Interview

Julien BLONDEL, du jeu de rôle à la Bande Dessinée…

Sceneario.com: Julien, longue et grosse carrière dans le milieu du jeu de rôle, entre différentes boites et différents postes, comment es-tu arrivé dans le monde de la Bande Dessinée?
Julien BLONDEL: Assez naturellement en fait : à force d’écrire, de développer des univers et d’avancer de projet en projet sans se limiter à un format ou un genre en particulier. Avant la bande dessinée, j’avais déjà beaucoup écrit pour le jeu de rôle et pour la presse, mais j’avais également tâté du game design et du scénario de jeu vidéo, du développement de bibles audiovisuelles, de la gestion de projets, du lancement de collections, de la traduction de jeux : autant de facettes qui m’ont permis d’apprendre mon métier en gravitant dans le milieu de l’édition et en créant des opportunités très différentes. C’est vrai que la bande dessinée ne m’avait jamais spécialement attiré : j’en lisais peu, je manquais de références et je ne m’étais jamais vraiment penché sur le format, jusqu’à ce que j’entre aux Humanos pour travailler sur l’adaptation de la Caste des Métabarons en jeu de rôles. J’y ai passé deux ans, et à force de vivre au milieu des bandes dessinées, j’ai commencé à réfléchir à des histoires et à écrire des petits bouts de scénarios. C’était surtout un exercice de style, j’avais surtout envie de découvrir et de « tester » le format, mais je les faisais lire pour avoir des retours et j’ai eu la surprise qu’on me tende un contrat. J’ai signé un premier projet, et tout s’est enchaîné très vite.

Sceneario.com: Est ce que tu trouves des similitudes entre les deux milieux ?
Julien BLONDEL: Le travail d’écriture est assez différent, puisque le jeu de rôle est avant tout conçu pour être joué et a cette particularité de proposer des aventures histoires qui seront mises en scène, vécues et modifiées par les joueurs, là où le cinéma, le roman ou la bande dessinée proposent de suivre des histoires intégralement écrites, sans possibilité de les influencer. D’un point de vue purement technique, le travail du découpage et des dialogues est très loin de ce qu’on peut faire en jeu de rôles, mais proche du travail des cinématiques pour le jeu vidéo ou du développement d’épisodes de séries animées. A chaque support ses codes et ses contraintes, mais au final, on en revient toujours à la même chose : créer des univers, développer des ambiances, camper des personnages et générer des images fortes, afin de transporter le lecteur, de raconter des histoires et de créer des émotions.

Sceneario.com: Comment as-tu rencontré Camilo?
Julien BLONDEL: En postant une annonce de recherche sur le Café Salé, l’incontournable forum de création graphique. En général, je marche à la rencontre, au lancement de projet à quatre mains sur des envies communes, mais j’avais très envie de lancer cette histoire et j’espérais qu’elle attirerait quelqu’un avec qui discuter, rebondir et créer quelque chose de solide. C’est ce qui s’est passé avec Camilo : il a trouvé l’annonce, le projet l’emballait, et on signait ensemble deux semaines plus tard.

Sceneario.com: Est-ce une commande de l’éditeur ?
Julien BLONDEL: Pas une commande, mais une vraie carte blanche. La base de ce projet, c’était l’envie de camper un personnage de tueur / acteur à la psychologie assez complexe, et de travailler sur les grands thèmes des snuff movies et de la téléréalité qui me fascinent depuis plusieurs années. J’avais commencé le développement d’une histoire dans ce style avec l’ami Gérald Parel, que j’avais retrouvé à Marseille au hasard d’un déménagement, et qui avait envie de se faire plaisir en travaillant sur un one-shot. On avait envoyé le projet chez plusieurs éditeurs, et tous l’avaient refusé, malgré la qualité graphique des pages et le thème accrocheur. Trop risqué. Trop choquant. Pas dans la ligne éditoriale. Alors on a laissé le projet se rendormir, et il s’est réveillé deux ans plus tard, quand Guillaume Dorison a commencé le développement des premiers titres seinen au sein de sa collection. Il cherchait des histoires plus adultes. Sa ligne éditoriale, c’était précisément des choses risquées. Des choses choquantes. On en a discuté cinq minutes et il y a tout de suite cru.

