Interview

Jean-David MORVAN

Sceneario.com: Pouvez vous vous présenter? (études, parcours professionnel…)
JD Morvan:JD Morvan, scénariste de BD. Bac A3, institut saint-Luc section BD quitté avec pertes et fracas pour incompatibilité de vision avec les profs. C’est ce
qui m’a poussé à demander à mes amis s’ils n’avaient pas envie d’illustrer
certains de mes scénarios (je ne me sentais pas encore au point au dessin,
et c’est donc comme ça que j’ai finalement arrêté de dessiner). Et je suis
allé les montrer à des éditeurs, et c’est Zenda qui a dit oui pour Reflets
Perdus, mon premier album avec Sylvain Savoia. Du coup je ne suis plus allé
aux beaux arts de Bruxelles où j’étais inscrit et ils m’ont viré.

Sceneario.com: La bande dessinée abordée par Morvan, c’est du polar (Al Togo), de l’héroic Fantasy (Troll), de la bd jeunesse (Merlin), la sf (TDB, Sillage, HK) etc… quel est votre genre préféré ?

JD Morvan: Je n’ai pas de genre préféré. Je crois qu’on peut raconter des choses
intéressantes dans tous les genres. Et, contrairement à une idée reçue que
j’entends souvent, je crois qu’une histoire n’est vraiment forte que quand
elle ne peut se dérouler que dans l’univers pour laquelle elle a été écrite.
Le problème des genres, c’est qu’ils sont souvent des palliatifs à
l’imagination. Ainsi pour certains, héroïc Fantasy = quête, Western =
vengeance etc. Il faut creuser plus que ça pour aboutir à de bonnes
histoires, je crois. Essayer de s’échapper de la première idée, parce que
c’est celle que tout le monde a.

Sceneario.com: En matière de thèmes, quel est celui qui vous tient le plus à coeur, pourquoi, et l’avez vous déjà envisagé en bande dessinée ?

JD Morvan: J’ai la chance de n’écrire que des histoires qui me touchent. Je ne fais pas, et n’ai jamais fait d’albums « alimentaires ». Aussi tous les thèmes que
j’approche me plaisent, et j’ai le même plaisir (et la même difficulté) à
tous les écrire. Même les adaptations de romans sont excitantes,, parce
qu’elles posent d’autres questions scénaristiques.

Maintenant, j’ai toujours tout envisagé en bande dessinée, c’est bien
simple. Pour moi c’est le média idéal pour tout raconter. En effet c’est
bien plus libre que le cinéma (parce qu’il y a moins d’argent en jeu) et
bien plus lu que les romans (il y a un « public captif » bien plus présent).
Je dis sûrement ça parce que c’est le média que je préfère, et un mec qui
fait du ciné dirait le contraire. Cela dit, on a en Bd un rapport très
direct avec le projet. On a une idée, et si ça marche bien, un an après, on
a l’album dans les mains. C’est rare. Et peu de gens sont intervenus dans sa
création. C’est un luxe énorme dans le métier du scénario, ça j’en suis sûr
!!!

Sceneario.com: Dans les scénarios que vous réalisez, on trouve nombre d’univers très SF, et notamment l’adaptation (sur une suggestion du dessinateur Li-an) du Cycle de Tschaï de Jack Vance. Comment se passe l’adaptation d’un roman aussi dense et complet, au niveau écriture à destination de la BD, et respect de l’oeuvre ?

JD Morvan:Adapter n’est pas copier. Et comme je ne suis pas Jack Vance, pour que
je trouve crédibles les réactions et les aventures des personnages, je suis
obligé de leur coller mes émotions. Donc en gros, ils font ce que Vance a
écrit, mais avec des motivations qui sont les miennes.

Pour généraliser, je crois que pour être fidèle à l’esprit d’une œuvre,
il faut parfois être infidèle à sa forme. Simplement parce que par exemple
de deux romans de 500 pages, on passe à 4 albums de 46. Il faut réorganiser
pour garder l’idée de la structure des livres.

Sinon oui, j’aime la SF parce que c’est une bonne loupe pour parler des
choses d’aujourd’hui. On peut grossir des évènements ou des concepts pour
leur donner plus de visibilité.

Sceneario.com: Quel regard portez vous sur les BDs qui sont fortement typées SF, est-ce selon vous, jouer la facilité scénaristique sur un univers typiquement SF, ou plutôt essayer de construire un univers cohérent anticipationniste.

JD Morvan:Je pense toujours que l’univers en lui-même est un peu moins important
que ce qu’on va faire passer dedans. Ainsi, ça ne sert à rien de créer
des univers super complexes pour qu’à la fin, les personnages vivent la même
aventure qu’ils auraient vécue n’importe où ailleurs (on rejoint ma réponse
2). Or c’est souvent le cas.

Il est aussi dommage de créer un « super » univers et de faire s’y balader
les persos sans qu’il ne leur arrive rien de marquant, juste pour montrer à
quel point on a eu des « supers » idées.

