Interview
L’AFFAIRE DOMINICI vue par Pascal BRESSON & René FOLLET
Sceneario.com : L’affaire Dominici est ta première bande dessinée, mais tu n’es pas novice dans le métier.
Pascal Bresson : L’affaire Dominici, sera en fait, ma première bande dessinée publiée en album. J’ai commencé par la BD, notamment pour le journal « A Suivre », il y a quelques années (1989). Beaucoup de planches dessinées également pour divers fanzines. Mes principaux travaux publiés en albums, sont des livres pour enfants, édités par divers éditeurs. Je suis au départ illustrateur, dessinateur et depuis peu scénariste… Je fais ce métier depuis plus de dix huit ans et je comptabilise plus de 30 albums…
Sceneario.com : Tu as aussi travaillé sur l’affaire Seznec pour la sortie d’un livre illustré, tu as un goût particulier pour les grandes affaires policières de l’histoire ?
Pascal Bresson : Je suis devenu passionné par les affaires criminelles grâce à ma mère, qui adolescente, était déjà abonnée au journal détective. Je me suis pris de passion très vite pour deux grandes histoires : les affaires Seznec et Dominici. Les deux plus célèbres du XXe siècle ! J’ai beaucoup écrit et illustré pour l’affaire Seznec. Déjà, parce que c’est une histoire que je connais sur le bout des doigts, puis je suis un ami proche de Denis Seznec, le petit-fils de Guillaume Seznec…
Sceneario.com : Un désir pour tenter de corriger certaines erreurs ? Un goût prononcé pour les enquêtes policières ?
Pascal Bresson : Les deux ! J’ai toujours détesté l’injustice sous toutes ses formes et toujours adoré les enquêtes policières, que ce soit au cinéma ou en littérature… Je serais prétentieux de prétendre corriger certaines erreurs judiciaires ou de paraître en redresseur de tors ! Il y a de véritables professionnels qui s’y collent sans pouvoir y arriver un jour ! Disons, que la BD est un bon moyen pour moi de véhiculer certaines idées, de mettre en avant certaines affaires policières et pourquoi pas, d’y mettre ma vision des choses, bonne ou mauvaise…
Sceneario.com : C’est une affaire très alambiquée, cela a dû représenter un gros travail d’investigation ?
Pascal Bresson :L’affaire Dominici en elle-même est très compliquée ! Comme j’aime à le dire souvent, c’est une vraie tragédie grecque, on y perd son latin ! Ecrire sur cette terrible affaire, c’est se lancer dans l’inconnu, car même après plus de cinquante ans, elle continue d’intriguer et de susciter la polémique !
C’est un fait divers hors du commun qui a marqué toute une génération, et dont le temps n’a rien effacé ni l’aura, ni le mystère ! Toute l’affaire est basée sur des contradictions et des mensonges. Tout tourne autour d’un même clan, autour d’une même famille… Tout au long de cette fastidieuse enquête, les Dominici n’ont fait que de s’accuser, de se rétracter, de se contredire et de s’entraccuser de nouveau, donnant différentes versions successives et chacun accuse tout le monde ! Une confusion totale ! J’ai dû pratiquement tout lire sur l’affaire Dominci, que ce soient livres, essais, ou articles… J’ai dû m’en imprégner, digérer le tout et en faire ma propre synthèse, en donnant ma version à la fin de l’album pour ne pas laisser le lecteur sur sa faim…
Sceneario.com : Comment-as-tu orienté tes recherches ?
Pascal Bresson : Dès le départ, j’avais mon idée sur le déroulement de cette histoire, ainsi que sur les faits et les présumés coupables ! Je ne me suis pas déplacé sur les principaux lieux de l’affaire comme j’ai pu le faire pour l’affaire Seznec, en Bretagne. Non, je me suis documenté sur les nombreux livres parus, et Dieu sait qu’ils sont nombreux ! Tous sont assez détaillés et fournis en détails. J’ai davantage joué sur deux personnages dans ma BD : Gaston Dominici et le commissaire Sébeille. J’ai voulu dés le départ positionner ces deux caractères forts ! L’un campagnard, bourru, pas facile à vivre, et l’autre, très citadin, sûr de lui et très souvent hautain… Je me suis basé sur l’histoire elle-même, lieux, dates et heures du crime… L’investigation des enquêteurs, le déroulement de l’affaire et ce jusqu’au procès… Ce ne fut pas simple sur 52 pages, j’ai dû mettre en avant l’essentiel tout en étant percutant et perspicace pour une compréhension simple…
Sceneario.com : L’écriture du scénario pour une bande dessinée fut-elle très différente de tes précédents travaux ?
Pascal Bresson : Oui, déjà par le nombre de pages… En BD, on est limité par des collections, donc des paginations de 46 ou 52 pages… Quand j’écris pour des livres illustrés, j’ai au moins 60 chapitres ! Donc je suis plus à l’aise pour m’étendre sur l’écriture. En général, il y a plus de textes que de dessins ! Alors, qu’en BD, il faut dialoguer sans être trop bavard ! Les dessins doivent vivre et respirer, donc pas trop de dialogues, ni trop de bulles. Il paraît que le lecteur n’a plus de patience et qu’il faut qu’il lise très rapidement ! Mais, quand on réalise une BD comme l’affaire Dominici, on est obligé quand même de s’étendre un peu ! Désolé !… C’est un bon exercice de style !
Sceneario.com : René Follet signe le dessin. N’avait-il pas décidé de ne plus rien produire en BD ?
