Interview

H. Tonton

Sceneario.com : Bonjour. Pourrais-tu te présenter un peu pour ceux qui ne te connaissent pas ?

H. Tonton : Question très ouverte ! Par quel bout commencer… ? Les pieds ? Du 39 ! La tête ? Pleine d’images et d’histoires ! Les mains ? 5 doigts pour chacune d’elles avec un crayon mine 0.5 dans celle de droite ! Et tout ça sous le nom de Yannick Hatton ! Aucune formation artistique, complètement autodidacte. J’ai bien sûr effectué quelques études pompeuses n’ayant rien à voir avec la passion qui m’habite aujourd’hui. Côté dessin, de nombreux projets ont été réalisés avant Armandis ; tous en solo et tous refusés ! J’ai toutefois connu deux expériences dans deux maisons d’édition ( Delcourt et Soleil ), mais sans suite…

Sceneario.com : Ton trait évolue au fur et à mesure des tomes : est-ce une volonté ou bien le temps qui permet d’affiner les choses ?

H. Tonton : Les deux. Beaucoup d’auteurs pourront dire que l’évolution graphique est asymptotique. Il est normal que le graphisme évolue de manière sensible sur les premiers albums ( il n’y a qu’à voir les premiers pas de tous les auteurs de référence.) Au fil de l’histoire, je corrige mes erreurs (parfois très grossières ) tant sur le plan du graphisme que du scénario. Je passe aussi plus de temps car je suis de plus en plus exigent sur mes mises en scène ; un découpage bien construit et des cases bien pensées apportent plus d’inspiration dans le trait et dans le dessin. Dans tous les cas, il est primordial d’évoluer d’un tome à l’autre ; sans cette sensation, l’envie s’effrite… et sans l’envie, il n’y a plus de dessin.

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Sceneario.com : Quelle(s) technique(s) utilises-tu ?

H. Tonton : Les crayonnés se font sur des feuilles A4 que j’assemble sur un A3 lors de l’encrage grâce à une table lumineuse. L’encrage est l’étape la moins excitante dans l’élaboration des cases car il n’apporte rien de plus au dessin, si ce n’est de figer le crayonné plus nuancé avec les différents tons de gris.

Etudiant, je fréquentais un petit magasin d’art, rue de la Grand Rue à Poitiers. J’en suis ressorti avec quelques flacons d’encre couleur comme Fluidine et Colorex pour effectuer mes premiers essais couleurs. Le résultat me plut. Depuis je n’en démords pas, je reste sur ma « bonne vieille méthode » du pinceau. Je n’ai jamais tenter aucune autre technique manuelle, comme avec des acryliques. La mise en couleurs de Armandis est basée sur la technique des bleus ( ou des gris ), mais je compte passer à du direct pour une prochaine série. Je me suis aperçu que la réalisation de contraste est plus appréciable en couleurs directe qu’en passant par des bleus. Ce changement de technique altèrera mon encrage, mais me donnera plus de possibilité sur les effets de texture des zones à coloriser.

A suivre…

Sceneario.com : Pourquoi ce choix de "tout à la main" ?

H. Tonton : Cela n’a pas vraiment été un choix à l’époque où l’outil « ordinateur » n’existait pas. Il y avait l’aérographe, mais cela représentait un coût et son utilisation me paraissait laborieuse avec ces buses et ces godets à nettoyer sans cesse. Et puis je n’étais pas sûr d’arriver à un résultat satisfaisant. Le pinceau aussi vieux que le temps s’est donc très vite imposé à moi. Mes premiers essais avec les encres me satisfaisaient et c’est tout naturellement que j’ai adopté cet outil séculaire. Aujourd’hui je prends de plus en plus de plaisir à l’étape de la colorisation via le pinceau ; bien entendu il est difficile de rendre certains effets que l’ordinateur réalise d’un simple clic, mais je trouve que la couleur y est plus authentique, tellement plus naturelle et plus vivante. Et puis le pinceau recèle de petits secrets que je n’ai pas encore découverts !

Le « tout à la main » est en quelque sorte un « à la manière de » tous ces anciens qui, petit, m’ont fait rêver, comme Franquin, Seron, Greg, Uderzo et… et… et…

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Sceneario.com : Quels sont les avantages/inconvénients à ton avis de tout faire tout seul ?

H. Tonton : Le travail en solo laisse une grande liberté dans les choix narratifs, la mise en scène et il apporte donc une plus grande souplesse dans la procédure. Il m’arrive parfois d’effectuer des remaniements de dernière minute ( lors du crayonné ) comme de changer l’ordre de deux ou trois séquences, de faire évoluer une planche ou d’introduire un personnage non prévu. Et cela sans que je n’ai de compte à rendre à qui que ce soit. D’un autre côté, le poids du travail est décuplé et il faut prendre garde à ne pas se disperser. Je me pose de plus en plus la question du bon choix dans la mise en scène et ce au moment même du crayonné. Ces interrogations peuvent affecter le dessin. Je me poserais beaucoup moins de questions si je devais travailler avec un scénariste ; ses choix narratifs seraient certainement les bons et je n’aurais qu’à penser qu’au graphisme. Moins éparpillé, je me concentrerais davantage au dessin. Pour ce qui est de la couleur, j’imagine mal une colorisation numérique. Je prends de plus en plus de plaisir à finaliser mes cases au pinceau ; cette étape est comme une récréation. Bien sûr, la réalisation du bouquin demande plus de temps. Pour le tome 3 de Armandis, il a fallu 4 à 5 mois de colorisation ; un studio aurait certainement mis moins de temps et aurait fait la couleur en même temps que le dessin.

