Interview
EFIX
EFIX: Un jour, pour mes 4 ans, mon père m’a offert « L’AFFAIRE TOURNESOL ». Ce jour là, je ne me souviens même plus si je savais déjà lire mais ce qui est encore tout frais, c’est qu’à la dernière page de ce merveilleux livre, une idée lumineuse s’est imposée : je serai auteur de bandes dessinées ! Au moment du lycée, ça m’a procuré un super avantage sur mes potes. Je ne me suis jamais demandé ce que je voulais faire plus tard puisque je le savais. Malgré le chaos de ma scolarité, j’ai toujours vécu ça comme un drôle de don. Car si vraiment j’en avais un, c’est celui-là : le don de la conviction. La prétention suprême, quoi ! C’est marrant mais je ne pense pas être quelqu’un de très sûr de soi mais je dois reconnaître que dans ce domaine, ça a toujours été imaginé avec candeur : « – Caisseu tu veux faire plus tard ?- Ben, de la bande dessinée, pourquoi ? »
Cedric pour SCENEARIO.COM : Bref, c’était une évidence !?
EFIX: Une telle évidence que j’ai arrêté le lycée à 16 ans pour m’y consacrer. Et là, ma candeur en a pris un léger coup. Je suis né à Lille, dans le Nord, mais à 16 ans je vivais à Grenoble avec ma sœur et ma mère. Elles m’encourageaient avec quelques ami(e)s, donc je suis parti à Paris avec mes crayons et mon « bouc » sous le bras. J’ai débarqué chez la sœur d’un ami. Posé mon sac. Ouvert la fenêtre, avec vue sur le cimetière Montparnasse et…
Cedric pour SCENEARIO.COM: et … ?
EFIX: Comment dire ? … J’ai dû m’envoler par cette fenêtre ou en tomber, je ne sais plus, question de point de vue. Une chose est sûre : j’ai dévoré ma liberté. Livré à moi et à cette merveilleuse capitale de la France, je dois reconnaître que j’ai disjoncté. Trois ans plus tard, revenu à Grenoble, désintoxiqué de frais grâce au courage de ma pauvre mère et à l’alcool, inscrit dans une agence de travail temporaire, j’avais encore la tête qui tournait. Pourtant j’avais trouvé le temps de faire un stage de dessinateur-retoucheur avec l’ANPE et de faire quelques petits boulots d’illustration pendant ce long séjour à Paris.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Vous aviez donc commencé à travailler dans le dessin ?
EFIX: Oui. Mais j’ai surtout passé le plus « clair » de mon temps à rater mes rendez-vous avec les éditeurs, réveillé par les flics, en pleine nuit, au bout des terminus de RER, les yeux sans pupille et le teint lavabo. Bref ! Grenoble, 19 ans, 12 Kg, une hépatite C et un avenir tout tracé dans la restauration (à la plonge, hein, faut pas déconner. Au service, ça finissait toujours en engueulade avec les clients) ou à l’usine (isolation, montage de stand, destruction de matériel et conditionnement sous l’autorité d’un ignoble chéfaillon / magasinier tout content de trouver plus bas que lui !).
Cedric pour SCENEARIO.COM : Comment vous êtes vous sortis de cette situation plutôt déprimante ?
EFIX: Avec un de mes plus vieux potes, NAPO, on avait même pensé à la poste un moment. On commençait vraiment à se demander si on ne s’était pas assis sur nos rêves de mômes. Et puis j’ai revu un pote du bahut qui venait de se mettre à son compte comme graphiste. Il m’a proposé de bosser avec lui et de fil en meule de foin, je lui ai proposé de partir carrément dans la création d’une boîte avec mon ami NAPO pour la partie commerciale. Six mois plus tard, un emprunt bancaire en poche, on devenait associés à trois dans un petit studio de conception graphique (pour ne pas dire pub) : LOGOMOTIVE.
SCENEARIO.COM : De « looser » à patron : belle pirouette. Est-ce que cette société s’est révélée viable ?
