Interview
Interview avec Benoit Dahan et Erwan Courbier
Sceneario.com : Cet été est sorti de façon complètement inattendue l’Intégrale Simon Radius intitulée "PSYCHO INVESTIGATEUR". Soit près de 8 ans après le premier album chez Emmanuel Proust. Quelle est l’histoire de cette nouvelle édition particulièrement augmentée (l’équivalent de trois albums au lieu de un initialement !) ?
Benoit Dahan : Inattendu, sauf sur internet pour un groupe d’irréductibles amateurs de la première heure (depuis 2005), qui a suivi nos déboires, nos espoirs souvent déçus puis finalement récompensés. Et là je dois témoigner publiquement toute notre infinie reconnaissance, je crois qu’on a les meilleurs fans du monde, ou sinon pas loin ! Pendant tout ce temps, un certain nombre n’a pas faibli dans son attente. J’ai souvent été extrêmement ému devant autant de soutien et de motivation. Il y a notamment, sur un forum, un fan dont le pseudo est « simon radius » ! En ce qui concerne la nouvelle mouture, nous avons voulu un gros livre, pour être sûr que tout sortirait une fois pour toute, et bien. Beaucoup d’éditeurs considéraient notre série comme maudite et pestiférée. Dans le milieu, vraiment personne ne donne une seconde chance (« Aaah c’est vraiment super original, mais non, on n’en veut pas »). Sauf finalement, Olivier Petit chez Physalis, que nous saluons et remercions au passage ! Même à mon idée fantaisiste d’une couverture à concept (avec une découpe en forme de pièce de puzzle) il a instantanément répondu positivement. Avec cet album qui est en réimpression, nous avons maintenant la preuve que cette couverture différente a aidé à la faire remarquer. Plus de gens que ce que les éditeurs n’osent croire répondent à l’appel de la créativité. Pour finir cette longue tirade, je dirais que je vois plus cette BD comme un nouveau livre (deux tiers d’inédit !) que comme une « intégrale », même si c’est un peu les deux !
Sceneario.com : Maintenant que ce premier volume est sorti, y a t il d’autres plans pour ce Simon apaisé ?
Erwan Courbier : On espère… Depuis la sortie nous nous concentrons sur la promotion de l’album, et il n’est pas impossible que Simon Radius revienne dans quelque temps dans un autre média que la BD. Vous avez noté le « pas impossible », ce n’est pas une certitude, mais on y pense et s’il y a moyen, on ne laissera pas passer l’opportunité.
Sceneario.com : D’ailleurs revenons un peu plus sur les bases de ce personnage, c’est un personnage qui a une faculté assez particulière, pouvez-vous nous en parler ?
Erwan Courbier : Toute l’histoire tourne autour de Simon Radius, personnage principal et héros de la BD. C’est un psy qui a développé un pouvoir étonnant : il est capable d’entrer physiquement dans les souvenirs de ses patients, et de les modifier. Cela lui permet également d’être le témoin des souvenirs des visités, y compris de ce dont ils ne se souviennent pas consciemment. Avec cette aptitude, il soigne naturellement ses patients, mais peut également apporter son concours sur des enquêtes criminelles : il peut découvrir des faits que personne ne connaît, ou bien trouver des indices qui ont disparu…
Modifier des souvenirs est quelque chose de délicat, les implications pouvant être énormes, et Simon est donc très prudent. C’est également parfois difficile de se fier aux souvenirs visités : ils sont une retransmission subjective de la réalité, et peuvent également être troublés par les pathologies mentales des visités…Simon doit alors « traduire » ce qu’il voit. Dans la BD, ce sont ces différents aspects que nous tentons d’exploiter au maximum…et les possibilités sont très, très nombreuses !
Sceneario.com : Mais, graphiquement c’est un challenge incroyable !
