Interview

Interview du dessinateur Guillaume Lapeyre et du scénariste Rémi Guérin

Sceneario.com : Bonjour Guillaume. Bonjour Rémi. Votre actualité récente est la sortie des nouvelles aventures des écrivains Jules Verne et Arthur Conan Doyle, les deux héros de City Hall, une nouvelle série qui est sorti chez Ankama. Avant d’en parler, pouvez vous raconter votre parcours avant d’en arriver à City Hall ?

Guillaume Lapeyre : J’ai démarré ma carrière chez Delcourt avec mon épouse Elsa Brants et Nicolas Jarry avec les 6 tomes des Chroniques de Magon, puis que les 2 tomes d’Éther, avant de rencontrer Rémi Guérin, avec qui nous avons conçu Explorers (3 tomes) aux Éditions Soleil !

Rémi Guerin : J’ai eu la chance de débuter dans le milieu aux côtés d’Éric Corbeyran, un scénariste qu’il n’est plus nécessaire de présenter aujourd’hui tant son travail est titanesque, ensemble nous avons co-scénarisé les Véritables Légendes Urbaines chez Dargaud. Peu après j’ai rencontré Guillaume Lapeyre, ami et compagnon d’armes sur la série Explorers parue chez Soleil. Dans le même temps j’ai signé les deux derniers tomes de la série Kookaburra Universe, magnifiquement illustrés par Damour, chez le même éditeur. Et nous voilà aujourd’hui au sein d’Ankama avec notre première série au format manga.

Sceneario.com : Qu’est ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la bande dessinée ? Quelles ont été vos influences ?

Guillaume Lapeyre : L’impact qu’à laissé Akira dés que je suis sorti de la salle de cinéma… Je n’avais jamais rien vu de tel et le rêve d’être à mon tour un dessinateur ne m’a pas quitté depuis… je devais avoir une quinzaine d’années, et je les ai toujours !! 🙂

Rémi Guerin : Mon père adorait ça et m’a transmis le virus, je fais partie des privilégiés élevés à la BD et même si les albums n’étaient pas Légion chez nous il y avait de quoi lire et relire… Et une bibliothèque municipale assez bien fournie et pas très loin ! Cela dit, et je pense que ça se ressent dans mes scenarii, mes influences sont plutôt issues de la littérature, de Stephen King à René Barjavel en passant par Ray Bradbury et les incontournables Jules Verne et Arthur Conan Doyle (surprenant n’est-ce pas ^^), tout a toujours été là !

Sceneario.com : En ce mois de juin 2012 , est sorti City Hall. Comment est née cette aventure ? Cette série ?

Rémi Guerin : D’une envie toute simple, je voulais créer ma propre Ligue des Gentlemen Extraordinaires, et si tel était le cas, il existait alors une personne qui y méritait sa place plus que n’importe quelle autre au monde, Jules Verne ! J’avais mon inventeur, il n’y avait plus qu’à y ajouter un enquêteur, un aventurier/combattant, un manipulateur/magicien et un leader né. Ils furent nombreux a se présenter au casting mais l’équipe finale a très vite été choisie. Jules Verne serait rejoint par Arthur Conan Doyle, Amélia Earhart, Harry Houdini et Malcolm X. Avec deux personnages comme Verne et Conan Doyle l’idée d’un scénario gravitant autour de la notion d’écriture s’est vite imposée, les bases étaient là. II n’y avait plus qu’à y intégrer Lord Black Fowl et voir comment l’alchimie se ferait…

Sceneario.com : Mais tout d’abord, Rémi, pourquoi as-tu choisi Guillaume pour le dessin ?

Rémi Guerin : Pour plusieurs raisons. Premièrement c’est un ami et un dessinateur d’exception, ce qui ne gâche rien. Ensuite c’est le seul à m’avoir dit droit dans les yeux qu’il pouvait tout faire, tout dessiner et que rien ne lui faisait peur (sous réserve de documentation évidement), pas même de changer d’univers d’un album à l’autre… Il est capable de sublimer mon scénario et les long échanges que nous avons chaque jour sont passionnants au plus haut point. Bref, je retourne la question, et par là même je mesure la chance que j’ai, quel scénariste ne voudrais pas travailler avec lui ? Artistiquement il se peut, comme dans la vie, que nous ayons une sorte d « Âme sœur »… Vous savez celle ou celui qui vous comprend toujours, vous aide à avancer et à vous dépasser et ne vous déçois jamais. Et bien en BD Guillaume est mon âme sœur artistique !

Sceneario.com : Guillaume : qu’est ce que cela t’apportes de travailler avec Rémi ?

Guillaume Lapeyre : Rémi est MA source d’inspiration. Toutes les deux semaines, il m’appelle, souvent tard le soir, et il me lit son scénario. Je l’écoute sans rien dire et immédiatement je "vois" tout. Les images ne sont pas réfléchies, elles jaillissent, et je n’ai jamais eu l’angoisse de la page blanche, grâce à lui et son scénario incroyablement visuel. J’essaie juste au moment du story-board de décupler l’efficacité des images qui me sont parvenues.

