Interview
Halim Mahmoudi pour ARABICO tome 1
Sceneario.com : Halim Mahmoudi bonjour, Arabico est votre première série de bande dessinée et vous abordez directement la question de l’identité, alors avant de commencer, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la vôtre ?
Halim Mahmoudi : Bonjour, je m’appelle donc Halim Mahmoudi, et j’ai été dessinateur de presse avant d’être auteur de BD. Sur mes papiers je suis français d’origine Algérienne. Après je ne considère pas franchement cela comme suffisant pour parler de mon identité. Donc derrière mes papiers, il y a un jeune papa de 32 ans qui est né d’un père ouvrier et de mère au foyer, tous deux algériens, et qui sont venus en France dans les années 60. J’ai grandi à Oissel près de Rouen, dans une cité dite "sensible".
Plus personnellement, je dois être le fruit d’une éducation faite de tabous, dont je me suis efforcé de sortir. Je suis ce qu’on appelle un extraverti, mais je cache un manque de confiance insidieux. Je me pose mille questions, tout le temps! J’ai fait des fautes, cette impression permanente d’être doué pour rater des choses, voire ma vie.. J’ai mis un long moment avant de comprendre que j’étais quelqu’un de bien malgré mes erreurs. Je viens d’un endroit ou on grandit avec le mépris de soi-même le plus souvent, une sensation d’être abonné au malheur. On vit en attendant une mauvaise nouvelle, car la plupart des gens ont des problèmes avec les institutions sociales et juridiques. Et j’ai gardé cette habitude d’épier et d’envisager ma vie de cette façon là.
J’adore lire, et j’écris énormément: des poèmes, des nouvelles et même un roman mais qui reste dans un tiroir pour le moment. Je suis assailli d’idées, j’en ai 3000 a la seconde. Je manque cruellement de temps, c’est le grand drame de ma vie!
Je n’ai que la culture qui est musulmane…et encore! Je ne suis pas croyant et j’aime retourner au pays. Tout le reste de ma famille est la-bas. Le temps passe différemment! Sans être vraiment anarchiste, la philosophie libertaire est celle qui me convient le mieux. Je crois en la culture contre l’ignorance. Les idées de partage, la gratuité..bref, la liberté. Et ce n’est pas franchement en accord avec une religion, un parti politique ou une autre chapelle. Dommage!
Sceneario.com : Combien de temps vous a-t-il fallu pour vous lancer dans l’histoire d’ "Arabico" ?
Halim Mahmoudi : Oulala!…Des années!!! Je portais cette histoire dans ma tête. Je me disais bien qu’un jour j’allais parler de tout cela, de ce qu’on vivait! Mais Comment? Aucune idée, ou plutôt des milliards! Alors par où commencer…?
J’ai surtout eu très peur de ce que j’allais dire. Comme si ce n’était pas le moment. Que personne n’allait entendre, ni comprendre. Qu’on allait me taxer de jouer les victimes, comme à chaque fois qu’on aborde ce sujet. Et puis, étais-je légitime pour parler à moi seul de la vie dans les quartiers des personnes issues de l’immigration? Bref, autant de questions sous forme d’interdits, de tabous…
Au fond, il m’a fallu démonter tout cela et comprendre ce qui se passait, car il y a plusieurs raisons:
Tout d’abord, on a toujours parlé à notre place, dans les médias et partout ailleurs. On est pas représentés et tout me disait que ce que j’avais à dire n’allait intéresser personne. Pour la légitimité, il se trouve qu’en plus de l’isolement social, on connait la honte du dénuement, et donc personne ne parle, ni dans les familles, ni avec les amis. Alors rien me disait clairement si ce que j’ai subi moi, a été subi par presque tout le monde! Il a fallu attendre les documentaires de Yamina Benguigui, les films d’Abdelatif Kechiche, Rabah Ameur Zamaiche, ou encore le rap de La Rumeur, Casey etc…
Même la littérature ne s’intéressait à nos vies que depuis quelques années, depuis Faiza Guene et son 1er roman à succès "Kiff Kiff demain" …Alors, les médias, vous imaginez?
