Interview
L’Irlandais Tome 2
Sceneario.com : Arnaud , Eric, bonjour.Nous avons le plaisir de vous retrouver pour l’arrivée du tome 2 de l’Irlandais tout juste sorti de presse pour Angoulême. Alors, quelques mois plus tard, avec un peu de recul qu’est-ce que l’expérience du tome 1 vous a apportée pour la suite de la série ?Arnaud Guillois : Le tome 1 m’a permis de poser les bases de mon histoire, les personnages et les décors, dont on en retrouve certains dans le tome 2. Comme notre collaboration sur le tome 1 s’était très bien passée, j’avais hâte de voir les pages mises en couleur (surtout pour certains passages). Et cette fois encore je n’ai pas été déçu. Eric comprend vraiment ce que je veux. Même si je lui envoie à chaque fois un petit brief, et cette fois-ci des docs couleur, Eric reprend tout ça à sa sauce et fait sa propre cuisine. Pour la scène du métro, l’idée de mettre Tsu et Ronny en orange pour les détacher du reste des passagers du wagon est de Eric. Ca dramatise tout de suite la séquence. On sait que quelque chose va arriver à Mike. Comme dans un duel de Sergio Leone … ! Ou encore la scène de baston chez Sean, où cette fois ce sont Vino et Tony qu’il a choisi de mettre en rouge fonctionne super bien. Ce sont des partis pris très prononcés, forts à chaque fois, et c’est ce que j’attends un peu d’Eric. Qu’il apporte quelque chose avec la couleur, qu’il se réapproprie mon univers, et quand il le fait avec autant d’intelligence (il a plus d’expérience que moi), je ne peux qu’applaudir ! Eric Derian : Une corde de plus à mon arc, et d’intarissables compliments de la part d’Arnaud ! Pour m’adapter à son graphisme de façon optimale, il m’avait fallu adopter un parti-pris coloré très fort. Et tenir la distance sur 46 pages ! Une fois ce premier tome terminé, nous avions enfin fait le tour avec Arnaud de nos envies, nos capacités sur cette série, et le tome 2 pouvait alors s’engager sur la base d’une collaboration réelle et effective à la croisée de nos savoir-faire confondus. Sceneario.com : Comment avez-vous travaillé la couverture ?Arnaud Guillois : La couverture choisie, je l’ai trouvée lors de mes nombreuses recherches sur celle du tome 1. J’ai rapidement envoyé un rough à Eric et à Jérôme. Ils ont dit oui tout de suite. La situation n’a pas pour autant était facile à mettre en place. Sur les conseils d’Eric j’ai même modifié l’attitude de Vino au premier plan, des petits calages de rien du tout, mais qui peuvent tout changer ! Encore une fois grâce à l’œil expert d’Eric ! Sinon pour la couleur il m’avait demandé un peu ce que je voyais, et en fait je ne voyais pas trop ! A ce moment-là il avait d’ailleurs plein de choses sur les bras, mais il a quand même pris le temps de m’en faire un rough couleur dans la semaine, avec l’idée (géniale) de laisser ce blanc autour de Sean. Je n’y aurai jamais pensé. J’ai adhéré immédiatement ! Arnaud Guillois : Le choix du blanc s’est imposé à moi pour le sol, comme un rai de lumière lancé par une « poursuite » de théâtre. Il me fallait imposer cette idée, et j’ai très rapidement exécuté une première version de la mise en couleurs – dès réception du fichier noir et blanc, en fait – et j’ai tout de suite emporté l’assentiment d’Arnaud. Cette première version était plus radicale que celle finalement retenue : les silhouettes de l’Irlandais et de ses protagonistes se détachaient alors du sol blanc en camaïeux de rouges sombres. Sceneario.com : Au niveau du dessin, de nombreuses cases sont « techniques » , les visions déformées, en contre plongée.etc.. Cet exercice vous amuse ? Cela pose des difficultés pour la couleur ?Arnaud Guillois : Le polar à ses propres codes. Et la grammaire des plongées et contre plongées en fait parti. Ca ajoute tout de suite de la dramatisation. C’est très casse gueule à dessiner. Et je me suis aperçu avec du recul que je n’en avais pas beaucoup utilisé sur le tome 1. Comme j’essaie de faire mieux à chaque album, j’ai réfléchi à quel moment je pouvais utiliser ces prises de vue. En plus comme c’est une narration à la première personne, je peux utiliser des points de vue subjectifs, comme case 8 page 24. Eric Derian : Lorsque l’apparente complexité d’un plan se révèle être une solution narrative efficace, le travail de mise en couleur s’en retrouve souvent simplifié. Si le dessin se suffit à lui-même, je n’ai plus besoin, avec mon travail en « rajout », d’amplifier le travail d’Arnaud. Certains plans moins « techniques », mais moins