EFIX: Oui, elle existe toujours d’ailleurs, avec NAPO à la barre. On a vécu comme ça pendant 6 ou 7 ans et puis le temps passant, je voyais la boîte s’installer, les employéEs et le chiffre d’affaire augmenter et mes rêves de bande dessinée s’évaporer. Je faisais énormément d’illustrations mais aussi beaucoup de mise en page, logos, etc.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Il n’était plus question de bandes dessinées ?
EFIX: À part un projet bâclé et refusé et un voyage désastreux à Angoulême, plus de BD.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Vous n’aviez plus ce rêve en tête ou vous n’aviez plus le temps ?
EFIX: Je ne chômais pas ! On avait ouvert un « département » cartoon et BD au sein de la boîte, sous la marque « EDGAR, LE COCHON EN SMOKING ». On faisait des illustrations, de la BD et des dessins animés pour la sécurité sur les sites EDF, entre autres. « EDGAR, LE COCHON », c’était un peu ma danseuse. Elle dépensait plus qu’elle ne rapportait dans un premier temps. Je négligeais les boulots plus traditionnels et me consacrais corps et âme à ma passion charcutière… et NAPO s’impatientait. Pour éviter la décomposition amicale, je suis parti de la boîte pour tenter de faire tout ça tout seul et le laisser recentrer l’activité sur ce qu’il aimait faire, lui. C’est-à-dire de la communication plus classique dans sa forme et n’utilisant pas systématiquement l’illustration BD. C’est en m’installant en tant qu’illustrateur que le virus est revenu.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Pourquoi ? Il avait disparu ?
EFIX: Non, pas complètement. Je restais un fidèle lecteur de la production des autres, mais je ne savais pas où trouver le temps et l’énergie de me consacrer à la mienne car je vivais assez bien de la confection d’affiches, de billboards météo et autres petits films d’animations tout en nourrissant un projet de film d’animation avec 2 potes : GRAAL.
Cedric pour SCENEARIO.COM : De quoi ça parlait ?
EFIX: C’était un délire cyber punk truffé de références avec les personnages en 2D dans des décors en 3D. Trois mois de boulot rien que sur le pilote d’une minute ! Et quelque mois d’espoir et de rendez-vous parisiens pour atterrir, nez explosé, dents éparses, sur le bureau de la directrice des programmes d’une grande chaîne française. Encore une histoire pleine de « décideurs », de « réal’ », de « coco » et d’esbroufe pour finir par comprendre qu’on nous aurait « gelé » notre projet pour pouvoir en développer un similaire. En gros c’est une pratique, paraît-il, courante. Pendant un an, on t’achète l’exclusivité de représentation de ton projet à bas prix. Comme ça, on te dit qu’il est dans de bonnes mains et qu’on s’en occupe et surtout tu ne vas pas le vendre ailleurs à une autre boîte de production qui accepterait de le développer. Au bout d’un an, on te donne quelques euros et tu récupères ton projet avec les remerciements et les excuses de la productrice qui n’a vraiment pas réussi à le vendre. Tu allumes ta télé et tu vois que la boîte de production qui vient de te rendre ton projet co-signe, avec la chaîne que tu espérais, un projet similaire au tien mais avec un grand nom à la barre. Tu recomptes tes trous du cul et tu vas te coucher.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Vous avez fini par vous relever, non ? C’est le genre d’expérience qui doit former le caractère ?
EFIX: … Mais dont on se passerait bien, franchement. Enfin voilà, quoi, j’apprends. Et avec le recul, je me dis qu’au moins c’était la preuve que notre projet était viable. Et surtout, ça m’a permis de me rendre compte que je ne pouvais compter que sur moi pour pas mal de trucs.
Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est comme ça que « MON AMIE LA POOF » a germé ?
EFIX: Quand j’ai commencé à réfléchir sérieusement à faire une BD, je crois que l’auto-édition est la première chose à laquelle j’ai pensé. Je me suis mis en tête de raconter une histoire du début à la fin, tout seul, comme un grand. Un truc énorme qu’on pourrait résumer en 2 mots, comme « L’AUTOROUTE DU SOLEIL » de BARU. Un livre plein de pages avec plein de textes et d’action, des milliers de personnages et des milliards de rebondissements qui récompenserait mes attentes de lecteur assidu et de cinéphile dilettante.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Comment avez-vous concilié cet ambitieux projet et votre travail de graphiste de pub, pardon … De conception graphique ?
