Interview
Arnaud Guillois, Bleu(s), L’Irlandais et lui et lui et lui…
Scenenario.com : Arnaud Guillois, bonjour et merci de te prêter au jeu des questions de sceneario.com
Arnaud GUILLOIS : Bonjour Marie et merci de me prêter autant d’intérêt.
Scenenario.com : Le public te découvre actuellement avec une nouveauté parue chez Carabas au titre mystérieux de l’Irlandais, mais pourtant ce n’est pas ta première bd, comment as-tu débuté ?
Arnaud GUILLOIS : En effet j’ai sorti mon premier album il y a déjà 3 ans de cela. Bleu(s) aux éditions Triskel.
A l’origine, ce projet devait se faire chez Le Cycliste dans la collection N/B comic. L’histoire leur avait plu. Mais le contact s’est perdu au bout de quelques mois car Paul était surchargé de boulot. Et puis mon récit original tenait sur 34 pages alors que lui publiait ces histoires en 24 pages. Le problème inverse s’est ensuite posé quand j’ai rencontré Erwan Guyodo des Editions Triskel . Lui m’a conseillé de rallonger mon récit pour aboutir à 46 pages. J’ai dû refaire entièrement l’album pour que ces 12 nouvelles pages s’intègrent aux autres. C’était fastidieux et en même temps très intéressant comme travail. J’ai dû retravailler l’histoire, allonger des séquences, écrire de nouvelles pages … Tout ça me paraît maintenant très loin.Scenenario.com : « Bleu(s) » parle de l’enfance maltraitée. Le sujet est fort, pourquoi as-tu voulu aborder ce thème en bande dessinée ? Est-ce par solidarité, par révolte, pour parler de ta propre enfance ?
Arnaud GUILLOIS : A l’époque où j’ai écrit Bleu(s), j’avais 25/26 ans. Je venais d’arriver sur Paris où je ne connaissais personne. J’avais un book « école » que je trimballais un peu partout, essuyant refus sur refus. Au bout de 3 mois j’ai pris un boulot alimentaire comme caissier. J’ai alors découvert le monde du travail et des bas salaires, des conditions de boulot et de stress assez insupportable. Ca a influencé mon écriture.
Je venais de passer 4 ans à bosser sur le scénario d’un ami, un truc d’héroïc fantasy. J’avais fait des planches et des planches en couleur directe ! J’avais même crayonné tout le 1er tome … Alors j’ai eu besoin de me ressourcer. A cette époque le cinéma « social » français commençait à avoir du succès. Et je faisais gratuitement des story-boards pour de jeunes réalisateurs de film …
Donc tout ça ensemble a abouti à l’écriture de Bleu(s). D’ailleurs le thème qui me tenait le plus à cœur au-delà de la violence, c’était l’injustice, et les relations père-fils, d’où l’absence de la mère dans l’album pour rendre mon histoire plus forte. Je parle bien sûr de mon enfance dans l’album mais je te rassure je n’ ai subi aucune maltraitance, en tout cas familiale.Scenenario.com : Quelle a été la réaction du public à sa sortie ?
Arnaud GUILLOIS : La plupart des gens que j’ai rencontré en dédicace m’achetaient l’album sans l’avoir lu. La maquette de la couverture leur avait plu, ainsi que l’ambiance en bichromie de l’album. Les rares réactions étaient très bonnes sinon. L’histoire touchait les gens et c’est le meilleur compliment qu’on puisse me faire. Car l’album est bourré de fautes de dessin, mais l’histoire est suffisamment forte je crois pour en faire abstraction. D’ailleurs je travaille beaucoup mes personnages, j’ai besoin de connaître tout leur passé pour expliquer leurs actes et ainsi les rendre crédibles et attachants.
Scenenario.com : Pourquoi as-tu choisi la bichromie pour cet album ?
Arnaud GUILLOIS : Le choix vient d’Erwan mon éditeur à l’époque. C’était par hommage aux albums des années 80 auquel mon dessin très dur lui faisait penser. Et puis c’était pour rendre un peu plus commercial l’objet, ainsi que le choix du papier couleur ivoire. Tout ça, plus les pages de gardes en rouge lie de vin réchauffent la tonalité générale de l’album qui aurait été encore plus sombre sinon !
