Interview
Interview Régis HAUTIERE pour Aquablue
Sceneario.com : En ce mois de novembre, sort le 12ème épisode d’Aquablue. Ce dernier signe un changement radical au niveau de la direction des opérations puisque vous voilà en tant que scénariste d’une nouvelle épopée futuriste. Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ? Pourquoi cette participation ? Peut-on dire que l’équipe première était "essoufflée" ?
Régis HAUTIERE: C’est Guy Delcourt qui m’a contacté pour me proposer de reprendre le scénario de la série, suite au désir manifesté par Thierry Cailleteau de passer la main. J’ai accepté très rapidement parce qu’Aquablue était une série que j’aimais beaucoup et à laquelle j’avais l’impression (peut-être illusoire…) de pouvoir apporter quelque chose. En ce qui concerne les créateurs de la série, je ne pense pas qu’on puisse parler d’essoufflement. Olivier Vatine a arrêté pour des raisons personnelles après avoir dessiné Corail noir, le meilleur album de la série à tout point de vue. Je ne connais pas les raisons exactes du retrait de Thierry Cailleteau mais j’imagine que c’est dû plutôt à une certaine lassitude ou à l’envie de se consacrer à autre chose.
Sceneario.com : On peut supposer que vous avez dû vous imprégner de cet univers "aquabluen" issu d’un genre dans lequel on n’a pas l’habitude de vous voir œuvrer. Peut-on voir là l’occasion d’une véritable remise en question ?
Régis HAUTIERE: Je parlerais d’une nouvelle expérience, plutôt que d’une remise en question. Ou alors il faudrait considérer chacun de mes projets comme une remise en question, dans la mesure où je n’ai pas vraiment de genre de prédilection. Les derniers livres auxquels j’ai participé (Abélard, Yerzhan, Vents contraires, Accords sensibles, De Briques et de sang…) appartiennent chacun à des registres très différents : fable poético-philosophique, anticipation, thriller, récit intimiste, polar historique… J’aime bien passer d’un genre à un autre et travailler avec des dessinateurs aux styles et aux univers très différents. Ne pas m’enfermer dans un registre particulier, m’évite de m’ennuyer et de me répéter. Dans le cas d’Aquablue, le défi était surtout de m’immerger dans un univers créer par d’autres. Je dois tenir compte des personnages et décors existants, des événements qui se sont déroulés dans les tomes précédents, des éléments technologiques montrés ou décrits dans la série… Mais, à bien y réfléchir, c’est un peu la même chose quand on travaille sur un projet se déroulant dans un contexte historique précis. Là aussi les décors, les événements et personnages importants et l’état de la technologie nous sont imposés.
Sceneario.com : Pour les besoins de cette équipée, avez-vous bénéficié des conseils avisés de vos prédécesseurs ? Avez-vous été obligé, pour lancer Nao dans de nouvelles aventures, de respecter un certain cahier des charges imposé par l’éditeur Delcourt ?
Régis HAUTIERE: Non, ni conseils, ni cahier des charges. Guy Delcourt m’a simplement demandé, avant de commencer à travailler sur le scénario, de rédiger une note d’intention dans laquelle j’exposerais, dans les grandes lignes, la direction que je voulais faire prendre à la série.
Mais même sans cahier des charges imposé, il a tout de suite été évident pour moi qu’il était impératif de respecter l’esprit de la série et, bien sûr, de tenir compte de tout ce qui y avait été raconté jusqu’ici.
Sceneario.com : Quels ont été éventuellement les écueils rencontrés pour concrétiser ce projet ?
Régis HAUTIERE: Je pense que les deux principaux sont de perdre de vue l’esprit de la série, mélange d’aventure, de SF et d’écologie agrémenté d’un soupçon d’humour et, à l’opposé, de trop vouloir coller à ce qui a déjà été fait.
Sceneario.com : Contrairement au concept des récits précédents, votre aventure va, semble-t-il, s’étaler sur plusieurs tomes plutôt que sur un diptyque. Est-ce là l’occasion de vous démarquer du travail de vos anciens confrères en souhaitant mieux installer dans le temps votre histoire ?
Régis HAUTIERE: Je dirais plutôt que c’est une tentative de retrouver ce qui a fait le succès du premier cycle, dont l’histoire s’est développée elle aussi sur cinq tomes : une montée en puissance progressive jusqu’au climax.
Ca joue évidemment sur le rythme. Sur un diptyque, l’intrigue est très resserrée. Les éléments constitutifs de l’histoire (personnages principaux, but poursuivi, obstacles majeurs empêchant sa réalisation…) doivent être en place dès les 15 premières pages. Le reste montrant la façon dont les héros s’y prennent pour lever ou contourner les obstacles exposés dans l’introduction.
Raconter notre histoire en 4 ou 5 tomes, nous permet de travailler différemment. Ça nous donne la possibilité de développer des intrigues parallèles, de retarder l’entrée en scène de certains personnages, d’épaissir la psychologie des personnages secondaires, de montrer des séquences "hors champ", c’est-à-dire des séquences qui n’ont pas de lien direct avec l’intrigue principale mais permettent de poser une ambiance, de créer une tension, d’affiner le caractère d’un personnage ou de mieux comprendre certaines choses.
