Interview

Interview de Sylvain Runberg

Sceneario.com : Bonjour Sylvain ! Tu es scénariste de bandes dessinées, qu’est-ce que représente pour toi l’écriture ?

Sylvain Runberg : Une passion avant tout, même si elle est apparue assez tardivement, et par accident. J’ai commencé à écrire en 2002 à l’âge de 31 ans, pendant un arrêt de travail de plusieurs mois…suite à un accident justement. Et depuis 2004, c’est devenu mon métier.

Sceneario.com : Dans tes albums tu ne te cantonnes pas à un seul genre, SF, fantastique, aventure, chronique sociale, humour, jeunesse… Tu peux nous en dire un peu plus ?

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Sylvain Runberg : Ca reflète simplement mes goûts. Et c’est aussi un plaisir que de choisir la variété dans le domaine de l’écriture. Pourquoi se priver si l’envie est là ? En revanche, quelque soit le type d’univers, mon approche reste la même. Partir des personnages et essayer de les rendre crédibles, peu importe s’il s’agit d’étudiants à Londres en 1991, de diplomates aliens sur une planète imaginaire dans un futur lointain ou de guerriers Cimmériens parcourant les steppes asiatiques il y a 3500 années de cela.

Sceneario.com : On peut peut-être commencer par London Calling. Peux-tu nous parler de la genèse de ce projet ?

Sylvain Runberg : La genèse est liée à mon passé. Je suis parti à Londres en 1991 avec un copain, pour des raisons musicales. Fans de rock alternatif au sens large, de Black Flag à The Jesus and Mary Chain, c’était pour nous l’endroit où être à l’époque. Nous n’avons d’ailleurs pas été déçus sur ce plan là : plusieurs concerts par semaine, les clubs, le festival de Reading, c’était fantastique !

Sceneario.com : Tes envies étaient-elle de dépeindre une société bien particulière ou bien c’était avant tout l’idée de raconter l’histoire de deux jeunes partant à l’aventure ?

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Sylvain Runberg : Comme d’habitude, c’est parti des deux personnages principaux, Alex et Thibault. Deux étudiants vivant à Marseille au début des années 90, fans de rock et ayant décidé de vivre l’aventure londonienne. C’était quelque chose d’assez courant à l’époque vu le nombre de français que l’on a rencontré là-bas, et qui étaient venus pour les mêmes raisons que nous. Ca l’est certainement encore aujourd’hui. En revanche, il faut se souvenir qu’à l’époque, niveau rock, la France, et notamment le Sud-Est, c’était une véritable catastrophe. Très peu de concerts, très peu de groupes locaux, et bien entendu pas d’Internet et autres Myspace. Même si aujourd’hui le rock reste encore le parent pauvre de la culture musicale en France, ça c’est quand même bien amélioré. Donc Londres en 1991 représentait vraiment un paradis musical pour nous, comparé à la région d’où nous venions.

Sceneario.com : Etait-ce aussi une vraie volonté de parler de cette époque en Angleterre ?

Sylvain Runberg : Oui, aussi. Et notamment de trois aspects liés à la Grande Bretagne du début des années 90. D’abord le foisonnement musical qui y régnait, et pas seulement au niveau du rock, puisqu’on a eu aussi la chance de vivre en direct l’explosion de la scène rave et de la musique électronique en général. C’était quelque chose de complètement nouveau, très excitant à vivre.

Ensuite, la distorsion immense qu’on a ressentie entre ce que la plupart des médias français nous disaient de ce pays au niveau économique et ce qu’on a vécu en réalité. L’illusion du paradis post thatchérien synonyme de plein emploi, cher à tant de nos éditorialistes, a vite cédé la place aux squats, seule moyen de se loger pour des dizaines de milliers de personnes face à des loyers bien trop élevés, à la précarité des emplois qu’on nous proposait, aux centaines de milliers de chômeurs rayés des statistiques officielles à coup de catégories bidons où les gens étaient mis sous assistanat avec une pension ridicule en guise de remerciement, à la violence sociale.

Ceux qui travaillaient à la City gagnaient beaucoup d’argent, certes, mais c’était la goutte d’eau privilégiée dans une mer de misère. Cela dit, j’adore la Grande-Bretagne sur beaucoup d’aspects, culturels notamment. Mais pour moi, ce laboratoire du néo-libéralisme, expérience que Tony Blair et ses successeurs ont en gros continué à appliquer, aurait du contribuer à ce que nos sociétés prennent leurs distances avec ce vieux modèle économique. L’actuelle crise financière montre que malheureusement, en 2010, malgré les promesses de changements, ce dogme reste indépassable dans les cercles de pouvoir dominants. S’en est presque désespérant.

Enfin, il y a l’aspect de la violence politique lié au banditisme et à la dérive mafieuse de certains groupes de l’IRA, qui constitue aussi un des ressorts de « London Calling », puisque les deux personnages principaux y feront face. Cet aspect m’a heureusement été épargné lors de mon expérience londonienne ! 🙂

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Sceneario.com : C’était également une belle opportunité de parler un peu de tes groupes de musiques favoris, non ?

Sylvain Runberg : Ca l’est devenue de part les caractéristiques du récit, mais ça ne constituait pas une raison suffisante pour démarrer un projet. Cela dit oui, je me suis bien amusé à le faire 😉 !

Sceneario.com : Tu peux nous parler de ta collaboration avec Phicil ? Et avec Futuropolis ?

Sylvain Runberg : J’ai proposé ce scénario à Luc Brunschwig qui était à l’époque éditeur chez Futuropolis. Puis Sébastien Gnaedig, le directeur éditorial, l’a aussi approuvé, et ce sont eux qui m’ont mis en relation avec Phicil, qui cherchait justement un projet en lien avec la musique, puisqu’il est lui-même un musicien passionné. Le projet lui a plu, même si c’était assez éloigné de ce qu’il faisait de son côté, et tout a ainsi démarré, jusqu’à la parution de ce troisième et dernier tome en 2010.