Scenenario.com : Puis un long silence s’établit entre « Bleu » et « L’Irlandais ».. qu’as-tu fait entre temps ?
Arnaud GUILLOIS : Je travaille depuis janvier 2000 en tant que coloriste pour toto Gelli, un rough man parisien.
Je réalise aussi des illustrations et des roughs de catalogue (Fly, Conforama …)
Parallèlement à tout ça j’ai passé 2 ans à travailler comme directeur artistique sur un projet de série mêlant 2D, 3D , et acteurs en chair et en os. J’ai dessiné les persos et les décors, les story-boards de tournage et de post-prod. J’ai participé à l’écriture des épisodes tournés, suivi le tournage , créer des accessoires sur le plateau, supervisé la peinture sur les maquettes que l’on filmait … Bref beaucoup de boulot en même temps. Ce projet est actuellement en statu quo.Scenenario.com : Comment est né « L’Irlandais » ?
Arnaud GUILLOIS : A l’époque où je cherchais une nouvelle idée de scénario, j’avais plusieurs pistes, mais rien ne me convenait, je suis retombé sur un scénario que j’avais écrit pour le concours des 30 ans de Glénat, en 1999. A l’époque il fallait écrire un scénario pour un tome sur le 3e millénaire. Sujet vaste sur lequel j’avais cette histoire de cartomancienne qui gagne le gros lot au Loto, et à qui il arrive malheur après. Il y avait aussi le personnage de Lou, les chinois et les italiens.
Par contre le personnage de l’irlandais n’existait pas. A la place j’avais écrit un personnage de détective privé, avec secrétaire. Mais je trouvais ça un peu désuet, un peu vieux film. Il se trouve que je lis beaucoup de polars depuis 5/6ans. En terme d’écriture c’est ma principale influence d’ailleurs. J’en lis à peu près 2 par mois, ça fait pas mal … J’adore ça !Scenenario.com : Quel est ton personnage préféré ?
Arnaud GUILLOIS : Je n’en ai pas vraiment. Je les aime tous. Ce sont un peu comme mes enfants. Par rapport à Bleu(s) où j’avais 2 personnages très forts, et peu d’autres, pour l’irlandais je voulais plein de seconds rôles. La relation qui m’intéresse le plus est celle qu’entretient Sean avec son oncle. C’est pour ça que j’ai écrit cette histoire. On m’a reproché un certain manichéisme pour Bleu(s). Du coup j’ai bien veillé à ce qu’aucun de mes personnages ne soit tout blanc ou tout noir. J’ai davantage fouillé leur humanité.
Scenenario.com : L’histoire est déjà écrite ? Il y aura combien de tomes ?
Arnaud GUILLOIS : L’histoire est très écrite, j’ai un énorme cahier de 200 pages remplies de séquences qui s’emboîtent et s’enchaînent. Du fait de l’écriture en flash-back je suis obligé d’avoir quelque chose de très construit, sinon c’est le plantage assuré. J’ai réécrit 3 fois l’histoire, donc je la connais bien. Ca me permet d’avoir plus de recul. Je n’hésite cependant pas à changer des trucs, ou écrire de nouvelles séquences quand cela manque. Il y aura 3 tomes. Le 2e est fini à l’étape du story-board en crayonné, et je viens de finir d’encrer la planche 21. On pense sortir l’album début 2005 si tout va bien.
Scenenario.com : Combien de temps mets-tu pour réaliser un album.. ?
Arnaud GUILLOIS : Difficile à dire pour Bleu(s) et pour le 1er tome de l’irlandais. Par contre j’ai commencé à dessiner le 2e tome début décembre 2003, et je compte l’avoir terminé fin septembre 2004, donc10 mois.
Scenenario.com : La couleur est faite par Eric Dérian, est-ce toi qui lui a demandé, et pourquoi ?