Cela dit, la parole se libérait peu à peu. Et nous y voyions plus clair…L’humiliation n’était plus personnelle. La rage, pour ne pas dire la haine d’un système, n’était pas "que la mienne". Dès lors, j’ai trouvé ce qui clochait, j’ai eu les éléments concrets qui me permettaient de voir un programme politique consciemment destructeur à l’œuvre. Un sentiment qui n’était pas né de nulle part.
Il y a eu une lente, et prudente prise de conscience.
Pourtant cela ne suffisait pas. Il restait un tabou : qui on était, nous? Hors de l’histoire de nos parents, des mémoires d’immigrés, des problèmes pour trouver un logement, un travail, pour bien travailler à la maison, l’absence de modèles etc… qui avait écrit sur nos vies comme on écrirait sur celle de n’importe qui d’autre? Avec cette rage que je connais si bien, et que tous dans les quartiers connaissent? Tout ce temps passé m’a aidé à me dire qu’il fallait mettre à nu l’individu, ne parler que de ce que c’est que de vivre ici en France pour un fils d’immigrés africain!
Et c’était d’autant plus urgent que l’incompréhension, l’ignorance grandissait avec les émeutes, le vote extrémiste, le débat sur le voile, les caricatures de Mahomet et surtout le 11 Septembre. Avec cette incompréhension, venait une mise en œuvre de politiques ouvertement assassines envers les minorités. Mais au final, c’est un mal pour un bien, car cette France qui montrait enfin son vrai visage est celle que nous connaissions dans les quartiers depuis belle lurette. Cette franchise valait mieux que toutes ces années d’asphyxie sociale silencieuse. Enfin, cette France allait cracher le morceau : elle ne nous souhaitait pas chez elle! Et nous, ça voulait dire que nous n’étions pas dans l’erreur. Nous ne sommes pas paranoïaques !
Arabico est arrivé très vite à partir du moment ou un éditeur a montré de l’intérêt pour quelques pages brouillons de ce projet que je n’approchais encore que timidement.
Sceneario.com : Arabico est un enfant d’origine algérienne qui s’interroge sur son identité. Ce récit est-il autobiographique ?
Halim Mahmoudi : Non, pas vraiment. C’est une auto-fiction. Il y a beaucoup de chose chez Arabico qui sont directement autobiographiques : ses origines, sa famille, ses amis, quelques humiliations scolaires ou policières… Tout cela m’est familier. Mais j’ai tenu à ce que cela soit évocateur avant tout, alors j’ai composé avec d’autres vécus que le mien. Ceci dit, cela reste une BD, un récit alors par exemple : l’ambulance dans laquelle Krim se retrouve, c’est une volonté de dire autre chose, un message.. ça ne pouvait pas être n’importe quelle voiture.
Les réactions des personnages disent aussi des choses. Rien dans le déroulement, n’est laissé au hasard. J’ai eu besoin de me dire: c’est comme ça que cela se passe, c’est logique! Que dans cette vie là les incidences sont prévisibles et qu’elles se dérouleraient ainsi…
Rien que la façon d’agir des personnages dans Arabico en a déjà surpris quelques uns. Preuve que les populations de ces banlieues sont des fantômes ici ( des minorités Invisibles!). Les quartiers sont des zones d’ombres bien plus que des zones de non-droits !
Sceneario.com : Pensez-vous que la difficulté de s’intégrer est toujours d’actualité ?
Halim Mahmoudi : Oui. Je dirai même que la difficulté c’est justement l’intégration ! Dans certains pays anglo-saxon on ne demande pas aux enfants du pays de s’intégrer… et des tas de programmes éducatifs et sociaux culturels ont fait leurs preuves là-bas. Le respect, l’écoute, la sincérité, ça marche, et en plus ça coûte moins cher que nos politiques de ville (les GPV) qui n’envisagent l’intégration que sur le schéma qui avait court dans les colonies françaises !
De quelle intégration parle t-on à un jeune qui est né ici, en France ? Parce qu’il est un délinquant, parle t- on intégration à Nicolas ou François ? La délinquance n’est pas un échec de l’intégration. C’est juste un échec ! Mais on colle toujours les deux ensemble. Quand un Mohamed a commis un délit ou un crime, on remet systématiquement la question de l’intégration sur le tapis !
