Interview
Dog et moi par Thierry PLUS
Sceneario.com : Bonjour Thierry ! Pourrais-tu en quelques mots te présenter et faire un bref historique sur ton immersion dans le monde de la bande dessinée ?
Thierry Plus : Oui alors, pour faire bref, j’ai fait des études d’art à Pau, à Lyon et pour finir aux Arts Décoratifs de Strasbourg. Je m’y suis passionné pour la typographie. Après mon diplôme, j’ai donc monté une petite boite de graphisme à Montpellier avec deux anciens étudiants des Arts Déco… On faisait essentiellement de la communication culturelle, pour des théâtres, des festivals. On construisait nos images, L’atelier avait parfois des airs de garage où l’on récupère et bricole les vieux trucs trouvés dans la rue. C’était vraiment une période sympa… 5 ans après nos débuts, j’ai souhaité tourner la page. J’ai répondu à une offre pour un poste dans une agence de pub à Tahiti et j’ai été embauché. J’ai tout plié, tout vendu et je suis parti m’installer là bas avec ma famille. 9 mois plus tard, j’ai démissionné et on est rentré en France… C’était une période difficile, je me retrouvais tout à coup sans emploi, sans projet et je ne voulais pas retourner à Montpellier, tenter de reprendre les choses là où je les avais laissées n’avait pas de sens. C’est dans ce contexte que je me suis lancé dans ma première BD…
Sceneario.com : Ton premier ouvrage intitulé "Dog et moi" est sorti récemment. Quel effet ça te fait de voir ton nom et ton ouvrage fleurir les étagères des librairies ?
Thierry Plus : J’avais imaginé ça comme un aboutissement, un but à atteindre et puis en fait, les choses se font par étapes… Au fil de la réalisation du livre, j’ai réalisé ce qui m’arrivait… La signature avec un éditeur prestigieux dont le nom signifie quelque chose, ça n’est pas rien ! Quand j’étais petit, mes parents désespéraient de me voir ouvrir un roman, c’était une source d’inquiétude pour eux, alors signer chez Gallimard, ça m’a bien fait marrer… Tout ça, je l’ai digéré en deux ans et demi, le temps de la réalisation finale de cette BD. Bon, maintenant, quand je vois le livre, j’ai tendance à n’y voir que les défauts mais ça doit être normal.
Sceneario.com : Dans "Dog et moi", il y est question de cavale et d’une curieuse association entre Jonas et Dog. Qu’est-ce qui a pu t’inspirer ce road-movie ?
Thierry Plus : Rien en particulier. Sauf peut-être des envies de dessinateur. J’avais envie d’une bd d’aventure, de grands paysages… C’est un peu aussi en réaction à la bd française contemporaine qui louchait un peu trop vers l’intimisme à mon goût et qui se répandait d’un autre côté en Héroïc Fantasy de supermarché… Franchement, en tant que lecteur, j’étais un peu paumé. J’ai fait le choix d’un récit de voyage, d’une histoire de fric à coucher dehors et d’une histoire de rencontre… J’aime qu’on me raconte des histoires qui m’éloignent de mon quotidien… Je disais tout à l’heure que je n’étais pas un grand lecteur et d’ailleurs je ne connais pas mes classiques. Mes goûts vont plutôt de Jack London aux Frères Cohen en passant par Paco Taïbo dos… Le cinéma de la nouvelle vague m’ennuie plutôt. J’ai l’impression qu’on a du mal à digérer ça en France. Brando m’a plus fait rêver qu’Antoine Doinel ! Et quand vous attaquez une première BD, mieux vaut savoir où se situent vos goûts. C’est un peu tout ça qui a donné "Dog et moi"…
Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi l’Amérique Latine pour faire évoluer tes deux personnages ?
Thierry Plus : Parce que je n’y suis jamais allé. Parce que la vision que j’en ai est nourrie de fantasmes… Envoyer un petit parisien bourré de complexes en Amérique du Sud, ça crée forcément des anecdotes. Et puis, il y a tout le reste, la cumbia, les indiens, l’amazone, les déserts, le Pacifique… En fait, je me suis fait mon petit voyage et je peux vous le dire, c’était très agréable…
Sceneario.com : Quelle est ta vision personnelle des deux fuyards ?
