Interview

Claude GUTH scénariste, dessinateur et coloriste de
Pichi Poï

SCENEARIO.COM: Peux tu te présenter?


Claude GUTH: Eh bien, j’ai 41 ans, je vis à Molsheim, une petite ville du Bas-Rhin proche de Strasbourg.
Avec ma petite tribu, nous occupons une adorable maison alsacienne, que je restaure patiemment… quand j’ai un peu de temps.
J’apprécie les travaux physiques, qui tranchent avec la sédentarité de notre travail.
D’ailleurs, j’entretiens avec bonheur une petite vigne, car au contact de la terre, je me ressource complètement Cette passion pour la vigne, je la partage avec Christophe Arleston, très grand amateur de vins. Notre plaisir, lorsque nous nous rencontrons, c’est de nous retrouver autour d’une bonne table pour échanger nos découvertes viticoles. Si je commence à avoir une petite expérience sur la vinification, Christophe m’impressionne par sa connaissance des terroirs, en particulier dans le bordelais.
J’aime aussi faire des longues ballades dans les collines et les petits villages alsaciens au guidon de ma Lambretta.

SCENEARIO.COM: Quel a été ton parcours professionnel ?


Claude GUTH: J’ai commencé à travailler dans la BD grâce aux … assurances !
J’étais rédacteur, un boulot qui consiste essentiellement à se prendre la tête avec son chef de service. Lorsque je m’ennuyais (souvent), j’avais l’habitude de dessiner sur le coin des feuilles. Un jour, un collègue a vu ces dessins et m’a proposé de faire des illustrations dans le journal interne de la boîte, ce que j’ai bien évidemment accepté. Un peu plus tard, j’ai changé de poste, j’ai intégré le service marketing où l’on me confiait la réalisation des tous les documents publicitaires de la boite. C’était un boulot qui évidemment me convenait, bien plus créatif.
A cette époque j’ai aussi fait la connaissance de Roger Seiter, qui s’occupait alors d’une association de bédéphiles et d’illustrateurs amateurs, « Objectif Bulles ». Je dessinais alors des gags avec une cigogne livreuse de bébés. Et puis un jour j’ai eu l’opportunité de mettre en couleur une BD historique régionale. J’acceptais, et là c’était foutu, je tombais dans la marmite couleur, sans pouvoir en ressortir.
J’ai ainsi collaboré avec Roger Seiter comme coloriste sur quatre albums dont un, « Simplicissimus » sur lequel j’ai également dessiné les décors.

Je suis resté dans les assurances une dizaine d’années. Par la suite, je suis devenu graphiste dans une agence de pub. Là, j’ai appris la technique, la fabrication, l’impression, la photogravure.
Au bout de 3 années, l’agence commençait à s’essouffler, probablement victime des conséquences de la première guerre du Golfe et j’ai été licencié.
Total bonheur, car cela m’a permis de reprendre des études, à l’école des Arts Déco de Strasbourg. C’est durant ces 3 années, grâce à Claude Lapointe que j’ai tout appris sur la narration par l’image.

SCENEARIO.COM: Comment vous êtes vous rencontrés avec Laurent Cagniat?


Claude GUTH: C’est aussi à cette époque que j’ai rencontré Luc Brunschwig. C’est lui qui m’a présenté Laurent Cagniat.
Là, ma carrière de coloriste a vraiment démarré avec « Vauriens »

Je dois toute ma carrière à Luc. C’est grâce à mes collaborations avec lui sur Vauriens, l’Esprit de Warren, Le pouvoir des innocents, que je me suis fait remarquer dans la profession. Tous ces auteurs sont des techniciens de l’image, ils ont un sens de la narration poussé à l’extrême, et avec eux j’ai su mettre en application les théories de l’école des arts déco.

La seule ombre au tableau, c’est que ces albums ont été longs à dessiner, j’ai alors pris d’autres engagements c’est pourquoi je n’étais plus en mesure de terminer ces séries. Je comprends que mes abandons successifs ont peut-être altéré mes relations avec Luc, je n’en suis pas sûr car nous nous voyons de temps en temps, mais si c’est le cas, je le regrette sincèrement.

SCENEARIO.COM: A la différence de blacksad, les animaux de Pitchi Poï ne reprennent pas les
caractéristiques des animaux qu’il représente, pourquoi avoir utilisé des
animaux pour les personnages de Pitchi Poï ?


