Interview
ANGE
SCENEARIO.COM: Pour ceux qui ne vous connaissent pas, (s’il en existe encore), pouvez-vous décliner votre identité ?
ANGE G.: Oh, il en existe encore, et plein… Donc, Anne et Gérard, dits Ange. On utilisait d’autres noms auparavant, comme G.E.Ranne pour les Jeux de Rôle, G.Elton Ranne pour les romans ou Grégoire Dannereau pour les traductions, et quelques autres encore, mais il était temps d’assumer nos différentes casquettes et de tout regrouper sur une même tête. Sinon, à part ça, taille pas beaucoup, poids trop, cheveux ça dépend, signe particulier quatre bras, deux nez, une paire de lunettes et bientôt deux.
SCENEARIO.COM: Vous êtes le scénariste de nombreuses BD… où en sont les nouveaux scénarios pour la Geste des Chevaliers-Dragons, celui de Kookaburra Univers 2 et Bloodline, sans oublier Nemesis et Paradis Perdu…
ANGE G.: Réponse rapide, c’est en cours d’avancement. Réponse longue : Le déroulé du scénario de la Geste tome deux est terminé depuis la fin du tome un, un tiers de l’album est déjà découpé et l’album devrait sortir en fin d’année prochaine chez Soleil, avec en prime une réedition super du premier tome pour Angouleme, avec de nouvelles couleurs, une nouvelle couve, une nouvelle maquette, plein de bonus, bref, que du bon. Un quart de Kooka Universe est découpé, Nemesis 5 est bouclé, Le Collège Invisible 2 en est au deux tiers et on aura découpé la moitié du tome 2 de Paradis Perdu début Novembre. Mais on va en reparler grâce à la question suivante. Pour Bloodline, c’est un peu compliqué … mieux vaudrait demander à Vents d’Ouest… Et puis, nombreuses, nombreuses, c’est vite dit. On écrit moins que certains scénaristes qui eux, écrivent seuls, alors que nous écrivons à deux.
SCENEARIO.COM: Comment faites-vous pour ne pas mélanger toutes ces histoires ?
ANGE G.: D’abord, on est deux, ça aide. Ensuite, on est complètement schizo et ça aide encore plus. Ensuite, on fait partie des scénaristes qui écrivent en flux tendu avec les dessinateurs par séquence de quelques pages. Je crois que Scotch Arleston fait la même chose, d’ailleurs. Cela a plusieurs avantages. On accompagne le dessinateur tout au long de l’album, et on a jamais plus de quelques pages d’avance sur lui, même si tout l’album est « mappé », déroulé, c’est à dire prédécoupé en amont. L’histoire tourne dans nos têtes en tâche de fond pendant ce temps, quand on marche, quand on fait les courses, quand on dort, quand je me rase la tête, bref tout le temps. Le temps « mécanique » d’écriture d’un scénario, la frappe sur le clavier, est somme toute assez court. C’est tout le travail en amont qui est long mais il n’est pas quantifiable. Cela offre aussi l’avantage de se mettre artificiellement dans un autre environnement de travail à chaque série. Sans être fumeux, le cerveau ne travaille pas de la même façon pour le Collège Invisible ou Nemesis ou Paradis Perdu parce que les thèmes sont différents, les rythmes sont différents, les narrations sont différentes. Et là où écrire cinq pages de suite de Nemesis ou du Collège serait fatiguant, en écrire trois de Nemesis puis deux du Collège (ou le contraire) l’est beaucoup moins, simplement parce qu’au bout de trois pages, on passe à autre chose et la zone « Nemesis » du cerveau peut récupérer pendant que la zone « Collège » prend la main. Quand je disais que c’était fumeux. Ensuite, je crois que tous les scénaristes mélangent inconsciemment leurs histoires, regardez Jodorowsky. On y retrouve des grands thèmes présents d’albums en albums, de séries en séries, jusqu’à ce que l’histoire idéale (c’est subjectif, bien sûr) ait été écrite et que le développement de ces thèmes ait été évacué de la psyché. Ça a l’air bizarre comme ça, mais ça se tient. C’est le Grand Œuvre appliqué à la BD, et ça n’a rien à voir avec le succès commercial ou critique. Il y a des histoires qui doivent être écrites pour pouvoir passer à autre chose. Bon, le fait d’accompagner le dessinateur au fil de l’album n’a pas non plus que des avantages. Quand le dessinateur tient le rythme, c’est très bien, quand il ne le tient pas, c’est parfois plus difficile de rebrancher la partie du cerveau dédiée à ce scénario, surtout si les autres ont avancées plus vite pendant ce temps. Là, c’est carrément fumeux… Et puis financièrement, pafois, c’est pas bon du tout, puisqu’on est payé en même temps que le dessinateur… C’est une relation pour le meilleur et pour le pire, mais souvent le meilleur.