Thierry Plus : Mhh… Deux types assez mal dans leurs peaux. Peut-être que tout le monde n’est pas fait pour vivre le métro-boulot-dodo. J’apprécie chez eux leur détermination à prendre la fuite, à essayer de construire leur vie sans entrave… Même si c’est un leurre, bien sûr. En fait, ils sont sans doute assez naïfs, ça les rend attachants… Mais attention, ils ont leur part d’ombre ! Et d’ailleurs, je me tiens à l’écart de toute sorte de jugement. Le lecteur se fera son opinion…
Sceneario.com : Le final de ton road-movie a quelque chose de surprenant ? Es-tu de ces auteurs qui aiment peaufiner leur final au point de secouer le lecteur en appliquant des rebondissements de dernière minute ?
Thierry Plus : Ce n’était pas franchement calculé. La fin s’est construite au fur et à mesure jusqu’à ce qu’elle s’impose de cette façon. Cela dit, le récit en forme de dérive où on laisse de côté le pourquoi du comment justifie ce genre construction. Le sujet du livre n’est pas franchement là, en tout cas pas pour moi, mais il faut donner au lecteur ce qu’il attend. Il n’est pas question de rester flou sur les intentions de mes personnages. C’est assez dur à doser, d’ailleurs et ça m’a demandé beaucoup de travail…
Sceneario.com : Le fait de réaliser des dessins quelque peu atypiques présentant des personnages aux gueules bien particulières, signifie-il que tu souhaites te démarquer des autres mouvances de styles ?
Thierry Plus : Là non plus, ce n’est pas une volonté de ma part. C’est vous qui leur trouvez des gueules bizarres… Moi j’ai l’impression d’en croiser des comme ça tous les jours. Quant au style, aussi étrange que cela puisse paraître, je pense qu’il s’est construit tout seul, durant ses années entre mes études et le jour où j’ai repris un crayon… Je n’ai pas eu besoin de faire des milliers de recherches. Quant à se démarquer des autres mouvances de styles… Je ne sais pas… Ce qui me surprend, c’est plutôt l’inverse. Les dizaines de livres qui sortent dans le sillage de Loisel, Blain ou encore Sfar… Je ne comprends pas ça. Je n’y vois aucun intérêt.
Sceneario.com : J’ai remarqué que tu travailles beaucoup les gros plans de visages. Y a t-il une raison particulière ? Chercherais-tu à faire toucher du doigt les émotions de tes personnages ?
Thierry Plus : La réponse est dans la question… Il y a aussi que mon traitement graphique, fait de la matière de la peinture, me permet d’explorer les gros plans tout en créant du détail…Quand je vais dans un musée, j’aime me rapprocher au plus près de la toile. J’aime voir les coups de pinceaux, ce qui inquiète toujours les types chargés de la surveillance des salles… L’émotion en peinture, elle est autant là que dans les personnages…
Sceneario.com : Au regard des festivals auxquels tu as participé, comment le public a-t-il réagi par rapport à ton album ?
Thierry Plus : Bien, je crois… Maintenant, j’ai une très courte expérience des festivals, des dédicaces… J’ai donc une fâcheuse tendance à me concentrer sur mes dessins qui sont une source d’angoisse. Du coup, je n’ai pas trop le temps de discuter. Enfin, ça va peut-être changer avec un peu d’expérience…
Sceneario.com : Quels enseignements éventuels as-tu pu tirer de ce premier ouvrage pour les reproduire ou les éviter dans ton prochain album ?
