Interview
INTERVIEW DE L’AUTEUR, ET SCÉNARISTE BD, Cédric RASSAT
EXPOSITION DES SÉRIGRAPHIES DE L’OUVRAGE ROCK’N’ROLL, ANNÉES(S) ZÉRO, du 20 décembre 2022, au 31 janvier 2023, au Théâtre Comédie Odéon – Lyon
INTERVIEW DE L’AUTEUR, ET SCÉNARISTE BD, Cédric RASSAT
Affiche de l’Expo
Présentation du Tome 1 de ROCK’N’ROLL, ANNÉES(S) ZÉRO, aux éditions Longues ondes
A base d’entretiens réalisés en 2000 et 2022, Cédric Rassat signe avec ROCK’N’ROLL, ANNÉES(S) ZÉRO un essai sur le Rock américain, rassemblant 27 portraits de l’Amérique des années 2000, étalés sur 2 tomes, savant équilibre entre artistes connus du grand public (Elliott Smith, The Strokes, The Black Angels…), et d’autres plus confidentiels (The Baptist Generals, Papa M, The Boggs, The Hunches…).
A travers ce projet ambitieux, et en se focalisant principalement sur des genres sous-exposés comme l’indie rock, le garage-punk, le nouveau rock psychédélique, le post-rock, le folk, le noise rock, le post-hardcore ou l’americana, Cédric Rassat donne aussi la parole à un certain nombre d’artistes importants sur lesquels peu de choses ont été publiées en France !
Ce parcours musical est fortement lié à la géographie du territoire étatsunien, à commencer par le Sud du pays avec le portrait d’Elliott Smith, et est agrémenté de superbes illustrations en noir et blanc réalisées par Raphaël Gauthey, Jean-Luc Navette, Emre Orhun, et Ludivine Stock.
Salle de l’Expo
INTERVIEW DE Cédric RASSAT
V. Degache, pour Sceneario.com : Bonjour Cédric, les amateurs de BD te connaissent bien, notamment à travers la série Manson dessinée par Paolo Bisi chez Glénat, l’excellent diptyque réalisé avec Raphaël Gauthey On dirait le Sud qui avait même reçu le grand prix de Festival Lyon BD en 2011 ou, plus récemment, en 2017, la biographie de la chanteuse Karen Dalton chez Sarbacane, avec Ana Rousse. On te retrouve avec cet ouvrage pharaonique, le Tome 1 de Rock’n’roll, année(s) zéro : 608 pages, 14 portraits basés sur 25 entretiens rares ou inédits réalisés entre 2000 et 2022, 221 disques rassemblés dans 3 discographies commentées… Peux-tu nous en dire plus ?
Cédric RASSAT : C’est un projet que j’ai amorcé en 2010 avec Alban Jamin, un ami journaliste, à la suite de notre départ du magazine Eldorado. Initialement, l’idée était d’écrire une série de portraits sur des artistes américains des années 2000 qui nous avaient spécialement marqués. Nous avions l’idée d’une sorte de récit choral qui mette en avant la parole de musiciens plutôt sous-exposés (en France, en tout cas) et qui, de façon sous-jacente, puisse raconter un peu de l’Amérique des années 2000. Nous voulions réfléchir à ce qui avait pu faire la singularité de ces artistes, à ce qui avait pu, disons, caractériser leur modernité. Pour cela, il fallait explorer les racines de leur musique et parvenir à les inscrire dans une continuité historique plus large. Pour moi, cela revenait à penser l’histoire du rock selon de nouvelles perspectives, c’est-à-dire plus seulement à partir de ses origines et selon le récit méthodique de son évolution, mais plutôt à partir de ce qu’il en restait dans les disques du XXIe siècle.
En fait, il s’agissait simplement d’essayer de faire un travail d’historien de l’art en faisant une sorte d’état des lieux du rock, cinquante ou soixante ans après sa naissance, et ce à travers le prisme particulier du rock américain des années 2000. Nous avions fixé une liste de noms. Certaines interviews, comme celles d’Elliott Smith ou Jay Reatard, venaient de mes archives personnelles, la plupart des autres ont été réalisées dans un travail d’enquête qui a duré plusieurs années. Vers 2015, Alban s’est retrouvé débordé par ses activités annexes et j’ai décidé de continuer seul. Le projet est organisé selon une logique géographique, chaque artiste étant localisé dans une ville bien particulière. Le tome 1, intitulé De Los Angeles à New York, explore les villes du Sud (San Diego, Tucson, Austin, Memphis, etc). Le second, que j’espère présenter avant l’été, traversera le pays par les villes du nord (Chicago, Seattle, Portland, San Francisco, etc.). Il y a aussi l’idée d’une sorte de road trip imaginaire à travers le pays. Ce n’est pas ainsi que ça se présente, mais je pense que c’est une idée qui germe progressivement et de façon implicite au fil des chapitres.