SCENEARIO.COM: Et il y a d’autres projets ?
ANGE G.: En BD ? Oui, deux nouvelles séries en 2003, la première qui devrait sortir au printemps, Le Souffle, avec Philippe Xavier, un français qui vit aux Etats Unis et la seconde, la Porte des Mondes avec Sylvain Guinebaud, pour la fin de l’année. Toutes deux des séries de Fantasy, la première très magique, avec des adolescents en fuite dans un environnement pour le moins hostile et la seconde qui raconte les aventures d’un mercenaire dans un univers peuplé d’animaux humanoides avec très peu d’humains. C’est plus un univers à la Tarzan ou à la John Carter avec pour l’instant, un habillage d’Heroic Fantasy. Sinon, il y a la nouvelle série que nous préparons avec Alain Janolle après le Tome 5 de Nemesis, de la SF à grands spectacle qui pour l’instant s’intitule Babel, avec tout ce que nous aimons dans la SF, dans Star Wars, dans les comics… Et puis en romans, il y a le troisième tome des Trois Lunes de Tanjor chez Bragelonne, la suite de l’œil des Dieux chez Mango et peut-être d’autres projets dont on reparlera tout à l’heure. On suit l’avancement du projet de l’adaptation de Nemesis en Dessin Animé, mais c’est long un développement (le trailer est sur le site Soleil), et on va sûrement essayer de lancer quelques projets d’adaptation de nos séries en audio-visuel ou en jeux vidéos bientôt. C’est un milieu qui m’intrigue…
SCENEARIO.COM: Le dernier tome de la Cicatrice du Souvenir vient de sortir, c’est le dernier tome, mais est-ce parce qu’il était prévu de n’en faire que trois ou parce que vous vous lancez dans Kooka-Universe t2 ? parce que le rythme de sortie des Cicatrices était élevé : trois tomes en à peine un an et demi…
ANGE G.: C’est marrant, quand un album met du temps à sortir, c’est pas bien, quand ils sortent vite et bien, c’est pas bien non plus… plus sérieusement, les trois Cicatrices sont sorties rapidement, parce qu’elles étaient prêtes. C’est le temps passé entre la sortie de l’Angeolande chez Vents d’ouest et la sortie du premier Tome de la Cicatrice, qu’il faut voir. Et ça, ce n’est pas huit mois. Quand la Cicatrice tome 2 est sortie, le tome 3 était déjà en bouclage et donc il est sorti assez rapidement. Maintenant, dès la première lettre du scénario et la première page du premier tome, la Cicatrice était une histoire en trois tomes. C’est essentiellement une question de structure : le premier tome peut paraître un peu simple, le second se termine par un Cliffhanger, littéralement ou presque, et le troisième boucle. Le cliffhanger n’aurait pas eu le même impact à la fin du premier tome. Il fallait avoir vécu un peu avec les personnages, laisser passer du temps, lire le deuxième tome puis reposer le bouquin et se dire, « là, comment il va sans sortir », « Mais… c’était pas ce qui était prévu… ». Parce que, sans rire, le nombre de lecteurs qui nous ont dit que c’était classique ou qu’ils savaient comment ça allait finir… et maintenant, ils nous reprochent presque de les avoir surpris. Heu… ça me rappelle un journaliste qui avait dit dit à l’attaché de presse de Vents d’Ouest qu’il savait parfaitement comment allait se terminer Bloodline après avoir lu le premier tome. Ah Ah ! Bon, maintenant, ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que Bloodline s’arrêterait, et pour nous non plus, ce n’était pas prévu, à tel point qu’à un moment, tout le monde était au courant sauf nous. Pour revenir sur la Cicatrice, certains lecteurs nous disent que la fin est rapide, mais qu’est-ce qu’ils voulaient ? que ça dure plus longtemps ? que ça traine ? qu’Erkor soit méchant plus longtemps ? Il n’a pas besoin d’être méchant plus longtemps, l’histoire devait se terminer. Les méchancetés d’Erkor n’ont qu’un intérêt mineur dans la Cicatrice. C’est surtout l’histoire d’une femme trahie et de ce qu’elle va faire. C’est sûr, on peut en faire des histoires, avec les copines d’Amida, mais est-ce que c’est nécessaire ? Les lecteurs peuvent les imaginer. Notre ordre de guerrières, on l’a avec les Chevaliers Dragons et grâce à Soleil, on va pouvoir recommencer à jouer avec. Ensuite ce n’est pas parce qu’elle est simple qu’une histoire est simpliste. Et s’il fallait trouver une définition pour la Cicatrice, c’est une histoire simple où tout n’est pas vraiment ce qu’on pense. Même pas l’histoire elle-même. Mais on en reparlera tout à l’heure… Je comprends que le lecteur ne se soit pas attendu à ce qu’il a lu et qu’il en est été un peu décontenancé. Mais pour moi, c’est plutôt une qualité de surprendre le lecteur. Pour en finir avec ce sujet, c’est parce qu’on avait terminé la Cicatrice avec Christian qu’on a pu envisager de faire Kooka, pas le contraire.
