Interview
Alexandre Astier et Steven Dupré
Sceneario : bonjour,
bon ça va être dur d’être original et je suppose qu’on vous a posé un certain nombre de fois les mêmes questions !
Astier : Oui et j’y ai répondu un certain nombre de fois (rires: )
Sceneario : C’est la première fois que vous venez à Angoulême ?
Astier : Oui, c’est la première fois effectivement. Cela ressemble aux stands de l’Apple Expo.
Dupré : Pour moi aussi, c’est le premier Angoulême mais j’ai déjà fait beaucoup de salons en Belgique. Ce qui m’étonne ici, c’est de voir le nombre de bandes dessinées qui n’est pas traduit en néerlandais.
Sceneario : Il y a une différence par rapport aux salons du cinéma, télé, …
Astier : De ce que j’ai vu aujourd’hui, ce qui est curieux, mais je pense que c’est certainement propre à ici, c’est de voir les "grandes maisons" disséminées en bunkers. Ils pourrait être armés d’ailleurs (rires). En regardant ce qui se passe ici, vu d’avion, on comprend qui est qui.
Sceneario : Dans la version noir et blanc de Kaamelott, il y a une interview où vous expliquez que vous ne connaissiez pas la série avant de commencer à la dessiner.
Dupré : Oui.
Sceneario : Comment avez-vous travaillé ?
Astier : Il y avait un épisode qui fait partie des pilotes de Kaamelott, celui avec le Minotaure dans la cave (que l’on voit dans les suppléments du premier dvd). Il fallait retranscrire un bout de cet épisode en planche. Pas mal de dessinateurs ont travaillé dessus et j’ai préféré les planches de Steven tout de suite.
Je pense que ce qui fait que cela se passe bien entre nous vient aussi du fait qu’il ne connaît pas la série.
Sceneario : Et vous avez comblé cette lacune ?
Dupré : Oui j’ai vu la série maintenant, grâce au DVD.
Sceneario : Dans cette interview, vous disiez que vous aviez "peur" quand vous fournissiez le scénario par séquence, de ne pas pouvoir revenir en arrière pour modifier un élément. Pourquoi ne pas avoir écrit entièrement le sceneario avant de le donner ?
Astier : En fait, quand j’écris, c’est relativement technique. J’utilise des techniques d’écriture dans la structure, la formation des actes et dans le découpage, ce qui fait que je n’ai pas besoin de réaliser la planche pour savoir où j’en suis. Je pourrais faire la planche 42 ou la 13 avant le reste. Je sais ce qu’il y a dessus. Je fais aussi de cette manière pour la série. J’écris dans le désordre car je suis tenu par un plan. C’est aussi une question de délais. Si je fournis les 46 planches à Steven d’un coup, cela veut dire que j’ai mis beaucoup de temps à les écrire seul et lui, Il va mettre aussi pas mal de temps à les dessiner seul. C’est mal gérer notre temps, il vaut mieux que je lui envoie petit à petit ce que j’ai et qu’il dessine au fur et à mesure et que l’on travaille ensemble.
Il y a aussi les retouches pendant les croquis et les crayonnés jusqu’à ce que l’on soit content et qu’il encre. Il y a donc des possibilités de retours. C’est juste que c’est curieux cette façon d’écrire en avançant brique par brique. Je m’y suis fait mais c’est le plan qui me sauve.
Il y a un travail de construction sans dialogue, sans rien,… de la narration pure en fait.
Sceneario : Cela apporte des avantages de faire un album de 46 pages au lieu d’un épisode de 3 ou 4 minutes pour la télé ?
Astier : Oh oui, tout ce qui me permet de m’agrandir un peu et de ne plus être à l’étroit dans quelque chose qu’il faut boucler. Par exemple pour la saison 5 de Kaamelott que je tourne en ce moment pour la télé, ce ne sera plus 100 épisodes de 3’30 mais 50 de 7 minutes. C’est le même volume mais c’est découpé en deux fois plus gros. Toutes les occasions sont bonnes pour jouer des coudes et écarter les murs.
La bande dessinée, c’est 46 planches qui permettent de partir dans une quête autonome. C’est cela la chance, car c’est une ouverture vers une histoire longue.
Sceneario : Vous n’avez pas envie d’utiliser Steven dans la série ? Il devait bien y avoir un peuple belge à l’époque ?
Astier : (rires) Oui, il y en avait évidemment. Mais il ne m’a pas encore demandé de jouer avec moi.
Sceneario : C’est l’occasion ! (rires)
Dupré : Euh non, je ne suis pas un comédien. Chacun son métier.
Sceneario : Vous avez envie de faire des cross-over ? Utiliser des éléments de la bd pour les mettre dans la série et inversement ?
