Interview

EFIX

Cedric pour SCENEARIO.COM : Utiliser la ville que vous habitez permet d’ancrer ces personnages dans la réalité. C’était une volonté de mélanger du réalisme à votre dessin plutôt Cartoon ?


EFIX: C’était surtout un moyen pour moi de me familiariser avec la ville. Passant d’un hameau au retour dans une grande ville, j’avais besoin de prendre mes marques. Les longues ballades dans Lyon avec un appareil photo ou ma petite DV y ont bien contribué. Et puis, le Lyon dans lequel l’action est située est un Lyon de BD, hein ? Un mélange entre de la documentation très précise (des scènes calculées pour être possible, comme la scène « verte » sur les quais du Rhône) et des lieux complètement inventés comme la maison de Josy qui est un hommage à TARDI en banlieue ou les lieus des crimes, imaginés sans documentation.

Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est une histoire policière française, en France ! Ce n’est pas si courant alors que la plupart de vos collègues transposent leurs histoires en terre yankee ! Pourquoi ce choix ?


EFIX: Barze gue ch’atore la Vranze, chjère bédide matame ! Non, je sais pas… Pour les mêmes raisons lyonnaises et pour pouvoir reprendre KATE qui était française (d’origine coréenne, mais de nationalité française). Nos héros sont flics à la Police Judiciaire, ce qui leur laisse la possibilité d’enquêter sur tout le territoire. Le deuxième tome devrait se passer en Bretagne. C’est joli, la France. Y’a plein de paysages et d’ambiances complètement différents. Et n’en déplaise aux vieux cons (même les plus jeunes), il y a toutes les races et toutes les catégories sociales représentées sur ce territoire. De quoi raconter un paquet d’histoires ! Tu as déjà lu les faits divers du PROGRES, de NICE MATIN, du DAUPHINE LIBERE ou de LA MONTAGNE ? Tu connais les Gorges du Verdon, l’Obiou ou la Corse ? J’adore voyager et rien ne nous empêche d’imaginer faire voyager nos héros dont les histoires personnelles sont internationales. Pour l’instant, ils ont déjà au moins 96 départements à écumer (en préparation : « COUP DE BOULE A ROUBAIX », « MASSACRE A METZ » et « BONS BAISERS D’ANTIBES ») Peut-être pour le tome 97 : « LA GRANDE TRAVERSEE », on pourrait les faire découvrir un nouveau monde plein de « glou glou ».

Cedric pour SCENEARIO.COM : D’où vient cette histoire de JOSY ?


EFIX: Au début, on voulait l’appeler ANNIE mais va savoir pourquoi, OLIVIER a bloqué sur ce prénom. Pas moyen de le convaincre. Alors, c’est JOSY. C’est marrant avec PETIT A PETIT. Je l’ai déjà dit, je crois que peu d’éditeurs me laisseraient faire « MON AMIE LA POOF » avec autant de respect de la liberté qu’OLIVIER. C’est un type avec lequel on peut faire des choses sur une poignée de main. Après, on signe des contrats et tout mais on sait dès le départ qu’il n’y aura pas d’embrouille. Et puis de temps en temps, pof ! Blocage. Discussion. Arguments. Contre-arguments. Pause. Retour à la charge. Alors, JOSY, mais 52 pages. Fin des négociations. Ca c’est pour la partie technique. Si ta question concerne l’inspiration, je crois que j’ai déjà répondu. La réponse est dans le reste, disséminée dans ce gigantesque amas de mots, en ce qui concerne l’album en général. En ce qui concerne l’histoire elle-même, celle de JOSY, il faudrait demander à CHRIC. Je peux juste te dire que lui et moi, on a passé notre enfance et notre adolescence en meute, comme les hyènes. Des parcours différents dans leurs formes mais bien, bien semblables dans leur fond. Tous les deux, on a eu notre place au sein d’une meute et on en est ressorti un peu meurtris et d’autant plus solitaires. Comme toutes les bandes, les nôtres ont éclaté pour nous laisser vivre le no man’s land adulte. C’est sûrement ça que CHRIC veut raconter par des chemins détournés. Tiens, c’est une bonne idée, je vais lui demander quand je le verrai !