Sceneario.com : Passons maintenant à Face Cachée que tu as réalisé avec Olivier Martin au dessin. Comment est né ce projet ?

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Sylvain Runberg : Il est né d’une idée que j’avais en tête depuis des années, sans réussir à trouver le bon cadre pour donner corps au récit : un homme qui doit gérer un secret qui va finir par avoir des conséquences sur tous les aspects de sa vie, sans y parvenir, cherchant tous les échappatoires possibles pour ne pas y faire face.

Sceneario.com : Face Cachée est une histoire d’amour mais qui lorgne du côté du « thriller » psychologique. Tu peux nous expliciter ta démarche sur ce diptyque.

Sylvain Runberg : C’est effectivement un thriller psychologique. J’aime ce type de récits, car souvent, une problématique trouvant ses racines dans l’intime pourra se révéler plus percutante pour le lecteur, il aura plus de facilités pour s’y identifier. Tout le propos de « Face Cachée » découle de ce principe.

Sceneario.com : Qu’est-ce que représente pour toi la culture nippone ?

Sylvain Runberg : A la fois des souvenirs d’enfance liés à la japanimation, au travers de dessins animés que j’ai adoré et qui étaient diffusés à la télévision française à la fin des années 70 (Capitaine Flam et Albator notamment), et une culture liée à un pays fascinant, que j’ai évidemment découvert jeune adulte au travers du manga, Katsuhiro Ōtomo et Akira ayant étés les véritables déclencheurs. Je lis toujours beaucoup d’auteurs japonais, et pour n’en citer qu’un, Inio Asano est aujourd’hui un de mes auteurs préférés. Et le manga est tellement important dans la société japonaise que c’est vraiment un bon biais pour découvrir ce pays, puisque tous les sujets peuvent y êtres abordés. Cela dit, comme avec la Grande-Bretagne, ça n’empêche pas de garder un certain recul. Certains jeunes français qui semblent ne retenir que l’aspect « Kawaï » et fun du Japon iront je pense aux devants des mêmes désillusions que ma génération avec la soit-disante « Cool Britannia » des années 90. La société japonaise contemporaine peut aussi se montrer impitoyable avec les individus.

Sceneario.com : L’histoire entre Satoshi et Mayumi est universelle, pourquoi cette volonté de l’ancrer dans la Japon actuel ? Dans ton album tu t’appliques avec minutie à retranscrire les détails du quotidien des japonais. Tu t’es documenté avant d’écrie ton scénario ?

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Sylvain Runberg : Comme je l’ai dit plus haut, je traînais ce personnage et son histoire depuis des années sans réussir à le poser quelque part. Et puis je me suis rendu à Tokyo il y a 3 ans, une ville que j’ai adoré, un véritable coup de foudre, et là tout c’est mis en place dans mon esprit, naturellement. Oui, l’histoire de ces deux personnages est universelle, mais c’est au Japon qu’elle devait se dérouler. Du coup, j’ai utilisé ce que j’ai vu ou compris là-bas pour écrire « Face Cachée », ainsi que de nombreuses conversations avec des amis japonais ou connaissant le Japon, auxquels je faisais lire mon synopsis, pour éviter les impairs. Et j’ai fait attention à ne pas m’aventurer sur des sujets ou des situations que je ne connaissais pas, ou pas suffisamment.

Sceneario.com : Tu peux nous parler un peu d’Olivier Martin, de votre collaboration sur Face Cachée.

Sylvain Runberg : C’est là encore Futuropolis qui nous a mis en relation. Il fallait que le dessinateur connaisse le Japon pour réussir à s’approprier le récit, et Olivier Martin, outre ses talents de dessinateur, a vécu plusieurs années dans ce pays et vit avec une compagne japonaise, qui nous a d’ailleurs souvent renseigné sur certaines subtilités sociétales durant l’élaboration du récit. Olivier était donc le compagnon idéal sur ce projet !

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Sceneario.com : Une date pour la sortie du second tome ? Tu as d’autres projets ?

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Sylvain Runberg : Olivier va finir le tome 2 de « Face Cachée » à l’automne 2010. La sortie devrait donc se situer aux alentours du premier trimestre 2011. Sinon, les prochaines parutions seront « Orbital » T4 avec Serge Pellé chez Dupuis en octobre 2010, puis « Reconquêtes » T1 avec François Miville-Deschênes, le T2 des « Carnets de Darwin » avec Eduardo Ocana ainsi qu’une nouvelle série d’anticipation chez Le Lombard en 2011, le premier tome d’une nouvelle série d’aventure historique avec Thibault de Rochebrune chez Dupuis, et – petite avant première – le premier tome d’une nouvelle série d’Historic-Fantasy inspirée par la mythologie scandinave aux éditions Glénat avec un dessinateur asiatique justement. Et puis d’autres choses encore, mais il est trop tôt pour en parler.

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Sceneario.com : Et pour finir, y a-t-il des œuvres qui t’ont marqué récemment (BD, littérature, musique, cinéma) ?

Sylvain Runberg : Familjen, Fuck Buttons, Wolves In The Throne Room, Lykke Li, Mustach, Miike Snow, Lillasyster, Five Finger Death Punch et Melissa Horn pour la musique, Madmen, Entourage et Dexter pour les séries TV, « L’Homme du Lac » d’Arnaldur Indridason en littérature, « Seuls » de Velhman et Gazotti et « Hey Princess » de Mats Jonsson pour la BD.

Sceneario.com : Sylvain, merci et à bientôt !

Sylvain Runberg : Merci à vous !

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