Interview
Interview de Hermann en mai 2013
Rencontre nocturne avec le gentleman Hermann ce mercredi 08 mai 2013.
Dominique Vergnes: Vous êtes pas mal sollicité en ce moment. C’était bien l’Italie d’ailleurs ce week-end ? Ce festival BD d’Albissola ?
Hermann: Oui c’était bien, mais en ce moment, je suis très fatigué. J’ai les nerfs à fleur de peau et ma femme n’est pas en bonne santé.
Dominique Vergnes: J’ai fait des recherches et votre site Internet est très bien fait.
Hermann: Oui c’est mon fils qui s’en occupe et il est destiné principalement à mes lecteurs. Je ne le consulte jamais personnellement.
Dominique Vergnes: D’ailleurs, sur ce site Internet, on peut y lire que vous décrivez des réalités extravagantes de vos BD
Hermann: Oui, oui tout à fait. Oui je décris les petits travers humains, que l’on retrouve d’ailleurs depuis des siècles, voire des milliers d’années. Rien de nouveau sur ce plan-là. Il n’y a que la technique narrative qui a changé, il s’agit de montrer les mêmes techniques par des procédés narratifs précis pour décrire ces situations.
Dominique Vergnes: J’ai écrit un article sur la mort de Jean Giraud- Moebius, un avis sur l’homme et son oeuvre.
Hermann: Evidemment, c’est un dessinateur qui m’a beaucoup marqué, voire même tétanisé lorsque j’ai commencé la BD et quand monsieur Greg, revenant de la rédaction de « Tintin », me brandit un numéro de « Pilote » à la page de « Blueberry », j’ai pris un sacré coup de poing à l’estomac. Je me suis retrouvé sur le cul comme on dit, mais ça n’a pas duré des heures, je remonte vite en selle si vous voyez ce que je veux dire. Par contre, ce que j’ai remarqué c’est qu’à l’occasion de certains albums, il lui est arrivé d’utiliser certain de mes dessins de chevaux pour ces albums. C’est étrange car j’ai toujours considéré que les siens étaient bien mieux dessinés que les miens, on n’est jamais content vous savez. Avant tout, ce que j’appréciais beaucoup avec Jean, c’est qu’il n’était pas prétentieux et même très modeste.
Dominique Vergnes: Vers la fin de sa vie, il était carrément vénéré comme un Dieu de la BD.
Hermann: Effectivement, mais, dans son domaine, c’était quand même le sommet. Il y a un seul dessinateur que je mets au même niveau, c’est François Boucq. Malheureusement, je trouve que son succès ne reflète pas les qualités intrinsèques du bonhomme et des fois, je constate que les succès BD ne sont pas souvent liés à la qualité. Vous savez Jean Giraud vendait beaucoup avec « Blueberry », mais des fois moins que d’autres séries de bien moindre qualité ou d’auteurs que je ne citerai pas.
Dominique Vergnes: Dans une interview de Jean Giraud, il disait que le plus difficile, c’est de dessiner des chevaux en mouvement.
Hermann: Ah oui? Ca fait drôle qu’il dise ça alors que pour moi, s’il y a quelque chose que j’aime dessiner, ce sont les chevaux en mouvement. Même si avec le temps, je préfère dessiner des vaches; il y a une richesse des volumes qui est prodigieuse dans cet animal. Malheureusement, on n’a pas beaucoup l’occasion de dessiner des vaches, c’est même assez rare. Cet animal est vraiment passionnant sur le plan graphique.
Dominique Vergnes: J’ai revu, cet après-midi, l’émission de 1995 sur Canal Plus qui vous était dédié; vous reveniez sur vos lieux de naissance et vous disiez que tout le monde croit que dans la BD, c’est difficile de dessiner la nature, les espaces verts ou les phénomènes naturels alors que vous déclariez que ce qui était beaucoup plus difficile, c’était la notion de mise en scène dans la BD ou la comédie. Ce que l’on oublie de dire pour vos BD, c’est que vous pratiquez souvent l’humour noir, ou même l’humour premier degré.
Hermann: Oui, j’ai un penchant pour l’humour qui grince; l’humour gentil, je peux l’apprécier chez des collègues mais je n’ai pas envie de le dessiner ou de l’imaginer d’ailleurs.