Astier : Ce qui est compliqué, c’est que l’on doit faire des albums qui peuvent être lus par des personnes qui ne connaissent pas la série. Ce sera donc toujours des one-shots autonomes qui seront contemporains à la saison I. Si on suit la série, on comprend que cela se délie, que Lancelot se barre, qu’il fait une armée à lui, etc… C’est la vraie saga qui se déroule. Mais si j’oblige les lecteurs de la bande dessinée à tout le temps savoir où on se trouve, pour que l’album soit lu au bon moment, je trouve que cela ne sert à rien. Cela n’en fait pas une bande dessinée autonome justement. Donc toutes les bandes dessinées se passeront à la saison I.
Sceneario : Hum ! c’est un petit regret personnel.
Astier : Oui, mais j’ai beaucoup réfléchi à cela et je pense que c’est la seule façon de m’en sortir, si ce n’est de faire des résumés narratifs ultra chiants en début d’album. Donc on parle de la situation entre les chevaliers au moment de la saison I. Lancelot fait partie de l’équipe, Guenièvre est encore avec Arthur, la table ronde, …
C’est une façon simple de poser les choses et les personnages pour quelqu’un qui ne regarderait pas la série. On envoie donc les personnages en aventure car ils parlent tout le temps dans la série de la quête du machin, de la quête du truc, … mais on ne les voit pas forcément. La bande dessinée c’est cela, on voit leur boulot de tous les jours avant que le royaume ne se défasse à cause du triangle amoureux et des tromperies d’Arthur.
ATTENTION SPOILER sur les 2 prochains paragraphes
Sceneario : On retrouve vraiment les personnages comme ils sont dans la saison I. Mon regret c’est que Karadoc et Perceval sont un peu en retrait par rapport à ce qu’ils sont devenus dans la saison II et III.
Astier : Oui mais dans ce cas, la chronologie de la série serait difficile à suivre. Par exemple dans la saison V, Karadoc et Perceval quittent le château et deviennent autonomes. Ils fondent un clan à eux. Et comme je le disais, je ne peux pas donner cette information brute dans la bande dessinée. Si dans le deuxième album, ils sont déjà en clan, je dois faire une rétrospective pourquoi c’est arrivé. Il faut que je parle de Mevanwi la femme de Karadoc, le duel, l’échange des épouses, … Si je me lance là-dedans, je mets déjà vingt planches à expliquer où on en est et après on se plante.
C’est vraiment quelque chose que je ne peux pas faire, mais dans le fait de mettre en avant des personnages plutôt que d’autres, cela peut très bien arriver dans le cadre d’une quête qui ne concerne que ces deux-là. Dans l’Armée du Nécromant, ils ont une part à eux, ils prennent Merlin et vont essayer de faire un truc et l’équipe se rejoint à un moment. Mais dès la saison I, ils auraient pu être mis très en avant. La chose dans laquelle je ne veux pas me lancer, c’est la chronologie de l’histoire sombre, les tromperies, les adultères. Le fil rouge général c’est la série et les films. La bande dessinée, c’est plutôt le plaisir de les voir partir dans des quêtes à l’époque où ils s’entendaient bien.
Sceneario : Vous avez vu un épisode pour le test. Comment avez-vous repris et vous êtes-vous approprié les personnages ? Je retrouve leurs expressions et j’ai eu plusieurs fois l’impression de les entendre !
Dupré : Alexandre m’a fait une grande série d’expression avec chacune un numéro et il écrivait dans le scénario "dans cette case le personnage a l’expression numéro 14".
Astier : Je lui ai fourni une soixantaine de portraits de ma tête avec les expressions. Je peux parler à un comédien dans un jargon de comédien mais il est dessinateur. En plus, on ne parle pas la même langue et je voudrais exprimer des choses un peu complexes comme un peu de soupçon mêlé de quelque chose. Le mieux c’est qu’il voit l’expression donc je me suis pris en photo soixante fois comme ça.
Sceneario : Et pour les autres acteurs ?
Astier : Pour tout le monde, j’ai fait les expressions en général. J’aime bien quand je dirige un comédien, ce n’est pas rare que je lui demande de ne pas être agressif quand la réplique l’est et d’ajouter une couche de jeu. Ce qui fait qu’il dit le texte très tranquillement. Ce genre de recul-là, je suis bien obligé de l’exprimer à un moment pour que le mélange se fasse, ne serait-ce que pour les proposer à Steven. Mais c’est juste un outil de travail, pour que chez lui, il se dise "Ah d’accord pourquoi pas !".
Sceneario : Cela simplifie beaucoup le travail ?
Dupré : C’est une aide. C’est très facile d’avoir un exemple comme cela.
Sceneario : Et pour les couleurs, vous avez fourni le visuel des acteurs ?
Dupré : C’est Benoit Bekaert, un Bruxellois, qui fait la colorisation.