EFIX: Vivant seul, à l’époque, et convaincu de faire de la solitude un atout (à condition qu’elle soit compensée par quelques ami(e)s fidèles), je me suis jeté dans ce projet pendant presque 2 ans. Je faisais des pages dans mes moments de libre (entre 2 travaux de conception « grafpub », donc). Quand j’ai vu combien de temps me prenaient les 100 premières pages, j’ai décidé de couper mon projet en 5 parties. « MOORAD » est sorti en décembre 99 au format comic, couverture souple à 35 vieux francs. Le deal, c’était qu’il fallait que j’en vende 500 sur les 1000 édités pour pouvoir faire la suite (« PABLO ») et ainsi de suite pour les cinq volumes de la série.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Comment envisagiez-vous « LA POOF » à cette époque ?
EFIX: J’avais essayé de regrouper, au moins dans sa forme, tout ce qui avait fait mon plaisir de lecteur-enfant : un petit bouquin en noir et blanc ( si j’avais eu les moyens, je me serais offert une deuxième couleur, le jaune pour parfaire le clin d’œil à la « série noire », comme dans « GOMINA. LE POINT DU JOUR » ) avec plein de pages, pas cher, style « CAPTAIN SWING » ou « BLEK LE ROCK », mais de meilleure qualité dans sa confection (reliure, impression, format, etc.…). Bien que m’attachant à une bonne grosse auto-censure auprès des petits, je dois avouer que la mythologie était complétée par le côté pour adultes de l’affaire. Cedric pour SCENEARIO.COM : Je crois savoir que le premier accueil a été plutôt positif ? EFIX: M6 et France 3, prévenus par une brève-copinage dans le journal de la ville de Gières (banlieue de Grenoble) m’ont contacté et là aussi, je sais pas… J’ai dû m’envoler par la fenêtre. Au sens propre, d’ailleurs, puisque après tous ces efforts, le lendemain de la sortie de « MOORAD », je m’envolais pour quelques semaines, direction le Niger et pour me reposer une bonne grosse fois, la tête dans le sable du désert. Bref, tout le monde a si bien joué le jeu, MOMIE FOLIE, une librairie à Grenoble, tout particulièrement, qu’à mon retour en janvier, les 500 étaient presque déjà vendus. Je sais, par rapport à certains succès d’édition, c’est ridicule mais ça m’a touché. Imaginer tous ces gens dans une seule pièce… Même pour les 30 ans de mon ex, en regroupant tous les potes de France et de l’étranger on arrivait péniblement à 350 ! C’était « singing in the rain » dans ma p’tite tête (pas la version Kubrick, hein ? La vraie, avec le monsieur tout mouillé qui rigole).
Cedric pour SCENEARIO.COM : Les 500 ex étant vendus…
EFIX: …Je m’attèle donc à « PABLO ».
Cedric pour SCENEARIO.COM : Dans quel état d’esprit étiez vous alors ?
EFIX: Pour toutes les raisons évoquées plus haut : excellent. Et surtout, c’est à ce moment-là que j’ai rencontré NATACHA. Pour bien comprendre, il faut savoir que j’ai réalisé que j’étais un garçon en découvrant la BD de WALTHERY et GOS, TILLIEUX, MITTEÏ, etc. J’ai carrément pris comme une faveur divine et personnelle le fait de découvrir le grand Amour dans les bras d’une danseuse du même prénom. Comme une sorte de boucle ! Klik ! Je quitte Saint-Hugues de Chartreuse (30 habitants / 5 l’hiver) pour Lyon. Et comme les bonheurs doivent toujours (en tout cas dans ma vie judéo-chrétienno-manichéenne) trouver de quoi s’équilibrer, mon père entre à l’hôpital pour un cancer du pancréas sans appel. Il mettra 9 mois pour mourir (quel symbole !).