Dominique Vergnes: Vous savez aussi que les gens ne fonctionnent que par des clichés, vous êtes un homme médiatique et public. Par les interviews que j’ai pu lire, ce qui ressort de Hermann: c’est qu’il a un sale caractère, il est tout d’une pièce; à Angoulême, il ne sera jamais récompensé car il ne fait pas l’unanimité.
Hermann: Non, non mais à Angoulême déjà, je sais, par l’intermédiaire de dessinateurs qui ont fait partie de jurys que j’ai été systématiquement balayé de la table pour le grand Prix. D’ailleurs, j’ai décidé, depuis longtemps, de refuser les prix à Angoulême car j’ai aussi des exemples d’auteurs BD comme Bernard Yslaire avec son remarquable album « Sambre », lui aussi avait été écarté volontairement du grand Prix au profit d’un auteur plus obscur et vite oublié. C’est pourquoi, je me targue de refuser des prix de gens qui se sont salis ou compromis dans des marchandages ineptes. C’est une décision que j’ai prise il y a longtemps et avec le recul, je tire même une certaine gloire de ne pas avoir reçu de prix à Angoulême.
Dominique Vergnes: Vous savez les gens aiment bien les clichés: Hermann, un caractère difficile.
Hermann: Oui, oui j’ai effectivement un caractère carré. Mais je vous défie de trouver un Festival au cour duquel je me suis montré insupportable; par contre, je ne dirai pas la même chose de certains organisateurs de festival qui se comportent comme des divas ou sont désagréables; mais ceux-là, on ne parle pas de leurs travers. Moi, je n’ai jamais commis de crasses nulle part. On a voulu construire un personnage désagréable à mon encontre; mais d’une certaine manière, je m’en fous car comme tout le monde, je suis biodégradable et d’ici quelques années, j’aurai disparu, alors vous savez le regard des autres…
Dominique Vergnes: Revenons au principal, à votre oeuvre; vous avez reçu pléthore de prix hors-Angoulême dans votre carrière et même cette année, vous avez été nominé pour le grand Prix d’Angoulême.
Hermann: Oui, en effet mais j’ai répondu aux organisateurs que je ne tenais pas à cet honneur et que je ne tenais pas à cette tentative de me réhabiliter car je crois qu’à Angoulême, il voudrait que je me laisse à nouveau séduire pour qu’ils puissent dire: « ah vous voyez Hermann, il nous a craché à la figure depuis des années et maintenant, il nous lèche le cul » eh ben non, j’aime autant qu’ils m’oublient complètement. A Angoulême, il n’y a que les responsables du musée de la BD que je tienne en hautes estime mais les autres vous savez… Les prix BD, c’est d’abord un panier de crabes.
Dominique Vergnes: Pour en revenir à Jean Giraud-Moebius, vous êtes de la même génération que des auteurs comme lui, Dany, Tibet ou Jean Van Hamme…et les phénomènes que l’on observe, c’est qu’au départ, vous étiez tous sous la tutelle de maison d’édition ou d’auteurs charismatiques que ce soit par exemple le tandem Jean Giraud-Charlier ou vous-même avec Greg et à un moment donné, vous avez su reprendre votre indépendance pour créer vos propres séries BD. Vous avez été à bonne école avec Greg?
Hermann: Oui en effet, on peut dire cela, Greg avait une certaine sévérité et avait son caractère. J’avais de la sympathie pour lui tout en connaissant un peu ses travers; il était quand même d’un égoïsme puissant. Il s’est servi de ses dessinateurs comme tremplin pour se propulser en hauteur, ça c’était Greg. Mais il a tout même apporté du sang neuf dans le métier; il a secoué le cocotier de la BD. C’était aussi un très mauvais professeur de dessin, je pense aussi que ce n’était pas un grand dessinateur non plus.
Dominique Vergnes: C’était un scénariste avant tout
Hermann: Exactement.
Dominique Vergnes: En même temps, avec les souvenirs d’enfance que j’ai, certains albums d' »Achille Talon » étaient hilarants.
Hermann: Oui, c’est lui aussi aussi qui m’a mis le pied à l’étrier, je ne l’oublie pas. Mon beau-frère, Philippe Vandooren, a pris comme exemple Jigé ou Franquin pour écrire sur les carrières en BD et un jour, il m’a mis sous les yeux un album de Greg et il le considérait comme un très grand, et il trouvait « Achille Talon » très grinçant, incisif. De manière générale, Greg m’a fait rire plus que quiconque dans la BD.
