Interview

INTERVIEW DE ALCANTE

Sceneario.com: Pouvez vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas?

Alcante: Hé bien, je suis Belge, j’ai 34 ans, je suis marié et père de deux enfants. Je suis économiste de formation et scénariste « auto-didacte ». Ecrire des histoires a toujours été une passion (quand j’avais 6 ans, j’ai persuadé ma mère d’écrire une lettre pour Degieter – l’auteur de « Papyrus » – pour lui suggérer une histoire de Papyrus avec des chats-vampires ( !)). En 1995 j’ai remporté un concours de scénario organisé par Spirou, mais à part ça c’est quelque chose que j’ai toujours fait plutôt en dilettante, jusqu’il y a environ 5 ans. A ce moment là, je me suis dit que si je n’essayais pas sérieusement de réaliser quelque chose dans ce domaine, ça risquait de me « hanter » le reste de mes jours ; je me suis donc mis au boulot plus sérieusement et j’ai monté un premier dossier.
Cela a abouti à quelques histoires courtes publiées dans Spirou (il y en a 2 sur http://bda.creamen.net/bda/php/site.php?task=member&member=26&zone=gallery ), et puis donc à « Pandora Box », ma toute première série. Aujourd’hui je partage mon temps entre un boulot d’économiste, mon activité de scénariste, et ma petite famille. Ca me fait des journées bien remplies 😉

Sceneario.com: D’ou vous est venu l’envie d’écrire cette histoire?

Alcante: Dans la série « Pandora Box », j’associe dans chacun des sept premiers albums un mythe grec, une technologie (ultra)moderne et un des 7 péchés capitaux. (Le huitième album sera un album de conclusion). L’idée de départ remonte à assez longtemps en fait. Quand j’ai envoyé mon premier dossier de scénarios pour des histoires courtes à Thierry Tinlot (rédacteur en chef de Spirou), il m’avait recontacté pour me dire qu’il aimait bien ce que je faisais mais qu’il cherchait plutôt des histoires plus réalistes (à l’époque mes histoires étaient plutôt « fantastiques », avec des dragons, des vampires,…). Il m’a demandé de garder le même ton mais en étant plus réaliste. Je me suis alors penché vers les technologies qui n’existent pas encore mais qui sont sur le point d’exister, ou en tous cas qui pourraient exister. D’un côté comme elles n’existent pas encore, ça donne directement un petit aspect « fantastique » ; de l’autre comme elles sont sur le point d’exister, il y a un ancrage réaliste.

La première technologie à laquelle j’ai pensé, c’était le clonage humain. J’ai alors fait des tas de recherche sur le sujet et je suis tombé sur une interview d’un psychologue qui disait que le clonage humain était une démarche très narcissique. Je me suis alors dit « tiens et si j’adaptais le mythe de narcisse en faisant une histoire avec un clone humain », et ça a donné l’histoire courte « un homme à son image », qui a été publiée dans Spirou. J’ai ensuite écrit quelques histoires courtes sur le même principe – mêler technologie moderne et mythe ancien – et je trouvais que ça fonctionnait bien, c’est comme ça que j’ai creusé le concept et que ça a donné naissance à « Pandora Box ».

Il faut dire que j’ai toujours été un grand fan de Mythologie. Quand j’étais petit, j’ai dévoré tous les livres « Contes et Légendes de… » (de France, de Grèce, d’Egypte,…). Mes préférés, c’étaient ceux sur les mythes grecs, donc ce n’est vraiment pas un hasard que mes premiers albums y fassent allusion ! Certains enfants ont pour héros Spiderman, d’autres Zorro, moi c’était Thésée, Persée, Ulysse,…

Sceneario.com: Comment avez vous appréhendé un tel travail?

Alcante: J’ai d’abord rédigé un petit dossier de présentation du projet ainsi que le synopsis du premier tome, mais initialement il était assez austère et plutôt court. En même temps, il était assez « mûr » car mes premières réflexions à ce sujet dataient de août 2000 et on était en mars 2002 quand j’en ai parlé la première fois à Dupuis. Entretemps j’avais commencé à publier mes histoires courtes chez Spirou. J’ai eu de la chance à ce moment là que Thierry Tinlot me présente à Sébastien Gnaedig (ex-directeur de collection chez Dupuis) qui était en train de développer la toute nouvelle collection « Empreinte(s) », et qui a directement marqué son intérêt pour cette série qui pouvait s’y intégrer (cette collection publie des cycles en quelques albums pour un public « ado-adulte »).