Benoit Dahan : Bien sûr, c’est un défi passionnant de tenter de représenter les souvenirs, avec ce qu’ils comportent de partiel ou de déformé par la subjectivité de chaque personne. Et puis il y a la « topographie » de l’intérieur de la mémoire, une architecture visuelle que nous avons inventé en appliquant la logique : si on pouvait entrer dans des souvenirs de notre choix, comment procèderait-on ? C’est comme cela que l’on a eu l’idée d’une spirale qui se parcourt depuis le moment présent (souvenirs immédiats) jusqu’au passé lointain (souvenirs d’enfance), remplie de « Portes Mnémoniques » représentant chaque souvenir digne d’intérêt (même parfois retenu uniquement par l’Inconscient). Simon Radius choisit où il ira un peu à la manière de la sélection des chapitres dans un menu interactif de DVD !
Sceneario.com : Comment procèdes tu, alors ?
Benoit Dahan : En fait, graphiquement, ça se travaille à 3 niveaux :
– Les mises en pages, qui nous aident à représenter le système d’entrée dans les souvenirs (utilisation du blanc du papier qui marque la transition), et le basculement occasionnel du « monde des souvenirs » à la réalité et inversement (par exemple quand Simon est interrompu dans une séance d’exploration de mémoire). Tout compte : l’agencement et la taille des cases, l’apparence de leur contour… La composition de la page a vraiment un sens dans cette BD, au-delà des simples considérations d’esthétique.
– Le dessin : eh oui, quand on ne se souvient pas de la salle à manger de quelqu’un, on a retenu, eh bien… un flou artistique. Ou si on se rappelle d’un homme qui a un gros nez, ou d’une fille dont la poitrine n’est pas passée inaperçue, on en gardera souvent une trace exagérée (très gros nez, très grosse poitrine). C’est d’ailleurs une des raisons qui nous a fait choisir un style de dessin relativement réaliste (du moins au niveau des proportions), pour que l’exagération des traits par moments se remarque. Au départ le style prévu était moins réaliste, Simon a connu des visages surprenants avant de se fixer !
– Les couleurs : elles sont particulièrement importantes dans ce projet ! Il s’agit de créer une ambiance immédiatement identifiable à chaque changement de scène, surtout lors du passage dans un souvenir. Ca tomberait à plat si on ne notait pas la différence. De plus l’atmosphère colorée est choisie aussi en fonction du sentiment à évoquer : un souvenir terrifiant et glacial sera un camaïeu de bleu froid, un souvenir très violent sera dans des tons rouges – oranges, ou encore un souvenir doux et bucolique aura des tons « roman photo ». Le tout en essayant de garder une esthétique pour toute la BD, sans trop de répétitions, ça demande forcément beaucoup de réflexion. J’ai mis au moins autant de temps, si ce n’est plus, à faire les couleurs de cette BD que les crayonnés et l’encrage réunis ! Je place une petite dédicace à tous les coloristes qui sont encore souvent considérés comme la 5ème roue du carrosse…
Sceneario.com : Comment se passe votre travail d’écriture, Erwan, par exemple, décris tu précisément chaque case ou donnes tu juste des indications que Benoît interprète dans un story-board ?
Erwan Courbier : Le fait de travailler en binôme avec Benoît me permet de ne pas avoir à beaucoup détailler par écrit le script. Je suis l’élément « actif », Benoît l’élément « réactif ». Avant toute chose, on se voit et on « balance » toutes les idées qu’on peut avoir, avant d’en faire un tri. Puis dans un premier temps, je rédige une sorte de résumé de l’histoire complète, juste pour formaliser où on va. Une fois que les grandes lignes sont établies, je rédige un document plus conséquent, qui sépare l’album en scènes, chaque scène étant relativement détaillée. J’y indique ce qui se passe, où ça se passe, les éléments importants qui devront apparaître, quelques exemples de dialogues pour donner une idée de la tonalité de la scène, et enfin le nombre de pages pour la scène, en pensant à l’ordre des pages gauche-droite. C’est à partir de ce document que l’on fournit un premier gros travail, puisque c’est là qu’on voit si le tout marche bien. Il est donc remanié à de nombreuses reprises. C’est un document de 6-7 pages environ. Ensuite je passe au script proprement dit, et avec tout le travail fait précédemment, je n’ai pas besoin de donner beaucoup de précisions. Si je travaillais avec quelqu’un d’autre que Benoît, il est probable que je serais sans doute beaucoup plus loquace, mais Benoît travaillant depuis le début sur l’histoire avec moi, nous savons tous les deux de quoi il est question. Dans le script, page par page, j’indique le lieu, je donne mon estimation du nombre de cases, les dialogues dans chaque case, ainsi que les éléments que je juge indispensables de voir apparaître (sur l’état d’esprit des personnages où sur ce qui doit être montré). Le script est âprement discuté avec Benoît (en cas de désaccord, une bataille violente s’engage entre nous, et le plus fort garde sa version !), et ensuite c’est à lui de jouer ! C’est Benoît qui interprète le script et qui l’adapte à sa mise en page, en formalisant un story-board complet. Là, c’est Benoît qui devient actif et moi réactif, et si il y a des modifications à faire (plus ou moins de cases, par exemple), on en discute à nouveau.