SCENEARIO.COM: Quelques petites exclus sur Kooka-U ? s’il vous plait…
ANGE G.: Si c’est demandé si gentiment. Kooka-U 2 est consacré à Taman Kha, la télépathe de Lilith. On va apprendre plein de choses sur la planète, pourquoi elle a été ravagée, pourquoi elle ne l’était pas avant, comment elle était organisée, qu’est-ce que ça fait d’être telepathe, que deviennent les relations mères-filles, déjà complexes, quand les deux sont télépathes et se cachent des choses, pourquoi toutes les filles que dessine Crisse sont super mignonnes, et plein d’autres choses… Heu… non, pour les filles de Crisse, c’est son secret à lui, en fait, on ne peut rien dire.
SCENEARIO.COM: Ça fait quoi d’écrire un scénario sur une bd/monde que vous n’avez pas créé ?
ANGE G.: C’est beaucoup de pression. Avant toute chose, c’est le monde de Crisse et il faut qu’il soit satisfait. Le jour où je l’ai appelé pour lui demandé ce qu’il pensait de ce que nous avions fait, je n’en menais pas large du tout, mais alors pas du tout… Surtout que la barre est placée sacrément haut avec le premier tome de Nico Mitric. Maintenant, travailler sur des mondes dont nous ne sommes pas les créateurs mais juste les développeurs, c’est ce que nous avons fait chez Siroz sur In Nomine ou sur Bloodlust entre autres quand nous travaillions dans le Jeu de Rôle. Ce n’est pas une nouveauté, même si à chaque fois, c’est toujours plus angoissant que de travailler sur ses propres projets. Il faut plaire au lecteur, du moins au public visé, c’est une évidence, mais il faut aussi plaire au créateur et qu’il ne se sente pas trahi. J’espère que Didier ne se sentira pas trahi, c’est primordial.
SCENEARIO.COM: Vous écrivez encore pour les jeux de Rôle ?
ANGE G.: Non, plus du tout. De temps en temps, j’ai encore une petite remontée d’acide, mais je me dis que ce n’est pas sérieux. Non pas le jeu de rôle, ça c’est sérieux, mais le fait de réecrire pour. On se fait des plans avec les anciens du jeu quand on se voit dans les festivals de SF ou en dehors, comme Fabrice Colin ou récemment Pierre H. Pevel, style, on se refait un one-shot et on leur montre comment écrire aux jeunes, mais on tombe tous d’accord, tant qu’à consacrer de l’énergie à écrire un JDR, autant écrire un roman, ou deux, et puis pour tout dire, ça fait un peu discours d’anciens combattants alcooliques. Sans compter qu’en ce moment, le jeu de rôle français, ça ressemble plus à un paquebot en trajectoire d’interception avec un iceberg qu’à un milieu éditorial sécurisant pour les auteurs. Maintenant, le jeu de rôle, tel que nous l’avons connu (après, je ne sais pas comme c’était), c’était une excellente école d’écriture et de création. Ah oui, juste une chose, ça me fait trop rire les scénaristes de BD ou les romanciers qui annoncent dans leur CV qu’ils viennent du Jeu de Rôle alors qu’ils y ont soit juste joué, soit, par chance écrit un scénario dans le fanzine de leur pote. Les créas du jeu de rôle, c’est à dire ceux qui ont écrit, qui étaient payés par un éditeur de jeu, professionnellement, régulièrement et sérieusement (tout ça à la fois), et ce n’est pas toi qui va me contredire, ça se compte sur les doigts de trois ou quatre mains, pas beaucoup plus et on les connaît, on y était. Tant mieux pour ceux pour qui pipotent et pour qui ça marche, mais il y a juste une petite différence entre un gynécologue et un mec qui joue au docteur avec sa copine, voilà, voilà…
SCENEARIO.COM: Et vous avez le temps de jouer encore un peu ?
