Interview
Entretien avec Edmond Tourriol
Sceneario.com : Bonjour Edmond. Est sorti quelques jours avant la Coupe du Monde de football 2010 en Afrique du Sud, une œuvre dont tu es l’un des scenaristes : Banc de Touche. Pourquoi avoir choisi de parler du banc de Touche ? Pourquoi avoir choisi Raymond D. comme principal personnage ? En fait, es-tu un fan de foot ?
Edmond Tourriol : Pourquoi le banc de touche ? Eh bien, au départ, on voulait plancher sur une série TV ou une web série dans le genre de Caméra Café. Sauf qu’au lieu de filmer la pause café, on se serait attardés sur le banc de touche d’une petite équipe de foot. On avait commencé à réfléchir à pas mal de gags lorsque j’en ai parlé à Christophe Lemaire, des éditions Kantik. Je ne sais même plus pourquoi on discutait de foot mais ça s’est vraiment fait par hasard.
Chris m’a dit « j’adore l’idée, tu veux pas me faire ça en BD » ? Pas besoin de me le dire deux fois. On a tombé des scripts démo rapidos et on lui a montré.
Pourquoi Raymond Domenech comme protagoniste de nos gags ? Oh, c’est très simple. Le vrai Raymond est très drôle. Je trouve qu’il a beaucoup d’humour et j’aime bien sa façon de se foutre de la gueule du monde. En fait, je l’ai longtemps défendu, jusqu’à ce qu’il aligne des équipes portnawak contre l’Uruguay et le Mexique. Et donc, malgré ses choix discutables, ça restait quand même le chef désigné de notre équipe de France. Et c’est aussi l’un des Français les plus connus du moment. Et un des plus polémiques. J’aime ça.
Si je suis un fan de foot ? Haha ! Bien sûr. Je suis tombé dedans avec France-Brésil de 1986, lors de la Coupe du Monde au Mexique. J’avais déjà vu quelques matches mais je m’y intéressais moins. Je me souviens des tirs au buts de Séville en 82 ou de la finale du Heysel (et de m’être dit que finalement, si Bordeaux avait battu la Juve en demi, c’est peut-être des gens qu’on connaissait qui seraient morts dans les tribunes). Je me souviens surtout du Bordeaux de Claude Bez. De Philippe Fargeon sorti de nulle part. Du doublé 86/87 des Girondins. De la longue traversée du désert de l’équipe de France après la retraite de Platini. Les jeunes d’aujourd’hui ne se rendent pas compte, ils sont blasés. Moi, entre l’âge de douze ans et l’âge de 24 ans, j’ai pu me brosser pour voire la France en phase finale de Coupe du Monde. C’est pour ça que je l’aime quand même, Raymond. On dirai ce qu’on voudra mais il les a bien emmenés en Allemagne et en Afrique du Sud, les Bleus. Houllier ne peut pas en dire autant, alors qu’il avait aussi une équipe de vedettes. Rater la qualif quand on a Ginola, Cantona et Papin dans la sélection, faut le faire.
Sceneario.com : Comment t’es venu l’envie de faire une série de gag sur le football ?
Edmond Tourriol : L’envie d’écrire des gags sur le foot m’est venue parce que j’aime essayer des choses nouvelles. Écrire un gag à chute en une planche, c’est un défi que je voulais relever. Et pour ça, je cherchais un sujet que je connaissais bien. Un environnement familier sur lequel je pourrais m’appuyer pour raconter des blagues. Comme j’aime bien le football en tant que spectateur, je me suis dit qu’en tant que scénariste, ça pourrait me plaire aussi.
Sceneario.com : Est il facile de « créer » des gags ? comment les conçoit tu ?
Edmond Tourriol : Créer des gags, c’est une tournure d’esprit. En gros, je notes tous les sujets qui me semblent utilisables et après, je cherche une chute rigolote et inattendue qui y correspond. Quand je tiens ma chute, je construis le gag à l’envers. Je me demande ce qui peut mener à cette fin et je remonte les cases jusqu’au début. Ensuite, j’essaie de rajouter autant de détails que possible pour faire sourire le lecteur. Il faut que l’écart entre la case de chute et la case précédente soit considérable. C’est en tombant dans le fossé qui sépare ces deux cases que le lecteur rigole.
Quand je tiens mon gag, je le fais lire à Daniel Fernandes, mon co-scénariste sur la série Banc de Touche dont il est également le co-créateur. Si ça le fait rire, on le garde et on l’envoie à l’éditeur.
Une fois la planche validée, on l’envoie à notre dessinateur espagnol : Albert Carreres Guardia. Il est vraiment très doué pour la caricature. On reconnaît bien les personnages qu’il met en scène. Et surtout, il est très rapide. C’est utile quand on doit tomber un gag par jour pour le journal l’Équipe !
Sceneario.com : Peux tu nous présenter ton dessinateur ? Il est assez doué pour la caricature d’ailleurs, nous reconnaissons bien les personnages. D’ailleurs, comment l’as-tu rencontrer ?