Ensuite j’ai dû pas mal développer d’abord le synopsis du premier tome, puis le dossier de présentation avant d’enfin signer le contrat. Et puis bien sûr, j’ai développé chaque album l’un après l’autre.

Certains scénaristes se lancent directement dans le découpage et avancent planche par planche. Je serais incapable de procéder comme ça et ce n’est pas une méthode qui me convient. C’est comme si on se lançait dans une construction avant d’en avoir terminé le plan. Pour moi le découpage de la première planche n’intervient qu’une fois que je sais exactement ce que je mettrai sur la dernière planche. Les dessinateurs ont donc systématiquement reçu le scénario complètement fini, intégralement découpé avant même de faire le premier crayonné. Heureusement, ils ont tous été contents du scénario et n’ont donc rien voulu modifier.

Sceneario.com: Avez vous effectué de nombreuses recherches? De quel ordre?

Alcante: Oui, j’ai effectué énormément de recherches, sur toutes les technologies dont je parle dans les albums. Par exemple, pour les deux premiers tomes, sur le clonage et sur le dopage. On peut trouver énormément de choses sur Internet, et j’ai également veillé à rencontrer des gens qui pouvaient m’aider. J’ai ainsi rencontré un médecin spécialisé dans le dopage, par exemple.

Pour chaque album, j’ai un gros classeur rempli de documentation sur le sujet en question. C’est toujours la première étape de l’écriture : lire une multitude de textes, regarder des reportages sur le sujet etc. Ensuite il faut pouvoir s’en détacher car ce que les lecteurs veulent, c’est une bonne histoire, et pas un reportage !

Sceneario.com: Quelles ont été les difficultés rencontrées dans l’écriture?

Alcante: Il y a d’abord les difficultés que rencontrent tous les scénaristes, je suppose : l’angoisse de la page blanche ! Inventer une histoire c’est tout sauf du travail à la chaîne : parfois on trouve vingt bonnes idées en une heure, parfois on n’en trouve aucune pendant 20 jours. Dans ce dernier cas, je deviens de TRES mauvaise humeur et mon épouse a bien du mérite à me supporter 😉

Dans le même ordre d’idées, il y a aussi les échéances à respecter, ce n’est pas toujours évident et ça met une pression supplémentaire.

Il y a également les difficultés nées des contraintes que je me suis moi-même imposées : chaque album doit faire référence à un mythe grec, une technologie et un péché capital, ce n’est pas toujours facile. Bien sûr, mes histoires doivent être plaisantes en tant que telles, même si le lecteur ne connaît rien au mythe duquel je me suis inspiré. Mais je veux aussi que ceux qui connaissent bien le mythe puissent y retrouver plusieurs allusions. Et en même temps, je dois surprendre même ceux qui connaissent bien le mythe ! Je suis fou de m’être imposé toutes ces contraintes ;-).

Enfin, il y a aussi le fait que chaque album met en scène une histoire complète et indépendante, avec des personnages et des contextes différents. Je n’ai donc jamais pu me « reposer » sur des personnages déjà existants, j’ai chaque fois dû repartir de zéro. Ca a été beaucoup de boulot mais je vois ça comme des espèces de cours accélérés !

Sceneario.com: Y a-t-il un album que vous préférez aux autres?

Alcante: C’est un peu comme si vous me demandiez si je préfère un de mes enfants aux autres ! Je les aime tous mais pour des raisons différentes. Ils ont chacun leurs défauts et, je l’espère, leurs qualités, en tous cas chacun leur « personnalité », encore davantage marquée par le fait que c’est chaque fois un dessinateur différent qui les illustre. Je peux préférer un album pour l’histoire, le deuxième pour le découpage, un troisième parce que j’estime que j’ai mieux réussi le personnage principal, un autre parce que je trouve que la fin est vraiment bien etc. Bref, pour l’histoire, je ne me prononce pas ;-).
Quant aux dessins, vous verrez que chaque dessinateur a sa patte et convient très bien à l’histoire qu’il illustre !

Sceneario.com: Comment avez vous choisi les dessinateurs?

Alcante: Comme j’étais vraiment le gars sorti de nulle part – à savoir que Dupuis a accepté mon projet de 8 albums moins d’un an après avoir accepté mes premières histoires courtes – je ne connaissais pas vraiment de dessinateurs, en tous cas pas de dessinateurs réalistes, ce qu’il fallait pour « Pandora Box ». Le directeur éditorial m’a donc demandé de lui faire une liste « idéale » de dessinateurs que je verrais bien pour la série, ce que j’ai fait. Mais ma liste était aussi « utopique » dans le sens où les dessinateurs que je citais ont déjà énormément de succès et n’auraient donc pas été libres avant de nombreuses années (et n’auraient de toutes façons pas forcément eu envie de faire un album avec un « débutant »). Mais ma liste a permis à l’éditeur d’avoir une idée plus précise du style de dessin que je voulais.