Dominique Vergnes: Pour en revenir à votre première série « Comanche », le premier album « Red Dust » date de 1969; album que j’ai découvert, pour l’anecdote, dans un camping au fin fond du sud de la France (c’est ça la BD populaire, on peut aussi la lire dans des lieux improbables) et ce qui m’avait frappé, c’est que cet album pouvait se lire en chapîtres et c’est peut-être lié au format album, publié chez « Tintin »; vous aviez découpé l’album en chapîtres non?
Hermann: Oui c’était découpé en chapîtres chez « Tintin ». C’est Greg qui l’avait voulu ainsi et j’étais très obéissant à Greg du moins au début.
Dominique Vergnes: Et ce qui m’avait marqué donc, c’est que c’était presque un story-board cinématographique cet album, avec des plans-séquence, avec des plans américains, des contre-plongées, des plans généraux…
Hermann: Oui, j’ai toujours procédé par fusion cinématographique; je vois déjà la scène dans ma tête, j’ai cet avantage. Je n’ai pas besoin de voir de photos de chevaux qui galopent pour les dessiner, je les vois sur l’écran de mon cerveau.
Dominique Vergnes: Les premiers « Comanche » se passent à côté des Montagnes Rocheuses, dans le Wyoming en fait.
Hermann: Oui, oui grosso modo c’est le Wyoming.
Dominique Vergnes: C’est une région très boisée avec des forêts très denses et des montagnes escarpées.
Hermann: C’est une région très verte, des sapins, de grosses collines, il neige beaucoup en hiver, il y a de la petite montagne. Je trouve que c’est un très beau paysage.
Dominique Vergnes: Vous y avez été? Vous vous êtes rendu là-bas?
Hermann: Non, non mais j’avais pas mal de documents sur le Wyoming et on voyait cela dans les films, les westerns.
Dominique Vergnes: Autre question: est-ce que vos séries, comme celles de Jean Van Hamme, seront adaptées, un jour, au cinéma ou à la télévision?
Hermann: Oui j’ai déjà eu des propositions pour faire du western mais de la part d’Européens mais vous savez faire du western en Europe…
Dominique Vergnes: Pas seulement pour « Comanche », mais pour vos autres séries.
Hermann: Je sais qu’il y a eu des options pour « Jérémiah »; une série TV ayant comme base « Jérémiah » à Hollywood il y a quelques années qui s’appelait « les survivants ». Ils ont modifié les personnages, enlevé tout le politiquement incorrect et le personnage de Kurdy Malloy était devenu noir, ils voulaient supprimer les casques car ce n’était pas facile de faire bouger les personnages avec un casque sur la tête; bref, ils avaient tellement modifié les choses que je me demandais même pourquoi ils s’étaient intéressés à cette série alors je me disais: si cela rate, c’est pas de ma faute et si cela marche, ce ne sera pas de ma faute non plus. Ils avaient investi beaucoup d’argent au départ pour cette série. J’avais vu les rushes et des extraits et cela n’avait rien à voir avec mes personnages et je me demandais, avec le recul, pourquoi ils avaient acheté ces droits, c’était complètement idiot.
Dominique Vergnes: Cela montre que parfois les adaptations se passent mal. Regardez un auteur comme Jean Van Hamme, avec ses séries comme « Largo Winch » ou « XIII », je suis sûr qu’il passe la moitié de son temps à gérer les produits dérivés ou les droits internationaux de ses séries. Vous savez très bien qu’à un moment donné vos séries initiales, elles vous échappent presque.
Hermann: Non, non, cela je ne veux pas. Je ne cherche pas fatalement une réussite commerciale énorme.; une réussite bien plus juteuse, ce ne serait pas plus mal mais ce n’est pas une obsession. Je préfère garder l’originalité de mes séries ; vous savez je ne vais pas aux « Restos du Coeur », ça va très bien pour moi. Je ne suis pas un homme d’affaires, je reste un dessinateur.
Dominique Vergnes: Ce qui m’intéresse, c’est ce phénomène-là; c’est comment des séries BD, comme celle de Jean Giraud, Bilal ou Morris, prennent tellement d’ampleur qu’elles échappent à leurs auteurs pour devenir des séries TV ou des films. Elles échappent à leurs formats BD initiaux. Autre exemple: vous savez très bien que certains fans connaissent mieux votre oeuvre que vous.