Sceneario.com : Retour aux sources installe une intrigue un tant soit peu à tiroirs dans laquelle l’équilibre du monde "aquabluen" est de nouveau mis en balance. N’y aurait-il pas en cette histoire qui se répète, une façon de décrier l’avidité, l’égoïsme, le non-respect environnemental du genre humain ? Qu’est-ce qui vous a réellement inspiré ?
Régis HAUTIERE: Ce qui est au centre de la série Aquablue, selon moi, ce sont les dérives de l’espèce humaine ; sa tendance à l’autodestruction et sa propension à broyer tout ce qui ne sert pas ses intérêts immédiats.
A ce titre, la première de mes sources d’inspiration est l’actualité. Il y aussi, bien sûr, de nombreux romans. Les premiers titres qui me viennent à l’esprit sont Le Troupeau aveugle de John Brunner et Ose de Philip José Farmer.
Sceneario.com : Croyez-vous réellement que Nao puisse être considéré comme un écologiste à part entière ? C’est une bonne question…
Régis HAUTIERE: Je ne crois pas qu’on puisse considérer Nao comme un écologiste politique. Ce n’est en tout cas pas un théoricien de l’écologie.
Dans le premier cycle, il agit par instinct. Il combat la Texec et ses affidés parce que leurs activités menacent son mode de vie et celui de ses amis. La sauvegarde de la planète n’en est qu’une conséquence.
Son premier véritable positionnement écologiste est la création de la Fondation Aquablue. Mais on a l’impression que ce qu’il recherche au travers elle c’est d’abord l’aventure, un moyen de s’évader, de retrouver sur d’autres planètes le frisson qu’il a connu en combattant pour Aquablue.
Sceneario.com : L’équipage bigarré du Stromboli, avec ses frasques, semble un peu effacé dans ce premier tome au détriment de Dupré, Chiara et la famille de Nao. Comptez-vous le remettre sur le devant de la scène ?
Régis HAUTIERE: Oui, il va reprendre de l’importance dans les tomes suivants. Notamment dans le prochain tome, où Carlo et Rabah vont même prendre, temporairement, un peu le pas sur Nao. Nous avions beaucoup de personnages à gérer sur le premier tome et il a fallu répartir le "temps de parole" entre tous ces protagonistes. Il fallait notamment se donner le temps d’introduire Ylo, le fils de Nao, qui est l’un des personnages clés de ce cycle et je tenais à ce que Mi-nuee, qui a été quasiment absente des six tomes précédents, revienne au premier plan.
Sceneario.com : Comment avez-vous été associé à Reno ? Quel est votre regard sur sa participation on ne peut plus bluffante au regard de ses remarquables graphismes (surtout les décors "aquabluens" ou spatiaux) ?
Régis HAUTIERE: C’est l’éditeur qui m’a mis en contact avec Reno. Je connaissais un peu son travail. Non pas grâce à Valamon, ni aux Womoks mais au travers d’une histoire courte qu’il avait réalisé pour Science & vie junior.
Le travail de Reno est impressionnant. Il est capable d’atteindre un niveau de détail incroyable (je le sais pour avoir vu les planches en haute définition sur l’écran de son ordinateur) sans pour autant sacrifier à la lisibilité. Et il arrive à respecter la physionomie des personnages alors que son style est très différent de celui des dessinateurs précédents. Je dirais même que, malgré les différences évidentes entre son style et celui d’Olivier Vatine, Reno est à mon sens le dessinateur qui a le mieux su retrouver l’esprit du cycle originel, parce qu’on sent qu’il respecte le trait du créateur de la série sans pour autant chercher à le copier.
Sceneario.com : Comment travaillez-vous ensemble ? Lui laissez-vous une entière liberté quant à l’agencement des vignettes ou préférez-vous garder un œil critique et permanent sur son découpage et ses visions graphiques ?
Régis HAUTIERE: Je le laisse libre de composer la page comme il l’entend. Je lui donne le nombre de cases et je décris leur contenu mais, à partir du moment où ça ne nuit pas à la narration, il peut choisir des angles de vue ou des focales différentes de celles que je propose. Il peut aussi choisir de supprimer une case ou en ajouter une s’il estime que la scène fonctionnera mieux comme ça.
Sur le prochain tome, à sa demande, je vais même lui laisser les coudées franches sur une ou deux scènes d’action : je me contenterai de présenter linéairement le déroulé de ces séquences, d’en écrire les dialogues et d’indiquer à Reno le nombre de pages dont il dispose. Reno les décomposera ensuite en autant de cases qu’il le jugera nécessaire.
Sceneario.com : Quel va être le rythme de vos parutions ? Avez-vous peut-être finalisé l’aventure au niveau scénario? Ce sera un rythme assez classique : un album par an (sauf accident de parcours).
Régis HAUTIERE: Au niveau du scénario, le découpage n’est pas bouclé pour l’ensemble du cycle mais la trame générale et les principaux événements sont écrits.
Sceneario.com : Avez-vous d’autres projets qui sont susceptibles de sortir prochainement ?
Régis HAUTIERE: Un coffret contenant les deux tomes d’Abélard sort ces jours-ci, accompagné d’un tiré à part. A part ça, le prochain album à paraître devrait être le second tome de la Guerre secrète de l’espace, dont le dessin est terminé depuis plusieurs mois mais dont la sortie a été reportée en raison de petits soucis sur la mise en couleur.
Sceneario.com : Sceneario.com vous remercie vivement pour vos réponses et vous souhaite le meilleur pour Aquablue !
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