Interview

Entretien avec Pascal Bresson

Sceneario.com : Bonjour Pascal. Ton actualité prochaine est la sortie de Plus fort que la haine, un récit dont le dessinateur est René Follet. Peux tu nous parler de la genèse de ce récit ? De comment est né ce projet ?

Pascal Bresson : C’est une histoire qui se déroule dans les années 1930 à la Nouvelle-Orléans, avec pour cadre la ségrégation raciale. On va suivre une famille d’anciens esclaves ou le plus jeune garçon témoin d’injustices va se rebeller et vouloir entrer dans un gang anti-blancs pour se venger des attaques du Klu Klux Klan et casser du « blanc »… Mais très vite en rencontrant un sage, il va découvrir qu’en montant sur un ring de boxe et devenir boxeur, il va non seulement casser du blanc, mais gagner de l’argent et surtout être l’idole des noirs et des blancs. C’est une réflexion sur l’époque et sur la vie. Une histoire de vengeance ou l’intelligence et l’humanité prennent le dessus. J’avais cette histoire en moi depuis de nombreuses années… Seul René Follet pour moi pouvait la dessiner. Un milieu sauvage, violent, une faune assez glauque, entre boxe et jazz, René Follet a su encore une fois donner le meilleur de lui-même. Plus il avance dans l’âge meilleur il est ! C’est fou, il va de progression en progression, du grand art. Un maitre d’œuvre pour chaque case…

Sceneario.com : Comment sont nés les personnages de cette histoire ? Comment choisis tu ces personnages ?

Pascal Bresson : De part de mes nombreuses lectures sur le sujet. J’ai lu beaucoup de livres, documents traitant de cette triste période. Des titres comme : « Les Noirs Américains », « América, América », « Black Boy », « Ségrégation Raciale », etc… Autant de sujets intéressants avec de vrais témoignages. Lorsque l’on traite un sujet si important il vaut mieux se plonger pendant quelques années à lire et à écrire sur tout ce qui concerne ces histoires d’esclaves. Les personnages sont fictives, mais appuyés toutefois sur des faits réels…

Sceneario.com : Qu’est ce que ce sujet représente pour toi ?

Pascal Bresson : La persécution d’un peuple. Une période que l’on connait finalement peu. La Nouvelle-Orléans était un état ou le groupe du Klu Klux Klan sévissait terriblement. Il semait la peur et la désolation. La peur était sur chaque visage de la population noire. Il n’y avait pas de justice. La justice était uniquement pour les blancs. Ils avaient vie ou mort sur les noirs. Je leur rend justice, puis c’est un sujet dur, difficile à traiter car il faut être aussi objectif, essayer de ne pas tomber dans le pathétique, être juste dans ses propos et ses dialogues… Ce ne fut pas simple à traiter. Beaucoup d’émotions au final.

Sceneario.com : Comment choisis tu tes sujets ?

Pascal Bresson : En fonction de mes humeurs, de mes états d’âmes, de mes soucis, de mes angoisses, de ce que je vis… Des injustices que l’on peut voir chez les autres, des injustices que l’on peut vivre aussi, je suis devenu un peu rebelle contre la vie et l’injustice… D’ailleurs, je n’aime pas l’injustice sous toutes ses formes.

Sceneario.com : Tu avais déjà travaillé avec René Follet. Tu te relances dans ce projet en sa compagnie. Qu’est pour toi cet artiste ? Pourquoi l’avoir choisi ? Qu’est ce qui te plait dans son travail ?

Pascal Bresson : René Follet est avant tout un vrai illustrateur, un vrai dessinateur, une personne vraie. Je le connais depuis l’âge de 15 ans. J’ai une relation avec lui père et fils. Il m’a beaucoup aidé, soutenu dans des moments très difficiles dans ma vie. Je lui suis très reconnaissant. C’est aussi mon « papa de métier ». Je suis tombé admiratif devant son travail dès l’âge de 14 ans. Jamais un jour je me serais dit que je puisse travailler avec lui. Il est très modeste donc très difficile de lui faire des « fleurs ». Mais je l’aime beaucoup même si parfois il n’est pas tendre dans son boulot. Il est très difficile avec lui même, donc difficile aussi avec ses collaborateurs, donc très difficile avec moi. Mais c’est normal, car un « Maître » comme lui ne peut pas laisser passer les choses, les détails. René est très pointu. Il ne faut pas avoir peur de recommencer plusieurs fois le synopsis ainsi que le découpage. Mais encore une fois, il n’est pas tendre non plu avec lui même… C’est un vrai qui ne triche pas, et qui a la beauté du travail bien fait. Tout me plaît dans son travail. De ses magnifiques crayonnés que l’on peut même imprimer de suite tant ils sont justes et parfaits, que par ses beaux lavis… C’est un grand, voire le plus grand de notre métier. Tous les dessinateurs sont unanimes. Mais, ça René, il ne veut surtout pas l’entendre. C’est un grand modeste…

Sceneario.com : Quel genre d’homme et d’artiste est René Follet ?

