Interview
Entretien avec Crisse, pour Anya 1, aux Éditions de la Gouttière
Comment s’est passée cette rencontre avec La Gouttière ?
Tout d’abord, c’est Dav, le dessinateur de « Sous les arbres », qui m’en avait parlé à la sortie de son premier volume et je trouvais ça vraiment très beau, il ne m’en disait que du bien. Dès que j’ai pu rencontrer Pascal Meriaux, on a sympathisé et je lui ai proposé une première idée.
L’idée du conte russe était déjà là, à la base ?
Oui, j’adore cet univers depuis plus de quarante ans. J’avais déjà fait une tentative, il y a quelques années, avec un petit album de contes russes, « Les Compagnons de la taïga », qui n’a pas eu de suite, mais ça restait là, comme un sorte d’obsession…
C’est un univers vers lequel vous aimez revenir ?
Oui. Quand je pense Noël, je pense à des images comme ça.
La neige, le côté très « onctueux » de ces univers…
Pour moi, si on pense à la Basilique à Moscou, par exemple, on a l’impression que c’est un gros gâteau de Noël.
Votre style colle bien avec ce type d’univers, le trait rond, souple et très expressif. Quand je lisais Anya, je pensais en effet à des contes de Noël, mais un peu en marge. Vous aviez déjà réfléchi à une série, à ce moment-là, ou c’était juste pour un album ?
Au départ, j’étais parti sur une histoire bien plus longue, plus « tarabiscotée ». Mais à La Gouttière, ils m’ont fait recommencer quatre fois le scénario, ils ont une idée bien précise de ce qu’ils veulent au catalogue. J’arrivais avec mes gros sabots Franco-belge disneyens des années 80, mais chaque fois les arguments étaient bons et constructifs. J’ai beaucoup appris de ces échanges, en fait.
C’était malgré tout très pertinent !
Oui, absolument, ils avaient raison sur tout. Sur la fin, je me suis un peu obstiné à vouloir faire malgré tout mon album de cette manière, mais depuis que je l’ai dans les mains, je me dis qu’ils avaient bien raison.
Il fonctionne très bien. Mais on sent qu’il y a des éléments qui pointent sur autre chose, comme la relation avec les autres enfants, même la rencontre avec Dame Petrovna, on voit bien que ça peut amener sur d’autres pistes, sans jamais parasiter le récit principal avec Anya, son souhait etc. Ça fait très album introductif au reste.
Exactement, c’est ce que j’ai dit à La Gouttière. Je présente les personnages qui vont à peu près tous revenir dans d’autres albums, même les petits garçons qui ne sont pas gentils.
Vous avez quoi comme rythme de parution sur cette série ?
La Gouttière m’a indiqué qu’il n’y aurait qu’un album par an. Je voulais en faire davantage, mais ils m’ont répondu que commercialement ça n’était pas une bonne idée. Je me suis alors dit qu’un petit conte de Noël tous les ans c’était finalement cool, et l’idée leur a plu aussi. Banco, il sortira pour Noël !
Vous aimez bien ces univers jeunesse ?
Oui, je crois qu’aussi loin que je puisse me souvenir c’est ce que je voulais faire, mais que je n’ai jamais vraiment pu parce que je voulais faire plaisir aux éditeurs et aussi que dans mon crayon il y a une façon de représenter les femmes qui est super séduisant et ça a pris le dessus sur tout le reste. J’ai toujours fait des albums plus ou moins à la demande. Mais là, je suis papy… Je me suis dit que quand mes petits-enfants viendront me voir dessiner, je n’ai pas envie qu’ils me voient faire des engins spatiaux, des machins comme ça, j’ai envie qu’ils me voient travailler sur un prochain album qu’ils pourront apprécier. Ils regarderont mes anciens travaux plus tard, quand ils seront plus grands.
C’est la grosse qualité de votre dessin, il peut se coller à des univers à la fois adultes et à la fois pour les plus jeunes. Vous avez un dessin très expressif.
Mais c’est vrai qu’avoir des enfants ou des petits enfants ça change tout dans la vision qu’on peut avoir de son travail.
Oui, quand j’ai eu cette opportunité, je n’ai pas hésité, même si recommencer quatre fois un scénario ça ne m’est jamais arrivé, même simplement recommencer un scénario (rire)
Justement, est ce que vous avez trouvé plus compliqué de faire un scénario pour les plus petits que pour les adultes ?
Ça n’est pas plus compliqué, mais effectivement ça n’est pas le même travail. Maintenant, j’ai bien compris ce qu’ils attendent, avec raison. Quand j’écris habituellement une histoire, qu’elle soit pour adulte ou pour enfant, ça ne change rien, c’est la façon de la dessiner qui va le déterminer. Là, il me semblait que j’étais assez sûr de moi de ce côté-là. Je me suis dit « c’est une histoire comme j’ai l’habitude de le faire et comme je veux la dessiner « très mignon », pour enfant, ça va passer… » et en fait, non.