Edmond Tourriol : C’est son agent Eduardo Allpuente qui nous l’a présenté. Je connais Eduardo depuis quelques années. On se croise tous les ans à Angoulême. C’est la première fois qu’une collaboration entre un artiste de son équipe et un scénariste de l’équipe MAKMA aboutit à une publication. C’est une belle opportunité d’avoir pu travailler avec Albert.
Albert, j’avais lu une série qu’il dessinait dans la collection Shogun des Humanos. Ça s’appelait Hand 7 et ça racontait l’histoire d’un jeune gars qui jouait au hand-ball, sur de bons scripts de Sébastien Célimon. Albert est abonné aux séries sportives, faut croire, même si son style sur Hand 7 était beaucoup plus « manga », comme l’imposait la collection.
Notre coloriste aussi est espagnol : Javi Chaler. C’est la dernière recrue du studio MAKMA et je peux vous dire que je suis très fier de le compter parmi nous. Son travail est splendide, contrasté comme il faut. Il sait rajouter des détails quand il faut, il a un très bon sens de la lumière et surtout, il est rapide, comme Albert. Il travaille sur une autre série en même temps que Banc de Touche. Une série à paraître chez Kantik également.
Sceneario.com : De quoi t’es tu inspiré au fait pour ces gags ? Tu n’as pas été sur le banc de touche avec l’équipe de France ? Non ?
Edmond Tourriol : L’inspiration des gags de Banc de Touche, c’est l’actualité, tout simplement. L’actualité, le comique de situation. Je me dis « et si… » et mon esprit divague jusqu’à ce qu’il trouve une aspérité sur laquelle construire une blague.
Sceneario.com : Au fait, que t’as inspiré la prestation de l’équipe de France dans cette Coupe du monde ? Verras t’on cela dans Banc de touche tome 2 ?
Edmond Tourriol : Dans cette Coupe du Monde 2010, l’équipe de France m’a inspiré beaucoup de regrets. La qualif, c’était déjà énorme, mais ça aurait été mieux de sortir des poules ,quand même. Surtout avec le tirage qu’on avait. Sérieux, la Côte d’Ivoire peut sortir la tête haute du tournoi : ils étaient dans le groupe du Brésil et du Portugal. Nous, on n’était pas dans le groupe de la mort. On était dans le groupe de la vie ! Uruguay, Portugal, Afrique du Sud. Merde, tu pouvais faire jouer ma grand-mère dans l’équipe, elle aurait marqué des buts.
Donc je suis déçu et triste parce que cette équipe, elle avait du talent. Elle aurait mérité mieux et elle n’est pas sortie du tournoi pour les bonnes raisons. Un mec comme Anelka n’aurait jamais dû jouer au-delà de la mi-temps de France-Uruguay. Et Ribéry aurait dû se faire remonter les bretelles au même moment. Mais bon, ils lui avaient enlevé toute autorité à notre pauvre Raymond. La FFF s’est tiré une balle dans le pied en désignant son successeur avant la fin de la saison. Et en plus, ces salauds, ils ont bousillé la fin de championnat des Girondins, avec leurs conneries.
Toutes ces péripéties se retrouveront dans le tome 2, bien sûr. On peut déjà les lire dans le journal l’Équipe, tous les jours jusqu’au 12 juillet 2010 ! Le deuxième tome paraîtra en septembre. Il rassemblera la trentaine de planches pré-publiées et une grosse quinzaine de gags inédits.
Sceneario.com : Es tu pour l’Olympique de Marseille ou Girondins de Bordeaux ?
Edmond Tourriol : Si je suis pour l’OM ou pour les Girondins ? Haha. Non, même les années où on ne gagne rien, je reste supporteur des Girondins. Faut pas déconner, non plus. Marseille, ça me fait plaisir quand ils font un truc en Coupe d’Europe mais sur le territoire nationale, je n’ai qu’un club, c’est Bordeaux. Enfin, j’avoue que je suis allé me taper quelques matches de Libourne à l’époque où ils étaient en Ligue 2. Mais c’est fini, tout ça…
Sceneario.com : As-tu commencé à travailler sur le personnage de Laurent Blanc ? As-tu son mail pour qu’il te donne le nom des futurs joueurs de l’équipe de France ?
Edmond Tourriol : Laurent Blanc ? Il est déjà dans les gags qu’on passe dans l’Équipe, oui. C’est un peu le stagiaire de Raymond. Il lui explique tous ses trucs, il lui montre sa méthode. J’imagine que Lolo prend des notes dans une rubrique « à ne pas reproduire ». Si j’ai son adresse perso ? Bien sûr. Il vient souvent chez moi pour discuter de la future compo de l’équipe de France. A priori, il va prendre Trémoulinas à la place d’Evra, contre la Norvège. Et dans quelques mois, il va demander au Brésilien Wendel de se naturaliser français pour jouer sur la gauche, collectif, lui.
Sceneario.com : Tu as aussi écrit Zeitnot pour les >Humanoïdes Associes. Verra t’on un tome 2 un jour ?
