Interview
Claire GRIMOND et Léo VERRIER, les Auteurs de l’album « Le Navire Ecarlate » aux Editions Jungle.
Interview réalisée en février 2024 par Yann pour Sceneario.com
Sceneario.com : Claire, Léo, comment avez-vous débuté ce projet ensemble ?
Léo : Après mon premier court-métrage d’animation, Dripped, j’avais envie d’aller plus loin dans l’idée de raconter une histoire sur l’art et la peinture. J’ai commencé à réfléchir à un synopsis et je suis allé voir Claire !
Claire : Les premiers dessins de Léo étaient magnifiques. J’aimais l’univers. Je lui ai dit que s’il avait besoin d’une scénariste, j’étais partante.
Sceneario.com : Claire, Léo, il est beaucoup question de créativité dans l’album. De quel personnage de l’histoire vous sentez-vous le plus proche et pourquoi ?
Léo : Malo bien sûr ! Je pense que chacun se questionne quand il crée. L’art ne doit pas être une certitude, un chemin tout tracé. C’est plutôt un voyage personnel à faire avec ses embûches et ses trains qui parfois n’arrivent pas. Cela génère du doute, mais le plaisir et l’aventure sont toujours présents.
Claire : Quand j’écris, j’incarne tour à tour tous les personnages. Aussi par certains aspects, je peux me reconnaître dans Magenta, et son insatiable avidité d’art ou bien Malo, et son inquiétude vis-à-vis de sa création. En tant que scénariste, je me sens peut-être plus proche de Cyane qui inspire et accompagne son dessinateur, mais en vieillissant, j’aimerai devenir comme Zita, une artiste accomplie et affirmée.
Sceneario.com : Claire, j’ai été impressionné par l’imagination dont vous avez fait preuve tout au long du livre. L’originalité est permanente. Vous qui parlez beaucoup d’inspiration, avez-vous eu le sentiment d’écrire facilement votre récit ou bien le processus a-t-il été long ?
C’est un récit à quatre mains. Nous avons travaillé l’histoire en collaboration. J’ai en permanence un flot d’idées. Le défi, c’est de faire le tri. Quelle idée choisir, laquelle mettre de côté, pour construire un tout cohérent et narrativement fort. Pour que l’histoire tienne dans une centaine de pages, nous avons dû couper de nombreuses scènes et même supprimer quelques personnages ! Nous avons réécrit le scénario plusieurs fois, jusqu’à trouver le bon équilibre.
Sceneario.com : Claire, qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder les thèmes de l’art et de l’inspiration ?
C’est une thématique qui m’intéresse. J’ai une formation en animation et en illustration. Diplômée de l’ENSAD, je suis venue à l’écriture au fil des projets. En parallèle, je continue à sculpter et dessiner. J’enseigne depuis plusieurs années dans des écoles d’art. Du coup, avec Léo, on a assez vite été au diapason sur ce projet autour de l’inspiration artistique. Je suis toujours partagée entre création littéraire et création graphique. Je vais d’ailleurs finir par sauter le pas et dessiner sur un de mes scénarios.
Sceneario.com : Léo, on sent beaucoup de spontanéité dans vos planches alors que tout semble toujours bien pensé, bien cadré. Quel est votre secret ?
Quand je développe une histoire, je m’immerge pleinement en réalisant des tas de croquis préparatoires des lieux et des personnages. Ainsi j’ai l’impression d’habiter dans le récit ! Je sais où je me trouve sur chacune des pages et le cadrage des cases devient plus facile. Je réalise ensuite un premier jet assez dynamique dans lequel je m’autorise tout, le trait final vient juste confirmer cela. Enfin, la couleur est très importante, c’est elle qui crée l’émotion. Je tente de la faire vibrer en utilisant des teintes complémentaires et des couches superposées.
Sceneario.com : Claire, Léo, avez-vous parfois l’impression que la créativité peut être un peu destructrice comme on le voit chez un des personnages ?
