Interview

Interview de Benoit Springer

 

Sceneario.com : Bonjour et merci de nous accorder une interview. Pour commencer, pourrais-tu nous raconter ton parcours et comment tu es venu à la BD ?

Benoit Springer : J’y suis venu très simplement. Comme beaucoup de gens, j’ai commencé à dessiner tout petit, mais au moment où la plupart des gens s’arrêtent, moi j’ai continué.

Après, j’ai eu un parcours assez classique : après un BAC A3 j’ai fait une année d’Art Plastique à Bordeaux et ensuite deux ans et demi, un peu près, à l’école de BD d’Angoulême.Suite à cela, j’ai tout de suite signé chez un éditeur et c’était parti !
A partir d’Angoulême, c’est allé vite car j’y ai rencontré des auteurs qui étaient déjà publiés comme Claire Wendling, Christophe Gibelin, Thierry Robin. Avec eux, j’ai découvert un genre de BD que je ne connaissais pas et qui a fait la marque de Delcourt, au moins à ses débuts. Et c’est clair que j’ai beaucoup appris à leur contact.

Sceneario.com : Aujourd’hui, tu arrives à vivre complètement de
la BD ?

Benoit Springer : J’ai encore quelques boulots annexes mais globalement j’arrive à en vivre. Avec ma compagne qui fait également de la BD (ndlr : Séverine Lambour, scénariste et coloriste), on essaye de mettre en place une façon de travailler qui nous permet de faire de la BD sans avoir un besoin immédiat d’éditeur ou d’argent. Cela enlève une pression car on travaille sans se demander en permanence à quel éditeur on va proposer notre projet, s’il va plaire ou même combien cela va nous rapporter. Cela libère plus l’écriture et le dessin et on s’autorise beaucoup plus de choses. On se concentre d’avantage sur ce que l’on a envie de raconter et la façon de le faire. C’est une méthode extrêmement enrichissante pour le travail !

Sceneario.com : « Les Funérailles de Luce » est ton premier album en tant que dessinateur et scénariste. Qu’est ce qui t’as poussé à travailler en solo après de nombreuses collaborations ?

Benoit Springer : Je pense que je ne l’avais jamais fait avant, simplement parce qu’il n’y avait personne pour me dire que je pouvais peut-être essayer ! Ma compagne écrit depuis longtemps déjà et c’est ce qui m’a donné envie de m’y mettre. Elle m’a fait comprendre que je pouvais essayer pour voir où cela me mènerait. Donc j’ai commencé, très simplement, par un dialogue téléphonique et puis j’ai continué. A force, j’ai commencé à écrire des histoires et à dédramatiser l’écriture. J’ai arrêté de me dire que c’était trop compliqué ou que je n’aurai rien à dire. J’ai persévéré, j’avais envie de voir ce que cela pouvait donner.

Sceneario.com : Avec ce premier album publié avec ton propre scénario, tu dois maintenant éprouver une certaine fierté ?

Benoit Springer : Oui c’est sur !
Je suis content du bouquin et surtout, je suis content d’avoir réussi à faire l’histoire telle que je l’avais imaginé. Et en plus, comble du bonheur, ce que j’avais envie de faire passer à travers ce livre est bien perçu par les lecteurs d’après les premiers échos que j’en ai eu.

Sceneario.com : Selon toi, qu’est ce qui a été le plus dur pour ce premier scénario ?

Benoit Springer : Je n’ai pas l’impression d’avoir rencontré de grosses difficultés pour cet album. Encore une fois, le plus difficile a été de me convaincre que j’avais quelque chose à dire. J’ai fait l’album à mon rythme en fonction des envies et des idées qui me venaient. 
L’autre difficulté a peut-être été de ne pas perdre de vue l’idée de départ et ce que  je voulais raconter dans tout le flot d’idées qui arrive au fil de l’écriture. Un dessin que tu apprécies peut être réussi mais ne fera pas forcément une bonne case. Pour l’écriture c’est pareil, une bonne scène ne va pas forcément coller à l’histoire.