Benoit Dahan : En fait on fait tout à deux en ce qui concerne le scénario, mais Erwan a l’avantage que je n’ai pas d’être très efficace pour coucher du concret sur le papier. Je suis plutôt le genre à avoir des paquets d’idées dans tous les coins de ma tête mais à avoir un mal fou à tout connecter efficacement ! Mes essais de scénarios tout seul m’ont montré que j’étais souvent lent à prendre les décisions. C’est pour ça que ça fonctionne bien comme Erwan a dit : il écrit du concret, si c’est bon on garde, si je suis mitigé je l’assaille d’une pluie de remarques, de nouvelles idées, et de doutes… Je suis un pinailleur de premier ordre. Ce doit être atrocement pénible pour lui… Je te fais mes excuses, Erwan…
Mais au final je crois qu’on est tous deux d’accord pour dire qu’à deux on atteint un niveau de qualité bien plus haut que seuls, tout simplement parce qu’on est deux fois plus exigeants. Attention, je ne frime pas en disant ça, je sais qu’on a encore des progrès à faire !
Sceneario.com : Maintenant que l’histoire est terminée, aviez-vous élaboré l’ensemble dès le départ ? Ou vous étiez-vous donné suffisamment de pistes pour rebondir ensuite ?
Benoit Dahan : Les grandes lignes étaient tracées, mais l’histoire a connu deux gros remaniements en cours de route. Le premier, après avoir fini le tome 1, où nous avons corsé sérieusement les choses en décuplant l’importance et l’intérêt du « grand méchant ». En cela nous devons remercier mille fois notre ami commun Cyril Liéron qui nous a poussés à nous dépasser ! Il faut le surveiller, j’vous l’dis ! 😉 .
Erwan Courbier : Le deuxième gros remaniement, en approchant de la fin du tome 2, où nous avons carrément jeté à la poubelle un synopsis possible pour le tome 3, pour écrire une nouvelle histoire nous menant à la conclusion. Je l’aimais bien, pourtant, celle que nous avons abandonnée, mais elle était trop complexe, et nous avons dû nous rendre à l’évidence : pour bien la raconter, nous aurions dû prendre trop de place et expédier la fin. Tout réécrire est un choix douloureux, mais nous savions exactement où nous voulions aller, et il fallait que cela soit possible.
Sceneario.com : Comment est venue cette idée ?
Erwan Courbier : Nous parlons donc là des débuts de là série, telle qu’elle a été créée avant d’être acceptée d’abord chez E.P. Éditions. C’est le troisième projet sur le lequel je travaille avec Benoit Dahan, qui est mon ami depuis de nombreuses années. Le précédent projet n’a pas trouvé d’éditeur pour différentes raisons, la première étant un problème de ligne éditoriale : notre concept ne rentrait pas dans un moule pré-établi. Pour ce projet, nous avons gardé plusieurs choses à l’esprit :
1- Faire quelque chose que nous aurions envie de lire.
2- Trouver un concept original et inédit.
3- Veiller à ce qu’il puisse entrer dans une ligne éditoriale.