Claude GUTH: Je pense que c’est un hasard, tout comme la naissance de Pitchi Poï d’ailleurs.
Je suis tombé sur un petit album consacré à Blanche Neige et les 7 nains qui décrivait la fabrication du film. J’ai découvert des dessins magnifiques de décors à l’aquarelle, comme ça ne se fait plus forcément aujourd’hui.
Un jour, pour essayer, j’ai dessiné l’intérieur d’une petite chaumière dans ce style et je l’ai envoyé à Laurent Cagniat pour avoir son avis. Pour toute réponse, j’ai reçu en retour, la même chaumière avec une petite souris qui balayait à l’intérieur. Techniquement ça rendait bien, et de ce fait, on a réalisé toujours pour le plaisir 6 ou 7 illustrations de ce type, toujours avec des animaux. Petit à petit une espèce d’univers était en train de se mettre en place, Laurent avait aussi quelques idées, en particulier un arbre magique et le titre, Pitchi Poï. On s’est donc lancé dans la construction d’une histoire dans l’univers que nous venions de créer puis je suis parti à Angoulême avec les illustrations, un synopsis et un petit strip de 3 cases juste pour voir ce que cela pouvait donner en BD. J’ai fait le tour des principaux éditeurs et trois d’entre eux ont été séduits et franchement j’ai été surpris d’un tel accueil. Finalement nous avons signé chez Delcourt.

SCENEARIO.COM: Sur Pitchi Poï, il n’est pas indiqué qui a fait quoi, scénariste,
dessinateur, coloriste, comment avez vous travaillé, et qui a fait quoi ?


Claude GUTH: Si j’ai joué un grand rôle graphique pour les illustrations, dans l’album, c’est surtout Laurent qui dessine, je fais pour ma part, quelques décors et la couleur. Mais, tout comme le texte, nous avons tenu à co-signer le dessin, car mon travail dans Pitchi Poï est beaucoup plus proche de l’illustration. Je travaille sur l’encrage de Laurent, en couleur directe. Cette technique me permet de nuancer les plans, je rehausse ou j’atténue les encrages pour privilégier avant toute chose la lisibilité. Avec cette technique, je n’ai pas le droit à l’erreur, mais c’est justement ce que je recherche, car le fait de se mettre en danger comme cela est extrêmement stimulant. Cela t’oblige à faire les choix essentiels, tu es obligé de donner le meilleur de toi-même.

C’est tout le contraire du travail à l’ordinateur où on peut sans cesse transformer, modifier, effacer, toute ces possibilités entraîneraient sûrement chez moi une certaine paresse créative.

Mais entendons-nous bien, je n’ai rien contre l’ordinateur, c’est un outil formidable que j’utilise par ailleurs, sur les planches de Lanfeust par exemple, pour rajouter des effets, corriger des erreurs. Sur Pitchi Poï aussi, nous utilisons l’ordinateur, pour les bulles par exemple, car nos planches sont muettes. Cette manière de procéder est très confortable, nous pouvons modifier les dialogues jusqu’au dernier moment.

Certains utilisent l’ordinateur avec un talent fou ! Je pense en particulier à Bruno Garcia, son travail dans le dernier luuna chez Soleil est merveilleux. En voilà un qui a compris que le coloriste, c’est le metteur en scène de la lumière.

Il m’arrive de dessiner tout de même, de faire des études de décors, ce qui a été le cas dans ce tome 2, pour les villages d’Angel et de Désiré.

SCENEARIO.COM: Qu’aimes tu le plus? Raconter des histoire? Les dessiner ou les colorer?


Claude GUTH: Ce que je préfère, c’est l’écriture bien évidemment, c’est si passionnant de trouver des idées, de les imbriquer les unes aux autres, de mettre en scène des personnages pour aboutir a une histoire qui se tienne.
Nous avons eu, je crois, la bonne idée de faire un bon « casting », de bien définir les caractères de nos différents personnages.
À force d’en parler entre nous ils prenaient une autre dimension et devenaient presque réels. Du coup cela nous facilitait la mise en scène, nous connaissions parfaitement leurs réactions. Je pourrais presque dire que ce sont eux qui nous ont guidés dans l’écriture du scénario du tome 1. Enfin, quel plaisir de faire nos dialogues, souvent avec des grands éclats de rire.

Mais je n’ai nullement la prétention de devenir scénariste, avec Laurent nous nous considérons comme des amateurs, et sommes venus à l’écriture du scénario par hasard.