Le Directeur de Collection m’a donc proposé d’autres noms « plus accessibles » en me demandant mon avis. La grosse majorité des noms cités me convenaient (enfin, leur travail), l’éditeur les a donc contacté et leur a envoyé le dossier de présentation ainsi que le premier scénario qui était à ce moment là entièrement découpé. En général tous ceux à qui on a proposé le projet l’ont apprécié et ceux qui l’ont décliné l’ont fait plutôt pour des raisons de planning, bref il a été plutôt bien accueilli et l’équipe s’est formée relativement rapidement (mais dans le « désordre » : le premier dessinateur ayant signé étant en effet celui qui va réaliser le 6ème tome et ainsi de suite).

Finalement 7 dessinateurs vont donc se partager 8 albums, le premier et le dernier album étant illustrés par le même dessinateur. Pour la petite histoire, le plus jeune est né en 1973, le plus âgé en 1956 ; il y a quatre français, deux belges et un serbe. Allez hop, je les cite : Didier Pagot (qui a fait FIDES aux Humanoïdes Associés), Vujadin Radovanovic (dont c’est le premier album), Steven Dupré (COMA chez Glénat), Roland Pignault (ARCANES chez Delcourt), Erik Juszezak (OKI chez Glénat), Alain Henriet (JOHN DOE et GOLDEN CUP chez Delcourt) et Sébastien Damour (NASH chez Delcourt). Tous ceux là font vraiment du beau boulot, comme d’ailleurs les deux coloristes Araldi (T1 et T8) et Usagi (tous les autres tomes). Je ne peux vraiment pas me plaindre !

Sceneario.com: Comment les éditions Dupuis ont elles réagi à votre projet?

Alcante: Avec le recul, étonnamment bien dans la mesure où, comme je l’ai dit, je sortais vraiment de nulle part ! Malgré cela ils n’ont pas hésité à me faire confiance pour une série en 8 albums. Le Directeur de Collection de l’époque (Sébastien Gnaedig) a directement marqué de l’intérêt pour le projet, même quand il était encore « embryonnaire ». Autant avant la signature du contrat, il m’en a bien fait « baver » pour le développer, autant il m’a laissé entièrement libre une fois que le projet a vraiment démarré. Mais « libre » ne veut pas dire « sans suivi », que du contraire, nous avons eu de très fréquents contacts, que ce soit de visu, par e-mail ou au téléphone. Ici aussi, j’ai eu beaucoup de chance de tomber sur quelqu’un (de mon âge) avec qui j’ai eu de très bons contacts, et – surtout – qui m’a fait très vite entière confiance. L’air de rien, ce n’était pas évident car concrètement les huit albums auront été lancés (et partiellement rémunérés) avant même que le premier tome ne soit sorti. Etant donné que je suis un parfait inconnu dans le monde de la BD, c’est quand même un risque qu’il a osé prendre. Personnellement je suis donc triste de son départ (pour Gallimard) en novembre dernier, même si son successeur, Louis Antoine Dujardin, a l’air du même tonneau.

Sceneario.com: Pourquoi avoir choisi de publier les albums de manière si rapprochée?

Alcante: A l’origine, je n’avais pas pensé que ça se passerait comme ça. C’est Sébastien Gnaedig qui a le premier eu l’idée de faire appel à plusieurs dessinateurs, ce qui était une très bonne idée vu que chaque album peut se lire de manière complètement indépendante : c’est chaque fois une histoire complète, avec des personnages différents. Donc nous avons choisi de travailler avec 7 dessinateurs différents, seul Didier Pagot illustrant deux tomes (le premier et le dernier pour boucler la boucle).

Le premier planning prévoyait une sortie en deux ans, mais pour toutes sortes de raison les premiers albums ont pris du retard par rapport à ce planning. Par contre, les derniers albums ont été lancés un peu plus vite que prévu. D’où une nouvelle idée de Sébastien : sortir les premiers albums un peu plus tard que prévu, et les derniers un peu plus tôt. Au total ça nous permettait de ramener tous les albums sur un an, ce qui est énorme (d’après Dupuis ce serait même du jamais vu). Il en a parlé aux gars du marketing chez Dupuis, qui ont trouvé l’idée très bonne.