C’est peut-être ça qui est intéressant, le fait de vous avoir demandé de retoucher le scénario x fois, ça a permis d’affiner les éléments, de moins entrer dans quelque chose de plus complexe. Parce que finalement, l’idée de ce premier volume d’Anya, elle est assez simple.
Toutefois, par exemple quand Dame Petrovna explique au grand-père qu’elle ne peut pas lui acheter ses jouets, on sent qu’il y a un fond un peu plus « social », plus profond sur le cadre. Même si on n’est pas dans un récit dramatique, il ne s’agit pas juste de la petite fille qui trouve des plumes… C’est important pour vous ce cadre, ce fond ?
C’est important, bien sûr, et pour le coup, c’était dans le récit dès le début. Et c’est ce qui leur a plu d’entrée de jeu, ce cadre, la précarité, comment on s’en sort… La leçon que j’en ai retenu, c’est que lorsqu’on raconte une histoire aux enfants, il faut qu’il y ai un gain pour eux, qu’ils aient appris quelque chose, humainement.
C’est un peu le fonctionnement des contes, il y a des cadres de vie, mais il y a aussi une morale. Parce que la petite Anya, même si ça n’est toujours drôle à la maison, qu’ils n’ont pas toujours de quoi manger, elle ne veut que le bonheur de son grand-père, elle ne rêve pas de grandes richesses.
Oui, Chaque fois que je ramenais ces éléments, à La Gouttière, ils craquaient, ils me disaient, oui, ça c’est bien. On était branché sur la même longueur d’onde.
Vous avez déjà commencé à travailler sur la suite ?
Non, je vais profiter qu’on se voit tous à St Malo, pour voir tout ça avec eux.
Au départ, il faut savoir que cet album c’était une anecdote incluse dans le fil rouge d’une grande histoire. Mais maintenant que j’ai appris pas mal de petites choses, je me demande si, finalement, cette grande histoire est vraiment nécessaire ou si je ne devrais pas plutôt jouer avec toute cette famille de personnages que j’ai introduits pour, du coup, raconter un tout autre récit.
Ça vous a donné envie de développer un autre album derrière ?
Oui, je tiens à mon petit Anya, tous les ans et s’ils me font le plaisir de continuer ça sera avec grand plaisir. Surtout que bon, je ne suis plus trop jeune et si ça se trouve, au rythme d’un par an, il n’y en aura peut-être pas beaucoup plus que 10 (rire)
Vous développez d’autres projets en ce moment ?
Je continue le scénario d’Atalante pour Manu Grey, on a un album qui va sortir chez Soleil, avec Christian Paty, une histoire assez jeunesse qui se passe en Australie, avec une famille de chien. Sinon, je veux de plus en plus me concentrer sur moi. Là je suis en train de faire une histoire en couleur directe, pour Soleil, avec des chats, c’est plutôt un conte philosophique.
Mais si je pouvais ne faire qu’Anya, ça serait pas plus mal. Mon souhait secret serait qu’ils me disent, un jour « finalement on passerait bien à deux… »
On sent quand même qu’il y a quelque chose de très attachant dans ce petit volume, ne serait-ce que la dédicace que vous faites, au début, à vos petits-enfants. On sent qu’il y a un lien intime avec cette histoire.
Il y a eu beaucoup d’amour dans cet album. L’éditeur m’a suivi pas à pas, planche après planche, ça a été un vrai bonheur. Mais il faut aussi mettre en avant les couleurs de Fred Besson qui a fait un boulot exceptionnel. Quand on a présenté le projet à La Gouttière, on avait fait trois petites illustrations, un peu comme les couvertures. Dès la première, je lui ai dit qu’il m’avait surpris, alors que ça fait 20 ans qu’on travaille ensemble. Du coup, je lui ai dit qu’on allait être co-auteur sur ce projet. En tant que coloriste, il a une part auteur sur le contrat, c’est pour ça qu’il est sur la couverture. Il a donné une vraie identité visuelle à cet album.
Toutes les petites frises qu’il y a autour de la couverture sont inspirées d’un illustrateur russe des années 1900, Ivan Bilibine, qui m’a marqué il y a plus de 40 ans. Si je fais aujourd’hui de la BD, c’est en partie à cause de lui. Tous ces contes pour enfant que me lisaient mes grands-parents, avec ses illustrations qu’il ornait chaque fois de frises.
Ça renforce vraiment l’aspect folklorique. C’est vraiment un bel album.
J’ai récemment fait mon premier festival avec l’album en avant-première, aux Sables-d’Olonne, et ça a été unanime au sujet des couleurs.
Merci beaucoup Crisse.