L’important à mon goût, c’est quand même d’essayer de toucher les
lecteurs en faisant résonner (j’allais écrire « raisonner ») ce qu’ils vivent
dans l’esprit de ce dernier. Il n’est pas vraiment important qu’il
s’identifie, mais qu’il vibre pour eux, ça c’est sûr. Moi ce que j’aime par
dessus tout, c’est le cas de conscience.

Je place mes persos face à des possibilités, et je leur fait faire un
choix… Qui n’est pas toujours celui qu’auraient fait la majorité des
lecteurs. Et j’essaye d’amener ce choix à son terme, au bout de sa logique.

Sceneario.com: Vous semblez vous diriger ces derniers temps vers des scénarios moins dans la veine SF, je pense notamment à « 7 secondes » chez Delcourt et « Je suis morte » chez Glénat, une envie de faire des albums dans d’autres veines et/ou plus intimistes ?

JD Morvan:A vrai dire, j’ai écrit 7 secondes avant Sillage, et mon premier album
écrit (pour S. Savoia) se passait entièrement dans un bar de village pendant
le dimanche de la fête. On ne pouvait pas plus intimiste.

En fait, même en SF, il me semble que j’ai toujours essayé de parler de
l’intimité des persos, de leur quotidien. Histoire de ne pas les couper
d’une certaine réalité, celle qui fait qu’on peut y croire comme personnes
et non pas juste comme personnages.

Comme je disais, tous les gens sont susceptibles de m’intéresser, toutes
les époques et tous les tons. Le tout c’est que j’ai un concept à creuser
dedans… Une question que je me pose et que je vais essayer de comprendre
par le biais d’un scénar. Car mes histoires ne sont pour moi pas autre chose
qu’une manière de réfléchir aux problèmes que je me pose. Qu’ils soient
techniques ou éthiques.

Sceneario.com: Le Japon et la culture manga semblent compter beaucoup pour vous. Le monde européen s’entre-ouvre à peine à cette culture, que peut on faire pour montrer la grande richesse manga aux lecteurs de bd franco belge ?

JD Morvan: En fait, toutes les formes de Bd me plaisent. Et tous les pays qui en
font apportent quelque chose. Il est clair que je trouve que le manga est
très fort,, compte tenu de son format qui permet de traiter à la fois
l’action et l’émotion. C’est bien d’avoir de la place pour ne pas être
obligé d’aller toujours à l’essentiel. Le BD d chez nous ressemble parfois à
un résumé. Et si on ne garde que les parties utiles du récit, on zappe
souvent l’émotion.

Sûrement que la séparation entre Bd d’action et Bd d’auteur vient de là
chez nous… On a pas trop la place de faire les deux. Ua Japon, ils n’ont
pas ce problème. 20th century boys, Amer béton et Vagabond (il y a d’auteurs
exemples bien sûr) ont ce double statut.

Leur format ouvre les champs d’expérimentation. C’est surtout en ça que
je suis intéressé par ce qu’ils font.

Sceneario.com: Pour la série « Sillage », dont le nombre d’albums, d’après nos informations, n’est pas vraiment défini, est-ce une envie de constituer une oeuvre avec une trame commune sous forme de one shot consécutifs mais reliés qui puisse être en quelque sorte citée comme l’oeuvre de JD Morvan ?

JD Morvan: Je n’ai jamais pensé en terme d’œuvre. Ça c’est sûr. D’autant qu’un
début, on ne savait pas si ça allait marcher. On était loin de la recette
qui marche : Une seul humain, des univers qui changent tout le temps etc.

On a établi avec Philippe un concept de départ, qui est celui là,
techniquement parlant. Donc on essaie surtout de s’y tenir. Il faut gérer
aussi les inconvénients (on manque parfois de place), mais c’est ça qui est
passionnant !!

Caser tout ce qu’on veut mettre dans un album est difficile, d’autant
qu’on est aussi obligé de couper des choses. Mais les vides du récit sont
aussi intéressants que les pleins, dans le fond. Ils laissent au lecteur
matière à imagination. C’est plaisant pour nous,de parler avec eux ensuite.
Chacun a son point de vue, qui vaut bien le mien (sauf que c’est moi qui
décide à la fin ;).

Sceneario.com: Si Sillage était adapté au Cinéma, qui pourrait s’en charger et faire du sur mesure ? Besson ? Spielberg ? …etc… Avez vous déjà eu des propositions?

JD Morvan: Oui, mais pas vraiment officielles. On verra bien, de toute façon un film
aurait surtout pour avantage pour nous de faire de la pub à la BD; parce que
c’est dans celle-ci qu’on défend ce qu’on a à dire; On sait bien qu’au ciné
on risque d’être dépossédé. On n’est pas maussade de ça, c’est le jeu.

Comme dit plus haut : on verra bien…

Sceneario.com: La bande dessinée est-elle une culture ?

JD Morvan: Evidemment ! rien que de lire une Bd demande une culture particulière.
Il faut comprendre l’ordre d’agencement des cases, qui n’est pas du tout
inné. Et donc tout ce qui est acquis est culturel, de fait.