La je pense qu’il y aura matière à réécrire le truc, peut-être reparler brièvement d’EP, je ne sais pas… D’où le rajout en bleu 😉
C’est Benoît qui a eu l’idée de base du personnage qui pourrait agir physiquement dans les souvenirs. Après avoir bien cherché, nous n’avons rien trouvé d’équivalent. Il y a bien des histoires où on lit les pensées, d’autres ou on voyage dans les rêves, mais les souvenirs n’ont jamais été exploités (si quelqu’un me dit le contraire, je vais de ce pas me pendre !). Nous avons alors développé ce concept ensemble : comment cela pourrait se passer dans les faits, quelles implications cela entraîne, les possibilités que cela laisse, comment le représenter visuellement…Un gros boulot pour se rendre compte que ce concept était d’une richesse qui nous donnait de très nombreuses possibilités. Nous avons alors listé ce que nous pourrions montrer, ce qui a achevé de nous rassurer. Le matériau était solide, on pouvait y aller.
En inscrivant l’utilisation de ce pouvoir dans des enquêtes, nous pensions également que cela donnerait un repère aux lecteurs, et que cela pourrait coller dans les lignes éditoriales d’aventure ou policières. Il faut bien voir que nous avons fait un gros effort pour que nos histoires, bien que s’inscrivant dans un background psychologique, puissent également être lues comme des BD d’aventures, avec de l’action spectaculaire.
Benoit Dahan : Effectivement, Erwan a à peu près tout dit : ceux qui ont essayé de chercher des concepts nouveaux en fiction savent que la tâche est ardue – tout (ou presque) a déjà été fait. Alors on se rattache au « presque » et on se dit que ce qui compte c’est finalement COMMENT on raconte l’histoire, le traitement, la déclinaison du concept. Cela dit, le simple fait d’utiliser un héros psychanalyste qui mène l’enquête, même sans super-pouvoir, des années avant « Le Mentalist », était plutôt inédit.
Par la suite, avec la réincarnation chez Physalis, ce fut différent puisque nous avons proposé un projet fini, clé en main, hors collection. Cependant, l’existence préalable de la BD « Un léger bruit dans le moteur », montrent une volonté d’Olivier Petit de suivre une trajectoire éditoriale : un gros livre unique, sombre à tous les sens du terme, un fort parti-pris graphique, un refus de la mièvrerie, voilà les points communs avec Psycho Investigateur.
Sceneario.com : Et pour créer ce personnage, avez-vous fait des recherches particulières sur la mémoire, les souvenirs ?
Erwan Courbier : Oui et non. Nous avons bien fait quelques recherches sur la mémoire et les souvenirs…pour nous rendre compte qu’il n’y avait pas grand chose sur la question ! Par contre, nous avons fait pas mal de recherches sur les différentes pathologies mentales que nous exploitons pour qu’elles soient le plus exactes possibles. Ensuite, nous nous sommes appliqués à en faire une retranscription visuelle dans les souvenirs. Par exemple, il y a dans ce tome un moment où Simon visite les souvenirs d’un paranoïaque aigu. Et bien la façon dont il voit le monde n’est pas vraiment la même que la notre…D’une façon générale, en dehors des cas pathologiques, nous adoptons surtout une démarche de bon sens, et ceux qui voudront décrypter la BD découvriront que nous avons pris soin de retranscrire au mieux ce que nous imaginons être les souvenirs. Par exemple, dans le souvenir que vous avez de quelqu’un qui vous a effrayé quand vous étiez jeune, vous le voyez sans doute plus grand et menaçant qu’il ne l’était en réalité.
Benoit Dahan : En fait, des recherches que nous avions fait sur la mémoire, peu nous ont servi pour le premier tome, mais je pense qu’elles nous serviront plus pour les deux suivants.
Sur la psychanalyse, et surtout sur les pathologies, notre documentation a servi. Mais attention il s’agit de fiction, et comme souvent en cinéma, en romans, comme en BD, il faut parfois ne pas tenir compte des documents exacts. Le risque étant de perdre en intérêt dramatique. Sans aller jusqu’à des peaux-rouges pratiquant le kung-fu dans le Gévaudan de la Renaissance contre un loup-cyborg… Si vous me suivez. De toutes façons il faudrait être expert en tous les domaines pour « bien faire », et manque de chance, nous ne sommes que des raconteurs d’histoires.
Sceneario.com : J’avais lu, il y a de ça pas mal de temps, un livre de Dick, « L’œil dans le ciel » ou il racontait comment un groupe de personnages s’immergeait dans l’inconscient de chacun d’eux, et comment la réalité y était déformées par leur croyance, leur névrose. Les univers traversés sont autant de personnages supplémentaires en fait !