Léo : La création concentre et amplifie nos émotions pour donner naissance à une œuvre. Elle est l’incarnation de notre subconscient, ainsi il est tout à fait possible que certains artistes ne puissent contenir ce “trop-plein d’eux-mêmes” et y laissent quelques plumes.
Claire : Effectivement, dans la création, il y a parfois un côté obsessionnel qui peut amener à se focaliser un peu trop sur son travail. L’important c’est de savoir rester en contact avec la vie, sortir, voir des amis, marcher dans la forêt.
Sceneario.com : Claire, Léo, quels sont les artistes (peinture, musique, etc, la question est ouverte) qui vous inspirent ? Et vos BD préférées ?
Les romans d’Italo Calvino pour leurs métaphores poétiques. La vie de Mizuki (Shigeru Mizuki) en BD que j’ai lu récemment et Nicolas de Crécy pour ses extraordinaires dessins. Côté cinéma, les films de David Lynch pour l’ambiance, Terry Gilliam pour l’absurde et Hayao Miyazaki, bien sûr.
En littérature, j’apprécie beaucoup Terry Pratchett, Neil Gaiman et Isaac Asimov. En illustration, j’aime beaucoup le travail de Frédéric Pillot, ainsi que l’univers coloré de Clément Lefèvre qui fait aussi bien de la BD que de l’illustration. Un de mes manga préférés est 20th Century Boys, d’Urasawa, j’adore sa mise en scène et son trait. J’ai vu récemment Sirocco et le royaume des courants d’air, un film réalisé par Benoît Chieux, magnifique et très inspirant, ainsi que Mars Express, réalisé par Jérémie Périn, un film de science-fiction qui m’a enthousiasmé par sa qualité et sa cohérence.
Sceneario.com : Claire, Léo, pensez-vous que le monde d’aujourd’hui manque de couleur ?
Léo : Je n’aime pas trop me complaindre, chaque époque a ses couleurs et ses nuances de gris. Les artistes ont toujours été là pour les saisir et aujourd’hui ne fait pas exception.
Claire : J’ai l’impression que la perception des couleurs dépend de ce que chacun traverse. Dans les moments difficiles de l’existence, c’est plus difficile d’ être sensible à la couleur. A mon échelle, quand c’est possible, j’essaie d’apporter un peu de couleur dans la vie, chaque jour.
Sceneario.com : Claire, Léo, avez-vous des conseils à donner à un jeune qui rêve de devenir lui aussi dessinateur ou scénariste de BD ?
Léo : Oser être imparfait, ne pas se décourager c’est un apprentissage. Commencer à dessiner sur un carnet, puis une seule planche, et puis deux, et enfin un album entier. Garder en tête que ce qui est sur la planche n’est que la partie visible de l’iceberg. Le reste que l’on ne voit pas doit exister sous forme de croquis, de textes, de documentation.
Claire : En scénario, la première version est souvent loin d’être parfaite, mais c’est une base sur laquelle on peut travailler, discuter. J’ai la chance de pouvoir échanger avec d’autres artistes de talent. Être à l’écoute des retours des autres est important pour progresser. Quand j’ai une remarque sur un texte, c’est toujours une information utile, même si je ne la prends pas au pied de la lettre, ça m’indique qu’il y a un point à clarifier.
En dessin, chaque fois, j’essaye de trouver un point positif dans ce que j’ai réalisé et un point que j’aimerai améliorer, pousser plus loin. Un dessinateur fait des milliers et des milliers de dessins, certains seront bons, d’autres ratés et mis de côté, mais ils permettront de progresser. C’est un cheminement.
Sceneario.com : Claire, Léo, un très grand MERCI pour le temps que vous nous avez accordé.
Claire GRIMOND et Léo VERRIER, les Auteurs de l’album « Le Navire Ecarlate » aux Editions Jungle.
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