Interview
Bruno Le Floc’h ne perd pas l’Ouest !
Nous avons rencontré – pour vous – Bruno Le Floc’h, auteur merveilleux de sensibilité, en visite à la libraire 9e Quai, à Annecy (74). Il est revenu, pour vous, sur son parcours et sur la genèse combien difficile de son dernier album, Saint Germain puis rouler vers l’Ouest.
Sceneario.com : Vous avez le don de rendre vos personnages immédiatement attachants. Comment parvenez-vous à un tel résultat ?
Bruno Le Floc’h :C’est cela qui m’intéresse justement, travailler sur les personnages. Les époques choisies et le scénario sont avant tout un décor.
Un décor très souvent breton…
Bruno Le Floc’h : Oui. Je suis Breton et le décor de la Bretagne est celui que je connais le mieux. J’y situe donc le plus souvent l’action, m’inspirant notamment du monde de la pêche qui est une société très puissante. J’imagine que si j’avais vécu dans le Nord, j’aurai raconté le monde des mineurs…
Votre père était-il marin ?
Bruno Le Floc’h : Non, mon père était artisan, forgeron de marine à Loctudy. Nous vivions rue du Port et il y avait tout le temps des marins à la maison. Nous étions donc envahis par cette culture, dans ce monde où les hommes étaient souvent partis en mer. Cela a donné une société particulière, plutôt matrimoniale. Pour ma part, je crois que si je n’avais pas fait de dessin, j’aurais été marin pêcheur.
Le dessin justement, comment vous êtes vous lancé ?
Bruno Le Floc’h : J’ai toujours dessiné. En primaire, j’avais eu le deuxième prix de dessin. J’ai été très frustré de ne pas avoir le premier prix et je le suis toujours aujourd’hui (rires). C’était une question de hiérarchie. L’autre était plus âgé ! (rires à nouveau). Ensuite, j’ai absolument voulu aller aux Beaux-Arts. Je peux remercier mes parents qui ont insisté pour que je fasse un Bac avant de prendre le chemin de l’Ecole des Arts Décos à Paris. Après mes études, j’ai travaillé dans le dessin animé, ce que j’ai beaucoup aimé. J’étais storyboarder. Toute ma vie professionnelle était ainsi tournée vers les séries de dessins animés. J’ai également collaboré à des longs métrages d’animation, pour Laguionie. Ensuite, impossible de revenir aux séries de dessins animés. C’était comme revenir à la cantine scolaire après un an de travail chez un grand restaurateur. La bande dessinée fut donc une échappatoire.
Avez-vous pu basculer facilement du monde de l’animation à celui de la bande dessinée ?
Bruno Le Floc’h : Cela s’est passé très facilement. Un samedi, au festival Quai des Bulles, j’ai présenté mon projet « Au bord du Monde » à Thomas Ragon (Delcourt). Le mercredi, il m’appelait pour m’annoncer qu’ils m’éditaient. Je crois que ce qui a aidé et rassuré l’éditeur, c’est que j’avais fait mes preuves dans d’autres domaines. Ils pouvaient penser que j’irai jusqu’au bout. Depuis, j’ai réalisé cinq albums et six pages dans un collectif sur le train.
Pouvez-vous nous parler plus en détail de votre dernier livre, Saint Germain puis rouler vers l’Ouest ?
Bruno Le Floc’h : C’est le plus autobiographique de tous mes bouquins, même si rien n’est vrai. Aucune de ces histoires ne me sont arrivées, mais c’est moi, mon passé, mes amis, ma façon de voir le monde, les femmes… C’est le livre le plus difficile que j’ai eu à faire car c’était le plus personnel, le plus douloureux. Je ne pouvais plus me dissimuler ; j’étais tout nu sans le support d’une narration, ce qui était des plus périlleux.
Les femmes ont toujours une place prépondérante dans vos récits. C’est encore très vrai dans ce dernier album.
Bruno Le Floc’h : Oui, c’était une façon de parler de la femme au sens large, sous bien des aspects. Elles sont toutes, dans le livre, extrêmement fortes, même la plus fragile, celle qui est enceinte, par rapport à un héros qui, lui, est plutôt minable. C’est mon image des rapports hommes / femmes. C’est la même chose dans Trois éclats blancs. Perdrix est le seul personnage positif du livre. Elle est entière, révolutionnaire, énergique. Je suis l’homme amoureux de la femme toute entière…
Quels sont vos projets maintenant ?
Bruno Le Floc’h : Auparavant, je montais un nouveau scénario en même temps que je faisais la couleur du livre en cours. Mais le dernier m’a tellement bouffé que je n’en ai pas eu le courage. Là, j’en suis donc simplement à travailler sur le séquencier avec la construction des dialogues. Ce sera un récit d’aventure. Mais je n’en dis pas plus. Ni sur l’échéancier d’ailleurs. J’ai déjà du mal à mettre une date avec mon copain éditeur ! (rires). J’en suis au tout début. On peut toutefois imaginer le prochain pour dans un an et demi, mais sans trop m’avancer.
Puiserez-vous à nouveau dans un registre très personnel ?
Bruno Le Floc’h : Ah, non, il n’y a pas de danger ! Je ne recommencerai pas ce genre là. Saint Germain m’a dévoré, j’y ai passé tout mon temps. Quand d’autres auteurs parlaient de ce type d’expérience comme de quelque chose de difficile, je pensais qu’il s’agissait de gosseries d’écrivains. Il n’en était rien ! Je vais donc revenir à un récit plus traditionnel.
À vous entendre l’accouchement fut difficile. Aimez vous au moins le résultat ?
Bruno Le Floc’h : Bien sûr, j’en suis même ravi ! Vous savez, c’est un boulot que l’on fait tout le temps seul. Il faut donc être passionné. Et, à la fin, nos livres sont un peu comme nos propres enfants. Et même si on ne peut pas avoir quelque chose de parfait, on ne peut que les aimer, à moins de les bâcler. Et ça, ça ne m’est jamais arrivé !