Cedric pour SCENEARIO.COM : Votre histoire présente un aspect du milieu des « footeux » pas forcément reluisant. Y a t-il une volonté de critique ?


EFIX: Non. Ni de « footage » de gueule. Quand on a attaqué, on s’était bien dit qu’on voulait éviter le « A MORT L’ARBITRE » de MOCKY. J’ai plein de potes qui passent leurs soirées et leurs week-ends devant des matches sans pour autant être des cons finis (des cons pas finis ?). Je n’y vois aucun intérêt mais c’est leur droit On n’a pas choisi le milieu du foot pour donner notre avis, mais parce qu’il nous semblait être le plus à même de nourrir en son sein un groupe d’amis de tous les horizons sociaux et professionnels capables de se bourrer la gueule ensemble et de dépasser certaines limites… Et pour faire un clin d’œil aux chères cartes Panini de notre enfance. Tu remarqueras que le foot n’est tellement pas le propos qu’il n’y a aucune image de match. On ne voulait pas critiquer le milieu du foot et encore moins s’en servir de vitrine commerciale.

Cedric pour SCENEARIO.COM : Collectionniez-vous les cartes Panini ?


EFIX: Oui. Plutôt comme POP : les vignettes DISNEY. Déjà môme, j’aimais pas trop le foot et ses délires vengeurs post-matches (dans les vestiaires). Et puis, comme KATE, je crains de souffrir d’agoraphobie. Ca me rend sourd, débile et agressif. Et encore, je ne bois plus.

Cedric pour SCENEARIO.COM : Cet album fleure bon la nostalgie (Panini, flash-back des héros…). C’était juste pour l’histoire ou êtes-vous, avec Chric, des nostalgiques impénitents ?


EFIX: Si être nostalgique c’est prendre du plaisir à repenser aux bons moments, oui, je crois qu’on est nostalgiques. Si c’est vouloir les revivre et se plonger dedans sans arrêt, là, c’est plus compliqué. Je crois qu’on a une tendance naturelle qui nous pousse vers ça mais que nous combattons pour avancer, disons. Ca va ? J’ai juste, docteur ? Je suis normal ?

Cedric pour SCENEARIO.COM : Vous semblez avoir travaillé vraiment à deux depuis le début. Comment vous êtes vous répartis le travail ?


EFIX: A partir du moment ou nous avons les personnages et le contexte général, CHRIC réfléchit. On s’appelle, il me propose des pistes qui me plaisent en général dès le premier coup. Et il écrit. Il découpe des scènes dialoguées avec juste les indications de temps et lieu en autant de planches que l’album en comporte. Fax. Je fais le story-board en rajoutant ce que je veux là où je veux, du moment que ça fait au moins sourire et que ça ne nuit pas à la li-si-bi-li-té ! Fax. Rencontre au sommet. Discutailles, poil du cultage et finissions. Test auprès des potes. Déprime ou joie, c’est selon. Attaquage de la réalisation pour moi et attendage des planches par fax ou mail pour CHRIC. Tout au long de la réalisation, on fait relire aux proches pour voir si tout le monde suit. Voilà. Je crois que c’est tout. Pour le moment, le plaisir de découvrir les histoires de CHRIC, partagé par lui qui me dit les re-découvrir, une fois passée par mon filtre me donne envie de renouveler souvent l’expérience. Pour « K », c’était à peu près la même méthode sans les tests auprès des potes. La possibilité que me laisse CHRIC de tout retravailler à ma sauce (ce qui se limite à quelques clins d’œils graphiques et autres bidouillages de dialogues) est rare et je la savoure.

Cedric pour SCENEARIO.COM : Comment définissez-vous cette série qui se démarque par une certaine densité de dialogues ?


EFIX: Trop, tu crois ? J’ai hérité de mon père une vieille nostalgie de « BLAKE ET MORTIMER », faut croire. Et puis, comme je l’ai dit plus tôt, en tant que lecteur de BD, j’aime bien l’idée qu’un album à tronze mille euros ne soit pas lu en 10 minutes. Un roman nous accompagne toujours suffisamment longtemps pour qu’on prenne le temps de s’y installer alors qu’une BD classique (une cinquantaine de pages, grand format couleurs) moins. C’est dommage. D’où l’avantage de certains mangas et des parutions dites « indépendantes » (de qui ? de quoi ?) ou « sous le sol » (en anglais dans le texte). Et là aussi, c’est pareil. On n’est pas obligé de faire toujours la même chose. Pour l’instant, de ce que m’a dit CHRIC, l’action devrait être un peu plus privilégiée dans l’album suivant. Question d’ambiance, ça dépend de ce qu’on veut raconter.