Thierry Plus : En faire la liste serait un peu long… N’ayant jamais fait de BD auparavant, je me suis un peu tout cogné de front… La technique BD est très complexe. Au cinéma, un plan chasse l’autre, en BD, tous les plans d’une double page doivent cohabiter. L’objectif étant de fluidifier au maximum le regard du lecteur, lui faire oublier la mécanique de cette construction. Et je ne vous parle pas du casse-tête des bulles, qui vous obligent à positionner votre personnage qui prend le premier la parole sur la gauche de la case… Imaginez aussi que les plans fixes vous sont interdits. Pour faire dire trois trucs insignifiants à vos personnages, vous devez multiplier les points de vue… Et on en revient à votre question de tout à l’heure, un récit avec des paysages et des décors facilite les choses. L’enfer en BD, c’est sans doute le huit clos…
Sceneario.com : "Dog et moi" a été conçu en solo. Souhaites-tu poursuivre dans cette voie ou aimerais-tu t’associer à d’autres ?
Thierry Plus : Je n’ai pas vraiment fait de plan sur la comète. Je saisirai les opportunités qui se présenteront à moi… Cela dit, écrire cette première histoire a soulevé pas mal de questions chez moi. Ça m’a sans doute aussi un peu décomplexé par rapport à l’écriture et j’ai vraiment envie de progresser dans cette voie. Il y a quand même quelque chose de jubilatoire dans l’acte de faire parler des personnages. Le plus étonnant, c’est sans doute que vous faites connaissance avec eux au fil du récit. Ils s’inventent, se trouvent et puis se mettent à parler naturellement… C’est un peu magique… Alors oui, travailler en collaboration, certainement, mais je suis pas prêt à laisser tomber ça… En fait, dans l’idéal, j’attends la rencontre qui va me faire progresser. Et puis, j’ai aussi quelques envies d’adaptation, mais on verra. Faire une BD est tellement long, qu’il ne sert à rien d’envisager les choses pour dans plusieurs années…
Sceneario.com : Quelle est la partie que tu apprécies le plus dans l’élaboration d’un album (scénario, dessins, colorisation) et pourquoi ?
Thierry Plus : Bon, la réponse va être affreusement banale mais chaque étape compte et m’apporte du plaisir. Par contre, je peux vous parler de ce que je n’ai pas aimé, du stress des journées où on avance pas, où le crayonné ne tombe pas, les milliards de rognures de gomme jusqu’à l’usure du papier… Dans ces cas là, il faudrait aller prendre l’air mais je suis un acharné têtu. Du coup, ça pourrit l’ambiance à tout le monde, je deviens infernal. Et ça, c’est valable pour toutes les étapes, sauf peut-être la couleur qui me stresse moins… A si, j’oubliais, attendre une réponse des éditeurs par la poste est une épreuve qui peut vous ébranler. Mieux vaut avoir un sérieux hobby, le tricot, la boxe ou ce que vous voulez… quelque chose qui va vous tenir de longs mois parce que l’attente est longue !
Sceneario.com : Quelle a été ta méthode pour monter le projet de "Dog et moi" ? As-tu cherché des appuis d’autres confrères ?
Thierry Plus : Je ne connais personne dans le milieu, ni auteur, ni éditeur… Je vis dans une campagne bien reculée et les gens que je croise, mes amis du coin, sont, soit dans le bâtiment, soit paysans… ça limite les perspectives d’appui… Alors, non, je me suis documenté sur la façon dont il fallait procéder et j’ai envoyé mon dossier par la poste. Cela dit, méfiance, parce que les vrais contacts, je les ai eus en me déplaçant sur les festivals, et en particulier à Angoulême. Je crois que j’ai eu pas mal de chance, les choses se sont, en définitive, passées assez vite pour moi… On croise tellement de types fatigués avec leur carton à dessin tout usé… Je n’étais pas spécialement déterminé à m’acharner pendant 10 ans. J’ai aussi d’autres choses à faire dans la vie…
Sceneario.com : Comment s’est faite ta rencontre avec le groupe Gallimard ?
