Interview
CORNALINE, nouvelle maison d’édition BD auvergnate, éthique, et familiale ! – Interview de Yoann & Hervé Meiffren
L’annonce de la création d’une nouvelle maison d’édition au nom mystérieux, Cornaline, qui plus est en plein cœur de l’Auvergne, ainsi que la lecture d’un premier ouvrage paru fin 2023, La connerie humaine, à l’humour décapant, ne pouvaient que mettre la puce à l’oreille de Sceneario.com ! Il fallait en savoir plus ! Chose faite avec cette interview riche et passionnante des Meiffren père & fils, à l’origine de ce projet ambitieux !
V. Degache, pour Sceneario.com – Première question : qui se cache derrière ce nouveau venu dans le monde de la BD, au nom bien mystérieux ?
Hervé Meiffren : Mon fils Yoann et moi. On a choisi le nom de Cornaline car la cornaline est une pierre de vitalité et de créativité qui chasse les émotions négatives : tout ce qu’il faut pour se lancer dans l’édition ! Dans un second temps, Yoann, qui a choisi son nom de famille comme nom d’auteur, a passé toute son enfance et son adolescence dans une maison qui portait ce nom.
Yoann Meiffren : C’est ça. Le père et le fils. En fait, après mes études aux Beaux-Arts d’Angoulême, j’ai voulu monter une maison d’édition associative. En en discutant avec mon père, qui était à un nouveau tournant dans sa vie professionnelle, on s’est dit qu’on allait monter ce projet ensemble. C’était maintenant ou jamais !
Sceneario.com – Comment, au cœur du Puy-de-Dôme, germe l’idée de créer une maison d’édition consacrée à la BD ?
Hervé : (rires) Déjà parce-qu’on habite là ! Je suis arrivé dans le Puy-de-Dôme à l’âge de 7 ans, donc j’y ai fait une grosse partie de ma vie. J’adore cette région qui est très rugueuse mais très conviviale aussi. Ensuite, quand Yoann a terminé ses études, je me suis aperçu que c’était un milieu difficile. J’ai été élevé par la BD franco-belge : avec les TINTIN, les SPIROU, les LUCKY LUKE et ASTERIX. J’aimais aussi à l’époque tout ce qui était MARVEL avec les STRANGE et compagnie. Contrairement à mon fils, je ne suis pas un gros lecteur de livres, plutôt un lecteur de BD, donc ça me semblait normal de (re)découvrir la bande-dessinée d’aujourd’hui avec lui, quand il m’a parlé de créer une maison d’édition.
Yoann : On est chauvin !
Hervé : On est chauvin dans le bon sens du terme. C’est vrai qu’on (l’Auvergnat) passe souvent pour un personnage rugueux et ça nous va très bien à nous en fait, on ne veut rien devoir à personne. Mais on n’oublie pas la convivialité.
Yoann : Je suis d’accord avec toi sur cette idée de convivialité et d’indépendance. C’est à l’image de la région. On est teinté par cette mentalité. On croit au local.
Sceneario.com – Face à la rude concurrence régnant dans l’édition BD, et au milieu des centaines de sorties annuelles , comment se démarquer quand on lance ce type de projet ?
Hervé : La concurrence elle n’existe que par ceux qui veulent la créer et en jouer, on est pas obnubilé par l’argent ni par les résultats. Notre envie c’est déjà de survivre au milieu des centaines de BD qui sortent chaque année, puis vivre. On veut sortir des sentiers battus si je puis dire, et proposer aux lecteurs et lectrices des choses un peu différentes, un peu spécifiques, un peu spéciales, tant au niveau graphique que du scénario. Nous ce qu’on veut avant tout c’est que le lecteur ou la lectrice, une fois qu’elle a lu le livre, il en reste quelque chose, que ça lui donne envie de se poser des questions, de le relire ou de dire : mais qu’est ce qu’ils on voulu faire ? En espérant que la personne aura surtout passé un bon moment !
Yoann : On arrive avec une vraie dimension éthique et familiale, une vision artistique et peut-être aussi un peu un ras-le-bol. Parlons vrai : chez Cornaline, on (mon père) va vivre grâce à l’aide à la création d’entreprise pendant deux ans. Le but, durant ces deux ans, c’est de trouver le bon roulement, que chaque bouquin puisse financer le suivant puis financer l’éditeur en micro-entreprise. On ne vend pas du rêve aux auteurs. Nous ne proposons pas d’avances, mais nous proposons un système plus juste vis-à-vis de leurs droits d’auteurs. On est pas Crésus, on bosse avec nos fonds propres, cet argent c’est pour payer l’imprimeur, imprimer en Auvergne, en France, et labellisé Imprim’vert. Plus tard, si tout marche bien, ce ne sera pas des avances sur droit qu’on proposera mais bien des petites sommes en plus de droits d’auteurs importants, faisant le pari que si le bouquin plait ensuite au public, l’auteur s’y retrouvera, c’est croire aux livres. Mais on ne va jamais faire croire à un auteur que grâce à nous, il va vivre décemment. On a les pieds sur terre, on sait bien que dans trois ans, peut-être même cinq, les auteurs qu’on éditera devront avoir un petit boulot à coté pour vivre. Par contre, grâce à ses droits d’auteurs, il aura un treizième mois, et en plus d’un livre qui existe ; un livre avec la meilleure présence possible en librairie et en festival. On veut remettre l’Humain au centre du projet !