Erwan Courbier : J’ai lu pas mal de Dick, et c’est clair que notre univers lui plairait, avec un thème comme la réalité déformée. Par contre, il y a beaucoup plus d’action dans notre traitement que dans ce qu’on trouve chez Dick d’ordinaire. Et histoire d’être précis, quitte à passer pour un type un peu pointilleux, les univers traversés ne sont pas vraiment comme des personnages supplémentaires, mais plutôt comme des perceptions parallèles dans les souvenirs. Plus que sur l’inconscient, c’est sur les souvenirs et la mémoire que nous travaillons… Comment ça je chipote ?
Benoit Dahan : Non, tu ne chipotes pas, Erwan (d’ailleurs cette spécialité me revient de droit !). Beaucoup de gens qui parlent de notre projet font l’amalgame « Souvenirs – Inconscient ». Mais je leur réponds à chaque fois que si nous avions créé un personnage qui rentre dans l’inconscient des autres, nous ne l’aurions pas traité pareil ! Le résultat aurait été bourré de scènes beaucoup plus abstraites, oniriques, sans queue ni tête (ce qui peut être fort sympathique aussi). Mais ce principe (ainsi que les voyages dans les rêves) a déjà été traité en BD (je pense à Philémon, Sandman, The Spectre, etc), et dans d’autres domaines (Dick, donc, ou le très mauvais film « The Cell » par exemple, et plus notablement dans « Inception »). Dans cette série, nous nous concentrons uniquement sur les souvenirs et leur interprétation, ce qui laisse bien sûr une place à l’inconscient puisque ce dernier garde pour lui une part de nos souvenirs auxquels nous n’avons pas forcément accès.
Sceneario.com : Donc dès le départ cet album s’inscrivait dans une série, dans un ensemble ? Cette Intégrale vous a donné l’occasion de boucler l’intrigue principale, en toute liberté. D’ailleurs on voit bien que formellement plus on avance plus c’est audacieux…
Benoit Dahan : Dans sa première version cette BD était une trilogie au vrai sens du terme, en trois volumes. Entre le début et la fin, toute la création a été étalée sur pas mal d’années. Forcement le dessin évolue. La volonté de faire des mises en pages osées était déjà là dès le tome 1, mais si tu le dis, peut-être bien qu’effectivement ça va encore plus loin par la suite. En fait, tu as raison : la troisième partie, avec son très long dénouement bourré d’action et de rebondissements, sur plus d’une vingtaine de pages sans répit, m’a forcé a maintenir une grosse exigence au niveau de l’impact visuel. Il fallait tâcher de finir en beauté, tout de même
Sceneario.com : Comment en êtes-vous arrivés à vous lancer dans la BD ?
Erwan Courbier : J’ai 40 ans…et je raconte des histoires depuis que j’en ai 10 ! Gamin, je voulais être écrivain, mais il a fallu que je me rende à l’évidence : je n’ai pas le talent pour ça.
Dès 10 ans, j’ai commencé à jouer à des jeux de rôle. Tout de suite, j’ai préféré inventer mes scénarios plutôt que de les acheter. A partir de 15 ans, j’ai rencontré Benoît, avec qui j’ai continué de jouer. En grandissant, nous nous sommes de plus en plus intéressés aux univers et aux background, et nous en avons créé plusieurs. Notre premier projet était d’ailleurs l’adaptation d’un univers de JdR que nous avions inventé !
Benoit était illustrateur, et nous nous entendons très bien. Quand il m’a parlé de ce premier projet, j’ai tout de suite été partant ! Ensuite, c’est devenu un plaisir que d’inventer des univers et des histoires, et nous avons continué de façon de plus en plus professionnelle, avec en ligne de mire de réussir à produire quelque chose. Le but est aussi de faire quelque chose que je voudrais lire et que je ne trouve pas aujourd’hui. Je ne suis pas un gros consommateur de BD, mais tout de même un amateur, élevé aux comics autant qu’aux classiques. Ces influences doivent sans doute se voir un peu dans Simon Radius !