Thierry Plus : Ca faisait deux ans que l’histoire tournait en rond, j’avais de bons retours mais aucun éditeur ne semblait vouloir s’engager. Alors, j’ai changé mon fusil d’épaule et j’ai décidé de contacter Joann Sfar qui m’avait l’air d’un type ouvert et prêt à m’accorder un peu de temps pour me donner quelques conseils sur son blog, de dessinateur à dessinateur… C’était les débuts de Bayou, et il m’a répondu à ma grande surprise comme l’éditeur… Du coup, j’ai reformaté mon récit autour de 100 pages pour Bayou et les choses se sont débloquées. Ensuite, je suis allé m’acheter quelques uns de ses livres, je les ai lus et je suis allé me présenter à Paris… J’y ai rencontré une petite équipe très sympa, prête à m’accorder du temps, à travailler sur l’avancement de "Dog et moi", étape par étape… Exactement ce dont j’avais besoin et tout ce que les autres éditeurs n’avaient, en définitive, pas le temps de faire… Je crois que je suis arrivé au bon moment. Coup de bol !
Sceneario.com : Quelles sont en général tes sources d’inspiration ? Y a t’il des auteurs dont le travail t’influence ?
Thierry Plus : Mes sources d’inspiration… ça peut-être très varié… En règle générale, c’est ce qui nourrit mon environnement, les histoires que j’entends… Ça peut être un documentaire à la télé, comme l’histoire de ce russe qui, sans avoir jamais vu la mer, a décidé de construire un sous marin dans son jardin… Le regard de sa femme inquiète, la fête du départ au village… On aurait dit un film d’Emir Kusturica… La réalité fourmille d’histoires qui dépassent tellement les fictions, qu’il n’y a qu’à ouvrir les yeux et tendre l’oreille… Après, viennent les influences plus techniques, où je vais surtout voir du côté du cinéma, et du cinéma américain en particulier, les années 60, 70 qui ont donné tellement des chefs d’oeuvres comme "la poursuite impitoyable" d’Arthur Penn ou même des films de seconde zone comme "Le canardeur" de Michael Cimino. Et puis, il y a les grandes épopées en milieu sauvage, je pense à "Dersou Ouzala" d’Akira Kurosawa ou encore "Urga" de Nikita Mikhalkov… En fait, je suis une sorte d’éponge… Les gens se demandent toujours comment on devient dessinateur, photographe ou graphiste.. Il faut commencer par être curieux et cultiver son regard. Tout le temps. C’est un automatisme à acquérir. Et même dans la pire des merdes, il y a toujours quelque chose à retirer… Des fois je me surprends à regarder de ces trucs… Pour la lecture et pour les BD, je suis affreusement sélectif. Ça va peut être vous surprendre mais je ne suis pas sûr que cela m’ait apporté énormément pour la réalisation de "Dog et moi". Les conseils de mes éditeurs ont, par contre, été déterminants… Pour conclure, je suis incapable d’acheter une bd où le dessin ne me saute pas à la gueule. Du coup, je passe à côté d’un paquet de bons livres…
Sceneario.com : Travailles-tu déjà sur un nouveau projet ? Peux-tu nous en parler sommairement ?
Thierry Plus : Oui, à la première question et non, à la seconde… C’est trop tôt, désolé !
Sceneario.com : Partages-tu d’autres passions en parallèle de la bande dessinée ou cette dernière te prend tout ton temps ?
Thierry Plus : Je suis un mordu de planche à voile depuis mon plus jeune âge… Quand les choses vont mal, je vais prendre ma raclée en mer. J’aime les tempêtes et la sensation que l’on a quand on se retrouve seul face aux éléments déchaînés. Ça finit mal en règle générale, je me retrouve rejeté par la mer comme une algue, mais c’est mon équilibre… Je suis complètement maboul à ce sujet, et je suis capable de faire quatre heures de voiture pour aller voir s’il y a du vent en Espagne par exemple… C’est aussi ce qui m’a poussé à poser mes bagages pendant un temps en Polynésie. J’envie les types qui parcourent le monde à la poursuite de vagues parfaites, de beaux paysages… Une tente, un surf, des amis et quelques bières… La recherche d’un équilibre, d’un endroit où l’on se sent exister, en dehors des turpitudes de la vie moderne, en dehors de toute perspective de profit. Là encore, c’est un fantasme, un rêve de type naïf. C’est peut-être un peu de ça dont je parle dans "Dog et moi", un rêve de type naïf…
Sceneario.com : Merci de tes réponses et bonne chance pour la suite !
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