Arnaud GUILLOIS : A l’époque où j’essayais de vendre la série à Soleil par le biais d’Erwan Guyodo, j’ai fait des essais de mise en couleur informatique. C’était long et fastidieux, et ça n’a pas plu à Erwan. L’idéal étant de trouver la façon de poser la couleur qui va avec le dessin. Du coup Erwan m’a proposé d’envoyer une page à Eric pour voir ce qu’il en ferait. Sa page a tout de suite fait l’unanimité. Donc quand j’ai quitté Soleil pour tenter de développer le projet ailleurs, j’étais décidé à garder Eric avec moi.
Scenenario.com : Elle est réalisée de quelle façon et comment as-tu travaillé avec lui ?
Arnaud GUILLOIS : Eric l’a faite à l’ordinateur, mais il rajoute ensuite des effets matières et texture pour casser le rendu froid de la couleur informatique. On a tout fait par internet. Je lui ai envoyé mes pages scannées et gravées. Et lui m’envoyait des petits jpg au fur et à mesure de l’évolution de son travail.
C’était magique de regarder ça tous les jours arriver sur mon mail. J’étais très impatient de découvrir mes pages. Sa couleur apporte tellement à mon dessin, surtout dans les 20 premières pages où le dessin est encore maladroit. Eric est un dessinateur et donc il sait comment rattraper certaines erreurs, mais il vous en parlera mieux que moi.Scenenario.com : Cette histoire est un polar pur, quels autres genres te donnent envie de faire des bds ?
Arnaud GUILLOIS : J’aimerai écrire un polar encore plus dur, avec des personnages encore plus forts, moins proche de moi, plus fictionnels. Avec peut-être une grande histoire d’amour au milieu. Sinon j’aimerai traiter le thème des vampires aussi. Ainsi que le thème des serials killer, et pourquoi pas mélanger les 3 …
Scenenario.com : Entre le scénario et le dessin, as-tu une préférence ?
Arnaud GUILLOIS : J’aime écrire, et voir naître une histoire. C’est assez douloureux comme étape parce qu’on part de rien, et qu’il faut avancer. C’est comme un puzzle, et tant que toutes les pièces ne s’emboîtent pas, c’est galère. Mais dès que les éléments commencent à se mettre en place, et que les choses commencent à fonctionner et à êtres crédibles, ça c’est bandant !
Pour le dessin en revanche j’adore l’étape du story-board, chercher mes cadrages, mes documents, aller prendre des photos … Dessiner au propre demande de la rigueur que je commence à avoir… Par contre cette étape me gonfle un peu dans le sens où j’ai l’impression de l’avoir déjà vu… Je m’éclate alors maintenant avec l’encrage que j’essaie de pousser de plus en plus pour quitter un certain réalisme et aller vers des choses plus graphiques.Scenenario.com : Avec qui (scénariste ou dessinateur) aimerais-tu travailler ?
Arnaud GUILLOIS : Personne en particulier. J’idolâtre beaucoup moins qu’avant les autres auteurs de bd, j’en lis d’ailleurs peu. J e suis un peu à l’écart et je suis bien comme ça. En plus je ne suis pas sûr que j’en serais capable, j’ai toujours écrit les miens. J’aurais trop peur de n’être qu’un exécutant, ce que je fais déjà pour vivre … Ou d’être trop respectueux du scénario et ne pas apporter assez de choses avec mon dessin à l’histoire. J’ai besoin de tout contrôler aussi je crois.
Scenenario.com : Comment es-tu arrivé chez ce jeune éditeur Carabas ? Le nom de Erwan Guyodo, – Triskel Editeur – figure parmi les remerciés de la page de garde.. a t-il joué un rôle ?
Arnaud GUILLOIS : Bien vu. Comme je le disais un peu plus haut, après Bleu(s), j’ai commencé à bosser sur l’irlandais avec Erwan. Un jour il m’apprend qu’il ne peut plus continuer tout seul. Quelques mois plus tard, il se faisait absorber par les éditions Soleil. Du coup j’étais dans ses cartons. Il leur a proposé l’irlandais avec d’autres projets. Mais je n’ai pas signé pour des raisons financières et autres …
Quand Erwan m’a dit qu’il arrêtait chez Soleil j’ai continué mon chemin tout seul en frappant à toutes les portes de maisons d’édition de Paris. La 12e a été la bonne, grâce à Eric Dérian d’ailleurs ! L’album était encré jusqu’à la page 30, et le story-board était complet. C’était en juillet 2003. On a signé un peu plus tard.Scenenario.com : Serais-tu prêt à publier une bande dessinée online ou sur support numérique ?