Hermann: Oui, oui certains fans aiment tellement mon boulot, mes livres qu’ils les reprennent, les relisent; ce sont presque des livres de chevet pour eux. Mes anciens albums BD, je les appelle mes cadavres, je ne peux ni les abîmer, ni les améliorer; ils existent définitivement.
Dominique Vergnes: Vous savez, moi-même je suis né en 1972, j’ai été bercé par les magazines « Tintin » et « Spirou » des années 1980; que vous le vouliez ou non, vous avez profondément marqué toute une génération et le monde francophone en particulier.
Hermann: Oui c’est vrai, le marché francophone était notre principal débouché. Vous avez fait référence à Jean Van Hamme, il faut bien comprendre qu’il se ballade à des hauteurs de vente que je n’atteindrais jamais.
Dominique Vergnes: On parlait d’Angoulême; il s’y est rendu il y a deux ans et il y a même été décoré comme Commandeur des Arts et des Lettres, alors que pendant longtemps, il a refusé même de s’y rendre.
Hermann: Oui écoutez, c’est quand même la récompense d’un gros vendeur et du pognon.
Dominique Vergnes: J’ai lu la monographie consacrée à Jean Van Hamme et on constate qu’il a eu une vie assez mouvementée, il a « roulé sa bosse » comme on dit.
Hermann: En effet, il a beaucoup voyagé, il est touriste dans l’âme. C’est surtout sa compagne qui adore voyager. Moi, ce n’est pas le cas, je voyage dans la tête, je n’aime pas trop voyager physiquement. Je rêve beaucoup dans ma tête. On parlait de diffusion et de publication, vous vendez à peu près combien en moyenne de « Comanche » et de « Jérémiah »?
Hermann: J’en sais trop rien, vraiment. Je sais que les ventes actuelles ont considérablement chuté; c’est dur pour tout le monde, particulièrement pour les plus jeunes. Moi, si je peux dire, je suis relativement tranquille.
Dominique Vergnes: La stratégie actuelle des grosses maisons d’édition, c’est aussi de compter sur les séries-phare ou les auteurs-phare.
Hermann: Oui, oui mais même actuellement, personne n’échappe à la crise vertigineuse. Il y a un creux de vague que tout le monde subit.
Dominique Vergnes: C’est lié aussi aux trop-pleins d’albums?
Hermann: Oui, oui c’est exact; certaines maisons d’édition, que je ne nommerai pas, ont des catalogues kilométriques et se partagent un gâteau aux tranches de plus en plus fines. Ce n’est pas une bonne stratégie, je pense.
Dominique Vergnes: Par les recherches que j’ai faites sur Internet et ce qui ressort en fait pour « Jérémiah », ce sont les commentaires suivants: les dessins sont durs, hyperréalistes, reflétant parfaitement les aspérités de ce monde post-apocalyptique, vous souscrivez?
Hermann: Oui, oui mais je ne suis pas allé trop loin dans le fantastique et la fantaisie pour cette série. J’ai voulu montrer un monde post-apocalyptique plutôt réaliste; il n’y a pas tellement de paysages étranges. J’y ai mis des paysages familiers en y rajoutant une certaine insécurité, la piraterie, les violences, l’absence de règles; écoutez cela existe dans certains pays du Tiers-Monde.
Dominique Vergnes: Oui, oui tout à fait.
Hermann: La corruption généralisée dans certains pays; ça me fout la trouille. J’aime bien montrer la méchanceté, la mesquinerie d’énormément de gens. L’homme est capable tout, votre cher voisin peut se révéler une crapule sans nom.
Dominique Vergnes: Souvent, d’ailleurs, les méchants, dans vos séries, sont particulièrement « gratinés ». On le voit bien dans les albums de « Jérémiah » comme: »la nuit des rapaces », « Avé Caesar » ou « Un cobaye pour l’éternité ».
Hermann: Oui, oui je ne fais pourtant que montrer des horreurs bien réelles; je suis souvent en-dessous de la vérité. C’est clair. Souvent, sous le vernis de la civilisation, nous sommes des hommes de la Préhistoire.
Hermann: Nous sommes des animaux tout courts. Des animaux égoïstes et violents.
