Interview

Cyril Pedrosa pour la sortie de PORTUGAL

Portugal couv

Sceneario.com : Cyril Pedrosa, bonjour, peux-tu nous raconter les origines de ton dernier album ?

Cyril Pedrosa : A l’origine, cela s’est passé comme dans le livre. J’ai été invité à un festival de Bande-dessinée qui avait lieu dans la banlieue de Lisbonne. Le fait que cela se passe au Portugal, pays de mes origines, ne revêtait pas une importance particulière pour moi, au moins au début. Mais une fois arrivée là-bas j’ai été envahi par une très grande émotion. Les gens me rappelaient ma famille et je me suis senti chez moi, comme le personnage de mon album. J’ai tout de suite essayé de comprendre pourquoi j’étais aussi touché. Dès le voyage de retour, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de cela, même si ensuite la maturation a été longue. J’avais envie de faire cet album, plus que j’en avais besoin d’ailleurs, un peu comme trois ombres.

Sceneario.com : Savais-tu dès le départ que tu allais partir sur un album de 260 pages, format assez inhabituel ?

Cyril Pedrosa : Au départ, je savais que j’avais beaucoup de choses à dire sans avoir encore d’idée précise de la pagination. J’ai pensé, au début, faire trois albums de 80 pages, mais cela m’a paru assez rapidement impossible. Je ne savais pas où m’arrêter, et je craignais que cela vienne casser le fil ténu qui tient le récit. J’en ai parlé à Dupuis qui a décidé de me suivre sur ce coup là.

Sceneario.com A la lecture, on a parfois l’impression que le scénario vagabonde un peu, tout était-il écrit dès le départ ?

Cyril Pedrosa : Oui, le scénario complet était écrit quand j’ai commencé à dessiner. Par contre, j’ai fait beaucoup de tri au départ pour resserrer le récit. J’ai pris aussi beaucoup d’avis extérieurs, de la part de proches et de mon éditeur. Mais quasiment rien n’a changé après le début du dessin.

Sceneario.com : Le choix d’inclure une partie autobiographique et d’autofiction, ne constituait-elle pas un risque de confusion vis-à-vis des lecteurs, des critiques ou même de ta famille ?

Cyril Pedrosa : Mon objectif était de faire une fiction en mettant un peu de ce que je pense, de ce que je suis. Dans ce travail, je voulais parler de moi mais parler des autres aussi. La difficulté était de prendre du recul car je ne voulais surtout pas m’analyser en écrivant. Ce qui renforce le côté autobiographique c’est le fait que le personnage est un dessinateur de BD. J’ai beaucoup hésité à ce sujet, mais mon histoire impliquait forcément la création et en particulier le dessin, qui constitue mon rapport au monde. Et puis cela me permettait aussi de ne pas m’échapper par rapport à ce que j’avais à dire. Mais pour moi le risque n’était pas très important de mettre de moi-même, à la rigueur le risque était plus pour ma famille. Au final, ce qui intrigue les lecteurs c’est de savoir ce j’ai pu y mettre de personnel qui les touche.

Sceneario.com : Ce mode autofiction/autobiographie est beaucoup utilisé en ce moment, comment expliques-tu ce phénomène ?

Cyril Pedrosa : L’autofiction pure est assez peu utilisée, je trouve. C’est plutôt l’autobiographie que l’on retrouve beaucoup. Je pense que l’explosion du récit intime en BD est naturelle car elle est liée au développement d’un point de vue d’auteur dans ce média. Et même si ce n’est pas un gage de qualité ou de sincérité, je trouve cela bien que la BD s’ouvre à plusieurs genres différents.

Sceneario.com : Tu as été ému par le Portugal, mais qu’est ce qui t’a plu dans ce pays qui le différencie de la France ?