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Sceneario.com : Comptes-tu travailler pour une autre série avec un scénariste ou un dessinateur ?

H. Tonton : Sur une autre série : OUI ! En collaboration : j’espère ! Pour l’expérience et tout les avantages qu’un travail à deux peut apporter…

Sceneario.com : Le tome 3 semble comme une parenthèse, il marque une légère pause dans la progression de l’histoire, pourquoi ? Es-tu influencé par l’actualité, par exemple l’intégrisme religieux dont on parle beaucoup dans les médias, et que tu décries un peu dans ce tome 3 ?

H. Tonton : Les mangsous sont l’une des trois races pensantes évoluant sur Armandis ; plus nombreux que les fröles et les humains, ils occupent le plus grand territoire de la planète, à savoir le continent sauvage de Yangmor. Il était normal que l’histoire s’y attarde un peu, le temps que notre Mihoshi retrouve un peu son souffle dans une sorte de havre de paix, le Creuset. C’était aussi l’occasion pour moi de décrire un cadre idyllique basé sur la vie communautaire. Et comme tout n’est pas rose, le fanatisme est venu se mêler de tout ça. Avant d’aborder ce tome, je savais que la religion aurait sa place mais pas de façon aussi prépondérante. La vie communautaire du Creuset s’oppose en tout point avec l’intégrisme des sumas. Les villageois sont libres dans une vie paisible en harmonie avec la nature alors que les prêtres restent cloîtrés derrière des murs, soumis à des rites religieux basés sur des dieux hypothétiques. Les médias sont certainement pour quelque chose dans cet épisode. Par ailleurs, le format 54 planches de ce tome m’a permis d’introduire des séquences qui n’apportent rien à l’histoire en elle-même mais rappellent notre quotidien (petit déjeuner, baignade) et donnent un caractère plus humain aux personnages.

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Sceneario.com : Le quatrième et dernier tome s’annonce d’ores et déjà dense non ?

H. Tonton : Ahah ! ! On saura tout ! Promis ! Il sera dense en information, en rythme et en variété de paysages… le tout dans un 54 planches ! !

Sceneario.com : Tu es actuellement en train de réaliser ce quatrième tome d’Armandis, sais-tu déjà ce que tu vas faire après ? Quels sont donc tes projets ?

H. Tonton : Pour l’instant rien de concret. En tout cas, rien qui ne me permette d’annoncer quoique ce soit.

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Sceneario.com : Il s’est écoulé une grosse année entre chaque tome d’Armandis, le tome 4 sera-t-il prêt pour l’été ou l’automne 2007 ?

H. Tonton : Au plus tard, pour un Angoulême 2008.

Sceneario.com : Quel effet cela fait de se voir décerner un prix lors d\’un salon BD, comme par exemple le prix BD jeunesse obtenu par Armandis au festival BD de Creil, dans l’Oise, à l’automne dernier (2005)?

H. Tonton : Un drôle d’effet lors de l’annonce du prix surtout quand on ne s’y attend absolument pas. C’est une forme de reconnaissance et cela est des plus agréable.

Sceneario.com : Est-ce que tu lis d’autres BD, des romans, nouvelles ? Dans quel genre ?

H. Tonton : Je passe plus de temps dans la lecture de romans que de bandes dessinées, mais je lis plus de BDs que de romans ! ! Mes principales lectures littéraires sont de l’ordre du fantastique et de la science fiction. Actuellement je finis un space opéra monstrueux de Peter F. Hamilton, l’Aube de la nuit. En BD, je me tourne beaucoup vers le polar ou des histoires contemporaines proche du quotidien. J’ai complètement mis de côté l’héroïc fantasy beaucoup trop lu par le passé. Je suis davantage attiré par le dessin naïf qu’au réaliste et j’aime les gros aplats qui rappelle la bonne vieille BD plutôt que le « trop d’effet numérique. » Je suis avant tout sensible au côté artisanal d’une bande dessinée, avec ces défauts perceptibles et qui me rappelle que derrière tout ça il y a la main d’un homme ( ou d’une femme ! ) Comme beaucoup, Blaksad a été une grosse claque, et j’aime ce que fait Renaud Dillies ( Betty Blues, Sumato ) ; j’ai découvert récemment Orbital de Pellé et Runberg, de la science fiction qui ne s’est pas laissé gagner par le « trop numérique » et admirablement dessinée. Toutefois je ne cache mon admiration pour Sky Doll.

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Sceneario.com : Que penses-tu de la critique BD via internet et le rapport avec le public ? Vas-tu sur des forums ? Lis-tu, recherches-tu ce qui est dit sur tes BD ?

H. Tonton : Bien entendu à chaque sortie d’un tome, j’épie, je traque, je fouine, je guette, je décortique le net pour découvrir une once de critique, d’avis ou de chronique ! Et gare aux affreux qui n’apprécient pas mon travail ! !

Non ! Sincèrement, Internet est une formidable ouverture sur le public, permettant de le connaître mais aussi de communiquer avec lui. Par lui, j’ai la nette sensation que le monde de la bande dessinée est celui des auteurs et des lecteurs. Cependant il ne remplace pas la rencontre directe d’une dédicace, mais il permet d’estimer l’approche du public sur les bouquins et de connaître son avis, même si ce n’est pas toujours contradictoire.

Sceneario.com : Un petit scoop à nous dévoiler ?

H. Tonton : J’aime le rougaï saucisse !

Sceneario.com : Merci pour les réponses à nos questions.

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