A priori, notre pays est celui où l’on est né et où on a notre histoire. C’est comme l’adoption : On ne peut pas élever un enfant (biologique ou non) si on ne l’aime pas ! Pour la France c’est exactement cela : Elle n’aime pas ces enfants issus de l’immigration alors elle leur limite l’accès à l’éducation, au travail, au logement, aux soins etc… Avant les parents avaient l’espoir de voir leurs enfants réussir grâce à l’école, mais aujourd’hui ces jeunes diplômés n’accèdent à rien. Leur diplôme ne sert à rien. L’intégration est plus difficile qu’avant parce que le rêve est brisé ! On touche le fond, la route aboutit à un cul de sac ! Une blessure qui date mais sans plus d’espoir de guérison.
L’intégration qui est demandée est ressentie comme une sommation à s’intégrer complètement. A devenir français de corps et d’âme. C’est violent et impossible ! On ne peut séparer les origines, les cultures qui ont contribué à nous construire et ne faire qu’un. Cette assimilation est dangereuse car elle suggère que ce qui est musulman, africain est négatif, antinomique avec les valeurs de la république française. Nous ressentons comme une nécessité de devoir abandonner quelque chose de "moins bien", de nous élever et tendre à ce mieux : être français !
Le haut de la société reste massivement blanche et européenne. On peut m’accuser de faire l’alarmiste mais alors pourquoi n’analyse t-on pas les chiffres ? Pourquoi y-a t-il plus de 50 % de chômage dans des quartiers où tous les "étrangers" sont regroupés ? Pourquoi sommes nous les clients privilégiés des prisons, des aides sociales ? Comme à l’image du sud de la planète, nous sommes bronzés, et pauvres. C’est brutal, ça construit notre individu comme étant inférieur par nature ! Et je sais que l’on nous voit ainsi dans la plupart des cas. Ne voyant quasiment jamais de noirs ou d’arabes à des postes élevés, au Parlement ou ne serait-ce que sur une liste électorale, l’inconscient collectif se construit sur le postulat de l’infériorité des gens de couleurs (voyez les polémiques qui ont accompagné Obama au pouvoir). Je rappelle que le FN a été le seul parti à mettre en avant quelques gens de couleurs en bonne place sur leurs listes électorales : C’est un comble de lâcheté, mais ni la droite, ni les verts, ni la gauche n’ont fait cela. Pourquoi ?
C’est parce que les DRH ont des objectifs de risque zéro, qu’un jeune diplômé issu de l’immigration ne passe pas le cap des entretiens d’embauche. C’est aussi parce que ce n’est pas de la faute de la banque mais des clients que l’on n’embauche pas vraiment de noir ou d’arabe (ben tiens!). C’est parce que les magazines osent mettre un "étranger" en couverture de leur magazine qu’ils constatent ensuite que les ventes chutent (et qu’ils baissent les bras !). C’est parce que le CSA a inventé ce quota de 30 % d’étrangers maximum sur les chaines hertziennes que la télé ressemble à la France d’avant ! Et enfin parce que le 21 avril 2002, il ne s’est rien passé, c’était un vote de mécontentement…
Je pourrais vous parler du plan urbain prévu dans les quartiers en concertation avec l’armée, du drone ELSA qui survolera en permanence ces zones, des plans de construction de 19 prisons dans les 5 ans à venir, des "formations" annuelles de l’armée française avec les hauts dignitaires ( pontes politiques, médias, institutions) sous l’égide de l’extrême droite depuis les années 60 et qui ont inventé le principe de sauvegarde de "l’identité française" (Ils partaient du principe que la forte natalité des populations immigrées en France pouvaient s’avérer désastreuse pour la couleur locale). Mais à quoi bon parler de tout cela ? Pourquoi tout compliquer avec des chiffres, des faits, des preuves à charge qui n’aboutissent à rien ?