Pascal Bresson : C’est déjà un grand de part son talent mais surtout par son humanité. Il prend toujours des nouvelles de vous, vous écrivant, s’inquiétant sur votre état de santé. Un homme simple, n’hésitant pas à vous soutenir et vous aider. J’ai vécu de difficiles moments ces dernières années. Dieu sait que je connais du monde dans ce métier. Il a été le seul avec Mohamed Aouamri à être présent près de moi. Je lui rend grâce ainsi qu’à sa charmante épouse Françoise. René Follet n’a pas la reconnaissance qu’il mérite, mais au moins il est reconnu par tous les gens de ce métier. Il est d’une grande modestie, d’une grande rigueur de travail, il ne se lance pas dans un projet sans l’avoir analyser avec minutie. C’est un très grand professionnel qui maîtrise parfaitement sa technique. C’est plus un illustrateur qu’un dessinateur de BD. Je le compare souvent à Paul Cuvelier. Il suffit d’ailleurs de voir dans ces cases de véritables petits tableaux. René je l’aime beaucoup…

Sceneario.com : Quel est ton rapport avec René Follet ? Comment travailles tu avec lui ?

Pascal Bresson : Travailler avec René ce n’est pas forcément de tout repos. Comme je le disais il est très dur avec lui-même donc très dur avec ses propres collaborateurs. Il a sa vision des choses, pas forcément celle de ses collaborateurs. J’écris un synopsis de l’histoire, avec les personnalités de chaque personnages. Il lit, analyse et me dit ce qu’il en pense. Je prends note de ses remarques, et corrige donc. Ensuite, j’écris le découpage page par page de chaque planche. Dialogues, ambiances, situations, etc… J’envoie également tout ce qui concerne la documentation. Là aussi, il y a des changements, car il a une autre vision des choses ! Il me faut donc remanier quand je peux, car parfois, je ne suis pas d’accord avec ses remarques. C’est un travail d ‘équipe, donc on en discute. Côté dessin, il m’envoie tous les crayonnés de chaque page. Des crayonnés justes, efficaces, expressifs, toujours précis… Puis après validation, il les met au lavis ou à la couleur directe. Quand on voit le résultat, on est raide d’admiration. C’est un grand professionnel qui ne laisse rien au hasard, tout est pensé, calculé, précis.

Sceneario.com : Qu’est ce que pour toi un scénariste de bandes dessinées ? Qu’est ce que ton métier représente pour toi ?

Pascal Bresson : Au départ, je suis illustrateur de livres enfants et dessinateur de BD. J’ai réalisé à ce jour plus de 40 ouvrages. Ayant eu de graves soucis de santé j’ai dû mettre de côté le dessin de BD de côté, une maîtrise qui demande beaucoup d’énergie et de patience. Je me fatigue vite, donc, je privilégie davantage l’illustration pour enfants et scénarii de BD. On ne s’improvise pas scénariste du jour au lendemain. Le fait d’être dessinateur m’a beaucoup aidé. Déjà, je vois les images, le découpage cases par cases défiler. C’est un métier. Nous manquons de bons scénaristes, alors que nous avons un beau vivier de dessinateurs. C’est triste d’ailleurs de voir que le métier de scénariste est galvaudé ! On voit apparaître des personnes, sous prétexte qu’ils ont du temps, les amis, de ou les petites amies de… écrire des scénarii. C’est un métier ! Un moyen de communication extrêmement pointu. On ne s’improvise pas scénariste du jour au lendemain, il faut avoir une certaine expérience du milieu… Puis j’aime raconter des histoires car je les vois. A mes débuts, c’était impossible, je n’arrivais pas à mettre sur papier mes idées, il m’a fallu de nombreuses années pour les écrire. Comprendre le fonctionnement, les codes, etc…. C’est un métier peu reconnu comme les coloristes auprès des éditeurs, c’est bien dommage, car encore une fois, réaliser une BD c’est une équipe. Une équipe soudée, scénariste, dessinateur et coloriste…

Sceneario.com : Que penses tu de l’ambiance actuelle qui règne dans le monde du neuvième art ?