Edmond Tourriol : Un tome 2 de Zeitnot ? J’aimerais bien. Il y a déjà une quarantaine de pages qui sont dessinées. Les Humanos ont toujours de gros problèmes d’argent, à ma connaissance. Je ne sais pas s’ils ont les moyens de financer la suite. En tout cas, j’ai le contrat pour le tome 2 mais ils m’ont dit de laisser tout ça en stand by. D’un autre côté, j’ai eu des propositions ailleurs pour reprendre la série. Ça va peut-être se faire. Je ne sais pas. Il faut vraiment qu’on en parle avec les Humanos.
Sceneario.com : Tu es aussi traducteur. Tu bosses d’ailleurs sur Wallking Dead, la serie phare de Robert Kirkman dont une adaptation TV est en cours. Comment travailles tu dessus ? Feras tu la traduction aussi de la série TV ?
Edmond Tourriol : Comment je travaille comme traducteur ? Eh bien, je lis les épisodes que je dois traduire, d’abord. Histoire de bien comprendre l’histoire et de comprendre où l’auteur veut en venir. Pour bien appréhender la façon de parler des personnages, aussi. Chacun doit avoir sa propre voix, ses propres tics de langage ou expressions favorites. Si l’auteur a fait un bon travail de caractérisation, je dois le restituer dans la VF. Je ne peux pas me permettre de rendre un travail qui sent le sandwich au fromage.
Walking Dead, c’est ma série comics préférée. Je la lis depuis la parution du premier numéro aux États-Unis et je suis très fier d’avoir la charge de son adaptation pour la VF qui sort chez Delcourt. Je m’éclate comme un petit fou à faire parler Rick et ses acolytes. J’aimerais bien qu’on me demande mon avis sur la VF de la série TV mais comme on habite pas au pays des rêves, je vais pas retenir mon souffle, tu vois ?
Sceneario.com : Tu diriges aussi Makma. Peux tu nous parler de cette société ?
Edmond Tourriol : MAKMA, c’est un studio de BD virtuel. Studio de BD, dans le sens où on rassemble une équipe qui sait faire tout ce qu’il faut pour créer une bande dessinée : scénario, story-board, crayonné, encrage, colorisation, lettrage et traduction de comics. Virtuel, parce que nous n’avons pas de murs : on se rencontre chez les uns et les autres, dans des bars, on bosse par téléphone et via internet. Le studio existe depuis une petite dizaine d’années. On a un chiffre d’affaire en perpétuelle augmentation et nous garantissons à nos membres le paiement de leur travail. Et pour ceux qui connaissent le milieu de la BD, c’est une putain de garantie, crois-moi.
Sceneario.com : Quels sont tes futurs projets ?
Edmond Tourriol : Mes futurs projets, je suis dedans jusqu’au cou. Le passage de la série Urban Rivals du webcomic vers l’album cartonné couleur. Le lancement de ma série Morsures. Tous deux chez Kantik, un super éditeur vraiment à l’écoute. Et d’autres trucs plus lointains, dont on reparlera peut-être en 2011.
Sceneario.com : Quel a été ton dernier coup de cœur du coté de la bande dessinée ?
Edmond Tourriol : Mon dernier coup de cœur en BD ? Les deux tomes de l’Affaire des Affaires, qui adaptent en bande dessinée le travail d’investigation d’une de mes idoles : Denis Robert.
Sceneario.com : Quel a été ton dernier coup de cœur au cinéma ?
Edmond Tourriol : Au cinéma ? J’ai plus trop le temps d’y aller. Pour te dire, je ne sais même plus quel est le dernier film que j’ai vu. Si, Iron Man 2. Après, il y a beaucoup de films que je découvre à la télé ou en DVD. Là, mon coup de cœur, c’est n’importe quel film avec Will Ferrel dedans. J’adore ce type. Lui aussi, c’est une de mes idoles, tiens.
Sceneario.com : Au football ?
Edmond Tourriol : Au foot ? Mmh… difficile à dire. Malgré le résultat final forcément décevant, la saison des Girondins de Bordeaux m’a quand même bien fait rêver. Surtout les matches de Ligue des Champions avec les victoires contre le Bayern et la Juve. Vivement qu’on remette ça.
Sceneario.com : En littérature ?
Edmond Tourriol : En littérature ? Eh bien, c’est la découvert du site Utopod qui met à disposition gratuitement des nouvelles de science-fiction téléchargeables en podcast. Je les écoute quand j’ai des trajets en voiture de plus d’un quart d’heure. C’est terrible et je le recommande à tous les amateurs de ce qu’on appelle les littératures de l’imaginaire.
Sceneario.com : En musique ?
Edmond Tourriol : En musique ? Je ne colle pas trop aux nouveautés. Je suis resté scotché sur le dernier Black Eyed Peas qui contient des tubes extraordinaires comme Meet Me Halfway, Rock tha Body ou Alive. L’album « The Remix Suites » de Michael et des Jackson 5 chez Motown. Le Tik Tok de Ke$ha…
Sceneario.com : Merci encore pour ce temps passé avec nous et à bientôt .
Edmond Tourriol : Merci de m’avoir permis de raconter ma vie !
Quelques liens autour de Banc de Touche et Edmond Tourriol :
http://bancdetouche.wordpress.com/