Benoit Dahan : Quand j’avais 9 ans je voulais être dessinateur de BD… J’ai mis un peu ce rêve de côté (sans l’oublier) en m’orientant d’abord vers l’illustration de presse et jeunesse, que je pratique depuis 1996. Cela me paraissait plus facile que la BD, et après avoir testé, en toute franchise je pense que ça l’est (du moins pour moi)! Puis le besoin viscéral de faire de la BD s’est rendu de plus en plus évident. Il était inconcevable que je ne tente pas le « grand saut ». Après coup, je pense même que j’aurais dû faire des études de BD dès le départ plutôt que mon école de graphisme (dont illustration). Car sur le premier album, j’ai eu tout l’art du découpage et de la mise en page et cases à découvrir d’un coup. Absolument passionnant, mais dur !
De plus lors de nos premiers démarchages d’éditeurs, on m’a plus d’une fois moins pris au sérieux du fait de mon passé d’illustrateur, alors que je pensais que mes quelques bouquins publiés aideraient à avoir l’air un peu sérieux. Non ! Non-non-non, pas du tout, pensez-vous, je suis redevenu un petit jeune sans expérience au même titre que les autres. Une sacrée leçon d’humilité.
Mais avec trois albums finis, même s’il n’en forment finalement qu’un sous cette forme, maintenant je me sens au moins autant auteur-dessinateur de BD qu’illustrateur.
Sceneario.com : Tous les deux, quelles ont été justement ces lectures de jeunesse, ces repères qui ont nourri votre passion ?
Erwan Courbier : Les classiques comme Asterix, Tintin, etc…Un peu de SF (Moebius surtout), pas mal de Fluide Glacial (Goosens, Tronchet, Edika, Larcenet). Et beaucoup de comics ! Je suis plus un amateur de Marvel, en particulier des X-men (période Claremont) et de Daredevil. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour le style de Mignola. En littérature, j’étais et je reste un gros consommateur de fantastique et de SF, en particulier la période de l’âge d’or où il y avait 10 idées originales par bouquins (Dick, Assimov, Sturgeon, Van Vogt…). Je suis également beaucoup influencé par le cinéma, étant un gros amateur de Fantastique (Carpenter, Lynch, Romero…).
Benoit Dahan : : Il faut reconnaître que je n’étais pas un grand dévoreur de romans, j’ai lu beaucoup plus de BD et comics… Mais en littérature, j’adore les tout premiers pas de la SF, donc bien sûr Jules Verne, H.G. Wells, Stevenson, et je suis un inconditionnel de Sherlock Holmes et des autres créations de Conan Doyle… Bref, un monomaniaque de la littérature Victorienne !
En BD, je suis un fan incroyable de Mike Mignola depuis le début (surtout pour l’aspect graphique), et j’adore De Crécy, Manu Larcenet, David B, François Ayroles, Adam & Micol, Bonin & Seiter… La liste serait longue. Et aussi les mêmes classiques qu’Erwan (Asterix, Tintin, Les Bidochon – les premiers tomes). En comics américains, à Mignola j’ajouterai Dave McKean, Alan Moore, Jim Lee, Doug Mahnke, Ivan Reis, Jae Lee… J’ai commencé par me gaver de DC Comics principalement (Batman, Justice League, Green Lantern, etc), et de quelques Marvel et autres…
Sceneario.com : Après "Psycho Investigateur" et ce personnage quelque peu décalé, quels sont les projets qui vous occupent en ce moment ? Une nouvelle collaboration ?
Benoit Dahan : Nous avons tous les deux envie de faire ensemble une BD graphiquement moins réaliste, plus stylisée et carrément humoristique. Évidemment il faudra qu’il y ait du concept ! Et par ailleurs, de mon côté avec mon ami Cyril Liéron, nous travaillons sur une BD à nouveau policière et conceptuelle. Celle-là plaira aussi forcément aux amateurs de Psycho Investigateur.
Sceneario.com : Ensuite, de manière plus générale, vis à vis de la BD…
Quel regard portez-vous sur ce monde de la BD ? Sur cette surproduction, cette explosion de créativité… ?