Mais dans l’ensemble, je n’ai pas trouvé cela très difficile, certainement aussi car cela fait déjà 12 ans que je fais de la BD. Je n’avais plus de questions à me poser sur tout ce qui était lié à la narration et au graphisme. Mais de toute façon, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre et des progrès à faire en écriture.

Sceneario.com : Il y a eu une grande évolution dans ton trait et ton graphisme depuis tes débuts. Tu peux nous en parler ?

Benoit Springer : En fait, je ne dessine jamais deux albums de la même façon car je n’ai pas envie de m’enfermer dans quelque chose que je sais faire. Je suis terrifié à l’idée de me retrouver devant un de mes albums en me disant qu’il est parfait qu’il n’y aucun défaut. Et même si aujourd’hui, je m’autorise tout de même à reproduire des choses que je connais, mon dessin évolue en permanence.
Concernant mes différentes séries, c’est vrai qu’il y a des différences entre chacune. Lorsque j’ai commencé  « Volunteer », par exemple, je sortais d’un univers Heroic-Fantasy avec « Terres d’Ombres » et je ressentais le besoin de faire mes preuves sur du contemporain/fantastique. C’est pour cela que le premier tome de « Volunteer » est très démonstratif, je me suis plus concentré sur les détails  que sur ce que je devais raconter.

Sur le tome 2, cela a été différent car ma collaboration avec Séverine (ndlr : sur 3 ardoises), et le type d’histoire qu’elle raconte, m’a fait changer ma façon de dessiner. J’ai modifié la construction de ma narration, ma façon de cadrer ou même de concevoir les détails à mettre dans une case. Je me suis rendu compte que si l’écriture pouvait être très simple, le dessin pouvait l’être aussi et même gagner en force évocatrice avec de la simplicité. Cela a donc eu une influence sur la suite de la série « Volunteer », car j’ai voulu enlever un maximum de détails, voir jusqu’où je pouvais aller dans l’épure et aujourd’hui je suis plutôt content du résultat !

Sceneario.com : Justement sur l’album « 3 ardoises », on voit que tu aimes t’amuser avec ton dessin, avec un trait différent pour chaque histoire, ce n’est pas fréquent ! Tu as pris cela comme un exercice de style ? 

Benoit Springer : C’était encore une suggestion de Séverine ! Cela faisait quelques temps que j’étais tenté par l’idée d’exploiter les différents styles que je pouvais avoir, lorsque je fais des croquis notamment. Et aujourd’hui c’est une idée que j’ai gardé ! Maintenant j’essaye toujours de trouver une trame narrative et graphique adaptée à l’histoire et à son thème.

Sceneario.com : Tu as opéré des changements au niveau de ton dessin, mais c’est également valable au niveau des scénarios que tu illustres. Tu as commencé avec de l’Heroic-Fantasy, puis du Fantastique et maintenant tu vas vers des choses plus réalistes, plus intimes ou même sociales. Est-ce volontaire ou est-ce plutôt dû au hasard des rencontres ?

Benoit Springer : L’aspect social est essentiellement dû à ma rencontre avec Séverine. Cela fait partie intégrante de son écriture et cela m’a amené vers des histoires et des sujets ancrés dans le réel. Mais c’est sur que les envies évoluent avec l’âge. Dessiner des barbares qui se tapent dessus à coup de hache cela ne m’amuse plus ! 
Cela m’a énormément amusé à l’époque et je ne le renie absolument pas mais cela ne correspond plus à ce que j’ai envie de dessiner aujourd’hui. Maintenant j’écris et je développe mes propres thèmes. Il y a encore un lien avec l’imaginaire dans ce que j’écris, une certaine distance avec le réel, comme dans « Les Funérailles de Luce », et je vais voir comment cela évolue.

Sceneario.com : Peux-tu nous raconter les origines de cet album « Les Funérailles de Luce » ?