Pascal Bresson : Je trouve que ce milieu a bien changé. Moins de solidarité. Chacun dans son coin et chacun pour soi. On est loin des bonnes années ou l’on pouvait côtoyer des Tibet, Franquin, Tillieux, etc… Des auteurs vrais. Des auteurs qui avaient des choses à dire. Tous ces grands qui ne se prenaient pas la tête. Notre métier est précaire, et d’ailleurs si ça continue ainsi le métier va disparaître au fur et à mesure. Ce qui m’étonne c’est que nous sommes peu à vivre de ce beau métier malgré de nouveaux auteurs arrivés en masse et le nombre incroyable de titres à parution ! Nous avons un statut absolument pas reconnu. Nous ne sommes plus certain de notre avenir. On termine un album et on se demande quoi faire après ! Si par malchance on sort du cercle de la BD, nous sommes oubliés, et quel parcours pour y revenir ! Un vrai parcours de combattant. J’ai l’impression de recommencer toujours au zéro. C’est un métier injuste. D’un côté il y a les grands auteurs très occupés a leurs séries et absolument pas concernés par ce qui se passe autour d’eux, et de l’autre côté les moyens et petits qui essayent de se battre pour survivre. Nous n’avons plus des auteurs comme Tibet qui était à chaque fois prêt à défendre les auteurs de ce métier. Il nous manque. On nous laisse plus le temps de nous exprimer, de nous laisser le temps d’installer une série, il faut être au top dès le premier album ! Je trouve aussi dommage que la jeune génération qui débute ne connaisse pas nos anciens, du moins ceux qui ont fait ce métier avant nous. Il y a un manque de culture de notre métier. C’est la société qui veut ça évidemment. Le métier change, les auteurs changent et les éditeurs aussi…

Sceneario.com : Ne trouves tu pas qu’il y a « surconsommation » à ce sujet là ?

Pascal Bresson : Beaucoup trop ! Trop d’albums ! Trop d’auteurs… Pas assez de place pour tout le monde ! Plus la crise, plus les différents problèmes éditoriaux, le marché des ventes n’est plus comme à une époque ! Un auteur qui vendait à 80 000 ex, se voit d’un coup de moitié, et ainsi de suite ! Il va y avoir d’ici peu une sélection naturelle ce qui va laisser un certain nombre d’auteurs sur le carreaux et là, il n’y aura plus de place pour tout le monde ! D’ailleurs, certains éditeurs comment à nous dire : »vous les auteurs, il vous faudra trouver un second métier pour vivre » c’est dire ! Il va falloir se battre c’est tout. Tenir bon et y croire…

Sceneario.com : Comment vois tu l’avenir de la bande dessinée ?

Pascal Bresson : Pas très rassurant. Lors de mes nombreux déplacements en festivals, je croise bon nombre d’amis auteurs. La plupart terminent leur album et ne savent pas quoi faire après, car ils n’arrivent plus à placer leurs projets car les éditeurs sont de plus en plus frileux. Ça fait peur !

Sceneario.com : As-tu d’autres projets à venir ? De nouvelles séries en vues ? Et tes séries en cours ?

Pascal Bresson : Je termine l’album « Plus fort que la Haine » avec René Follet pour les Editions Glénat. Je suis -en attente de signature pour un roman graphique « Entr ‘acte » pour les Editions Casterman, un roman graphique que je réalise avec mes amis Erwan Le Saec (auteur Delcourt) et Bruno Putzulu (célèbre acteur, deux césars à son actif)… ça va parler de cinéma, les coulisses et surtout que fait un acteur lorsqu’il ne tourne pas ! Riche en anecdotes… Puis après d’autres projets à creuser…

Sceneario.com : Merci, Pascal, pour ce temps passé avec nous.

Pascal Bresson : C’est à toi moi de vous remercier, car sans vous, sans la presse, sans les lecteurs, sans les festivals, nous se serions pas grand chose. Merci à tous. Et une pensée pour mes chers confrères, pour nous et notre avenir, il va falloir se battre pour vivre et pour rester dans le milieu… Bon courage.

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