Astier : C’est diffusé là-bas et il aime beaucoup la série. Il a donc une approche où il connaît, et il essaye de mettre une atmosphère dans l’album. De toute façon, dans une histoire qui se déroule en haute montagne avec des morts-vivants, il ne l’a jamais vu. Qu’il connaisse la série ou pas, c’est une nouveauté ainsi que le ranch là-haut. En plus, on a joué sur la nuit, l’aube et le jour.
Sceneario : Comment avez-vous travaillé la course-poursuite en traîneau ! C’était pré-découpé, story board, … ?
Dupré : Le découpage était déjà défini.
Astier : C’est un peu un casse-tête en construction mais je pense qu’on s’en n’est pas trop mal sorti. C’est une proposition de découpage : chaque case a une indication et une valeur de cadre et de position. Ce sont des notions de réalisateur. Cela ne veut pas toujours dire quelque chose pour Steven qui préfère des fois mettre la camera ailleurs.
Sceneario : Qui gagne ?
Astier : Quand il a raison c’est lui ! (rires)
Dupré : Quand il a raison c’est lui ! (rires)
Sceneario : Vous travaillez comment avec la distance ?
Astier : Par courriel. Ça se passe par des allers et retours, comme on a trois étapes de validation, croquis, crayonné et encrage. Ce sont des courriels de commentaires, de machins, trucs. De temps en temps, je lui envoie quelques photos piquées sur Internet, comme par exemple, le ranch qui est assez calqué sur des ranchs d’Amérique du Sud où on parque des morts-vivants au lieu de parquer des vaches.
Sceneario : Je trouve que le Nécromant réagit comme Arthur quand il apprend que son aide de camp a déjà envoyé des morts-vivants. Il est désabusé et s’énerve quand il est mis devant le fait accompli.
Astier : C’est la première idée du script. C’est qu’à l’autre bout de l’alignement entre le bien et le mal, Arthur a un homologue qui est un grand chef entouré de mecs qui n’ont pas compris tout à fait ce qu’il voulait. Le Nécromant c’est ça. Il a une idée, et son ministre n’a pas tout à fait pigé le truc et il envoie les morts-vivants un par un. Il a donc les même soucis qu’Arthur. Ils ont un cousinage.
Sceneario : En lisant ce passage, j’entendais la voix d’Arthur. Il aurait pu dire ce texte-là.
Astier : Oui sûrement. Je n’ai pas fait gaffe à cela mais c’est logique.
Sceneario : D’ou vient le ‘design’ du Nécromant ? Car ce n’est pas un des acteurs
Dupré : J’en ai discuté avec Alexandre. On a discuté des cornes et des autres éléments.
Sceneario : C’est donc le dessin qui amène le dernier gag ?
Dupré : Oui, j’avais visité un musée sur la préhistoire et j’y ai trouvé des cornes gigantesques d’un élan. je me suis placé en dessous et j’ai pris une photo comme documentation. (rires)
Astier : J’ai reçu la photo de Steven en dessous des cornes de fou furieux d’un élan préhistorique. Ça a été la base de recherche du Nécromant. Sinon les indications, c’étaient des indications très "jeu de rôles" c’est à dire un magicien qui est détruit par la pratique de la magie noire et qui devient petit à petit un mort vivant. Il gagne la capacité de réveiller les morts. Tout ceux qui sont autour de lui sont donc des morts-vivants. C’est pour cela que quand il meurt à la fin, tout les autres morts-vivants ne sont plus contrôlés et retombent.
Sceneario : Vous avez envie de ré-utiliser le rat géant ?
Astier : Nous, on l’appelle la marmotte (rire). C’est dans la thématique de la montagne. En tout cas, elle est là. On sait qu’elle est là. Si jamais on repasse par là un jour, on verra.
Sceneario : Vous avez d’autres histoires en préparation ?
Astier : Notre premier contrat prévoit trois albums, donc un par an, avec une sortie pour octobre/novembre comme celle-ci. Il y en a donc encore au moins deux.
Sceneario : Parfait, je note cela pour novembre alors !
Astier : Il va falloir attendre, surtout qu’on ne l’a pas encore commencé. Je commence juste à avoir le plan découpé. On a donc neuf ou dix mois de travail, couleurs et impression comprises.
Dupré : On a un certain rythme. Je fais une planche en trois jours.
Sceneario : A part s’il y a des flocons de neiges (rires)
Astier : Oui, s’il y a des flocons de neige c’est deux semaines (rires). Oui c’est cela, quand je suis bien à jour sur le script et que Steven suit bien, c’est environ deux planches par semaine. On peut même aller à trois planches par semaine, on l’a déjà fait une fois.
Dupré : Mais c’est plus dur quand même. (rires)
Sceneario : merci
Alexandre Astier et Steven Dupré
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