Benoit Springer : Tout est parti d’un couple que j’ai vu dans la rue par ma fenêtre : un homme noir, habillé d’un t-shirt, d’un short en jean, de sandales et d’un bonnet noir et qui tenait par la main une petite fille avec un foulard sur la tête et habillée presque comme je l’ai dessiné dans l’album. Ils formaient un couple un peu particulier et je les ai trouvé graphiquement intéressant. Dans un premier temps, j’en ai fait un croquis pour les garder en tête et puis j’ai commencé à inventer une histoire autour de ces deux personnages.
J’étais parti sur quelque chose de plus fantastique au départ mais j’ai vite dérivé vers l’idée de la mort. La petite fille représente donc la mort et le grand personnage serait sa faux. Assez vite, j’ai imaginé Luce essayant de comprendre qui ils étaient et cherchant à voir ce qu’il y avait sous le foulard, comme on voit sur la couverture. Petit à petit, j’ai dégagé les thèmes et l’histoire que je voulais raconter.
Finalement j’ai laissé l’homme tout nu, car je ne savais pas comment l’habiller et puis comme cela, il crée un contraste.

Sceneario.com : Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi de traiter ce thème de la mort ?

Benoit Springer : Ma prise de conscience personnelle de la mort et de ses conséquences est quelque chose qui m’a fortement marqué, et c’est le thème qui m’est venu en premier. Mais je ne voulais pas particulièrement parler de mon expérience personnelle, car c’est un thème important pour n’importe qui. La prise de conscience de la mort, et son côté inéluctable est quelque chose qui influence toute notre vie. Elle nous influence dans tout ce que l’on fait ou l’on pense comme par exemple notre façon d’appréhender la maladie, ou même notre réflexe de mettre une ceinture de sécurité en voiture. Et surtout, cela nous pousse à faire quelque chose de notre vie pour qu’au bout on lui ait donné un sens.
En résumé, ma propre expérience et ces constats d’adulte ont rendu ce sujet primordial à mes yeux.

Sceneario.com : Dans cet album, on a deux visions très différentes de la mort avec Luce qui est au début de sa vie et les personnages comme son grand-père qui sont plutôt près de la fin. Tu as voulu traiter le contraste de ces deux visions ?

Benoit Springer : Effectivement, Luce est dans la position de l’enfant qui découvre et qui cherche à savoir ce qu’est la mort. Elle se tourne vers les adultes pour avoir une réponse. Mais les adultes, même s’ils ont déjà la réponse, ils n’ont pas spécialement envie de l’évoquer. Elle est un peu obligée de faire son propre chemin pour comprendre et accepter cela.

Sceneario.com : Dans cet album, il y a un gros travail sur la narration avec beaucoup de passages sans dialogues. Beaucoup de choses passent par le dessin, cela vient du fait que tu étais dessinateur bien avant d’être scénariste ?

Benoit Springer : Je n’ai pas encore forcément le recul là-dessus, mais il est évident cela a toujours été naturel pour moi de m’exprimer par le dessin, y compris pour aller vers les autres. Maintenant j’y ajoute l’écriture, mais je n’hésiterais à faire passer des choses par le cadrage, les mouvements ou les expressions des personnages si je peux me passer de dialogues. Je serais plus précis et concis dans le dessin que par l’écriture. Mais tout cela est récent pour moi, et avec le temps et la pratique, l’écriture deviendra peut-être quelque chose de plus naturel pour moi.

Sceneario.com : Pourquoi avoir fait cet album en noir et blanc ?