De son côté, CHRIC, mon ami, mon frère, libraire de MOMIE FOLIE (eh, oui, tout se recoupe) tout en vivant une histoire merveilleuse avec une certaine KATE, trouvait le temps de me soutenir et de m’aider. En septembre de cette année là, j’apprends que mon père est définitivement condamné. Je vais à Grenoble voir quelques potes et ce qu’il me reste de famille. Comme souvent, je commence par Chric que je découvre tout pâle, mal rasé, assis sur les marches de sa boutique. Il me demande si ça me dit d’aller boire un coup. Une fois assis, on s’annonce mutuellement nos chagrins. Pour lui, c’est la découverte de la mort de KATE dans un accident de voiture, à son retour de vacances. C’est la première fois que je le vois vraiment anéanti. Il me dit : « Maintenant il y a des choses qu’on a vécu ensembles, avec KATE, si je les oublie … pffft ! Elles disparaîtront comme si elles n’avaient jamais existées. » Dans la voiture, au retour, je passe en revue tous les cadavres qui jonchent notre parcours à CHRIC et à moi. Les potes, son père à lui, tous mes grands-parents, etc. Et puis je repense à mon grand-père qui m’avait dit (Musique. CHOPIN, s’il vous plait !) que les gens meurent vraiment quand on les oublie. Alors je me dis que mon père ne va pas vraiment mourir puisque ses tares (gênes ?) continueront à vivre à travers ma sœur et moi. Et je cherche un moyen de proposer ce merveilleux concept à CHRIC en l’adaptant à ce qu’il vit.
Le soir, je lui téléphone donc pour lui proposer de faire une BD avec l’histoire de KATE. Le lendemain, je reçois des tonnes de fax avec cette fabuleuse histoire de lapin blanc. Je m’y mets dans la foulée et au bout de trois semaines de travail, jours et nuits, d’échanges de fax et de tonnes de tabac, à peine entrecoupés d’aller et retours à Paris, au chevet du paternel : « K » voit le jour.
Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est pour aller jusqu’au bout de la démarche que vous avez voulu publier cette histoire très personnelle. Comment a-t-elle atterri chez PETIT A PETIT ?
EFIX: ALFRED, auteur chez DELCOURT, entre autres, en contact avec PETIT A PETIT, ami de longue date de CHRIC et, bien sûr, très présent dans cette histoire a découvert « K » en passant par Grenoble. C’est comme ça qu’on s’est connu avec ALFRED, par CHRIC et autour de « K ». C’est pour ça que l’histoire lui est dédiée, c’est lui qui en a fait un livre en le proposant à CEDRIC, chez PETIT A PETIT. CEDRIC l’a fait lire à OLIVIER, le boss. Ils m’ont appelé le lendemain pour me dire qu’ils voulaient l’éditer tel quel, sans toucher la moindre virgule… Et mon père meurt avant sa sortie. Je te dis : un bonheur pour une merde ! L’équilibre parfait ! J’arrête là l’auto-apitoiement. Un dernier truc, comme on me pose souvent la question : si CHRIC a signé cet album FLIP, c’est en hommage à « LITTLE NEMO ». Quand il était enfant, c’était son personnage préféré. Je l’ai d’ailleurs reproduit à la fin de l’album, dans les crayonnés.
SCENEARIO.COM : Qu’en est-il alors de « LA POOF » que vous aviez mis de coté ?
