Interview
Entretien avec Ian Culbard
Sceneario.com : Bonjour Ian, Les éditions Akileos viennent de publier la traduction de votre dernier album, Les Montagnes Hallucinées d’après H.P. Lovecraft, pourquoi ce choix d’un auteur à la lecture parfois un peu difficile?
Ian CULBARD : De mon point de vue, tout a commencé par l’opportunité de pouvoir dessiner l’indicible. J’ai toujours été un fan de Lovecraft, depuis que, petit garçon, je suis tombé sur son travail pour la première fois, à travers un jeu de rôle, L’appel de Cthulhu. J’aime aussi beaucoup l’histoire de The Endurance, le récit de l’expédition maudite d’Ernest Shackleton dans l’Antarctique. Ainsi, l’idée de dessiner une expédition dans l’Antarctique avait pour moi beaucoup d’attrait.
Sceneario.com : Comment vous êtes vous approprié la nouvelle de Lovecraft?
Ian CULBARD : Pendant que je dessinais Sherlock Holmes : Le Signe des Quatre, j’écoutais des enregistrements des Montagnes Hallucinées. Lorsque je me suis mis à écrire mon adaptation pour de bon, j’avais l’histoire bien en tête. La première ébauche était saturée de tout ce que je voulais mettre dans le livre, et même plus. Je l’ai imprimée comme un manuscrit, et je l’ai reprise au stylo rouge. Il faut souvent plusieurs versions – pour les Montagnes Hallucinées, j’ai produit environ quatre versions avant de pouvoir commencer à dessiner, bien sûr, le dessin est la version finale de l’œuvre.
Sceneario.com : Est-ce une nouvelle qui se prête facilement à l’adaptation BD?
Ian CULBARD : C’était un vrai challenge. Il n’y a pas vraiment de dialogues dans l’œuvre originale. Il y a le récit, mais je ne voulais pas simplement copier/coller le récit dans des phylactères. Ainsi, j’ai créé une grande partie du dialogue en utilisant le récit comme point de départ. J’ai décidé de qui dirait quoi surtout en écoutant les enregistrements. Par exemple, Lovecraft écrit :
« La température en baisse me gênait considérablement après notre long passage dans les tropiques, mais j’essayais de garder courage pour le pire, encore à venir. »
Tout cela est du récit, c’est la voix de William Dyer. Mon traitement de cet élément dans le script a été l’opportunité de présenter au lecteur les rôles secondaires, ici Lake et Pabodie :
(Lake est agréablement surpris de voir Dyer sur pied lorsqu’il monte sur le pont)
5 PABODIE: Courage. Il y a pire à venir.
1 LEGENDE: Le professeur Lake, du département de biologie
2 LAKE: Content de vous revoir sur pied William.
3 DYER: D’abord les tropiques, et maintenant ce froid glacial.
4 LEGENDE: Le professeur Pabodie du département d’ingénierie
“Courage” est une des premières voix que j’ai entendues lorsque je réfléchissais à la façon dont j’allais utiliser le récit comme dialogue. C’était Pabodie : le pragmatiste, l’inventeur. Il avait tout préparé pour le voyage vers le sud. Il avait fabriqué les foreuses, préparé le carburant, il avait tout prévu. C’était un homme bien préparé. Ainsi, c’est tout naturellement que cette remarque lui a été attribuée, de cette façon, on apprend quelque chose sur Pabodie, c’était un bon moyen d’introduire le personnage.
Sceneario.com : Il est une question qui se pose toujours pour les adaptations de Lovecraft : comment représenter l’indicible?
Ian CULBARD : Avec les Montagnes Hallucinées, j’ai eu de la chance car l’indicible est assez bien décrit dans cette œuvre.
Sceneario.com : Comment s’est opéré votre choix graphique? Comment en êtes vous venu au style ligne claire?
Ian CULBARD : Je voulais que le livre ressemble à ça, avec la ligne claire et les aplats de couleur, car cela reflétait mieux la période. De plus, on ne peut pas ouvrir un volume de Tintin, tourner une page et y trouver un cadavre écorché, de la même façon, l’œuvre originale peut être lue comme le carnet de voyage d’un explorateur de l’Antarctique, qui devient soudainement quelque chose de très différent.
Sceneario.com : Les auteurs que vous adaptez, Wilde, Lovecraft ou Conan Doyle, ont pour point commun d’être contemporains de la fin du XIXème siècle, mais quelle attraction exercent-ils sur vous?
Ian CULBARD : J’ai lu un gros volume contenant des histoires de Sherlock Holmes, dans une édition aux caractères minuscules, sur la route alors que, jeune garçon, je voyageais vers la Pologne. Avant cela, je ne connaissais Sherlock Holmes que par de vieux films comme ceux avec Basil Rathbone. La vraie écriture de Doyle a été une révélation pour moi. La première histoire que j’ai lue était Une Etude en Rouge, elle m’a époustouflé. A la fin de cet été là, j’avais tout lu. John Dickson Carr, dans son introduction au Gouffre Maracot, parle de l’écriture de Doyle : « Ce qui fait en grande partie le génie de cet auteur, c’est sa capacité à raconter une histoire de façon tellement persuasive qu’elle semble être un récit historique ». C’est en quelques mots pourquoi j’ADORE le travail de Doyle. Ce n’est guère étonnant que des gens aient écrit à Sherlock Holmes au 221b Baker Street, en pensant qu’il était réel. De même avec Lovecraft, ce n’est guère étonnant que les gens pensent que le Necronomicon est réel. C’est cette construction du mythe qui m’attire.
Sceneario.com : Est-ce que l’on verra la traduction d’autres de vos albums en Français et notamment votre dernière adaptation de Conan Doyle?
Ian CULBARD : Les quatre romans graphiques adaptés de Conan Doyle sont publiés chez Akiléos. Et avec un peu de chance, il y en a d’autres à venir.
Sceneario.com : Avez-vous un attachement particulier pour la France qui vous fait aimer les clips de Dyonisos ou qui vous pousse à participer à un hommage à Serge Gainsbourg?
Ian CULBARD : Je suis à moitié anglais, et à moitié polonais. J’ai passé une bonne partie de mon enfance à voyager à travers l’Europe de l’ouest. Je parle les deux langues, et dans les deux on trouve beaucoup de mots empruntés au français. J’aime beaucoup la France. J’ai travaillé en Ardèche quand j’avais 19 ans, à construire une maison. L’endroit, les gens, la nourriture et le vin étaient fantastiques. Ce sont de très bons souvenirs.
Sceneario.com : Quels sont les auteurs de bande dessinée Franco-belges avec lesquels vous vous sentiriez le plus d’affinités?
Ian CULBARD : Je lis Hergé depuis que je suis petit garçon, ainsi que Lucky Luke. L’artiste qui a eu un effet assez fort sur mon imagination, alors que j’étais un jeune garçon facilement impressionnable, est certainement Mézières. J’ai lu L’Ambassadeur des Ombres en 1984 (j’avais alors 12 ans), et j’adore le travail de Jean Claude Mézières depuis cette époque. Malheureusement, seulement quatre volumes de cette série furent publiés à l’époque. Je cachais Bienvenue sur Alflolol dans mon livre de science, et je le lisais en classe. Je veillais tard la nuit pour étudier ses pages. J’étais assez obsédé par cet ouvrage. Résultat : je ne suis pas très bon en science.
Sceneario.com : Merci beaucoup Ian de nous avoir consacré un peu de votre temps.
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