Hervé : C’est pas compliqué : on n’est pas là pour certifier qu’un livre va marcher. On choisit selon nos goûts. D’ailleurs il n’y aura peut être qu’un auteur sur cent qu’on arrivera à faire vivre uniquement de ses droits d’auteurs (qu’on touche dès le premier livre chez Cornaline). Mais celles et ceux, qui travailleront avec nous, si à un moment donné ça fonctionne très bien, ce sera gagnant-gagnant. Ça ne sera pas « l’éditeur s’en met pleins les fouilles et l’auteur nada ». Voilà ce qu’on veut faire : d’abord que les auteurs qui veulent montrer leur boulot… puissent le faire ! Auteurs, autrices, on va vous aider à sortir votre livre, le faire connaître et lui donner une « vraie chance » d’exister, d’être distribuer du mieux qu’on peut, comme des grosses maisons d’éditions, à notre niveau dans un premier temps, et en essayant, parce qu’on a quelques armes quand même, d’être visible; car effectivement, dans une librairie c’est pour tout le monde pareil, si un bouquin est caché, rangé au fond d’une étagère ou d’un placard, il aura toujours moins de chances d’avoir une espérance de vie longue par rapport à un bouquin qu’on va mettre en avant. Ce travail de terrain peut exister, on peut le faire.
Sceneario.com – Avec La connerie humaine, premier ouvrage édité par Cornaline, on est en présence d’un humour assez trash, pas forcément destiné au grand public. Quelle va être l’orientation des prochaines publications, et, question essentielle, le lecteur devra-t-il subir les vannes d’Hildermann & Meiffren durant les 100 prochaines sorties ?
Yoann : Je ne sais pas ce qu’on entend par trash… Si c’est pour décrire un humour qui cherche à choquer, je trouve que ce n’est pas notre cas, parlons plutôt d’un humour satirique car on se moque de certains comportements qu’on retrouve dans notre société. C’est vrai qu’on trouve deux trois insultes dans l’album mais rien de bien méchant. Le livre est plutôt cocasse. La suite le sera aussi… Je pense que le lecteur continuera à subir nos vannes oui, comme il arrive déjà à subir son quotidien, d’où la satire. C’est de l’absurde, des fois on ne comprend pas, comme on ne comprend pas le quotidien. L’esprit de La connerie Humaine risque d’être « constant » dans nos prochaines publications ; on aimerait assumer encore plus le coté biographique pour un second tome, avec le même graphisme, ce ne sera peut-être pas autant satirique… En fait, on ne se contentera plus de raconter et d’illustrer des discussions de comptoir mais ce qu’on vit là actuellement : la sortie de ce premier livre, l’accueil du public, les festivals, les interviews, les aléas de notre maison d’édition, encore des trucs absurdes.
Hervé : Pour La connerie humaine, qu’on aime ou pas, je pense qu’on s’en rappelle. Si on lit un livre et que deux jours plus tard on ne s’en rappelle plus, c’est juste triste. Aujourd’hui je trouve que quand on lit un bouquin, on a de plus en plus de mal à se concentrer. Nous vivons dans un monde de distractions. Le lecteur doit fournir un effort. Nous souhaitons éditer des livres qui nécessitent cet effort, peu importe le genre abordé. Je ne connais pas encore l’orientation des prochaines publications car je ne sais pas encore ce qu’on va me proposer. Avoir une ligne éditoriale c’est faire le choix de ne pas regarder telle ou telle chose et je trouve ça dommage. On est ouvert à tous les projets dans la mesure où l’on juge le projet intéressant. En fait, ce n’est pas grave si chaque livre a un public différent. On peut ne pas aimer La connerie Humaine mais apprécier dans un futur proche notre prochaine sortie et inversement.