EFIX: Après ça, PETIT A PETIT me demandant si j’avais d’autres projets à proposer, je leur ai parlé de ma poofinette. TREIZE ETRANGE, m’avait déjà proposé de reprendre le flambeau, les éditions des TRABOULES (à ? … Oui ! Lyon !) aussi. Mais l’auto-édition, malgré le délire financier et les difficultés de diffusion que ça représentait, m’avait offert un tel terrain de liberté d’expression que j’avais du mal à la lâcher. Comme OLIVIER PETIT me proposait une diffusion plus large, des avances de droits d’auteurs en achat de planches (pas assez, bien sûr, mais c’est toujours mieux que gratos !) et surtout, surtout, un article dans mon contrat protégeant complètement ma production et cette fameuse liberté d’expression. Comme il m’assurait aussi de pouvoir aller au bout du projet avec peut-être à la clé le bouquin dont je rêvais (sic. « L’AUTOROUTE DU SOLEIL »), je lui ai revendu le stock de « MOORAD » et on a signé pour la suite. Les seules concessions étaient sur le format et la jaquette, bien vendus par PETIT A PETIT comme étant moins cher d’un côté et plus vendeur de l’autre. Comme à chaque dédicace, les gens ne voyaient même pas mes petits livres tout noir au milieu des belles taches de couleurs grands formats des autres, je me suis dit qu’en effet, au moins, ils se verraient. La jaquette, c’est un truc qu’on peut retirer. Ça me fait toujours plaisir quand quelqu’un vient me voir en dédicace avec l’album sans la jaquette… C’est le livre sous sa vraie forme. Depuis, on en est au troisième retirage de « MOORAD » (à coups de 1000 en souple, 2000 en dur et 4000 sous sa forme finale, avé la jaquette), « PABLO » est presque épuisé et « MONIQUE » a paru en janvier 2003. En ce moment je bosse sur « EMILE » et « IVAN » qui doivent clôturer la série.
Cedric pour SCENEARIO.COM : « K, UNE JOLIE COMETE » semble plus discrète, voire effacée derrière « LA POOF » ?!
EFIX: Peut-être parce que CHRIC et moi on n’a pas voulu trop appuyer sur le côté commercial de l’affaire. C’est toujours bizarre de gagner de l’argent sur une histoire comme celle là. On avait clairement établi que comme elle était déjà réalisée, PETIT A PETIT ne nous verserait pas d’avances sur droits (plutôt un pourcentage sur les ventes) et qu’on voulait absolument éviter de tomber dans les « verres à dents K » ou les « slips Lapinoo ». PETIT A PETIT a si bien respecté ça que c’est vrai que tout ça est resté très confidentiel…
Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est une grosse déception ?
EFIX: Oui ! Enfin, ce qui compte c’est l’émotion partagée avec ceux qui l’ont lue (et aimée, bien sûr) et le bien qu’elle nous a fait à CHRIC et à moi. Bien sûr, on rêverait qu’elle produise le même effet à des milliards de gens, mais bon. Y’a qu’à dire que ça évite qu’on me demande de dessiner KATE à poil, comme ça m’est arrivé une fois. Et puis c’est peut-être le destin d’un livre comme celui là de rester confidentiel. Et, comme me dit souvent la très objective NATACHA : « C’est que le début. Un jour tout le monde parlera de KATE ! » J’adore cette fille.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Parlons un peu de « LIEUTENANT KATE ». « MON AMIE LA POOF » est une série très personnelle et pas forcément tout public. Il semble qu’avec KATE vous ayez la volonté d’élargir votre public…
EFIX: Elargir le cercle de mes amis, comme disait OSCAR WILDE de MAUPASSANT. Tu vois, c’est pas de ma faute. Dans ma tête, il n’y a que des trucs pas forcément « tout public ». C’est vrai qu’en réfléchissant au projet, avec CHRIC, on s’est souvent dit qu’on avait envie de raconter une histoire qui pourrait toucher tout le monde, mais je crois que c’est l’ambition (la vanité ?) de tous les gens qui racontent des histoires, non ? C’est déjà celle qu’on avait avec « K », en tout cas. Quand je suis sur « MON AMIE LA POOF » (warf ! warf ! gras), je me sens totalement libre, même de ne pas être compris sur le moment. Le récit est souvent compliqué (pas forcément intelligent, simplement… compliqué) et je demande au lecteur de faire gaffe à chaque détail pour pouvoir suivre. C’est un défaut au sens propre des techniques de narration mais comme PETIT A PETIT m’en laisse la possibilité, j’essaie de pousser le truc au bout de sa logique pour voir ce qui en ressort. Et quand quelqu’un vient me dire qu’il a compris un truc dans « MONIQUE » que j’avais amorcé dans « MOORAD », je suis tout content. Par définition ce genre de démarche réduit mon public potentiel puisque qu’elle lui demande de capter même certaines choses que je ne développe pas directement dans le bouquin.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Que recherchez-vous exactement par cette démarche ?