Sceneario.com : Comment organisez vous votre journée de travail ?

Guillaume Lapeyre : Chacune de mes journées est rythmée par la cadence de l’école. J’ai deux jeunes enfants alors je dois travailler le plus efficacement possible dans une courte plage horaire. Je me lève à 7h30, je m’installe à ma table entre 9h20 et 11h45, l’après-midi c’est de 14h20 à 16h45, puis une fois les enfants couchés je retourne sur les pages de 21h à maximum 2h du matin, selon mon état de fatigue. Bien évidemment, toute cette organisation savamment huilée est à jeter la poubelle pour le week-end. Pendant ces jours-là, c’est quand je peux : pendant la sieste des enfants, ou pendant un dessin-animé. Seuls restent les horaires du soir !

Rémi Guerin : J’ai un autre travail à côté de celui de scénariste, un 35H, et une famille. Je ponctionne donc sur mes heures de sommeil, ma journée s’articule autour de mon travail de salarié, puis de celui de mari et papa et après, quand la maison dort je m’installe devant mon écran d’ordinateur et je m’attelle à l’écriture. Une chance que Guillaume vive aussi en partie la nuit car je lui téléphone souvent à des heures indécentes et il n’est pas si rare que nous parlions et rigolions jusqu’à presque 2H du matin…

Sceneario.com : Comment travaillez vous ensemble ? Quelles sont vos techniques de travail ?

Guillaume Lapeyre : Toutes les deux semaines j’ai un nouveau chapitre à dessiner. Je commence par dessiner le story-board de l’épisode en entier, soit 20 pages. Je cherche de la documentation, notamment pour les décors et une fois validé, je passe aux pages proprement dites. Pour le tome 1, la technique était un croquis sur une feuille de papier machine et la bonne feuille encrée sur la table lumineuse, mais pour le tome 2, je fais mon croquis, je le scanne et je l’imprime en gris léger sur ma bonne feuille. C’est plus efficace et la lampe de la table lumineuse me tiens moins chaud !

Rémi Guerin : Je travaille d’abord seul, j’organise mes idées et j’imagine l’histoire. Après quelque temps j’ai oublié certaines de ces idées mais je pars du principe que seules celles qui restent valent le coup. Alors je prends des notes, à l’ancienne, dans un carnet. Ensuite je partage l’histoire en l’état avec Guillaume. C’est bien souvent l’occasion d’un débat d’idées nouvelles ou de faire le tri, tout n’est pas bon à prendre, certaines choses sont parfaites et d’autres méritent des améliorations. A ce stade là je peux aussi appeler Elsa Sztulcman, notre éditrice chez Ankama, et voir avec elle ce qu’elle en pense et à quoi elle réagit. Je crois qu’on peut dire d’elle, comme de Guillaume, qu’ils sont un public difficile et franc, l’idéal pour tirer le meilleur parti de moi. Après quoi je m’enferme dans mon bureau et je rompt tout contact avec l’extérieur jusqu’à avoir fini le chapitre en cours. Une fois fait je téléphone à Guillaume, il est bien souvent 1H du matin et je lui lis avant de lui envoyer. J’ai sa réaction en direct et lui mes intentions dans le ton de ma voix. Idéal pour l’aiguiller dans les choix qu’il fera au dessin. Il attaque alors le story-board alors que moi je pense déjà à la suite… Et donc si Black Fowl fait ça alors Lester réagit comme ça sauf si Verne a pensé que parce qu’Arthur l’a mis en garde… Bref, j’adore ce job ^^ !!!

Sceneario.com : Pourquoi, au fait, ce choix manga ?

Guillaume Lapeyre : En plus du rêve d’adolescent, le manga offre cette formidable option que de présenter l’histoire comme un feuilleton, qui puisse tenir en haleine, ce que nous n’avons jamais réussi à faire dans un format 46 pages couleurs.

Rémi Guerin : Guillaume en rêvait, le format nous offrait la possibilité de développer l’histoire de manière conséquente… Nous avions enfin la place de raconter une histoire sans être contraints par une pagination trop exigeante ! Et le prix… Marre de payer une fortune pour 46 planches, nous voulions que nos lecteurs ne se ruinent pas et en aient pour leur argent en terme d’Aventure et de Lecture !

Sceneario.com : Alors, pour City hall, pourquoi avoir choisi un thème steampunk, une uchronie ?