On ne nous a jamais demandé de nous intégrer. On ne veut pas que nous nous intégrions, sinon, il n’y aurait pas tout ceci : Toutes ces politiques ne nous excluraient pas, ne nous verraient pas sous l’angle exclusif de la menace. On ne nous aurait pas fait endosser le rôle d’ennemi intérieur que nous portons depuis 20 ans. Si on nous demandait de nous intégrer, on n’aurait pas eu de lois sur les bienfaits de la colonisation. Si on nous avait réellement demandé de nous intégrer, je veux dire que si ça avait été une réelle volonté politique, cela serait déjà fait depuis longtemps.
Mais on préfère dire que c’est nous, qui sommes nés ici pour la plupart, qui ne voulons pas ! Résultat, de plus en plus de jeunes diplômés "français" d’origine colorée, n’en pouvant plus de se battre contre des moulins à vent, finissent par partir massivement vers des pays anglo-saxon par exemple. Ils y trouvent très vite du travail, des chances de promotion, une reconnaissance sociale inédite. Sinon, du moins la paix, car là-bas, on ne les voit plus comme des ennemis intérieurs.
On a aujourd’hui en France, des instances factices de lutte contre les discriminations ( la HALDE par exemple), où jamais aucun appel, ni aucune plainte n’est suivie… Tout atterrit à la préfecture et est enterré là-bas. Mais cela, on ne le dit pas. La HALDE existe, c’est tout ! Un peu comme la Tour Eiffel… ou le ministère de l’intégration.
Sceneario.com : Vous vous attaquez de front au racisme, quel message voulez-vous faire comprendre ?
Halim Mahmoudi : Le racisme est une discrimination, au même titre que celles envers les gros, les "moches" etc… Je ne me leurre pas. Nous vivons dans une société fondée sur la discrimination, c’est même son fond de commerce ( l’uniforme, les modes à suivre, les programmes, les critères de beauté etc..).
Plus personnellement je hais le racisme ! Depuis que je suis tout petit, j’ai vu mes parents avoir peur à chaque élection. J’ai compris très tôt que je n’étais pas chez moi ici, qu’on ne voulait pas de moi. On le vit comme cela ! Le vote FN est une arme pointée contre nous, un choix "démocratique" d’enclencher le dératiseur, et de supprimer le parasite, le corps étranger, faire de la place en cas de crise…
Le racisme en apparence est seulement "méchant" et c’est vrai que "c’est pas bien d’être raciste" etc… voilà pour la définition du racisme pour ceux qui ne sont pas touchés par le racisme !
Moi, je veux parler du racisme de ceux qui sont touchés par lui ! Celui qui rend malade, celui qui assombrit l’avenir, qui est là en permanence, qui fait qu’on a notre couleur dans la tête sans arrêt. Le racisme qui ne laisse jamais l’âme en paix. C’est invivable !
Alors forcément, après ce racisme peut se retrouver des 2 côtés de la barrière. Voire entre des communautés issues de la même classe sociale. Des replis communautaires exacerbés : un beau prélude pour un dialogue de cons où par exemple nous voyons des alliances entre fondamentalistes musulmans et Front national, contre la "mixophobie" ! Ces charlatans s’entendent sur la laïcité du chacun chez soi, et pas de mélange ! Cette vieille peur que nous avons aussi entre noirs, arabes, ou blancs par exemple, dans un quartier. La peur de l’inconnu. La peur de perdre sa culture, son patrimoine, sa lignée, son sang, s’avèrent être un racisme des plus naturellement admis. C’est censé être humain même si c’est aux dépens des autres que nous voyons comme inférieurs.
Sceneario.com : A qui s’adresse cet album ?
Halim Mahmoudi : J’ai beaucoup pensé à ma famille en faisant cet album. Une façon de leur dire…quelque chose! Je ne sais pas quoi exactement. Après, Arabico s’adresse à tout le monde, du moins je l’espère! Je l’ai fait dans ce sens, car je tenais à illustrer le parcours d’un petit garçon. Peu importe qu’il soit arabe, africain, français, chinois.. J’y parle de la vie, de l’amour, des amis, des frustrations, de souffrances, et d’espoir aussi. Même les souffrances qu’endure le personnage, j’ai fait en sorte que ce soit en tant qu’être humain qu’il les vive et qu’on le ressente, nous lecteurs. Ainsi, les mots font plus mal que les coups et l’absence de communication trahit l’amour auquel on tient. C’est parce qu’on souffre que nous faisons du mal etc…
Arabico s’adresse donc à ceux qui connaissent la cité mais aussi à ceux qui ne la connaissent pas. Je ne renvoie que le portrait d’êtres humains qui essaient de vivre.