EFIX: Si je peux me permettre de jouer à MOEBIUS (dans la démarche, hein ? Pas dans le talent. Tout va bien, je n’ai pas disjoncté), pour tout dire, ce que je recherche m’a été inspiré par l’expérience des drogues en général et de l’acide en particulier. Passionné par le travail D’HUXLEY, LOWRY et tous les « chercheurs psychédéliques », mes expériences à moi, à part me faire découvrir les horreurs qui se cachent derrière les portes de la perception, m’ont fait vivre quelques trips mémorables. C’est un grand classique de l’amour et de l’amitié : se comprendre sans se parler. Poussé par l’acide, ça peut devenir carrément frissonnant… Arriver à la communion totale avec quelqu’un par d’autres supports que le langage, ça existe dans l’acte amoureux et c’est ce que je voudrais retrouver avec « LA POOF ». Je me lâche sur des explications fumeuses et super intello-psychédéliques parce qu’on discute, mais au départ ce que je voulais surtout faire, c’est un gros délire de bagarre.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Vous vous en êtes éloigné rapidement ?
EFIX: Ce que je viens de te dire s’est révélé par la suite. C’était sûrement déjà là au départ, mais inconsciemment, alors. En tout cas, il est clair que ce que je veux faire avec « LA POOF » n’a rien à voir avec « LIEUTENANT KATE ».
Cedric pour SCENEARIO.COM : C’est-à-dire ?
EFIX: Conscient de tout ça, CHRIC a une obsession, surtout quand il travaille avec moi : être lisible. Pendant toute la réalisation de « LIEUTENANT KATE », au-delà du plaisir de raconter, le maître mot était : compréhensible ! Et cette démarche, par définition, devrait, en effet, élargir notre public. Maintenant, pardon d’être égoïste mais pour nous, il y avait surtout le plaisir de re-travailler ensemble sur un projet qui ressemblerait aux BD qu’on a aimées quand on était mômes… Et qu’on aime encore. On pensait à GIL JOURDAN pour le mélange polar et humour et à la production des excellents CONRAD et YANN qui ont marié le dessin franco-belge avec des histoires et un ton plus adulte.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Cette série est marquée par la réutilisation graphique du personnage de K. Pouvez-vous nous en parler ?
EFIX: J’ai déjà tout dit. Non content d’avoir offert un sursis à KATE, on lui propose carrément une vie. Celle à laquelle elle n’a pas eu droit. On est entre nous, tu peux nous appeler Dieu, si tu veux. Cette réutilisation n’est pas que graphique d’ailleurs. Ce lieutenant de police asiatique, à part professionnellement, ressemble en tous points à l’original. Un peu comme si « K » était le dernier volume de la série « LIEUTENANT KATE ».
Cedric pour SCENEARIO.COM : Votre relation avec CHRIC, le scénariste semble importante ?
EFIX: Très. On est complètement différents. Physiquement, c’est un grand brun à lunettes, tout en pointes et je suis un petit blond (roux ? Marron ?) avec le nez en l’air. Il vient du milieu prolo, alors que mon arrière-grand-mère était comtesse (juste le titre, malheureusement pas le pognon qui va avec). Il s’est élevé dans les pouvoirs de « STRANGE » pendant que je dévorais « SPIROU » et « TINTIN ». Mais c’est là que les différences s’arrêtent. Parce qu’en parallèle de tout ça, on aimait déjà les mêmes choses. « BIDOUILLE ET VIOLETTE » nous ont émus, « MARTIN MILAN » et son pote Jérôme, bouleversé. Nous sommes tintinophiles tous les deux, et nous avons des centaines d’autres références communes dans la bande dessinée. C’est encore la BD et sa boutique qui nous ont fait nous rencontrer. J’ai passé des centaines d’heures chez Momie Folie. Alors, c’est vrai … Pendant que je me défonçait le courgeon, il tapait sur mes alter ego dans les boums. Et même si je crois qu’on aurait difficilement pu se fréquenter à l’adolescence, on était déjà en train de se forger des expériences communes. CHRIC a perdu son père très tôt, ce qui fait de lui un être délicieusement pessimiste. Je l’ai encore eu hier au téléphone et on se disait, à l’énumération de nos galères quotidiennes, qu’on bénissait l’Improbable, là-haut, de nous avoir donné le rire. En gros, chacun de notre côté et de manière différente, la vie nous a vite montré qu’il ne fallait pas trop se faire d’illusions mais qu’on pouvait à peu près tout vivre, même le plus sombre, en rigolant. C’est simpliste mais je crois que ça définit un bon gros nombre d’amitiés.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Cet état d’esprit se retrouve dans cette histoire plutôt sordide racontée dans un cocon d’humour désenchanté. Déjà dans « LA POOF », vous mélangez allègrement le sordide et le potache. Est-ce une marque de fabrique ?