Salle de l’Expo
Sceneario.com : Ce premier volume de Rock’n’roll, année(s) zéro est illustré par des dessinateurs naviguant eux aussi dans le monde du 9e Art (Raphaël Gauthey, Jean-Luc Navette, Emre Orhun, Ludivine Stock). Comment s’est fait ce choix, et pourquoi avoir privilégié dans l’ouvrage l’illustration sur les photographies ?
CR : En fait, je n’étais pas du tout certain d’avoir des photos suffisamment intéressantes pour tous les artistes. Pour Elliott Smith, Bill Callahan, Kurt Vile ou les Strokes, je savais qu’il n’y aurait pas de problème, mais pour des groupes nettement plus confidentiels comme les Baptist Generals, Fire On Fire ou les Hunches (qui sont dans le tome 2), cela s’annonçait plus compliqué. Or je tenais à ce que les livres aient aussi une forme de cohérence esthétique. L’idée des illustrations s’était donc rapidement imposée comme une évidence, déjà parce que je connaissais d’excellents illustrateurs, ensuite parce que beaucoup des groupes dont je parle s’appuyaient déjà sur le talent d’illustrateurs américains pour leurs affiches de concert et enfin parce que la vente d’affiches sérigraphiées pouvait être un bon moyen de faire rentrer de l’argent dans les caisses, et donc de faciliter le financement de la fabrication des livres. Au final, je suis vraiment ravi d’avoir choisi cette option, non seulement parce que tous les dessinateurs ont parfaitement joué le jeu et ont réalisé un travail remarquable sur les quatorze illustrations de ce tome 1, mais aussi parce que je trouve que leurs illustrations donnent une dimension assez poétique au projet, ce qui n’aurait pas été possible avec des photos. Et j’en profite pour indiquer qu’il y a, jusqu’à fin janvier, une expo des illustrations en grand format au Théâtre Comédie Odéon à Lyon, dans le 2e arrondissement.
Sceneario.com : Comment envisages-tu les années futures au niveau professionnel, penses-tu revenir au scénario de BD prochainement ?
CR : Normalement, oui, mais il faut quand même voir que Rock’n’roll, année(s) zéro est un projet (puisqu’il y a deux tomes) que je développe aussi comme éditeur. Donc ça risque de me prendre un peu de temps. Mais, sinon, l’idée de lancer une maison d’édition comme Longues Ondes est aussi le fruit d’une longue réflexion qui englobe évidemment mon expérience en BD et ce que j’ai pu en retirer. Là, disons qu’il s’agit surtout de mieux maîtriser les différents aspects de la réalisation des livres. Un projet comme Rock’n’roll, année(s) zéro, qui est un travail de journaliste et n’a rien à voir avec la BD, était, de toute façon, trop vaste, trop ambitieux et trop complexe pour être réalisé dans le cadre d’un contrat avec un éditeur traditionnel. Déjà, je pense que personne n’aurait pris le risque de le faire et, ensuite, ceux qui auraient pu, éventuellement, être assez fous pour se lancer dans l’aventure auraient forcément tenté de le ramener à un format plus conforme aux usages (je ne dis pas « plus réaliste », car je pense qu’il l’est complètement et que c’est de le faire autrement, de façon plus concise et sans les illustrations, par exemple, qui aurait été « irréaliste »), or je pense que cela aurait été une erreur.