Sceneario.com : Votre activité de dessinateur de presse vous a-t-elle influencé pour accoucher de ce récit social voire politique ?
Halim Mahmoudi : Sans doute. Je n’en ai pas pleinement conscience, bien que je porte en moi une fibre engagée socialement et politiquement. Comme une seconde peau. Le dessin de presse a cela de bien que vous êtes critique très réactif et que l’angle de l’humour, l’ironie, la satire sont vos armes privilégiées.
Plus concrètement, j’ai pu à mon avis, faire passer grâce au dessin de presse, des non-dits, des scènes sommes, qui synthétisent, qui évoquent et font passer une idée ( comme dans la salle d’attente de la prison).
Et puis, j’ai truffé le récit de détails, de pistes, de références tout le long…jusque dans le nom des rues, d’un bâtiment, de personnages. Pour porter un message, laisser entendre plus que ce que ce seul récit donne à lire. Je ne sais pas si cela sera perçu par tout le monde, mais je tenais à le faire. Il me semble que c’est un tic de caricaturiste oui, comme Jul ( dessinateur à Charlie Hebdo) qui s’est servi de tonnes de références et se les est appropriées dans sa dernière BD.
Sceneario.com : Avez-vous eu des difficultés à trouver un éditeur qui accepte de vous accompagner sur ce thème ?
Halim Mahmoudi : Non aucune difficulté ! A ma grande surprise quasiment tous les éditeurs à qui j’ai présenté Arabico ont été tout de suite intéressés. Je n’avais même pas de quoi constituer un dossier honorable. Juste une intrigue en 3 lignes et 4 ou 5 pages brouillons. On m’a quand-même demandé de constituer ce dossier, mais avec la quasi-certitude qu’il allait être pris.
Après je ne sais pas ce qu’aurait donné Arabico avec un autre éditeur mais je suis vraiment bien tombé. A vrai dire ce projet est passé de main en main au début car je finissais par voir mon projet se faire dénaturer ( pagination, format roman graphique etc.. sans doute pour des politiques internes qui ne me regardaient même pas!). Au final, ça ne correspondait plus à ce que je voyais. J’aurais pu accepter avec une autre histoire mais Arabico était trop personnel ! Le trahir m’aurait fait mal au cœur.
Chez Quadrants, avec Corinne Bertrand j’ai trouvé toute la liberté, l’écoute attentive, et de très saines remises en questions..mais toujours pour le bien du livre ! C’est le rêve de travailler comme ça !
Sceneario.com : A propos de votre technique, racontez-nous comment se passe la création d’une planche.
Halim Mahmoudi : Au préalable je dessine un storyboard. C’est la phase la plus intense et difficile puisque je dois me mettre en situation et ressentir, vivre ce que je vais coucher sur le papier. Le storyboard doit déjà donner la scène avec la fluidité, le dialogue, les angles : qu’on puisse déjà y croire. Le reste n’est que mise au propre.
J’attaque ma planche sur un format A3 au crayon puis je redessine par dessus avec une plume d’encre noire. Mais de façon complémentaire. Je ne fais pas vraiment de contours mais je redessine littéralement sur le crayonné, pour renforcer au noir, ici et là, jouer avec les masses etc… Une fois la planche terminée, je la scanne et je pose mes couleurs avec le logiciel Photoshop.
Sceneario.com : L’histoire est prévue en trois tomes, combien de temps vous faudra-t-il pour la terminer ?
Halim Mahmoudi : Les 2 tomes suivants d’Arabico sont prévus pour 2010 puis 2011. Je mets au maximum 1 an pour faire un tome, tranquillement ! Moins cette fois-ci j’espère car le1er a été dur à installer : tant de questions, de doutes… les 1ères fois sont terribles ! J’ai perdu du temps. Pour le tome 2, je croise les doigts pour n’avoir besoin que de quelques mois puisque l’univers et le ton sont installés.