Yoann : Je suis d’accord. On ne peut pas continuer à prendre le lecteur par la main. Cela ne veut pas dire qu’on ne veut pas faire des livres accessibles, on essaie de trouver un juste milieu. C’est peut -être ce juste milieu qui manque à la BD. Ne pas tout dire ou tout montrer mais essayer d’être le plus subtil en étant proche des gens. Derrière les vannes ou les drames, qui a-t-il ? Humblement, c’est ce que nous allons essayer de faire. C’est pour ça qu’on peut se permettre de rester dans l’humour ou de partir vers quelque chose de plus dramatique dans les prochains livres, osciller entre les deux. On ne croit pas aux lignes éditoriales. La ligne éditoriale c’est nous. Le lien c’est nous. On ne suit pas une maison d’édition mais les auteurs qui y travaillent. Bon pour l’instant on n’est pas nombreux c’est vrai ! (rires).
Sceneario.com – Avez-vous une idée du rythme des sorties pour les prochains mois, prochaines années ? Comptez-vous vous appuyer sur des auteurs locaux débutant leur carrière, ou y a-t-il déjà des projets en cours avec des scénaristes et dessinateurs connus du public bd ?
Hervé : Notre prochain livre sortira en fin d’année. Un drame familial de 112 pages, Reflets, signé par notre duo Hildermann et Meiffren, qui, en solo ou ensemble, ont encore deux trois idées de livres qui me plaisent bien… Pour l’instant on se concentre sur notre travail en famille et on s’ouvrira dès que possible à de nouveaux auteurs, surement d’ici deux-trois ans disons, le temps de se faire connaitre et d’être tout à fait stable financièrement pour accueillir de nouvelles personnes et leurs projets. Ça reste nos débuts dans l’édition, on préfère essuyer les plâtres en famille et acquérir l’expérience nécessaire avant de lancer des appels à projets. Si on veut chiffrer les choses, disons qu’on part sur une base de deux ouvrages par an pour les deux prochaines années, avant de pouvoir doubler les sorties d’ici la troisième année. Si tout va bien, c’est avec plaisir qu’on travaillera avec de nouvelles têtes !
Sceneario.com – La charte de la maison d’édition est particulièrement ambitieuse. Pensez-vous qu’elle est réellement tenable à moyen terme, et comment rendre viables ces engagements environnementaux ou en termes de distribution et de gestion des livres ?
Hervé : Je ne pense pas qu’elle est ambitieuse car elle est réalisable. Aujourd’hui, beaucoup de maisons d’éditions éditent des livres en grande quantité pour être sûr de ne pas avoir de rupture, c’est purement économique et inutile car si on s’adresse à un public réellement intéressé, ce public est capable d’attendre deux semaines en commande pour recevoir son exemplaire, deux semaines étant le temps nécessaire pour un nouveau tirage chez notre imprimeur local… C’est pour cette raison qu’on préfère travailler sur du court tirage, avec un réassort si besoin. On ne fait pas de sur-stockage et pas de mise au pilon, il est hors de question qu’on gaspille le papier. Ensuite notre distributeur MDP vidéo, en accord avec notre charte, s’engage à ne distribuer nos livres qu’en achat ferme auprès des libraires, sans retour possible mais sans forcer l’achat de grandes quantités. Si tout le monde y met du sien, c’est tout à fait réalisable. C’est une question d’échelle; nos interlocuteurs sont tous situés à quelques kilomètres de chez nous, voir juste quelques pas pour notre distributeur ! Concernant nos autres engagements, je crois qu’on donne pas mal de réponses dans les questions précédentes. L’important pour nous c’est rester honnête avec nous même et nos opinions.
Sceneario.com – Pour terminer, prochaine sortie prévue ?
Yoann : Pour Reflets, avec Hildermann, on va s’éloigner de La connerie humaine mais on reste dans le quotidien, un quotidien plus fantastique, plus violent. C’est un drame familial mis en scène selon les codes du récit noir, presque muet… Un vrai récit d’atmosphère, qu’on espère présenter plus en détail à l’occasion d’une nouvelle rencontre avec vous Sceneario.com. On vous laisse la couverture provisoire du projet en attendant. Merci à vous !
Hervé : Merci beaucoup !
Interview réalisée par V. Degache, pour Sceneario.com, le 17 janvier 2024.
Sceneario.com adresse tous ses remerciements à Yoann et Hervé Meiffren pour ce captivant entretien !
Retrouvez notre critique de La connerie humaine sur le site : https://sceneario.com/bd/la-connerie-humaine/
N’hésitez pas à suivre Hildermann & Meiffren sur Instagram : @hildermarts @ymeiffren , ainsi que la Maison d’édition Cornaline : @editions_cornaline !
Et surtout FONCEZ sur La connerie humaine, vous ne le regretterez pas ! L’ouvrage est disponible sur le site du distributeur, à cette adresse : https://www.flashvideofilm.fr/products/la-connerie-humaine