Benoit Springer : Dès le départ, j’avais clairement envie de le faire en noir et blanc. Mais j’ai longtemps hésité sur le fait de le mettre en couleurs ou pas. J’ai mis un certain temps à me détacher des questions habituelles, comme le fait de savoir si cela plairait plus ou si cela se vendrait mieux avec des couleurs. J’ai d’autant plus hésité que les éditeurs, avec qui j’étais en contact, m’orientaient plutôt vers de la couleur et aussi une pagination moins importante.
Mais au final, j’ai réussi péniblement à me débarrasser de ces questions ! Et donc je l’ai fait en noir et blanc. De toute façon, je ne pense pas que l’on ait quelque chose à perdre de faire les choses comme on a envie de les faire. Je crois que même si le bouquin ne se fait pas, au final, on a toujours moins de regret que si on fait des compromis !

Sceneario.com : Lorsque tu écris un scénario, tu écris d’abord l’histoire et les dialogues ou tu commence tout de suite par dessiner ?

Benoit Springer : Jusqu’à maintenant, toutes mes idées d’histoires sont parties d’un dessin. Luce a commencé à exister après que j’ai vu et dessiné ces deux personnes aperçues par ma fenêtre. J’ai un autre projet en cours qui a débuté après une série de trois ou quatre dessins réalisés dans l’urgence, un jour où je ressentais le besoin pressant de pondre quelque chose. J’écris, depuis quelques temps, un projet dont l’idée m’a été inspirée par le dessin d’Alice Lorenzi dans "les heures de verres".
Sceneario.com : Quelles sont tes influences aujourd’hui ?

Benoit Springer : Je suis moins influencé directement qu’avant. Le fait d’écrire m’a fait prendre conscience des thèmes que j’avais envie de traiter et je suis devenu moins perméable aux idées des autres. Aujourd’hui, les idées des autres vont plus enrichir les miennes ou, au contraire, m’inciter à continuer dans la direction que j’ai choisie.

En général, les auteurs qui m’intéressent sont ceux qui ont une certaine radicalité dans leur travail et qui ont essayé d’aller jusqu’au bout de leurs idées et s’y sont tenu. Je ne cherche pas forcément la même radicalité mais au moins développer mon propre univers et mes thèmes.
D’une manière générale, je peux être influencé par un film, un roman ou même un essai philosophique. Tout ce que je vis au quotidien, tout ce qui me construit m’amène à enrichir mon travail.

Sceneario.com : Maintenant que tu as goûté à l’album complet, vas-tu travailler tout seul ou continuer d’autres collaborations.

Benoit Springer : Je continue au moins les collaborations avec Séverine car on est en train de réaliser un album ensemble. Ce sera un thriller campagnard dont l’histoire tournera autour d’une rebouteuse ! C’est un one-shot de 54 pages qui sortira chez Vent d’Ouest, à priori, en janvier 2009. J’ai également deux projets que je suis en train d’écrire, dont un que j’ai commencé à dessiner, et qui avancent quand j’ai le temps. Et puis on a un projet secret avec Séverine, mais c’est encore trop tôt pour en parler.

Sceneario.com : Quels sont tes derniers coups de cœur BD ?

Benoit Springer : Récemment il y a eu « La promesse » de Vaccaro et de Pervieux qui a vraiment été un coup de cœur ! Et puis le premier tome de « Aya de Yopougon » dont la lecture a été un vrai régal. C’est assez agréable de découvrir l’Afrique sous un jour différent et plus positif que celui qu’on nous montre en permanence. Cela casse pas mal de clichés et c’est un vrai moment de fraîcheur ! Sinon il y a eu aussi le « Batman année 100 » de Paul Pope qui amène une vision géniale du personnage. Sa narration et son trait sont vraiment splendides. Je connaissais vaguement le travail de Paul Pope et cela a été une vraie découverte.

Sceneario.com : Te rends-tu souvent sur des sites web parlant de bd et connaissais-tu Sceneario.com ?

Benoit Springer : Je connaissais Sceneario.com depuis longtemps mais je n’y allais plus ces derniers temps car le site faisait planter mon navigateur web ! Mais maintenant ça va mieux, je peux y retourner. Aujourd’hui, j’essaye de passer moins de temps sur le net et de me consacrer à autre chose.
 
Sceneario.com : Merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions.

 

 

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