ANGE G.: Quasiment plus. Anne fait jouer notre fils ainé, Guillaume, et ses copains pendant les vacances, principalement du Middle Earth et du Cthulhu et quand je fais une impro pour expliquer ce qu’est le JDR je retombe automatiquement sur du INS/MV qui a l’avantage d’être contemporain et compréhensible par tous et d’être l’univers que je comprends le mieux puisque c’est nous qui l’avons principalement développé. Je parle de la deuxième édition, bien sûr. Mais sinon, on a plus trop le temps. Quoiqu’une bonne partie de Donge ou de Chtulhu, de temps en temps, ce serait bien cool. Je préfère jouer à des jeux de cartes simples comme Harry Potter. On va encore nous accuser de pompage mais un des meilleurs concepteurs de jeu (à mon humble avis) est en train de plancher sur un jeu de cartes sur le Collège Invisible. Un bon petit jeu, à jouer, pas à collectionner du tout. On verra bien ce que ça donne. Il paraît que la dernière mouture de Magic et le jeu de cartes du Seigneur des Anneaux sont très bons. Je regrette des jeux beaucoup plus obscurs comme On The Edge ou Netrunner.
SCENEARIO.COM: Vous avez écrit 2 romans dans l’univers de jeu de Scales… le 3ème verra-t-il le jour ?
ANGE G.: Oui et non. Ou plutôt le contraire. Le troisième tome ne verra pas le jour, ça, c’est à peu près sûr. Mais dans les projets à venir, on a envie de reprendre les deux premiers romans, de garder une grande partie du premier, une petite du second et d’écrire la suite pour en faire un bon gros bouquin de fantasy contemporaine, en retirant certains des éléments trop spécifiques au jeu, qui nécessitait de connaître le jeu pour comprendre ce qui était écrit, surtout dans le second tome. Ce devrait être fait dans un avenir proche, sinon pas trop lointain…
SCENEARIO.COM: Comment faites-vous pour écrire avec Anne… deux têtes et quatre mains, c’est pas facile, non ?
ANGE G.: Sans compter les lunettes. Alors réponse simple, on écrit un mot chacun et moi ce sont les articles : on sous-estime l’importance des articles. Réponse moins simple, ce serait plutôt comme un mille-feuilles. On travaille par couche, une après l’autre, on construit, on rajoute des harmoniques, un peu comme un morceau de musique, j’imagine. On fait une démo et ensuite on enregistre la vraie version, instruments par instruments. Même si Anne déteste quand je dis ça, je privilégie probablement plus le côté mécanique bien huilée du scénario et elle le côté histoire proprement dit. Sauf bien sûr quand on fait le contraire. J’aime bien brouiller les pistes. Ce qui est assez surprenant, c’est que la plupart du temps, les lecteurs se trompent sur qui a écrit quoi. Pour prendre un exemple concret, il y a beaucoup de moi, de mes propres répliques, dans le personnage de Mallow, dans Nemesis, mais c’est Anne qui l’a écrit le plus. C’est normal, elle l’écrit parce qu’elle m’a entendu sortir des conneries pendant quinze ans. Sauf quand c’est moi qui l’ai écrit, bien sûr… Quand je vous disais que j’aime bien brouiller les pistes.
SCENEARIO.COM: Il y a des différences entre écrire pour du JDR, livre, bd ?