EFIX: « C’est une chanson qui nous ressemble » chantait MONTAND avec les mots de PREVERT.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Comment en êtes-vous arrivé à raconter des histoires de flics ?
EFIX: Quand on part sur un travail à deux, on parle ensemble des sujets qui nous préoccupent, de ce qu’on aime et déteste, etc. Là, c’était déjà, en partie, nourri par notre amitié, mais on l’a précisé vraiment. Pour « LIEUTENANT KATE », c’est par DENIS, un vieux client de MOMIE FOLIE que c’est venu. Denis est flic. Il a souvent à braver pas mal de vannes, vu ses amis. Dans le cadre d’un grand effort national d’ouverture d’esprit et en se penchant avec lui et quelques-uns de ses collègues sur leur quotidien, on s’est vite aperçu qu’une fois de plus derrière les reproches, souvent justifiés, qu’on peut leur faire, il y a bien évidemment une bande d’humains (des individus, comme ils disent) avec tout ce qui fait le reste de l’humanité : des pourris, des m’as-tu-vu, des marrants, des émouvants, des impliqués et qui s’en foutent, des gentils et des méchants, des femmes et des hommes … Bref, à force de nourrir certaines de nos discussions, quand il s’est agi de trouver un boulot à notre héroïne, ça a pas fait un pli.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Votre histoire lorgne (encore ?) du côté du Polar. Est ce un domaine de prédilection ?
EFIX: Je crois que mes plus grandes émotions littéraires et cinématographiques sont liées à des polars. J’adore qu’on m’embarque dans une histoire noire et inquiétante, qu’on me laisse la possibilité de me l’approprier et qu’elle me guide soit vers la bonne résolution, soit vers d’autres pistes toutes aussi intéressantes pour peu qu’elles soulignent le côté joyeusement désespérant de la vie. Les polars que j’aime sont toujours le prétexte très codé à d’autres histoires toujours humaines, souvent ténébreuses, et parfois lumineuses. Dans le genre, les méconnu-culte-chiant-pour-certains « IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE », « MEMENTO », « MILLER’S CROSSING » et « FIGHT CLUB » se posent là. Pour répondre vraiment à la question : oui, c’est mon domaine de prédilection mais je compte bien sur d’autres rencontres, projets et, pourquoi pas, albums pour aller naviguer dans d’autres eaux.
Cedric pour SCENEARIO.COM : CHRIC, MOMIE FOLIE et vous-mêmes étiez sur Grenoble. Quitte à choisir un lieu précis, pourquoi Lyon et pas Grenoble ?
EFIX: Le début de nos cogitations coïncidait avec mon installation à Lyon, ça m’a permis de m’acclimater rapidement. Tu parles, pour une fois que je pouvais visiter une ville et un commissariat du bon côté, j’allais pas me gratter ! On a donc passé pas mal de temps avec CHRIC, à sillonner Lyon et à discuter avec les flics. Et c’est comme ça que POP et ROB sont nés.
Cedric pour SCENEARIO.COM : Pouvez-vous nous présenter les trois personnages principaux ?