Sceneario.com: Lors de l’écriture de ce scénario, avais-tu prévu qu’il sorte dans ce format et avec ce nombre de pages ?
Julien BLONDEL: Pas du tout, non. Je n’écris jamais les scénarios avant de savoir sur quel format, avec quel éditeur et avec quel dessinateur je vais les développer. C’est toujours une envie à la base : des images, une scène courte, quelques bribes d’univers et les grandes lignes des motivations des personnages, mais le travail de scénario à proprement parler ne commence qu’une fois l’équipe créée, en discutant et en rebondissant sur les envies de chacun avec le dessinateur.

Sceneario.com: Penses-tu que ton histoire aurait pu être traitée dans une bande dessinée de taille franco belge ?
Julien BLONDEL: Le manga offre un espace d’écriture formidable pour ce type d’histoire. Plus de pages, plus de souplesse, plus de rythme, et surtout beaucoup plus de liberté, que ce soit dans les thèmes abordés, dans le traitement ou dans le ton. Après, ce qui différencie vraiment le manga du « franco-belge » au final, ce n’est pas tant la taille des livres que le nombre de pages, le prix de vente et le rythme de parution : tout ce qui découle, en fait, du temps de développement et des coûts de production d’un titre, qui déterminent en grande partie le public des lecteurs auquel on peut espérer s’adresser. Je vois vraiment l’arrivée du manga en Europe comme un grand bol d’air frais pour tous ceux qui veulent lire et écrire des histoires populaires, des romans fleuves et des feuilletons. C’est le format « série télé » de la bande dessinée, là où le franco-belge ressemble plus au « cinéma ».

Sceneario.com: L’écriture et le développement de l’histoire ont donc été certainement plus aisés car tu es « libre » par le nombre de pages ?
Julien BLONDEL: Quand on a travaillé sur un format 46 pages, à ciseler chaque case pour être sûr de tout pouvoir loger dans un album, sans devoir faire trop de concessions au niveau de l’ambiance ou de la profondeur des personnages, et qu’on vous offre 120 pages pour développer la même histoire en prenant votre temps, en creusant loin dans la psychologie et en développant autant de personnages et d’intrigues secondaires que vous le souhaitez pour apporter de la densité, c’est tout simplement un régal.

Sceneario.com: As-tu déjà écrit la totalité de l’histoire ou as-tu encore des choses à y apporter ?
Julien BLONDEL: L’histoire à proprement parler, je la découvre au fil des pages, en me laissant porter par les images qui viennent et les idées qui naissent. Je connais le grand secret de l’histoire et les motivations de chaque intervenant, mais je me laisse une liberté totale en ce qui concerne le développement. Chaque séance de travail peut complètement faire basculer l’histoire telle qu’elle était prévue. Arrivée d’un nouveau personnage, retournement de situation, flashback de plusieurs pages avant de revenir à l’intrigue principale : j’aime me laisser surprendre par l’histoire que je suis en train d’écrire. Je me laisse porter par les personnages, j’ai l’impression de découvrir l’histoire en même temps qu’eux. Je crois vraiment que si j’essayais de tout connaître de l’histoire avant de la raconter, je m’en lasserais.

Sceneario.com: Combien de tomes sont prévus ?
Julien BLONDEL: Au moins six tomes, mais ça continuer jusqu’à dix, quinze, vingt tomes peut-être, suivant l’accueil de la série et notre envie de faire durer le plaisir avant d’en arriver aux grandes révélations. C’est également une des grandes forces du manga : pouvoir lancer de grandes sagas sans se soucier du nombre de tomes, en sachant que les lecteurs n’auront pas à patienter pendant un an entre chaque épisode.

Sceneario.com: Et ensuite, d’autres projets ?
Julien BLONDEL: J’en ai déjà beaucoup avec les différentes séries sur lesquelles je travaille, mais chaque projet qui se lance me donne immédiatement de l’énergie et des idées pour une bonne douzaine d’autres. Plusieurs nouvelles séries sont déjà en chantier, ainsi que des one-shots et des adaptations un peu plus personnelles, et je continue à développer des univers de jeu, à écrire pour la presse et à lancer de nouveaux projets éditoriaux en parallèle. Et puis, on vient de me proposer de travailler sur des concepts de séries télévisées, alors je crois que je vais encore devoir repousser légèrement mes vacances…

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