Interview
Inès, par Loïc Dauvillier et Jérôme D’Aviau
Sceneario.com : Bonjour Loïc ! Vous vous étiez déjà présenté en quelques lignes, en 2007, à l’occasion d’une interview que vous aviez donnée pour ce même site, alors, histoire de ne pas vous faire redire des choses que l’on sait déjà, pourriez-vous plutôt nous parler du Loïc Dauvillier que vous êtes par rapport à celui que vous étiez à vos débuts d’auteur ?
Loïc Dauvillier : A lire votre question, j’ai la sensation d’être un vieux scénariste ! Pour ma part, j’ai l’impression de débuter… En qualité de personne, je ne pense pas être bien différent. Bien sûr, j’ai dû évoluer, mais je n’ai pas de recul pour faire une analyse et tirer des conclusions. D’un point de vue professionnel, j’ai eu la chance de pouvoir faire des livres. Mon parcours a été jalonné de nombreuses rencontres et ça tombe bien parce que c’est que je cherche en faisant ce métier.
En me creusant un peu les méninges, je vois une grosse évolution entre le Loïc Dauvillier de 2003 et celui de 2009. J’ai appris que l’écriture était également un métier. En qualité d’auteur, nous avons souvent la sensation de faire le plus cool métier de la terre. On fait des livres… Wouuuu ! Et puis, en prenant un peu de recul, on s’aperçoit que faire des livres, c’est également notre métier. C’est grâce à cela que nous gagnons notre vie.
Les auteurs ont l’habitude de vivre aux pays des Bisounours… Il arrive un moment où nous devons nous prendre en mains afin de faire valoir et faire respecter nos droits. Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de dire que nous devons obligatoirement entrer en conflit avec les éditeurs. Je ne suis pas non plus en train de crier que les éditeurs sont des vilains. Je dis seulement que la signature d’un contrat et que le respect de ce contrat n’est pas un acte anodin. Nous nous devons de prendre la chose au sérieux.
Sceneario.com : Mamé aux éditions 6 pieds sous terre, Théo en cours aux éditions Les Enfants Rouges, Inès maintenant chez Drugstore… Vous aimez raconter des histoires proches des gens, de leurs vies, voire de leurs problèmes… Vous semblez d’ailleurs aimer choisir leurs prénoms comme titres de leurs histoires mises en images ! D’où vous vient cette envie de raconter de telles histoires ? L’inspiration provient-elle d’expériences personnelles ou bien puisez-vous vos idées ailleurs, dans les faits divers, etc… ?
Loïc Dauvillier : La question du titre est un point important pour moi. Dernièrement, j’ai tenté de voir si j’avais "des tics" dans le choix d’un titre. Comme vous, je me suis fait la réflexion sur les prénoms. Surprenant. Et puis, en établissant des statistiques, je me suis aperçu que sur une bonne vingtaine d’ouvrages, seulement 3 livres avaient pour titre un prénom… Par contre, je me suis rendu compte que j’avais une belle collection de titres "à rallonge". Je pense à Ce qu’il en reste (qui est la paternité de Jérôme d’Aviau), Les équilibres instables (titre à paraître aux Enfants Rouges en juin 2009), Nous n’irons plus ensemble au canal Saint-Martin (aux Enfants Rouges également) ou encore Comment je me suis fait suicider (chez 6 pieds sous terre).
Je pense que mon goût pour ce type de titres provient des livres que j’aime. Je pense à des ouvrages de bande dessinée comme Qui a tué l’idiot ? de Nicolas Dumontheuil, Pourquoi j’ai tué Pierre d’Olivier Ka et Alfred, ou encore un ouvrage de littérature comme Je vais bien ne t’en fais pas d’Olivier Adam, voire un titre de chanson comme Les Hauts quartiers de peine de Dominique A.
Par contre, vous avez raison. La seule chose qui m’intéresse, dans la vie comme dans mon travail, c’est l’humain. Et plus précisément ses failles.
J’aimerais vivre dans un monde merveilleux où tout le monde serait beau, où tout le monde serait gentil. Malheureusement, j’ai bien peur que cela ne soit qu’une utopie. Le propre de l’humain, c’est qu’il peut-être inhumain. Pour s’en persuader, il est inutile de s’inventer des histoires incroyables. Il suffit de regarder autour de soi…
L’homme se construit en observant ces événements et en posant une réflexion sur ces événements. Il n’y a pas besoin d’être auteur pour se poser des questions. Le propre de l’auteur, c’est justement d’utiliser ces réflexions pour écrire des histoires. Des auteurs transposent ces réflexions dans un autre univers. Je pense à Peeters avec la série Lupus. Personnellement, je ne m’inscris pas dans cette façon de raconter : j’ai besoin d’inscrire mes récits dans le monde dans lequel je vis.
