Interview
Jérôme Phalippou : après le Merlu, il va nous entraîner dans une autre guerre en compagnie de Yann
Dessinateur dans l’âme, Jérôme Phalippou a pourtant suivi un chemin sinueux. Celui de douanier puis de responsable de musée avant de se lancer à fond dans sa passion, l’illustration. Après la parution du dernier tome du Merlu, place au nouvel album des Pieds sur Terre. Mais il travaille déjà à sa prochaine histoire dont le scénario est signé du grand Yann !
C’est dans un joli lieu culturel que nous avons rendez-vous avec Jérôme Phalippou. Il ne s’agit toutefois ni d’un salon de la BD, ni d’une librairie ou d’une médiathèque.
Nous sommes dans une ancienne maison forte de Sallanches (Haute-Savoie), le Château des Rubins, qui abrite le Centre de la Nature Montagnarde.
Ce chemin va pourtant avoir des incidences majeures sur sa vie.En 1989, le voici donc dans la ruche de l’aéroport de Roissy. Il y rencontre son épouse qui va ensuite être mutée à Châtel, charmant village de Haute-Savoie frontalier avec la Suisse. Jérôme Phalippou la suit rapidement. Les voilà donc devenus montagnards en 1996.
En écologie comme ailleurs, « je n’aime pas les ayatollahs. »
« Ensuite j’ai commencé à faire des expos ça et là, puis un petit bouquin avec Félix Meynet qui m’a toujours donné de supers conseils, avec beaucoup de bienveillance. »De fil en aiguille, il commence à faire son trou dans le métier de dessinateur. Il réalise, en 2005, Les mini-sapiens en Savoie, avec Elisabeth Charmot, un recueil de comptines pour enfants.En 2010, le bureau des douanes de Châtel ferme. Il est alors embauché par le maire, Nicolas Rubin, pour créer un musée de la contrebande. « J’ai mené le projet de bout en bout, recruté les bonnes personnes et réalisé une multitude d’illustrations pour le lieu. Mais je n’avais pas envie de devenir guide de musée. Comme je voyais l’impact de mes dessins sur les visiteurs, j’ai décidé de me mettre en disponibilité et je me suis lancé à mon compte. »
Les commandes ne manquent pas, à commencer par celles de la mairie de Châtel. Il dessine aussi des gags pour le Dauphiné Libéré, mettant en scène la belle Fauvette et l’intrépide Castor. « J’avais envie de parler de notre paradis montagnard et aussi d’écologie, à ma manière, cherchant à sensibiliser le lecteur en me moquant de ceux qui ne se préoccupent pas d’environnement, mais aussi de ceux qui en font trop. Je n’aime pas les ayatollahs. »Les gags sont ensuite compilés pour devenir une série d’albums, Les Pieds sur Terre, dont le tome 3 vient justement de paraître chez Paquet. Des livres drôles, qui transpirent la générosité et l’espièglerie de Jérôme Phalippou.
Puis vient la rencontre, en 2014, avec Olivier Marin. Tous les deux vont donner naissance aux Aventures de Betsy, chez le même éditeur.« Je me suis bien éclaté à faire ces quatre tomes, d’autant que j’ai pu m’impliquer dans le scénario. » Outre l’ambiance polar qui rappelle les plus grands classiques de la Ligne Claire, ces albums – comme ceux du Merlu – sont l’occasion d’admirer tout le talent de Phalippou à dessiner belles voitures et camionnettes. On pourrait en conclure qu’il est fan de véhicules de collection.« Pas du tout, je n’y connais rien en voitures, toute la doc vient des scénaristes ! Et, sur les salons, j’arrête vite ceux qui m’interrogent sur tel ou tel modèle. J’aime simplement les dessiner, surtout les voitures anciennes. Je n’aurai aucun plaisir à le faire avec les véhicules modernes, qui n’ont plus du tout le même charme. »
« On ne naît pas résistant ou collabo, les événements jouent aussi un rôle dans ce que l’on va devenir. »
En 2020, Jérôme Phalippou par en guerre en compagnie de Thierry Dubois et Patrick Larme. Le Merlu est un récit réaliste, qui parle de l’âme humaine confrontée à des heures sombres.
« Nous voulions montrer la Seconde Guerre Mondiale sous l’angle du quotidien des gens et expliquer qu’on ne nait pas résistant ou collabo, mais que les événements, au-delà de nos propres choix, jouent aussi parfois un rôle dans ce que l’on va devenir. » Dans ce récit, où rien n’est effectivement tout blanc ou tout noir, on ressent toute la pression liée à l’Occupation. Une série réussie qui s’est achevée avec le troisième tome, en novembre. L’auteur admet avoir un peu pleuré en dessinant les dernières pages. Nous ne vous dirons toutefois pas pourquoi, afin de ne pas vous priver du suspense final.
Le Merlu terminé, Jérôme Phalippou travaille déjà sur un nouveau projet dont le scénariste n’est autre que le grand Yann !
« Quand il m’a proposé de travailler avec lui, je suis allé l’annoncer à ma femme et à mes enfants avec des étoiles plein les yeux car, à la maison, nous adorons tous ses histoires. Nous avons tous ses albums, c’était donc une vraie joie partagée » raconte Jérôme.
« Yann avait vu que l’Histoire était ma veine favorite. Il voulait réaliser un diptyque parlant des méfaits de l’OAS et des dommages collatéraux de la Guerre d’Algérie. Nous allons ainsi découvrir le destin d’une gamine touchée par un attentat et suivre son destin sur plusieurs années. » Outre l’intérêt du sujet, Jérôme est aussi bluffé par le professionnalisme de Yann. « Ce mec est une horloge. Tout est parfaitement pensé, millimétré, au service du récit. » Parution prévue en 2024.
En parallèle, Jérôme Phalippou planche sur le storyboard d’un autre diptyque qui racontera des histoires… de douaniers et de contrebandiers en montagne. On ne se sépare pas de son costume originel trop longtemps !
En tout cas, près de 13 ans après avoir raccroché sa tenue d’agent de l’Etat pour tenter l’aventure de dessinateur professionnel, le Haut-Savoyard d’adoption peut se targuer d’avoir eu raison. Il vit aujourd’hui pleinement de son métier d’illustrateur et d’auteur de BD. Un cas pas si courant qu’il doit autant à son talent de dessinateur qu’à sa curiosité et sa capacité à s’impliquer dans les histoires auxquelles il donne vie.
Propos recueillis par Legoffe et Céline. Textes de Legoffe, photos de Céline.
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