De plus, la conception et l’écriture de ces deux livres m’avaient pris trop de temps et trop d’énergie pour que je puisse envisager de laisser une tierce personne décider de la forme finale du projet. L’idée de lancer une maison d’édition s’est donc imposée en cours de route, suite à une conversation avec Sylvie Simmons, qui signe la préface et qui m’avait dit que le projet serait sans doute bien plus convaincant s’il était présenté comme une réalisation indépendante, à l’instar de la plupart des disques dont je parle dans ces deux livres. En tant qu’auteur, j’avais surtout vu dans cette suggestion la possibilité d’aller au bout de mon idée, d’assumer mes responsabilités et, surtout, de changer d’approche. En fait, je pense aussi que j’avais le tour des expériences foireuses en BD. Je savais ce que je voulais pour ce projet, je savais aussi ce que je ne voulais plus dans l’absolu, et comme je connaissais des personnes (graphiste, maquettiste, correctrices, etc) capables de m’épauler dans la réalisation de ce livre, j’avais vite compris que c’était le moment d’essayer autre chose. Bref… Après, pour en revenir à la question de l’avenir, disons que ce sont surtout les projets qui déterminent mes choix et me « poussent à l’action ».
Là, j’ai deux scénarios de BD sous le coude, un terminé et l’autre quasi-bouclé, mais je ne pense pas les présenter à des éditeurs. Ça prendra le temps que ça prendra, mais si jamais ils voient le jour, je pense que ce sera avec Longues Ondes.
Sceneario.com : Envisages-tu, après Karen Dalton, de contribuer à l’écriture de nouveaux scénarios en lien avec ta passion de la musique et du rock ? On avait par exemple pressenti dans On dirait le Sud une passion cachée pour Michel Sardou sur lequel tu aurais sans doute beaucoup à raconter… ou pas ! Une série BD à partir des portraits réalisés dans Rock’n’roll, année(s) zéro ça aurait de la gueule, non ?
CR : Ha ha, oui, Sardou c’était surtout pour la blague. Vu que On dirait le Sud évoquait l’affaire du pull-over rouge et le débat sur la peine de mort, il était intéressant de placer une allusion à Je suis pour. Après, je ne suis pas certain d’avoir vraiment envie de repartir sur une BD biographique. En fait, c’est un exercice assez contraignant. Je pense qu’on peut s’en sortir si on décide de s’emparer du récit en lui donnant une forme très particulière et, disons, un peu hors norme, comme pour se l’approprier, mais on reste dépendant de la réalité historique, des faits, etc. Pour Manson, par exemple, j’avais trois albums de 46 pages (avec le recul je me dis que le résultat aurait été meilleur avec trois fois 72 pages, le traitement des scènes aurait été meilleur, le rendu aurait été plus spectaculaire, etc) et le foisonnement des histoires secondaires m’avait poussé à opter pour un récit très fractionné, cassant la temporalité (beaucoup de sauts dans le temps) pour finir par buter sur la représentation froide, réaliste et très éprouvante du massacre de Cielo Drive. Il y avait vraiment l’idée de créer un déséquilibre avec cette irruption de la continuité après deux albums et demi de discontinuité et de fractionnement temporel. D’un coup, le temps semblait ralentir, s’étirer, et l’horreur de l’action rendait cette continuité encore plus déstabilisante. Bref…
Pour Karen Dalton, qui reposait sur une base documentaire très précise, puisque j’avais interrogé cinq ou six de ses proches avant de commencer à écrire le scénario, j’avais fait le choix d’une longue parenthèse au milieu du récit (plus de soixante-dix pages, soit la moitié de l’album, dans mon souvenir) qui correspondait à ses sept ou huit années passées dans le Colorado, loin de New York. Il fallait qu’on puisse élargir le cadre (on passait des rues de New York à la pleine nature et aux paysages de montagnes), respirer, prendre le temps de réfléchir, de rêvasser, mais aussi de se perdre, d’où la présence de certaines scènes un peu plus décalées et clairement inventées qui devaient permettre au lecteur de sortir brièvement du cadre strict de la biographie dessinée. Il fallait saisir l’esprit bohême de l’artiste, son besoin de liberté, ses errements, etc. Bref, tout ça pour dire qu’il me semble qu’il n’y a qu’en travaillant sur la structure et la forme-même du récit qu’on peut rendre l’exercice de la biographique à peu près intéressant et pas trop contraignant. En tout cas, c’est comme ça que je le vois.
Entretien réalisé en Décembre 2022.
Sceneario.com remercie chaleureusement Cédric Rassat pour cette interview, ainsi que Ludivine Stock !
Si vous souhaitez acquérir l’ouvrage, les sérigraphies, ou le superbe totebag, c’est ici que ça se passe :
https://longuesondes.bandcamp.com/
Les commandes peuvent aussi être passées en s’adressant directement à la maison d’édition via cette adresse mail : longuesondes@gmail.com