Et puis il y a nombre d’auteurs qu’on n’aime pas quand on commence à lire de
la Bd, qu’on finit par adorer parce qu’on progresse dans les goûts et qu’on
finit par comprendre leur démarche par rapport au reste de la production.

Sceneario.com: De nombreux dessinateurs oscillent entre travail en solo ou en atelier,
vous avez choisi l’atelier : pourquoi, et qu’est-ce qu’il vous apporte ? (à
vous ou aux autres d’ailleurs !)

JD Morvan:Je n’aime pas bosser trop seul. J’aime mes potes. Chez moi, je vis et
je ne travaille pas bien du coup. J’ai plus envie de regarder la télé, jouer
à la PS2 et aller faire un tour en ville. C’est bien d’avoir un lieu de
travail. Voilà. Du coup, on confond un peu moins vie et travail. Ce qui est
presque impossible vu le métier qu’on fait.

Sceneario.com: Quelles sont vos sources d’inspirations ? Ou comment faites vous pour en faire autant ?

JD Morvan:Mes sources d’inspi sont mes aventures de la vie et les aventures de la
vie autour de moi (infos beaucoup). Et puis tout le reste comme tout le
monde : ciné, livres histoire etc.
En faire autant ? S’asseoir et bosser. Ce n’est pas un miracle. Ça n’a
rien d’un boulot de dilettante. J’ai des histoires à raconter, et quand je
serai mort, ce sera trop tard. Donc j’essaye de mettre le paquet.
Faut avoir envie d’y sacrifier des heures et des heures. Pour l’instant
c’est le cas, on verra si ça le sera encore en vieillissant…

Sceneario.com: Vous allez beaucoup à la rencontre du public, soit aux festivals, soit en dialoguant sur les forums, est-ce que l’opinion du public pourrait changer quelque chose dans vos bds ?

JD Morvan:Toute opinion change toujours quelque chose. Je suis assez perméable à ce
que j’entends et lit. Mais je sais aussi où je veux aller, c’est un mixe
des deux. Mais je n’analyse pas trop ça à vrai dire. J’aime connaître le
point de vue des gens, ce n’est pas pour ça que j’y adhère toujours. Ou même
que je le comprends !

Sceneario.com: Est-ce qu’il pourrait vous « casser » comme ça a pu arriver à des auteurs tels que Bajram ou d’autres qui ont été sacrément démoralisés à certains moments ?

JD Morvan: Oui, bien sûr. Mais j’essaye de passer par dessus. Tiens, un lecteur
dans le courrier de BoDoï dit que je tiens des propos fascisants par
exemple. Eh bien un, il ne sait pas ce que veut dire ce mot visiblement. Et
secundo, il est tellement persuadé que des concepts créés par d’autres
(qu’il n’aurait sûrement pas eu le courage de mettre en place, puis qu’il
aurait tout aussi bien cru à ceux qu’ils ont dû foutre en l’air pour les
instaurer) qu’il en oublie que c’est des humains qui doivent vivre avec.
Donc il prône la théorie refuse la vie réelle.

Ca pourrait me faire chier de lire que je suis un adepte de Sarkozy,
c’est sûr. Mais à la fin, comme c’est un pauvre gentil bien pensant un peu
limite, ce n’est pas très grave. Il faut passer dessus. J’essaye au mieux.

Sceneario.com: Vous avez inauguré avec Philippe Buchet, le système de dédicace avec des tickets, Qu’est ce qui a déclenché cette méthode ?

JD Morvan: Pas tickets, tirage au sort !!

Parce qu’on en avait marre de voir toujours les mêmes. Même s’ils sont
sympas, les pros de la dédicace sont là avant le autres et squattent les
places. Autrement dit, la queue est bouclée dès l’ouverture du salon. Donc
le plus juste c’était pour nous le tirage au sort.

Comme ça, tout le monde arrive en même temps, et tout le monde a la même
chance (presque).
Nous, on se sent mieux comme ça.

Sceneario.com: Que pensez vous du net en général? Et de sceneario.com en particulier?

JD Morvan: Je pense que ça donne une ouverture aux lecteurs de parler. Parfois pour
dire des choses intéressantes, souvent pour dire n’importe quoi… Mais
c’est à l’image de la société, ni pire ni meilleur.

Ce n’est pas non plus un reflet des lecteurs, mais surtout des
ultra-fans. Souvent sans pitié, par vengeance ou bêtise. Ils ne pensent pas
qu’ils peuvent faire mal, pour les plus simples. Mais ce qui est bien, c’est
qu’on peut répondre, et faire comprendre qu’on peut dire n’importe quoi,
mais qu’ensuite, il faut en assumer les conséquences !!!!

Je trouve sceneario.com assez carré et malin. Peut-être parce qu’avec
une ligne éditoriale plus serrée, moins ouverte à tout le monde. Mais les
autres sont aussi intéressants. Ce qui est bien, c’est de panacher tout pour
se faire une idée de l’idée que les gens ont des albums.

Sceneario.com: Merci beaucoup pour le temps et la gentillesse que vous nous avez accordé, bonnes continuations.

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