ANGE G.: Au delà de l’évidente différence de formats, cela reste de l’écriture. Disons que dans un jeu de rôle, il faut penser à l’interface entre nous, les auteurs, et le MJ, et au-delà de cela à l’interface entre le MJ et les joueurs. Notre boulot en tant qu’auteur de JDR et scénaristes de JDR consistait principalement à manipuler le MJ, puisque les réactions des joueurs sont ce qu’elles sont et que nous n’avons que très peu d’influence sur eux sauf quand nous maitrisons nous même. Ce qui faisait peut-être notre qualité (si tant est que nous en ayions), ainsi qu’à d’autres comme Stephane Bura, c’était de pouvoir écrire un scénario qui laissait beaucoup de latitude au joueurs, mais somme toute assez peu au MJ, de façon à limiter la déperdition de l’information entre nous et les joueurs. Le MJ pouvait donner toute la mesure de son talent de conteur mais dans des limites assez définies en amont. En clair, on lui tenait la main durant le déroulement du scénario, c’est possible avec certains types de jeu, moins avec d’autres. J’adore quand je parle comme un vieux concepteur de jeu. En BD, il y a un paquet d’éléments maitriser, le rythme, qui permet à ce qu’un lecteur lambda ne repose pas l’album et continue de tourner les pages, la narration qui doit obliger son œil à rester dans la page et non à vagabonder n’importe où, les dialogues qui doivent en quelques mots seulement caractériser parfaitement un personnage, et j’en passe. Je ne dirai pas que c’est super-facile. Les romans laissent plus de liberté mais c’est aussi le plus fatiguant à faire.
SCENEARIO.COM: Lire, écrire… dessiner de petits anges… vous avez d’autres passions ?
ANGE G.: La physique quantique. Heu, non… enfin si, mais pas que ça… plein d’autres passions, certaines avouables, d’autres moins, tout dépend du contexte et de mon envie d’aller en prison ou de me faire regarder comme un taré fini, ce dont franchement je n’ai pas besoin.
SCENEARIO.COM: Quel a été votre coup de cœur BD de ces 6 derniers mois ?
ANGE G.: Le Collège Invisible, dessiné par Regis Donsimoni, chez Soleil, mais c’est nous qui l’avons écrit alors ça compte pas. En fait, mes coups de cœur BD, c’est plus dans les comics que je les trouve. De part leur format et leur parution, ils peuvent faire beaucoup plus d’expériences que nous dans notre format franco-belge habituel. L’aspect feuilleton a complètement été oublié ici. Et la fin du deuxième tome de la Cicatrice du Souvenir, c’est exactement une fin que l’on pourrait trouver dans un comics ou dans un feuilleton.
SCENEARIO.COM: Vous faites souvent des salons de BD… qu’est-ce que ça vous apporte ?
ANGE G.: J’en fais beaucoup moins souvent que je ne voudrais, même si en cette fin d’année, je vais les accumuler grave. Mais soyons réalistes, les scénaristes n’interessent pas les organisateurs de salon. Les dessinateurs attirent du monde, les scénaristes moins, sauf s’ils sont très connus. Il y a des moyens de valoriser les scénaristes, en organisant des ateliers, des tables rondes, des séminaires, mais c’est rare. Ça me fait toujours rire quand les journalistes/journaleux interviewent les dessinateurs pour qu’ils parlent de l’histoire de l’album. Qu’ils parlent narration, technique, ok, mais rendez à César ce qui est à César. Le scénariste sera plus à même de parler de son histoire et de ce qu’il a voulu faire passer que le dessinateur. Mais c’est comme le cinéma, on préfère mettre en avant le réalisateur que le scénariste. Quant à savoir ce que ça m’apporte… outre le fait que cela accroit notre visibilité à chaque fois, on fait un peu un métier de moine ou d’autiste et les festivals permettent de croiser les copains et/ou collègues, pour refaire le monde, faire un peu la fête, discuter un peu avec le public… on voit souvent les mêmes têtes dans le public, mais il y en a parfois de bien sympathiques. Maintenant, pour voir le public, mieux vaut les festivals de petite ou moyene envergure que les grands délires type Angoulême. Pour revenir sur la visibilité, j’adore quand les lecteurs disent à Anne « qui êtes vous ? Ange c’est un mec sans cheveux », ou qu’ils me disent « vous n’êtes pas le vrai, Ange, c’est une femme et elle a des lunettes. ». D’ailleurs, femme à lunette, femme myope, c’est bien connu. C’est arrivé en Belgique il y a à peine un mois, où une lectrice s’est fait enguirlandé par son mec car elle m’avait fait dédicacer des albums et comme lui avait vu Anne à Nancy quelques temps plus tôt, il avait du mal à faire le lien. Une autre fois, au Festival de Sierre, alors qu’Anne était à côté d’Alberto pour la dédicace de la Geste, un Suisse lui a demandé « C’est vous la caisse ? ». Tout ça parce que c’est une femme. Parfois, on rencontre des cas, qui s’approche de nous avec un air à la Fox Mulder et qui nous disent « je connais votre vrai nom… » d’un air mystérieux. Alors, que ce soit clair, nous aussi on connaît notre vrai nom, mais c’est gentil quand même.