SCENEARIO.COM: En ce moment, tu travailles sur le troll 7 le lanfeust des
Etoiles 3, sur les Conquerants de Troy, et Pitchi Poï, cela doit faire des
journées bien chargées, comment organises-tu ton travail ?


Claude GUTH: Je ne travaille pas sur les conquérants de Troy, bien que j’aurais aimé collaborer avec Ciro Tota, qui de plus est un ami, mais franchement, cela aurait été impossible, par manque de temps. Je termine d’ailleurs une année qui aura sans doute été la plus dense de toute ma carrière avec des longues journées de 10 ou 11 heures de boulot, sans vacances. Mais je vis plutôt bien cette intense activité car j’arrive de plus en plus facilement à passer d’un album à l’autre ce qui n’était pas évident à mes débuts.

SCENEARIO.COM: Tu travailles chez toi ou en studio?


Claude GUTH: En Studio, à Strasbourg. Je prends le train tous les matins avec la ponctualité d’un fonctionnaire zélé, En fait, je fais cela surtout pour séparer mon cadre familial du travail. En plus, le train est un excellent endroit pour lire, et écrire aussi.

SCENEARIO.COM: On peut dire que tu es principalement un coloriste?


Claude GUTH: On peut le dire, c’est par cette profession que je me suis fait connaître dans le petit monde de la bande dessinée. Quant au dessin, je suis trop laborieux, je charbonne le papier jusqu’à ce que je trouve le bon trait, je n’envisage pas dans ces conditions de dessiner un album tout seul. Et puis, côtoyer régulièrement des types comme Laurent ainsi que Didier Tarquin et Jean Louis Mourier, ca refroidit un peu.

SCENEARIO.COM: Tu as des propositions régulièrement pour coloriser d’autres Bd? Si oui avec
qui?


Claude GUTH: Pour l’anecdote, lorsque Mourad, des éditions Soleil m’a contacté pour me proposer de travailler sur le monde de Troy, au même moment, les éditions Delcourt me proposaient Aquablue. Imagine mon embarras! Finalement, je ne regrette pas mon choix car j’ai rencontré chez Soleil des gens formidables.

SCENEARIO.COM: Quels sont tes projets?


Claude GUTH: Donner le meilleur de moi-même dans les albums de Lanfeust et Trolls de Troy, et démarrer le tome 3 de Pitchi Poï. Le scénario étant déjà quasiment bouclé.

SCENEARIO.COM: On voit bien que le métier de coloriste est très développé, est ce parce
qu’on ne peut plus se passer de coloristes, est ce pour faire gagner du
temps aux dessinateurs, ou est ce que tout simplement parce qu’on en parle
maintenant c’est à dire que votre travail est enfin reconnu?


Claude GUTH: La reconnaissance des coloristes… vaste débat.
Je ne suis pas sûr qu’un coloriste puisse revendiquer un vrai statut d’auteur, à part quelques rares exceptions. Il me semble qu’il n’est pas à l’origine de l’histoire, ne participe pas au découpage et à la mise en scène. Mais il occupe une part de plus en plus importante dans la réalisation d’un l’album. C’est pourquoi je trouve légitime qu’il touche un petit pourcentage sur les ventes. Par contre, et cela me semble plus important, je militerai jusqu’au bout, à travers des rencontres, des forums, ou des entretiens pour faire connaître notre métier auprès des lecteurs, car trop peu d’entres eux connaissent vraiment l’importance de cette profession.

SCENEARIO.COM: Quelle technique de colorisation utilises tu? C’est la même pour les
différents albums sur lesquels tu travailles.?


Claude GUTH: La technique du gris ou du bleu, nom que l’on donne au document imprimé qui nous sert de support. Par la suite, je fais des retouches avec l’ordinateur en essayant de faire en sorte que cette intervention ne se voit pas.

SCENEARIO.COM: Qu’aimerais tu coloriser?


Claude GUTH: À l’époque, j’aurais adoré mettre en couleur Le Vent dans les Saules de Michel Plessix.

SCENEARIO.COM: Surfes tu régulièrement?


Claude GUTH: Oui, essentiellement sur des sites BD, pour m’informer, mais j’interviens rarement dans les forum de discussion, par manque de temps.

SCENEARIO.COM: Si on te laissait sceneario entre les mains, tu changerais la couleur vert
d’eau du site?


Claude GUTH: Sûrement, comme tu as pu le constater au début de notre entretien, j’aurais mis une couleur  » lie de vin  » à la place de ton verre d’eau…

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