Sceneario.com : Avez-vous fait lire cet album à votre famille, avez-vous eu besoin de leur avis ?
Halim Mahmoudi : J’ai atrocement besoin de leur avis sur Arabico…mais ils ne l’ont pas lu, non ! En revanche oui, je l’ai fait lire à ma femme et 2 autres amis.
Mais avec mes parents et mes frères et sœurs, c’est différent.. Ils se retrouveront un peu dans Arabico, ils le savent. C’est très personnel de décrire ne serait-ce qu’une famille comme celle d’Arabico, le quartier, nos vies etc..
J’ai hâte et en même temps j’angoisse un peu. Eux-mêmes ne désiraient le lire qu’une fois l’album en main, il y a une question de respect et de pudeur dans tout cela, je crois.
Sceneario.com : Cet album est dans la mouvance du livre militant ou de la bd engagée, croyez-vous dans son impact ? Si oui, expliquez-nous pourquoi ?
Halim Mahmoudi : C’est mon 1er album, alors je ne sais pas si Arabico aura un impact au milieu de cette mouvance du livre militant et engagé. Est-ce que cela dépend de la façon dont il sera relayé ? Je sais que de très intéressants livres passent inaperçus par manque de visibilité… C’est une de mes peurs. Mais au moins, il existe maintenant !
A vrai dire je crois dans l’impact d’Arabico ne serait-ce que par mon investissement personnel. J’ose y croire donc, oui ! Ensuite parce que le message qu’il véhicule est inédit je le sais maintenant. Du moins on ne veut pas l’entendre, et là, moi j’ai l’impression d’enfoncer le clou, de mettre à nu le système d’intégration qui régit ce pays. Je sais qu’on est nombreux à attendre que ce pays nous écoute et entende ce que nous avons à lui dire. Arabico y contribue! Je l’espère en tout cas.
C’est un sujet attirant pour la presse, une polémique possible, une BD qui peut faire parler…mais aussi faire dire n’importe quoi. Tout et son contraire, quoi ! Ce n’est pas comme Maus de Spiegelman dont on ne peut qu’approuver le combat. Cela s’est passé il y a des années, c’est censé être le passé ! Arabico, c’est un problème d’actualité, non résolu et qui attise les partis pris comme de l’huile sur le feu. J’ai pris le risque de traiter ce récit sans détour mais surtout en défendant un point de vue qui n’est pas admis. Je m’attends déjà à ce que beaucoup de monde le prenne pour une insulte, un crachat ou une BD de jeunesse, immature ou que sais-je encore.
C’est curieux : je suis heureux d’être allé au bout de cette histoire, et compte tenu de l’époque, j’ai peur de l’impact que pourrait avoir Arabico auprès de ceux que cela pourrait choquer. Malgré cela, je l’ai fait pour dire des choses claires, des choses pas super drôles, donc pour bousculer.. Il faut assumer maintenant !
Sceneario.com : Quelles lectures récentes vous ont marqué ?
Halim Mahmoudi : Justement, des lectures de cette mouvance dont vous parliez m’ont profondément touché comme Coupures Irlandaises, Maus dont je parlais, Là où vont nos pères, En Chemin elle rencontre…, L’enragé ou encore les collectifs "Paroles de taulards" etc…
Je suis un boulimique de livres aussi. Mon livre de chevet reste "Le temps où nous chantions" de Richard Powers. J’aime à peu près tout, pourvu que ce soit une BD ou un livre nourrissant, avec un caractère personnel, haut en couleur, un univers fort, ou une particularité bien exprimée, entière, intègre. Je ne saurai comment vous décrire ce que je recherche dans mes lectures.
Sinon, le cinéma me marque lui aussi durablement. Quand je vois des films d’Andrew Niccol ou de Darren Aronofsky par exemple, d’un auteur dont je sais qu’il reste encore beaucoup a dire, à montrer, qui ouvre un horizon nouveau, le sien !