SCENEARIO.COM: Que pensez-vous des séances de dédicaces ?
ANGE G.: Quand ça se passe bien et que les lecteurs sont gentils, c’est super. Il faut bien voir que la plupart du temps, les auteurs ne sont pas payés pour faire des dédicaces. Ils prennent sur leur temps libre, ou leur temps de travail mais en tout état de cause, ils donnent de leur temps. La moindre des choses dans ce cas est de respecter un minimum les auteurs, c’est valable pour les libraires et les lecteurs. De l’autre côté, ce sont les libraires et les lecteurs qui nous permettent de faire ce métier et le moins que l’on puisse faire, c’est d’être agréable et de sourire. Dit comme ça, les dédicaces ce devrait être une franche ambiance de bisounours. Mais une fois sur deux, il y a quelque chose qui pourrit l’ambiance… Bien sûr, il y a les problèmes de revente de dédicaces, mais en tant que scénariste, je suis moins concerné. On va sûrement arriver au système américain de la dédicace payante, mais je préfère encore ça au n’importe quoi, type tirage au sort après une file d’attente de quatre heures. Il n’y a pas de solution simple. Certaines librairies commencent à faire des dédicaces sur invitation et ce n’est pas une mauvaise idée. Ils devraient peut-être faire un système mixte, avec une partie d’invitations, une partie de tickets et une partie de réserve sous le coude, au cas où. Sauf à être minimaliste, un dessinateur ne peut pas faire plus d’une trentaine de dédicaces dans l’après-midi. Il faut faire les calculs dans le bon sens. Il y a un autre système, c’est de donner une durée (trois heures, quatre heures…) et de s’y tenir, quitte à se faire détester par le dernier lecteur qui de toute façon est arrivé dix minutes avant la fin annoncée de la séance. Enfin, il y a eu des tables rondes sur les dédicaces, c’est un sujet sensible et mon avis à son sujet évoluera sûrement au fil du temps. Mais ce qu’il faut éviter, c’est que les dédicaces, et les ex-libris, autre vaste sujet, ne deviennent une condition sine qua non de la vente de l’album par les libraires. Pour la bonne santé de tout le milieu, il est indispensable que les libraires défendent les premiers tomes des séries, qu’ils les mettent en avant et ce, même sans ex-libris ou dédicace, et qu’ils ne se contentent pas de mettre en avant le dernier tome en date d’une série qui de toutes façons va se vendre tout seul. Les libraires et les lecteurs se plaignent que trop de séries s’arrêtent au premier tome, mais c’est un cercle vicieux. Si la majorité des lecteurs attendent que la série en soit à son troisième ou quatrième tome pour l’acheter, il ne faut pas s’étonner qu’elle ne dépasse pas le premier tome. Combien de séries ont dû arrêter pour cette raison ? Ce qui me gène, c’est que l’album en lui-même, sur lequel on travaille pendant grosso-modo un an, devient partie négligeable. C’est comme si l’ex-libris, le tirage de tête, l’édition originale, le produit dérivé était plus important que le livre. Ça, je ne comprend pas.
SCENEARIO.COM: Avez-vous surfé un peu sur http://sceneario.com , que pensez-vous de ce site ?