Dominique Vergnes: Vous aimez bien dessiner des méchants ou des personnages avec des trognes pas possibles, des gens qui ont vécu.
Hermann: Oui, j’aime bien les trognes ou les gueules qui ont bien vécu. Vous savez il y a des gens qui ont des gueules d’ange mais qui se révèlent être des sauvages, regardez les tueurs en série.
Dominique Vergnes: Souvent vos méchants dans vos séries sont machiavéliques et très intelligents dans leur fonctionnement; ce sont souvent des chefs de bande, aussi intelligents que les héros principaux.
Hermann: Mais regardez donc les Nazis, c’étaient souvent des gens très intelligents.
Dominique Vergnes: Vous montrez donc un monde en complète dégénérescence, mais ce qui sauvent ces gens c’est l’entraide entre personnes, entre les familles, des formes d’empathie entre individus. Je me souviens d’un album de « Jérémiah », où Jérémiah ne laissait pas tomber Léna en pleine dépression, il s’occupait d’elle.
Hermann: Il faut bien se dire que même dans une situation d’horreur, il existe des nids, des endroits où les gens peuvent vivre ensemble. Mais dans ces albums si sombres, je pratique une touche d’humour corrosif; je pratique la drôlerie mais cela c’est l’héritage de Greg, car c’est une manière de faire passer la pillule sinon cela lasserait le public. Greg, par exemple, avait jeté son dévolu pour moi, car il considérait que j’étais un dessinateur vivant et un narrateur plein d’avenir.
Dominique Vergnes: Vous vous considérez comme un artisan de la BD?
Hermann: Oui, oui un artisan mais pas un artiste. D’ailleurs, le mot artiste commence à me courir; tout le monde, actuellement, se considère comme un artiste, ça me fait assez dégueuler.
Dominique Vergnes: Sur « Youtube », j’ai découvert une série en 3 épisodes « Hermann at work ».
Hermann: Oui, oui c’est mon fils qui l’a réalisé.
Dominique Vergnes: Ce que l’on voit dans vos pages, c’est qu’il y a des planches où il n’y a aucun dialogue.
Hermann: Dans la mesure où le dessin est assez précis pour raconter ce qui est nécessaire, c’est donc inutile de surcharger. Inversement lorsque le déroulement du dessin s’avère trop rapide pour le lecteur alors à ce moment-là, on met un peu de dialogues pour freiner le lecteur. Mais c’est une chimie tellement particulière la BD, bien plus compliquée que l’on ne pense. C’est une chimie entre le texte et le dessin, mais ça je ne peux pas vous l’expliquer au téléphone.
Dominique Vergnes: Etiez-vous dans la logique de la BD franco-belge, où lorsque l’on lit la dernière case, il faut captiver le lecteur pour qu’il puisse tourner la page?
Hermann: Oui, oui c’est une habitude prise par les lecteurs. La fin d’une page devrait être passionnante, c’était un réflexe chez nous, les dessinateurs. Il fallait titiller le lecteur pour qu’il veuille tourner la page, voire attendre le prochain numéro du magazine pour la suite.
Dominique Vergnes: De manière générale, vous avez l’impression d’avoir fait des progrès la-dessus?
Hermann: Oui, oui mais je crois que je vais mourir un jour sans avoir vu le bout de mes progrès. Je me remets toujours en question; c’est parfois dangereux de connaître trop bien son métier. Il y a une routine qui s’installe; à une certaine époque, je dessinais des planches sans aucun dialogue et j’étais fier de cela; actuellement, cela vient spontanément, je n’y pense plus du tout.
Dominique Vergnes: Comme pour Jean Van Hamme, on vous a demandé de donner des cours ou des conférences?
Hermann: Non, non, de toute manière, je refuserai. Il m’arrive de recevoir des dessinateurs débutants et je leur consacre une heure ou une heure et demi. Je leur donne quelques conseils et je peux vous assurer que lorsqu’ils repartent avec leurs croquis, je suis complètement vidé. Souvent, ces dessinateurs ont des petits défauts soit un dessin trop chiadé ou des détails pas assez travaillés. Comme pour vous, je préfère les inviter vers 22 heures, après une bonne journée de travail.