 

Cyril Pedrosa : Tout d’abord j’ai une attraction sentimentale pour le Portugal. Tout m’y semble familier et j’aime cela, c’est le seul endroit où j’ai l’impression d’être chez moi. Et puis j’ai toujours été attiré par la découverte d’autre chose, même si je ne l’applique pas toujours dans mon quotidien. Ce pays est à la fois pareil que la France et très différent. La vie des gens me semble plus difficile, leur rapport au monde est différent aussi, ils sont à la fois fiers de leur pays et très modestes sur leur place en Europe ou dans le monde. Mais il faut relativiser mes observations car j’ai une connaissance limitée du pays, je n’ai aucun contact avec les élites par exemple. D’une manière générale, je trouve que la notion d’identité d’un pays reste difficile à définir.

Sceneario.com : Pourquoi ne pas avoir traduit les passages en portugais ?

Cyril Pedrosa : Je voulais dépayser le lecteur, le bousculer un peu. Même si en tant que lecteur on n’aime pas trop cela, je pense qu’on comprend un pays aussi à travers sa langue.

 

Sceneario.com : Peut-on considérer Portugal, comme un livre-somme de ton travail car on y retrouve le graphisme lâché de Trois ombres, un personnage avec des envies d’ailleurs comme dans Cœurs solitaires, et le côté autobiographique d’Autobio ?

Cyril Pedrosa Effectivement et j‘étais très conscient de cela en le faisant. Je voulais utiliser tous les outils que j’avais pu développer dans mes différents albums pour les mettre au service de cette histoire. Je travaille actuellement sur un projet avec David Chauvel et je ne fais pas du tout cela, mais pour Portugal, c’est ce que je voulais faire.

Sceneario.com : L’accueil de Portugal semble très bon et après le succès public et critique (primé dans les Essentiels au FIBD en 2008) de Trois ombres, penses-tu avoir trouvé ta voie et ton public ?

Cyril Pedrosa : Mon public je ne sais pas, mais ma forme d’expression en tout cas c’est sûr. Trois ombres est mon premier livre qui a vraiment marché mais cette longue absence de succès m’a permis de m’exprimer et de faire ce que j’avais envie de faire. Par exemple, sur Shaolin Moussaka, avec David Chauvel, on était complètement détendus sur l’écriture et le dessin. Comme cela ne marchait pas du tout on pouvait faire ce que l’on voulait. Mais c’est bien quand cela marche mieux. C’est quand même plus facile de continuer quand tu sens que tu es suivi.

Aujourd’hui, ce qui m’excite le plus c’est de faire les livres pour lesquels je ressens un besoin. Ce qui a vraiment été le cas avec Portugal. C’est le livre que je voulais faire et je l’assume de bout en bout.

Sceneario.com : Quels sont tes derniers coups de cœur BD ?

Cyril Pedrosa : J’aime beaucoup Le Royaume chez Dupuis, trop méconnu à mon avis. C’est intelligent, frais, tout public et très bien dessiné. Le dernier Blutch aussi, ce n’est pas un livre facile mais il est très bien. J’ai beaucoup aimé Polina de Bastien Vivès, et ce qu’il a fait avec Merwan Chabane (NDLR : Pour l’empire paru chez Dargaud). Ce qu’il fait est toujours très ambitieux et plein d’empathie.

Sceneario.com : Quels sont tes projets ?

Cyril Pedrosa : Je suis content de travailler avec David Chauvel, même ce n’est pas facile de dessiner pour quelqu’un d’autre. C’est une pression différente de quand je fais tout, tout seul. Dans un duo, je dois trouver un dessin qui ne correspond pas forcément à ce que j’ai envie de faire mais à ce dont le livre a besoin. Côté scénario personnel, j’ai un projet embryonnaire avec plein de notes partout mais sans réelle idée précise.

J’aimerais parler de notre époque à travers la révolution française. J’aime l’idée que les vingt années qui ont suivi la Révolution Française étaient inimaginables pour les français quelques années plus tôt. Et je trouve que notre époque est un peu comme cela aujourd’hui. Ce que l’on vit aujourd’hui était complètement inimaginable pour les gens si on revient 200 ou 300 ans en arrière.

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