Interview
Etienne Schréder, pour Amères Saisons
Sceneario.com : Bonjour. Quel rapport aviez-vous avec le dessin et la bande dessinée avant les événements que relate la BD Amères Saisons pour qu’à votre "sortie du tunnel" ce soit vers le 9ème art que vous vous soyez tourné ? Etienne Schréder : J’avais des facilités pour le dessin, mais sans talent exceptionnel ni réelle envie de développer cette aisance. Hormis quelques croquis humoristiques ( !) pour des publications de collège ou de boy-scouts, je ne dessinais guère. Par contre, jusqu’à l’âge de 23 ans j’ai été un grand lecteur de magazines BD : Tintin, Pilote, Charlie Mensuel, Phénix, Echo des Savanes… J’ai détruit toute cette collection dans un accès de boisson. Déjà l’équation « destruction – résurrection » ? Quoiqu’il en soit, une fois sorti de tunnel, je fus confronté à beaucoup de temps libre et fort peu d’argent. Suivre un cours du soir de bande dessinée m’apparut comme un hobby satisfaisant et peu onéreux. Sceneario.com : Ce projet est-il récent ou bien aviez-vous déjà décidé il y a longtemps d’en parler un jour au moyen d’une autobiographie ? Etienne Schréder : Au terme de ma première année de cours du soir, et donc, de ma première année d’abstinence, je devinais que j’allais un jour raconter cette histoire. Mais sous quelle forme ? Avec quelle approche ? Il m’aura fallu quinze années de pratique pour me convaincre que l’autobiographie dessinée était la seule voie possible. Sceneario.com : Amères Saisons est une bande dessinée en noir et blanc, mais… n’avez-vous jamais été tenté d’utiliser l’agressivité de la couleur rouge pour traduire cet alcoolisme qui vous a miné ? Etienne Schréder : J’ai été tenté par toutes les formes possibles. La conjonction rouge et noir participait d’une symbolique alchimique qui n’était pas pour me déplaire. D’autant plus que, vers les années 1995, je collaborais avec Yslaire sur Sambre 3, dont le principe de couleurs était radicalement neuf à l’époque. Mais c’est le noir et blanc qui l’a emporté. C’était d’ailleurs la couleur de mes souvenirs de boisson. Je ne sais toujours pas si l’adjonction de gris dans Amères Saisons était nécessaire Sceneario.com : Vous aviez déjà abordé le sujet de l’alcoolisme dans une autre réalisation (La couronne en papier doré), alors pourquoi avoir voulu revenir de la sorte sur ce thème après d’autres publications ? Considérez-vous Amères Saisons comme une sorte d’auto-thérapie ? Etienne Schréder : Dans mon esprit, La couronne en papier doré constituait le premier volet d’une trilogie alchimique dont le vrai sujet était la consommation d’alcool. Le feu liquide qui détruit tout sur son passage pour finalement donner naissance à « autre chose ». Les aléas de l’édition et l’évolution de Casterman en ont décidé autrement. La couronne en papier doré est restée cet album orphelin auquel je tiens beaucoup. Mais c’est tant mieux. Si j’avais mené à bien mon projet de trilogie, sans doute n’aurais-je jamais osé aborder de front la question la question de l’alcoolisme, sans métaphore, sans fiction, sans symbolique réservée aux initiés. Et si cette dernière démarche était thérapeutique, j’en attends encore les effets ! Sceneario.com : Croyez-vous aux pouvoirs des drogues sur l’imagination et la création ? Etienne Schréder : Non. Sceneario.com : Ni votre femme ni vos enfants n’apparaissent dans Amères Saisons alors que cette œuvre leur est dédiée. Pourquoi le choix de cette absence ? Etienne Schréder : J’ai aussi consacré beaucoup de temps à réfléchir sur l’autobiographie en tant que telle, sur la pertinence et les limites de ce genre de récit. Outre les questions liées à la sincérité et au souvenir, le piège le plus fréquent est celui de la biographie de l’entourage. En effet, beaucoup d’auteurs se contentent de raconter leurs rencontres. Ils se dissimulent en dressant ainsi le portrait des personnages qui ont traversé leur existence. Cela reste des histoires vécues, mais ce n’est plus l’histoire de l’auteur. De plus, impliquer ses proches dans un récit de vie est une démarche à laquelle je me suis refusé. Mes enfants sont les victimes innocentes de toute cette affaire. S’ils veulent rétablir leur vérité, cela leur appartient. J’ai donc sciemment choisi de raconter les quatre ou cinq années de boisson durant lesquelles j’étais vraiment tout seul. Leur dédier Amères Saisons relève plus d’un héritage à leur léguer. Sceneario.com : Avez-vous aujourd’hui une profession à côté de votre activité d’auteur de bandes dessinées ? Etienne Schréder : Non. La bande dessinée m’aide à vivre, même si elle ne me fait pas vivre. Je pratique également d’autres formes de narration dessinée : pour des story-board, des jeux vidéo… Sceneario.com : Votre bande dessinée Amères Saisons est parue dans la collection Ecritures, une collection prestigieuse des éditions Casterman rassemblant des œuvres d’auteurs de grand talent. Lorsque vous avez présenté cette BD à l’éditeur, avez-vous dû adapter certaines choses suite à des discussions ou a-t-il respecté totalement votre manière de vous raconter ? Etienne Schréder : L’éditeur m’a laissé entière liberté et m’a aidé de ses conseils. Benoît Peeters, d’abord ; Nadia Gibert, ensuite. Seules les premières pages ont fait l’objet de discussions : je peinais à trouver le « ton » juste. Le regard d’un éditeur attentif est précieux en ces moments. Pour le reste, c’est le récit qui a pris les commandes. Sceneario.com : Vous écrivez qu’un livre n’est pas un égout. Certainement donc avez-vous vous-même choisi de taire certaines choses ? Etienne Schréder : Là, je vous renvoie à la réponse relative à mes enfants. Mes silences correspondent à l’inexprimable, à ce qui aujourd’hui encore est douloureux. Ce n’est en aucun cas la marque d’une autocensure. Sceneario.com : Avez-vous des nouvelles de Goupil ? Etienne Schréder : Je l’ai revu quelques années après l’époque d’Amères Saisons. Il chantait toujours, mais il ne buvait plus. Je m’attends à avoir de ses nouvelles un jour et j’espère qu’il va bien. Sceneario.com : A côté de la BD, quelles sont vos autres passions ? Etienne Schréder : En ce qui me concerne, je n’utilise jamais le mot « passion », trop galvaudé, trop dangereux. Je ne sais que trop bien où peut mener une passion véritable. A part cela, j’aime le Blues. Ce n’est pas original. Sceneario.com : Quels sont les autres thèmes que vous aimeriez aborder en BD, et quels sont vos projets BD en cours ? Etienne Schréder : Il y a des idées, il y a des projets. Mais en parler maintenant est un peu prématuré. Sceneario.com : Merci, et… à plus tard, alors ! |