Pour répondre plus exactement :
– Mamé est un récit sur la vie et la mort… donc, une partie de moi… mais également de vous,
– Théo est une réflexion sur le couple… donc une partie de moi… mais également de vous,
– Inès est un récit sur la violence conjugale… Je n’ai jamais tapé sur ma compagne. Ma compagne ne m’a jamais tapé dessus. Je n’ai pas vu mes parents se battre. Par contre, j’ai été confronté de façon indirecte à ce problème. Via des voisins, des personnes rencontrées dans la rue, des amis, etc… Ce problème a fait écho en moi. J’ai eu besoin de "tenter" de comprendre le mécanisme. J’ai surfé sur des sites internet, participé à des discussions… et puis, j’ai eu envie d’écrire l’histoire d’Inès.
Sceneario.com : Comment mesurez-vous alors si vous êtes juste ou non dans votre approche de la problématique de la violence conjugale ?
Loïc Dauvillier : Avec la notion de justesse se pose également la question de la légitimité. Qui suis-je pour parler de ce sujet ? Cette question revient régulièrement sur le tapis. Je la trouve étrange… Personne ne se pose cette question lorsqu’il s’agit d’une histoire sur la conquête de l’espace. Idem pour une histoire sur la grande guerre, etc… Alors que cette question revient souvent lorsque l’on traite du quotidien. Comme s’il était plus grave de trahir des faits qui se déroulent maintenant, dans notre quotidien ! Si l’on réfléchit bien, il est plus facile de se documenter précisément sur des faits qui se déroulent de nos jours que sur des faits qui se sont déroulés en 1760. Non ?
Plus sérieusement, je pense que lorsque l’on écrit ce type d’histoire, cette question est hyper présente au début du processus d’écriture. Elle vous envahit. Cela vous pousse à vous poser 300000 questions auxquelles vous aurez du mal à trouver des réponses. Pourtant, il arrive un moment ou l’on sait si l’on doit faire ou non ce projet. Une fois que cette étape est franchie, la question de la légitimité ne se pose plus : on fait en sorte d’écrire et d’être le plus juste possible.
Je ne dis pas que les doutes ne sont plus présents. Ils sont là et bien là mais, votre co-auteur, votre éditeur, les personnes en qui vous avez confiance sont là pour vous aider à trouver des réponses. Par expérience, je peux vous affirmer que ces personnes ne vous épargneront pas… et c’est tant mieux !
La question de la légitimité se posera peut-être chez le lecteur, le libraire, le journaliste… Mais plus chez les auteurs.
Sceneario.com : Le dessinateur qui travaille avec vous sur un projet que vous scénarisez doit-il plutôt d’abord bien dessiner ou plutôt d’abord être touché par le thème ? Pensez-vous que n’importe quel dessinateur pourrait traduire le fond de vos idées en images ?
Loïc Dauvillier : A la dernière question, je réponds définitivement non. Je n’envisage pas le dessinateur comme un exécutant. Pour moi, le dessinateur est un co-auteur. Je lui confie une histoire et une proposition de mise en scène. Je lui demande de prendre soin de mes intentions, mais il a tous pouvoirs pour revisiter la mise en scène. Bien sûr, je lui demande que nous en discutions. Non pas pour avoir absolument le dernier mot mais pour apprendre de sa vision.
Avant d’envisager de travailler avec un dessinateur, il me faut avoir confiance en lui. C’est pour moi la chose primordiale dans une collaboration. Je dis souvent que le livre n’est pas la chose la plus importante pour moi. La priorité, c’est le parcours qui mène au livre. Un livre, une fois qu’il est publié, ne nous appartient plus. Le parcours de création, lui, n’appartient qu’aux auteurs.
Sceneario.com : Le noir et blanc était-il obligatoire pour une chronique de vie quotidienne comme Inès ?
Loïc Dauvillier : Mise à part si des codes couleurs interviennent dans la narration, le choix de la couleur ou du noir et blanc revient au dessinateur. Bien sûr, j’ai mon mot à dire mais la façon d’envisager le graphisme et ses codes revient au dessinateur. Il n’y a pas de règles en la matière. La preuve, Adrian Tomine nous a proposé des ouvrages en noir et blanc mais son prochain livre sera en couleurs ; il y sera question de quotidien.
Sceneario.com : Vous étiez-vous décidé dès le début pour cette fin dans Inès ou bien le temps de la réalisation a-t-il vu le scénario modifié ici ou là ?
Loïc Dauvillier : Pour ce livre, j’ai fait plus de 4 ans de recherche sans même savoir que j’allais en faire un livre. Lorsque j’ai commencé à écrire cette histoire, je n’ai pas pensé dramaturgie. Je savais ce que je voulais raconter sans pour autant avoir un plan très précis. Au fur et à mesure du travail, j’ai vu la structure se construire. La question de la fin a été une vraie problématique. Fallait-il une fin ouverte, une fin fermée ? Je ne sais toujours pas exactement. Jérôme a pris un parti pris. Je l’ai validé… mais je n’en sais pas plus !
Sceneario.com : Comment ce projet Inès a-t-il été accueilli par Drugstore et est-ce qu’il a été présenté à d’autres éditeurs avant ? Des "plus petits" ? Ce thème de la violence exercée par un homme sur sa femme a-t-il trouvé facilement sa place dans leur catalogue ?