Arnaud GUILLOIS : Je ne connais pas ce domaine mais à priori je ne pense pas. J’ai grandi au milieu des albums de la famille et l’objet me plait trop je crois !
Scenenario.com : Quels sont tes derniers coups de cœur en bd, comme en musique, ciné .. .
Arnaud GUILLOIS : Mes derniers coups de cœur en bd, ce serait la série Le Tueur, Rapaces, ou encore Quartiers lointains, mais j’en lis très peu. Par contre je vais beaucoup au ciné, et loue pas mal de dvd … et je regarde les bonnes séries du câble, Six feet under, Les sopranos, The shield, La caravane de l’étrange … ces séries sont de vrais coups de cœur …( aucune série en France n’arrive à leur cheville !!!!!)
Scenenario.com : As-tu un coup de gueule ?
Arnaud GUILLOIS : Mon coup de gueule irait à tous ces éditeurs qui ne prennent plus le temps de lire les projets qu’on leur envoie, et qui répondent par des lettres type au bout de plusieurs mois, sans rien dire d’intéressant pour faire avancer le schmilblick !
Scenenario.com : Que penses-tu des sites de bd sur le net ?
Arnaud GUILLOIS : J’ai découvert ces sites très très récemment et j’avoue que le côté fan me laisse un peu perplexe … mais ils sont très bien faits et s’ils permettent aux gens de faire des découvertes, alors je trouve ça vraiment bien ! Il y a tellement de nouveautés chaque année que l’on peut facilement passer à côté de perles !
Scenenario.com : Merci beaucoup d’avoir participé à cette interview. A bientôt 😉
Arnaud GUILLOIS : Un grand merci à toi ! A bientôt …
A l’occasion de la sortie de cet album, Arnaud a demandé de l’aide à son ami Eric Derian pour faire les couleurs. Je lui ai demandé s’il voulait bien jouer la surprise .. Il a dit oui, alors voilà.. !
Scenenario.com : Eric Derian, bonjour et merci de venir en guest star participer à cette interview. Alors … travailler avec Arnaud c’est plutôt cool ou plutôt hard ?
Eric DERIAN : La question se poserait plutôt dans l’autre sens…
J’ai une technique de travail un peu particulière, à laquelle il n’a pas eu
d’autre choix que se plier. Je travaille un peu toutes les planches en même
temps, sans rien finir… Ce qui fait que jusqu’à la fin, il a certainement du être
très difficile pour Arnaud (et pour l’éditeur) de se faire une vue d’ensemble
de l’album.
Sur la fin de la mise en couleur, je lui soumettais en bloc plusieurs pages (par séquences) et pour le reste, il était bien obligé de me faire confiance !
Ceci dit, nous discutions ensemble du projet depuis de longs mois avant qu’il ne le signe chez Carabas, et nos rôles, nos envies étaient déjà bien définis: je savais ce que j’avais à faire.
C’était courageux de sa part de me laisser les brides de son « bébé »… Moi, en tant que dessinateur, je ne bosserais jamais avec un coloriste aussi bordélique que moi !
Donc, pour ne répondre à la question qu’en une seule phrase : c’était plutôt cool… pour moi !Scenenario.com : De lui, tu peux dire qu’il est .. ?
Eric DERIAN : De mon point de vue : adorable humainement, respectueux du travail des autres
(surtout du mien) et surtout très pro. J’ai eu l’occasion de suivre son
travail depuis le début de l’aventure Triskel (avec Erwan Guyodo), et il faut bien
avouer que sa marge de progression depuis est remarquable… D’ici quelques
années, je le vois bien reprendre une série de Van Hamme et dépasser la barre du
million d’albums en un claquement de doigts.
Du point de vue des autres : on m’a dit une fois qu’il était super beau mec.Sceneario.com : Eric Merci 😉
Arnaud Guillois, Bleu(s), L’Irlandais et lui et lui et lui…
Auteurs, séries ou albums liés.