ANGE G.: Forcément, un site qui met en valeur les scénaristes, c’est une bonne chose et il devrait y en avoir plus ! Plus de sites avec des interviews de scénaristes, des photos de scénaristes, même nus. Ah non, ça c’est pour les calendriers… Maintenant, puisqu’on est dans le sujet du Net, il faudrait un jour parler des débordements dont les auteurs sont parfois victimes sur certains sites. Alors, pour faire simple, respecter les gens, ce n’est pas un luxe. Quand un auteur a passé un an sur un album, qu’il soit scénariste ou dessinateur, s’entendre dire ou lire que c’est un tas de pus, ce n’est pas très constructif, c’est même insultant. Quand on demande à un scénariste s’il a envisagé le suicide, c’est insupportable. C’est scientifique, les français ont le syndrome du feu rouge. Ils s’expriment quand ça ne leur plait pas au lieu de s’exprimer quand ça leur plait. Et comme les forums sur le Net sont squattés par les cinquante mêmes personnes, tous atteint de ce syndrome du feu rouge, on peut dire qu’une chappe de pensée négative recouvre ce bel instrument de transmission d’information qu’est le Net. Les autres, l’immense majorité, se tait et pense que c’est pas cool. Et quand un de ceux-là prend la parole pour dire qu’il a aimé un album, il se fait traiter de pauvre type parce qu’il l’a aimé. Il y a comme un problème, c’est limite fasciste comme façon de faire. Il ne s’agit pas de faire l’Ecole des Fans, on est tous les meilleurs, mais il y a des limites. Quand je n’aime pas quelque chose, je ne prends pas la peine de le descendre, et ce pour deux raisons, primo j’ai une vie et pas que ça à foutre, deuxio, je préfère parler de ce que j’aime plutôt de ce que je n’aime pas, c’est plus constructif. Quand j’écrivais dans Casus Belli, j’essayais de donner envie aux lecteurs de lire et de jouer. Cracher sa bile n’a aucun intérêt et en plus, c’est la facilité, on n’est même pas obligé de lire le bouquin pour en dire du mal. Que tous ceux qui écrivent sur le Net ou même dans des magazines ayant pignon sur rue essayent d’écrire pour donner envie aux autres de partager ce qu’ils ont aimé au lieu de cracher leur haine, ils verront toute la différence entre écrire et savoir écrire… Il y a de bons albums, chez tous les éditeurs. Qu’ils en parlent au lieu de casser les albums de leurs ennemis jurés sans les lire comme ça se fait trop souvent. Ce n’est pas une exclusivité au milieu. Certains magazines hors-BD ont une page par mois pour parler BD, mais ils réussissent tout de même à passer une page à casser des albums. Il y a en moyenne 150 albums qui sortent par mois. Vous n’allez pas me dire qu’ils ne peuvent pas en trouver deux ou trois de bons dans cette masse ? la posture critique modèle Inrocks, c’est sympa, mais quand c’est systématique ça ne sert à rien. Même si ce n’est pas la carte qui fait le journaliste, dans le cinéma, les critiques ont une carte qui leur est attribuée et qui peut leur être retirée. Elle garantit une déontologie, un professionnalisme. Un critique doit pouvoir parler d’une œuvre en fonction d’un contexte, d’un vécu, d’une carrière. La plupart de ceux qui écrivent sur le Net ou dans certains magazines n’a pas cette culture, voire pas de culture du tout. Il y a une différence entre un chroniqueur et un critique. Je veux bien qu’on me dise qu’un de nos albums est mauvais, mais dans ce cas, je veux qu’on m’explique pourquoi. Quand on approfondit un peu avec ces gens là, on arrive toujours à « c’est mauvais parce que j’aime pas, parce que ça ne me plait pas. » et ça, forcément, c’est bien connu, c’est un critère de critique objective. Qui est mort et leur a donné le pouvoir ? Moi, par exemple, je n’aime pas les carottes, mais je vais pas cracher ma haine des carottes sur le Net en demandant aux carottiers de se tirer une balle dans la bouche. C’était : comment Gérard se fait des amis… Tiens, puisque tu as un super site sur les scénaristes et que tu connais le JDR, il y avait un petit fanzine il y assez longtemps appelé Alarums and Excursions, qui était fait par et pour les semi-pros du milieu. A tel point qu’il fallait plus ou moins payer pour écrire dedans. C’était l’ancêtre des Forums et seuls ceux qui avaient le droit d’écrire pouvaient y écrire et les idées développées à l’intérieur étaient très en avance sur le reste du milieu, en terme de role-play, de simulation de la réalité, d’expériences. Les autres pouvaient le lire, bien sûr. Un Forum fermé aux non-professionnels élèverait peut-être le débat, ou une inscription obligatoire et non-automatique. Je reste persuadé que si les gentils utilisateurs ne pouvaient pas cacher leur identité, on aurait beaucoup plus de respect sur les forums.
SCENEARIO.COM: Quel est votre plat préféré ?
ANGE G.: Le ris de veau braisé. Avec un bon bourgogne. Ça me fait déjà saliver…