Dominique Vergnes: Jean Van Hamme a donné des cours de scénario au sein d’une école de cinéma et il racontait que, souvent ces étudiants avaient des bonnes idées de départ mais avaient bien du mal à les développer ou à intéresser le lecteur.
Hermann: Il faut enseigner, de manière générale, surtout ce qu’il ne faut pas faire en BD; mais, inversement, il y a tellement de trouvailles à réaliser en BD, le champ est tellement large. Il faut laisser ces étudiants trouver leurs propres chemins, souvent de traverse. J’ai relu « on a tué Wild Bill » récemment. Eh bien j’ai trouvé que le scénario se tenait, qu’il y avait plein de petites trouvailles très rythmées. Cela me rassure car quand je n’ai pas le moral ou suis au bout du rouleau, certains me disent que j’ai fait des choses pas trop mal. Même si les ventes ne suivent pas trop; professionnellement, ça tient parfaitement la route.
Dominique Vergnes: Vous pensez que d’autres auteurs vont reprendre vos séries? On a l’exemple de « Comanche ».
Hermann: Vous savez, « Jeremiah » c’est tellement personnel, je ne crois pas que l’on puisse reprendre ce type de scénario. C’est même mon fils qui m’a dit une fois un jour: Jeremiah c’est tellement toi que personne ne pourra reprendre la suite.
Dominique Vergnes: Des fois, les personnages d’une série survivent même si l’auteur n’est plus là. On le voit avec « Alix », « Blueberry »…
Hermann: Oui, ils survivent graphiquement mais le climat d’une BD, on peut difficilement le restituer. Il y a aussi une part de mystère personnel dans le dessin, difficilement reconstituable.
Dominique Vergnes: Vous avez été fidèle à bon nombre de maisons d’édition et n’aviez pas envie de créer votre propre maison d’édition? Comme Uderzo par exemple?
Hermann: M’auto-éditer? Oh écoutez franchement, j’y ai pensé mais cela demande des infrastructures, cela demande du temps que je n’ai pas ou plus au détriment du dessin. On rentre dans un autre domaine d’exploitation, c’est beaucoup moins excitant que de créer. J’y ai déjà pensé, mais ça pourrait porter atteindre à mon plaisir de dessiner.
Dominique Vergnes: Etes-vous surpris par les retours des lecteurs sur vos albums? Je pense à vos one-shots plus personnels: « Missié Vandisandi », « Sarajevo-Tango » ou même le dernier « Lune de guerre »; « Liens de sang » le dernier album a été plutôt bien accueilli.
Hermann: Jean Van Hamme avait ironisé sur les capacités de mon fils à scénariser un album BD. Jean Van Hamme est plus carré dans ses albums que mon fils, où se dégage un univers plus lynchien. Mon fils est bien plus rêveur que Jean, qui est beaucoup plus mathématique et logique dans ses scénarios.
Dominique Vergnes: Justement « Sarajevo-Tango », y-a-t-il des politiques qui vous en ont parlé?
Hermann: Le seul retour que j’ai eu, c’est le général Michael Rose qui a détesté cet album. Ce type était un vrai fils de pute, c’est lui qui avait déclaré que c’étaient les Bosniaques qui bombardaient eux-mêmes Sarajevo.. J’ai même carrément rencontré des militaires ou des casques bleus qui considéraient cet album comme très bien, très véridique.
Dominique Vergnes: Certains albums de « Jérémiah » sont très polémiques; je pense à « Afromérica ».
Hermann: Oui cela traîte du racisme sans aller tout de même vers le fond du sujet. Vous savez, quelque fois, je ne sais pas trop où je vais avec mes scénarios, je suis un peu dans le brouillard; un scénario peut me prendre quinze jours; au-delà, c’est beaucoup trop long.
Dominique Vergnes: Jean Van Hamme disait que, pour lui, un scénario moyen lui prenait deux mois.
Hermann: Oui, oui c’est possible. Moi, personnellement, je connais la trame et c’est tout. Le dessin me permet de progresser dans l’histoire et d’imaginer pour la suite. Je n’ai jamais vraiment appris les scénarios, même au contact de Greg.
Dominique Vergnes: Et là, vous seriez capable de reprendre un scénario d’un autre?
Hermann: Je ne sais pas. Il faut laisser mijoter les scénarios.