Tous les amateurs de BD ont déjà fait l’expérience embêtante d’acheter un album et de devoir attendre ensuite des années avant d’avoir la suite (et parfois la suite ne sort même pas). Ici, le lecteur qui achète le premier album en janvier sait au moins qu’un an plus tard il y en aura 8 de sortis, c’est un gros avantage !

Sceneario.com: Que pensez vous des productions actuelles?

Alcante: Sur la qualité, je pense que chacun peut y trouver son compte. Il y a d’excellentes choses qui sortent, et dans tous les genres. Il y a aussi de nettement moins bonnes choses, malheureusement. Au lecteur de faire son choix donc.

Sur la quantité, un libraire m’a dit récemment qu’il y avait 2500 nouveautés par an c’est énorme !!! Concrètement c’est comme si on renouvelait entièrement un rayon de cinquante BD toutes les semaines ! (Et moi je dois faire mon trou là dedans, gloups !).

Sceneario.com: Comment voyez vous l’avenir de la BD?

Alcante: Euh… Je vais en parler à la vieille mendiante aveugle de Pandora Box, c’est elle la voyante, pas moi ! Je ne me sens pas trop qualifié pour répondre à cette question, honnêtement.

J’entends souvent dire qu’il y a trop de BD publiées et que le marché risque de s’effondrer un jour où l’autre. Je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser. Je pense juste (j’espère) qu’il y aura toujours une place pour les bons dessinateurs et pour les bons scénaristes.

En tous cas ce qui me frappe dans l’évolution de la BD, c’est que le marché s’internationalise de plus en plus, ce qui est d’ailleurs bien normal (c’est comme le reste). On trouve déjà plein de BD japonaises, américaines,… Ce phénomène va encore s’intensifier à mon sens. Maintenant, ce serait chouette que ce ne soient pas seulement les Mangas qui se vendent chez nous, mais aussi les BD franco-belges qui se vendent au Japon !

Sceneario.com: Un coup de coeur BD en 2004?

Alcante: Justement, en 2004 je me suis lancé dans les mangas, et j’y ai découvert d’excellentes choses, très loin des caricatures qu’on peut encore en faire ! « Monster » est un thriller psychologique haletant, avec des personnages fouillés. Le scénariste a le chic pour décrire des personnages attachants et « réels » ! Une autre série m’a marqué : « Say hello to Black Jack » qui se déroule dans le milieu hospitalier Japonais. Cette BD est ultra documentée mais reste passionnante malgré un sujet pas folichon. Le troisième tome m’a arraché quelques larmes, c’est la toute première fois que ça m’arrive avec une BD et ça c’est vraiment très fort. Une BD peut faire rire, peut passionner, faire rêver… Mais émouvoir et faire pleurer, c’est vraiment très très difficile ! Alors chapeau à l’auteur. D’autres mangas excellents : « L’histoire des 3 Adolf », « 20th Century Boys », « La montagne des Dieux »,…

Sinon, je suis aussi un fan absolu de Manu Larcenet. Ce qu’il fait est à 10.000 lieues de ce que je fais, mais je trouve ça génial tout simplement. Dans un style plus classique, je relis aussi régulièrement les albums de Van Hamme et il est quand même très, très, très efficace !

Au cinéma, je citerais deux films qui m’ont marqué en 2004 : « Lost in translation » qui dégage une ambiance incroyable (et pour un scénariste c’est très intéressant car malgré qu’il ne se passe quasiment rien dans ce film, il est passionnant ! Il a d’ailleurs eu l’Oscar du meilleur scénario), et « Old Boy » (mais plus pour la forme que pour le fond).

Sceneario.com: Connaissiez vous Sceneario.com? Qu’en pensez vous?

Alcante: Oui, je connais bien Sceneario.com, je surfe régulièrement dessus et y ai d’ailleurs lu avec beaucoup de plaisir les deux critiques très positives des deux premiers albums de Pandora Box ! (je regrette juste qu’elles aient été retirées avant que les albums ne soient sortis).

De manière générale, je tire mon chapeau aux responsables de ce genre de site, on voit bien que ce sont des passionnés et je suppose qu’ils font ça bénévolement !

En ce qui concerne spécifiquement sceneario.com, je trouve que le site est très lisible et fonctionnel, je ne trouve pas grand-chose à y redire franchement !

Bonne continuation et merci pour l’interview !

Alcante, 28/12/04

PS : Je profite juste de l’occasion pour dire que Didier Pagot (dessinateur du 1er tome) et moi-même serons en dédicace à la librairie « multi BD » à Bruxelles le samedi 15 janvier 2005, à partir de 15 heures.

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