Cedric pour SCENEARIO.COM : Nous n’avons pas encore évoqué les couleurs. C’est ton premier album en couleur et malgré des courtes histoires en couleurs dans les collectifs chansons de PETIT A PETIT, tu as confié ce travail à MYRIAM. Comment cela s’est-il passé ?


EFIX: Ah, ça ! MYRIAM ! MIMI, c’est la rencontre ! Zeu ouane ! On se croisait régulièrement sur quelques salons avec Myriam. Elle avait acheté un tee-shirt « MON AMIE LA POOF » à Sofia-Antipolis … Autant dire qu’elle m’était très sympathique. Et l’année dernière, à Antibes… Tatatin ! Je découvre qu’elle fait de la couleur, enseigne aux Beaux-Arts de Bordeaux et modèle (ou sculpte) d’excellentes petites figurines piochées à droite, à gauche dans la production BD qu’elle aime. Surtout des petits monstres démentiels. C’est tout pitit, tout mignon, craquant total !
Bref, on discute et on s’aperçoit que travaillant tous les deux sur des ordinateurs depuis des lustres, on tombe sur les mêmes envies et visées, notamment sur l’envie de faire oublier photoshop, que le travail informatique ne soit pas trop évident pour le lecteur. De mon côté, j’avais déjà posé les couleurs sur une dizaine de pages de « LES AMIS DE JOSY » (Tome 1 des aventures du « LIEUTENANT KATE », donc). J’aimais bien l’ambiance générale mais l’ensemble restait encore trop proche de ce que je fais en noir et blanc. Trop lisse. J’avais vraiment envie de faire autre chose que dans « MON AMIE LA POOF ».
Je lui ai proposé de faire un essai et à ma grande joie, elle a accepté. Quelques semaines plus tard, vu la transformation haut la main de l’essai, on décidait de s’embarquer à trois plutôt qu’à deux dans la réalisation de l’album. Cette fois ci, le deal était : « Comme tu le sens ! » Je sais que pour les premières pages, Myriam a gentiment repris les teintes générales que j’avais utilisées (pour ne pas y aller trop vite et ne pas me secouer) mais après elle a fait comme elle voulait. A peine quelques indications de temps, d’atmosphère ou d’ambiance, quelques discussions sur des choix de couleurs dominantes, c’est tout. Je le crie haut et fort : MYRIAM est un plus (Madame Plus, même. C’est le doux sobriquet que j’utilise pour la nommer par mail) Je suis sûr que l’album est plus joli avec ses couleurs que les miennes. Elle a utilisé, par exemple, un vert pour une scène qu’on lui avait juste décrite comme glauque. Glauque – vert, ça paraît évident, pourtant, ne sachant pas très bien manier les verts, je suis sûr que j’aurais choisi une autre couleur… Et que la scène serait moins forte.
Ca s’est très bien passé, quoi !

Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est parti pour une série. Quel sont vos projets pour les prochains épisodes ?


EFIX: La Bretagne et des histoires de marins pour le tome 2, quelques idées pour la suite, le tout entrecoupé de nouveaux éléments révélant l’histoire et la personnalité de chacun. Des personnages bien travaillés et riches même pour les seconds rôles. Quelques gags récurrents qui nous font rire. Des méchants dignes de ce nom. Et des histoires policières prétextes à d’autres émotions que la simple fierté d’avoir résolu l’enquête. Et puis, avec OLIVIER et CHRIC, on a vraiment envie de développer l’histoire personnelle de PABLO … À voir.
Tous les projets annexes à cette série sont les bienvenus, mais il faut trouver le temps de les faire. J’ai déjà quelque 400 de pages de BD à mon actif en presque 5 ans. C’est un bon rythme, mais c’est fatigant. Je ne sais pas si j’aurais l’énergie de continuer à ce train-là pendant 20 ans. Et puis, j’ai tellement d’autres envies à concrétiser …


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