Dominique Vergnes: Vous adorez d’autres séries BD? H:Oui, même si je ne lis pas trop de BD, il y en a un qui est pourtant à l’opposé de moi graphiquement, c’est Bernard Cosey. Il véhicule un certain type de climat. Ces BD sont très sereines et cela facilité l’intériorité de ces personnages.
Dominique Vergnes: Certains auteurs BD se considèrent comme des peintres refoulés, c’est votre cas?
Hermann: J’ai voulu faire de la peinture, mais vous savez dessiner, ce n’est pas la même chose (j’aurai trop envie de dessiner des traits, des silhouettes). Je ne suis pas assez mordu. Des dessinateurs font des chromos à l’huile et se considèrent comme des peintres. Non, il ne faut pas mélanger les genres.
Dominique Vergnes: Certain de vos dessins me font penser à ceux d’André Juillard.
Hermann: Ah vraiment? il y a chez Juillard une certaine forme de sérénité que je n’ai pas. Par contre, il m’a dit qu’il aimerait avoir ma fougue dans les dessins. On n’est jamais finalement totalement heureux de ce que l’on fait . Parmi les dessinateurs, il n’y a que Moebius qui s’est éloigné du style Giraud de départ. Petit-à-petit, ça s’était mis à se rejoindre d’ailleurs, c’est assez étrange non?
Dominique Vergnes: A la mort de Moebius, des revues comme « Casemate » ou « DBD » lui ont rendu hommage; hommage de dessinateurs dont vous. C’est étonnant d’ailleurs comment Jodorowsky était plutôt plus mal aimé que Moebius, alors qu’ils ont eu le même parcours à un moment donné, les mêmes influences (le Mexique, le chamanisme ou les drogues…).
Hermann: Ah je ne sais pas si Jodorowsky était détesté. La différence entre Moebius et moi, c’est que je n’ai pas touché à la drogue, ni beaucoup voyagé. Moi, j’ai les pieds dans la glèse. Moi, les croyances très peu pour moi; pourtant, j’ai reçu comme beaucoup une éducation catholique dans ma jeunesse. Et à un moment donné, j’ai découvert que je ne pouvais pas croire à des Dieux quelqu’il soit d’ailleurs.
Dominique Vergnes: Vous avez traversé les années 1960 et 1970, vous avez participé à l’ explosion de la BD pendant cette période. Vous disiez que c’était vers 1965.
Hermann: Oui à cette période-là et jusqu’à la fin des années 1970, on assiste à l’explosion de la BD franco-belge et paradoxalement, le déclin des revues BD par la suite.
Dominique Vergnes: Jean Van Hamme disait qu’à partir des années 1980, c’est la BD spécifiquement française qui dynamisait ce secteur.
Hermann: Mais oui je suis tout à fait d’accord avec ça, on l’a constaté avec le journal « Pilote ».
Dominique Vergnes: En tant que personnage public, vous avez été contacté par des groupes politiques?
Hermann: Il y a de très nombreuses années, un nouveau parti belge (plutôt d’extreme-droite d’ailleurs) a voulu me contacter. Je me sentais mal à l’aise, quelque chose de pas très sympathique se dégageait de ce Parti, j’ai donc décliné l’offre de participation et m’en suis toujours bien porté.
Dominique Vergnes: Vous êtes belge, plutôt de Walllonie ou de Flandre?
Hermann: Moi de Wallonie, je suis né près de la frontière germanique, d’un père allemand et d’une mère d’origine française. Notre région a été vraiment sous tutelle allemande pendant de nombreuses années et de siècles, mais je me sens belge à part entière.
Dominique Vergnes: Vous faites partie des groupes rattachistes wallons?
Hermann: Non, non vraiment pas.
Dominique Vergnes: Pour finir, le prochain Jérémiah, c’est pour quand?
Hermann: Le prochain album de Jérémiah s’appellera « station 16 » et pour l’instant, je suis en train de travailler sur un album pour Glénat qui s’appellera « Retour au Congo », une BD au climat spécial.
Dominique Vergnes: C’est une référence à Tintin?
Hermann: Juste un clin d’oeil et un petit parfum qui rappellera Tintin en effet.
Dominique Vergnes: Fin Mai, vous allez donc vous rendre au festival BD de Mantes-La-Jolie?
Hermann: Oui, oui je m’y rendrai.
Dominique Vergnes: Bon festival alors.
Interview de Hermann en mai 2013
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