EFIX: KATE est une jeune femme asiatique de 25 ans. Elle est lieutenant de Police, tout pitite et toute jolie. Elle traverse la vie comme son modèle : en riant. Parfois pour masquer une émotion mais le plus souvent, juste pour le plaisir. Elle vit seule dans un duplex à la croix rousse. C’est l’élément positif du groupe. Apparemment marquée par son enfance coréenne, mouvementée, elle plaisante toujours tendrement. Elle sait détendre l’atmosphère quand Pop perd son sang froid. POP, diminutif de POPEYE (DOYLE – « FRENCH CONNECTION ») a la quarantaine. Lui aussi est lieutenant de Police. C’est une montagne rousse un peu trop portée sur l’usage de la force. Sa mauvaise humeur est proportionnelle à l’attachement qu’il a à ROB et l’affection qu’il a pour KATE. C’est l’élément brutal du groupe. On doit pouvoir expliquer cette brutalité par une jeunesse dans la légion un peu trouble, mais elle s’efface complètement en présence de PABLO, son fils adoptif, qu’il élève avec la mère de ce dernier, tous deux d’origine africaine. ROB, c’est le diminutif de ROBERT (il paraît que les noms de famille sous forme de prénoms sous-entendent qu’un des membre de l’arbre généalogique est un enfant trouvé et qu’on lui a donné le prénom de celui qui l’a trouvé. Je ne sais pas si c’est vrai mais ça lui va bien et en plus, c’est mon nom de famille !). Il a la quarantaine plus et il est capitaine de Police. De taille moyenne, pâle, clope au bec et vêtu de noir, il dirige les deux autres avec sang froid et ouverture d’esprit … Il a peut-être un léger manque au niveau du sens de l’humour, mais c’est le gars droit et fiable. C’est l’élément réfléchi du groupe. Mélomane et solitaire, ROB est le personnage autour duquel on aimerait faire le plus de mystère. Il vit apparemment seul avec un chat, entouré de photos d’une femme aux cheveux longs … On n’en sait pas plus. Let’s imagine the reste !
Cedric pour SCENEARIO.COM : Y a t-il un personnage pour lequel vous avez une affection particulière ?
EFIX: Dans « LIEUTENANT KATE » ou dans le reste ? Si c’est dans ma production en général, c’est pour le cochon syndicaliste de « EX-ROBIN DES BOIS», dans le recueil de « TELEPHONE » (chez PETIT A PETIT, toujours). Le cochon est un être rose avec une queue en tire-bouchon, ce qui le rend agressif. Il nous ressemble en beaucoup de points et j’adore le dessiner. Au moment des recherches, j’essaie de trouver des personnages que je vais avoir du plaisir à dessiner et je crois que pour l’instant, ça va. J’aime dessiner tous mes personnages sans préférence (nationale). Les cochons, c’est à part. EDGAR, c’est mon copain secret, comme HARVEY le lapin dans ce vieux film avec James Stewart…
Cedric pour SCENEARIO.COM : Ce qui explique les clins d’œil porcins. Et dans « LIEUTENANT KATE »? Il semble que POP, par sa personnalité, soit plutôt mis en valeur, non ?
EFIX: Oui. Comme on démarre une série de one-shot, chaque album est pour nous l’occasion de développer, en parallèle de l’intrigue, la personnalité de chacun. « LES AMIS DE JOSY » fait la part belle à POP, qui est un personnage à la LINO VENTURA dont nous sommes fans, mais on donne aussi quelques indications sur l’histoire personnelle des autres pour expliquer leurs réactions face aux événements. CHRIC et moi, nous avons une tendresse particulière pour PABLO, le fils adoptif de POP. Il a le prénom d’un des fils de CHRIC et on avait vraiment envie de développer son histoire familiale et ses questions d’enfant face au travail de son beau-père. Pour raconter tout ce qu’on aimerait, il faudrait des albums de 12 000 pages à chaque fois, alors on est obligé de faire des choix. Dans cet album, c’est POP et sa famille, mais on sait déjà que dans le suivant, l’accent sera mis plutôt sur l’histoire personnelle de KATE.
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