Loïc Dauvillier : Le parcours éditorial d’Inès est compliqué… Je n’ai pas voulu m’engager avec un éditeur tant que je n’avais pas fini le découpage. Inès est un travail particulier. J’avais besoin de me rassurer en ayant la totalité du récit. Il s’avère que dès le départ, un éditeur a été intéressé par le projet. Bien que le projet n’était pas encore signé, cet éditeur m’a accompagné dans l’écriture du projet. Je sais ce que je lui dois et je ne le remercierai jamais assez. Malheureusement, une fois le découpage bouclé, la proposition du contrat n’était pas top !
C’est symptomatique de l’état de l’édition. Les personnes qui suivent les projets ne sont pas obligatoirement les personnes qui font les propositions de contrat. Dommage !
A réception de cette proposition, nous avons décidé d’envoyer le projet à l’ensemble des éditeurs de bande dessinée. Le lendemain, nous avions eu une réponse et une proposition de l’équipe de Drugstore. D’autres éditeurs ont suivi mais les éditions Drugstore les avaient devancés. Cette équipe a été très réactive. Les conditions que l’on nous proposait étaient acceptables. On sentait une réelle envie de faire correctement ce livre. Il n’y avait pas de raison de faire jouer le jeu de la concurrence. Je déteste jouer au marchand de tapis !
Chez Drugstore, le projet a été suivi par Cédric Illand. En arrivant sur ce projet, il a apporté un regard neuf. Il nous a permis de prendre du recul et de nous poser un tas de nouvelles questions. J’ai été ravi de cette collaboration. J’espère que nos parcours éditoriaux se recroiseront.
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Sceneario.com : A côté de ces chroniques sociales, votre bibliographie donne aussi dans les adaptations littéraires ou dans les albums jeunesse. Y a-t-il des genres auxquels vous ne souhaitez pas vous frotter ou des genres dans lesquels vous avez essayé de mettre un pied mais qui ont eu raison de vos efforts ?
Loïc Dauvillier : Oui, j’aime énormément les adaptations. Certains pensent qu’adapter est une solution de facilité. Je les invite à se lancer dans l’aventure, et nous en reparlerons ensuite ! Pour la jeunesse, j’aimerais énormément pouvoir re-proposer des récits mais malheureusement, je trouve les éditeurs frileux. La jeunesse ne vend pas… alors, ça n’intéresse pas les éditeurs. Le pseudo-arrêt des collections Punaise et Puceron n’est pas un bon signe.
Heureusement, une jeune boîte d’édition se lance dans l’aventure. L’association amiénoise "On a marché sur la bulle" se lance dans la folle aventure de l’édition avec "La Gouttière". Je crois que je peux déjà annoncer la prochaine publication d’un ouvrage avec mon ami Kokor. L’ouvrage aura pour titre La grosse bêtise. Il devrait paraître pour Angoulême 2010.
Pour en revenir à la question, je ne pense pas être un scénariste de séries. Je ne dis pas que cela n’arrivera pas mais pour le moment, je dois reconnaître que je ne sais pas faire. Ensuite, je pense qu’il est peu probable de me voir faire une histoire de science-fiction. J’en suis incapable. Il faut croire que mon cerveau à besoin de se reposer sur des choses existantes ou ayant existé. Comme l’ensemble des scénaristes, j’ai des projets qui sont refusés. Sûrement pour des très bonnes raisons… je n’en doute pas… mais je ne pense pas que le genre en soit la cause.
Sceneario.com : N’y aurait-il pas au moins un projet que vous aimeriez dessiner vous-même ?!?
Loïc Dauvillier : Il est hors de question que je dessine le moindre ouvrage ! J’aimerais savoir dessiner, mais… ce n’est pas le cas ! Alors, je laisse cela aux autres !!!
Côté projets, en juin, donc, il y aura Les équilibres instables, un recueil de nouvelles graphiques. Le dessin est assuré par la fabuleuse Clotka. Le livre sortira aux Enfants Rouges dans la collection "Carré Absinthe". Toujours pour les Enfants Rouges, maintenant que l’ouvrage Inès est terminé, Jérôme et moi-même allons bosser sur Théo.
Actuellement, je suis en train de terminer l’écriture d’un nouveau projet jeunesse que je compte réaliser avec Marc Lizano. Sur le même ton que La Petite Famille, nous allons parler du parcours d’une petite fille juive durant la deuxième guerre mondiale.
Pour les adultes, j’ai terminé l’écriture d’un polar social. Le titre est Celle que je ne connaissais pas. Normalement, François Ravard devrait le dessiner. Il nous faut terminer le dossier et attendre la réponse des éditeurs.
Quant aux priorités, il y a un projet avec l’ultra-talentueux Pascal Barret (Fred Mangé, fous-lui la paix, il bosse avec MOI !!!) et un récit sur Marius Alexandre Jacob avec mon pote François David.
Sceneario.com : Merci d’avoir bien voulu répondre à ces quelques questions ! Bonne continuation et bravo à Jérôme et à vous pour Inès ! A bientôt.
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