il faut que ce soit lisible. Par exemple sur un dessin pleine page, il ne faut pas qu’il y ait de travail de déchiffrage, sinon, il y a un effet de rapidité perdu et ça casse quelque chose. Chez les grands illustrateurs, Boffa, Dubout, les mecs d’avant guerre, là c’est immédiat ! La compréhension est immédiate. Il y a certes la qualité du trait mais l’idée saute aux yeux. C’est ce que j’aime actuellement chez Voutch ou chez Sempé. Chez ce dernier, il y a du texte, mais il y a une atmosphère qu’on saisit au premier regard.
Pour les histoires, c’est pareil. C’est un peu cliché mais il faut un bon scénario et un bon dessin, et il faut que le tout soit lisible. Pas trop tordu ou maniériste. Le maniérisme m’ennuie. Je n’aime pas les trucs trop esthétisants, le jeune dessinateur qui sur-joue un peu. On trouve ça chez pas mal de jeunes dessinateurs un peu sérieux… Le trentenaire mal rasé, chauve à col roulé (rires). Il y a parfois des trucs un peu coupés du populaire au bon sens du terme.
Avec mon œil de lecteur, d’ « amateur éclairé », intéressé par le dessin et la peinture, j’ai toujours apprécié la BD qui, comme la musique, est un art peu verbeux, un peu comme l’est la musique.
Sceneario.com : Votre "tintinophilie" ne vous a donc pas faussé le regard ?
Albert Algoud : Non au contraire, je pense que lire les meilleures BDs d’Hergé (les albums du milieu quoi !), qui sont d’une extraordinaire qualité, cela apprend ce qu’est le rythme, la rapidité, la suggestion… C’est comme fréquenter de bons écrivains ou de bons peintres : Cela permet de remarquer tout de suite la médiocrité ! Et cette proximité avec un excellent auteur comme Hergé me permet de me rendre compte à quel point il est difficile de trouver des auteurs talentueux. Je pourrais citer aussi Franquin, avec les premiers « Spirou et Fantasio ». Ces albums ont cinquante ans, mais sont de vrais miracles, avec un sens du rythme dingue. Il y a de très très bons dessinateurs aujourd’hui, avec un rythme impressionnant…
Sceneario.com : Avez-vous un album coup de cœur ?
Albert Algoud : J’aime beaucoup Emile Bravo, Sfar, Dupuy et Berberian… J’aime aussi Loustal et je trouve que plus il va vers la peinture, plus c’est intéressant.
Sceneario.com : Albert Algoud, merci beaucoup.