Erwan Courbier : Je trouve que la BD est trop cloisonnée, et que dans chaque cloisonnement, c’est très difficile de se démarquer. Je ne sais pas si cela vient du public qui demande des BD un peu similaires où ils se repèrent tout de suite, où si c’est une demande des éditeurs. Du coup, je pense que les artistes se freinent naturellement. D’un autre côté, il y a également des artistes qui ont réussi grâce à un style super original qui tranche avec le reste.
Je reste tout de même prudent sur mes propos : ce sont juste mes impressions. C’est mon premier ouvrage, et je connais assez mal ce milieu.
Benoit Dahan : Selon moi, il y a trop d’Heroic Fantasy, trop de SF-Space Opera dans la production actuelle ! Comment se renouveler dans un tel contexte ?
Autre chose : je suis fatigué par les clones… Je fais références aux auteurs qui dessinent comme un autre, déjà connu.
Sceneario.com : Je suis bien d’accord avec cette opinion, mais c’est vrai aussi que souvent on objecte que si il n’y avait justement pas cette production très stéréotypée nombre d’albums plus marginaux n’auraient jamais vu le jour, par exemple Sémic a pu traduire des choses comme « Human Target » grâce aux sous que leur amenaient Tomb Raider et Fathom ! N’est ce pas le paradoxe de la BD actuellement ?
Erwan Courbier : Tant que des œuvres plus originales sortent, je ne vois pas de problème à ce que des produits commerciaux soient mis en avant. Il est logique que les éditeurs vivent. Le danger est que la logique commerciale étouffe l’aspect artistique et/ou original (c’est ce qui se passe dans les majors au cinéma).
Sceneario.com : Et justement comment se passe la promotion d’un album tel que Psycho Investigateur sorti assez confidentiellement chez Physalis, en plein été, juste avant le gros boom des sorties de Septembre ? J’imagine que vous devez faire énormément de séances dédicaces, de « présence sur le terrain » ?
Benoit Dahan : Je ne vais pas vous mentir : oui. Notre boulot de promo, en mode « système D », est énorme ! Cela nous prend un temps considérable. On a eu aussi à s’accoutumer de notre mieux d’une sortie, tu l’as bien remarqué, à une période pas facile, et de problèmes répétés de distribution. Mais nos efforts payent, car malgré ces difficultés le premier tirage de 3000 a été vendu, et on ne se repose pas encore. En même temps, on n’a pas attendu 8 ans pour se contenter d’un pétard mouillé !
Sceneario.com : Actuellement on se rend compte, et pas seulement via notre site, que le média Internet est en train de prendre une place bien particulière, pour à la fois promouvoir, mais aussi pour ouvrir des forums de discussion et ainsi développer une vraie proximité entre les auteurs et les lecteurs BD, comment appréhendez vous cet "outil" de votre côté ?
Erwan Courbier : Il se trouve que je suis un internaute maladif ! Si je n’ai pas accès à internet, au bout de quelques jours, il me manque quelque chose…Et je pense aussi que ce média a une place bien à lui. Le contact avec les autres est beaucoup plus direct, épuré…et donc beaucoup plus franc. J’ai mes habitudes sur un forum de jeux vidéos où on parle de jeux vidéo…mais surtout de tout le reste.
Il y a sur internet, un lien qui me semble plus sain qu’ailleurs. Ainsi, si je donne cette interview, c’est naturellement de la promotion pour Psycho Investigateur, mais c’est aussi une possibilité de pouvoir dire des choses avec simplicité. Je ne pense pas que je parlerais de la même façon si j’étais invité au JT de TF1 ! J’accorde donc pas mal d’importance à ce que je peux trouver concernant notre travail sur internet.
Sceneario.com : D’ailleurs qu’en est-il du site www.simonradius.com que vous aviez lancé à la sortie du premier tome ?
Benoit Dahan : Perdu dans les limbes mnémoniques ! 😉 Mais remplacé par le nouveau site www.psycho-investigateur.com !
Sceneario.com : En tout cas merci pour avoir passé du temps avec nous et encore merci pour ce remarquable album !
Erwan Courbier : Je retourne les remerciements, voilà une conversation qui a été très agréable.
Benoit Dahan : Merci surtout à vous ! Et aux sites qui permettent à des « non-Van Hamme » de parler un peu de leur travail… Heureusement que vous êtes là !