Pascal Bresson : J’aime parler de mon ami René Follet, car c’est une personne que j’adore énormément. Nous avons une relation père-fils. On se connaît depuis plus de 20 ans ! Pour répondre à ta question… Oui, René avait décidé d’arrêter la BD depuis son dernier album « L’Etoile du Soldat ». René est plus un illustrateur qu’un dessinateur de BD. Je l’ai toujours comparé au grand Paul Cuvelier. L’affaire Dominici sera certainement son dernier opus. C’est un lourd travail que la réalisation d’une Bande dessinée. Si René est revenu au 9e art, c’est par amitié pour moi… et aussi pour le sujet qu’il affectionne évidemment. Je lui suis tellement reconnaissant, tellement… Nous avons vécu une belle aventure, avec de précieux et nombreux échanges enrichissants. J’ai également beaucoup appris avec lui au niveau scénaristique ! Comme par exemple, aller à l’essentiel pour chaque action ! Ne jamais tourner autour du pot. C’est gratifiant ! En quand en plus, il vous dit que votre travail est de qualité, alors là, c’est l’apothéose… C’est aussi, pour moi, l’aboutissement d’un rêve d’être associé à lui…
Sceneario.com : Son dessin est d’un réalisme époustouflant !
Pascal Bresson : Je vais égratigner sa légendaire modestie, en disant que René fait parti des plus grands ! Sur l’affaire Dominici, c’est du cinéma sur du papier imprimé tant son rendu est réaliste et juste. René dessine avec finesse, j’aime son style également nerveux, souple et son traitement au lavis pour notre album ! Il sait prendre à chaque fois du recul, chaque case est réfléchie, pensée… Il a su recréer toute cette ambiance noire des années 50, un beau rendu, un beau travail fait par un vrai professionnel…
Sceneario.com : Et pour cela vous n’avez procédé à aucune reconstitution sur le terrain ?
Pascal Bresson : Non aucune… Il y a assez de livres détaillés sur l’affaire pour reconstituer tout l’univers de l’affaire Dominici… Que ce soit l’emplacement de la ferme, du lieu tragique, etc… On trouve également toute la documentation nécessaire sur Internet et comme les lieux ont peu changé, il est facile de leur redonner vie. Seule la Grand’Terre, ferme des Dominici n’existe plus…
Sceneario.com : Sur quelle base de réflexion avez-vous choisi les scènes à reproduire dans l’album ?
Pascal Bresson : Il y a eu beaucoup de contradictions dans cette affaire…
Au niveau de l’affaire par elle-même, je suis allé dans l’ordre. Avant de démarrer l’écriture, j’ai lu de nombreux ouvrages, je m’en suis un peu imprégné et me suis fait surtout ma propre idée ! Je connaissais évidemment bien l’histoire avant de commencer. Ensuite, j’ai réalisé une synthèse sur 52 pages. J’ai reconstitué le scénario du crime. J’ai davantage mis en scène le drame, installé les personnages l’investigation des enquêteurs et un peu le procès. Je dis un peu, car il est évidement que je ne pouvais m’étaler par manque de place, donc, je suis allé à l’essentiel. J’ai misé sur le jeu de Gaston Dominici et le commissaire Sébeille. J’ai également mis l’accent sur le fait, que le vieux Gaston s’était sacrifié pour sauver les siens ! Que l’enquête des policiers avait été bâclée, les confrontations familiales importantes, notamment entre le père et ses deux fils… Tout un contexte rural. J’ai adoré mettre en scène tous ces personnages réels. J’ai seulement un peu romancé, notamment sur le spectre de la petite fille assassinée, qui vient hanter l’esprit du vieux Gaston pendant la nuit. Peut-être une façon de montrer combien le patriarche n’a pas bonne conscience !…
Sceneario.com : Quel regard portes-tu sur cette histoire ?
Pascal Bresson : Déjà gamin, je pensais que cette famille était coupable ! Déjà par leurs nombreux comportements étranges, par leurs mensonges… Les Dominici étaient les premiers témoins de ce crime. J’ai privilégié l’accident qui a mal tourné ! Certes, ce n’était pas volontaire, pas prémédité du tout… Je penche pour une responsabilité collective de la famille. Comme je dis dans ma BD : « Il faut un mélange d’angoisse, de colère, de frustration, le tout exacerbé par l’alcool, pour que le coup accidentel du début ait dégénéré en tuerie »… Je pense que Gaston, n’a pas tué ! Il était sur place, présent comme témoin de la tuerie, mais je ne le crois pas assassin. C’est mon opinion, évidemment.
Sceneario.com : Proposes-tu une fin différente ? Une autre lumière ?
Pascal Bresson : Non, j’avance simplement l’une des nombreuses hypothèses émises… Ils sortent armés la nuit pour braconner… Il fait chaud, ils ont bien arrosés la soirée quelques heures avant. Ils passent par curiosité vers le campement de fortune de la famille Anglaise. Pour faire les malins, ils mettent en joue la mère, le coup part… et tout se termine en panique ! Plus le choix, il faut tuer tout le monde ! Après on maquille l’endroit maladroitement… C’est la version la plus avancée et peut-être la plus proche des rapports d’enquête. On avait à l’époque évoqué une histoire de vengeance d’espions venus de l’Est !… Cette thèse a été définitivement réfutée. J’avance la version dont je crois à la véracité… Mais, même plus de 50 ans après les faits, cette affaire Dominici non résolue continuera à tourmenter nos esprits !…
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