Rémi Guerin : Nous voulions replacer Verne et Conan Doyle dans un contexte historique proche du leur pour commencer. Les changer d’époque n’aurait rien apporté à notre histoire. Enfin comment ne pas faire une uchronie ? Un monde dans lequel l’écriture manuscrite est interdite parce que tout ce que l’on y décrit prend vie ! Un monde sans papier, sans personne qui sache écrire… Nous nous devions d’expliquer comment une telle société pouvait s’organiser, comment elle pourrait survivre sans ce mode de communication primordial qui est le nôtre aujourd’hui encore… Et finalement cet univers possède des traits de caractère communs au nôtre, mais est-ce vraiment surprenant à l’ère du livre numérique ?

Sceneario.com : Dans cette uchronie, vous vous permettez quand même de beaux mélanges de genres et d’époques. Jules Verne travaillant pour Malcolm Little à Londres, c’est quand même « osé » non ?

Rémi Guerin : Vous voulez dire comme de réunir le Docteur Henri Jekyll (et son alter ego), Hawley Griffin, Allan Quatermain, Mina Harker et le Capitaine Némo pour les envoyer défendre l’Angleterre contre des menaces extraordinaires, le tout pour le compte d’un mystérieux « M » ? Parce que ça c’était vraiment gonflé !

Sceneario.com : il y a aussi un personnage féminin fort. Pourquoi avoir choisi l’aviatrice Amelia Earhart ? Prévoyez vous d’autres surprises avec de nouveaux personnages « célèbres » ?

Rémi Guerin : Difficile de trouver un aventurier qui me plaisait. Il y en a beaucoup dans notre Histoire, certains que j’affectionne particulièrement d’ailleurs, mais de là à les intégrer dans City Hall… Et puis j’avais envie de casser les codes et de mettre à l’honneur une femme. Elles ne sont pas moins capables que les hommes et ont pourtant dû affronter les « quand diras-t ‘on » pour le prouver. Et l’une de ces femmes, qui a toute mon admiration, est justement l’image même de l’Aventurière. Forte, prête à tout pour prouver sa valeur et celle des autres femmes, elle a bravée les airs et les océans avec succès et mis à mal les idées reçues selon lequel il existerait un sexe « faible ». Amélia Earhart était tout ça à la fois, et il ne m’a pas fallu longtemps pour lui donner le rôle ! Quant à savoir si d’autres personnages « célèbres » feront leur apparition la réponse est oui ! Mais la vraie question est de savoir quel camp ils choisiront…

Sceneario.com : City Hall risque de vous prendre un peu de temps maintenant, semble t’il. Quels sont vos projets à venir ?

Guillaume Lapeyre : En effet City Hall prend chaque minute de mon temps, mais je ne me vois rien faire d’autre non plus, enfin… pour le moment 😉

Rémi Guerin : Un projet de Western qui paraitra chez Glénat début 2013 avec Sébastien Damour aux commandes du dessin. Nous allons revisiter l’Histoire Américaine au travers des dossiers de l’Agence Pinkerton !

Sceneario.com : Quels sont vos derniers coups de coeur pour une bande dessinée ?

Guillaume Lapeyre : Que du manga : je dois dire que je me suis laissé happer par Beelzebub, un Shonen particulièrement efficace !

Rémi Guerin : Deux coups de cœur. Lincoln, d’Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray chez Paquet. Dessin, scénario, couleur, tout est bon ! C’est drôle, juste, bien foutu et terriblement addictif, j’adore cette série ! Et l’incontournable Burlesque Girrrl de François Amoretti chez Ankama. Un OVNI sur la planète BD ! Et croyez-moi cet album vaut le détour à plus d’un titre ! Si vous ne l’avez pas encore lu courez le faire, vous passerez un moment génial dans l’univers de cet auteur.

Sceneario.com : Quels sont vos dernier coups de coeur pour un livre ?

Rémi Guerin : Une petite insomnie une nuit chez un ami, dans la bibliothèque j’ai trouvé Les Arcanes du Chaos de Maxime Chattam. Et bien je peux vous dire que ça n’a pas arrangé la dite insomnie… Je n’ai pas réussi à décrocher tellement c’était prenant !

Sceneario.com : Quels sont vos dernier coups de coeur pour un film ?

Guillaume Lapeyre : Sherlock Holmes 2, un divertissement +++, un film que j’adore !

Rémi Guerin : Avengers. Je l’attendais avec impatience, je l’ai vu deux fois au cinéma et j’ai pris mon pied à chacune des deux séances !!!

Sceneario.com : Quels sont vos dernier coups de coeur pour une musique ?

Guillaume Lapeyre : Pour le moment, non, mais j’attend avec impatience le prochain album de Muse !

Rémi Guerin : La Bande Originale de Sherlock Holmes 2, une claque musicale au même titre que le film !

Sceneario.com : Merci Guillaume et Rémi, pour ce temps passé avec nous. Et souhaitons bon vent à City Hall !

Guillaume Lapeyre : merci à toi ! :))

Rémi Guerin : Merci beaucoup, cette interview a été un plaisir et à très bientôt j’espère !

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