affirmés aussi, sont souvent bien plus difficiles à mettre en valeur… Sceneario.com : Les planches sont très sobres, peu de décors, pourquoi ?Arnaud Guillois : On me l’a souvent dit depuis quelque temps. Cela vient de 2 choses je pense. D’une , je dessine encore très mal, beaucoup de choses me posent problème, et donc j’essaie de trouver mes propres solutions, je contourne un peu mes problèmes. Deuxio, je ne m’en rends pas forcément compte en fait. Comme j’écris moi-même le scénario, je privilégie vraiment dès le départ la narration, et les situations. Comment sont mes personnages, où sont-ils dans la scène. Et puis les décors sont comme mes personnages. Vie un peu banale, donc décors petits … petit appartement, couloirs d’immeuble… J’ai vécu ça quand je vivais à Paris, et donc j’imagine que ça joue un peu sur ma façon de voir les choses, ça reste proche de moi. On parle mieux de ce qu’on connaît. Eric Derian : Parce qu’Arnaud est un feignant, et qu’il compte sur la couleur pour rattraper le coup ! Je suis d’accord avec vous : c’est un scandale. Sceneario.com : Les souvenirs sont sur fond noir, qui en est l’instigateur, et comment est venue cette idée ?Arnaud Guillois : La mise en scène de la page de flash back, le découpage, sont de moi. J’avais envie de tenter un truc déjà fait avant moi par d’autres (et vous n’avez encore rien vu). Au fur et à mesure que j’avance dans l’irlandais, l’histoire me permet d’oser des parti pris nouveaux dans mes découpages. Le tome 1 est assez calme de ce point de vue. J’installe le lecteur dans un certain confort de lecture, dans une certaine routine. Dans le tome 2 ça commence à changer. Le damier de 9 cases du tome 1 commence à bouger. Et dans le tome 3 il éclatera dans tous les sens. Cela vient d’une vraie réflexion sur mon histoire et ce qui s’y passe. J’ai horreur de tous ces albums qui dégueulent de cases dans tous les sens, avec justement des plongées et contre plongées à chaque case. Au bout d’un moment ça ne veut plus rien dire. C’est comme si le dessinateur ne savait pas où poser sa « caméra », et donc pour remplir sa page, il en met plein la vue. Je trouve ça indigeste, et en tant que lecteur, inconfortable, mais j’ai forcément un regard différent du fait que je dessine. Un auteur que j’ai découvert l’année dernière, Jiro Taniguchi, s’en sort très bien pour raconter des choses banales, genre une discussion, sans se laisser aller à partir dans tous les sens avec ses cadrages. J’aime de plus en plus les choses « simples » comme ça. Eric Derian : Je plaide non-coupable pour ce coup-là. S’il s’agit de le justifier narrativement, je pense que ce bienvenu fond noir amplifie le fait que ce flash-back intervienne pendant un K.O. de Sean. C’est un souvenir qui remonte pendant un moment d’inconscience, de black-out. Et encore une fois, ce choix me laisse une large place pour une interprétation colorée plus personnelle ! Alors moi, je suis content. Sceneario.com : Vous revenez du festival d’Angoulême pour la première fois, comment s’est passée cette expérience ?Arnaud Guillois : J’en rêvai depuis que j’ai 15 ans, de passer de l’autre côté de la « barrière ». Alors j’avais hâte d’y être ! Ca s’est très bien passé d’ailleurs. Je commence à avoir l’habitude car je dédicace beaucoup depuis Bleu(s). Le changement est venu du fait que cette fois j’avais 2 albums à proposer, 2 tomes, et du coup les dédicaces s’enchaînent plus vite. Il y avait moins de temps morts. Mais il y en a eu quand même. Je ressens d’ailleurs toujours ce sentiment d’extrême solitude à ces moments-là. On « reçoit » tellement des gens quand ils demandent une dédicace, que lorsqu’il n’y a personne, ça fait bizarre. Eric Derian : C’était effectivement le premier Angoulême avec un album de « L’Irlandais » sous le bras… Et c’était aussi le premier Angoulême avec un album de « Harley & Davidson »(EP Editions…) Sachez que je n’ai raté qu’un seul Festival d’Angoulême depuis sa neuvième édition ! Je suis un fidèle de cette manifestation, et y présenter un nouvel album auquel j’ai collaboré est toujours euphorisant. Alors cette année, imaginez mon état avec 2 albums aussi différents et personnels à défendre ! Il ne valait mieux pas essayer de m’adresser la parole : j’ai été hautain et désagréable avec tout le monde pendant 4 jours. Et puis après je suis rentré chez moi et la vraie vie m’a revissé les pieds sur terre dare-dare, et il a fallu se remettre au boulot… Sceneario.com : Quelles sont les réflexions les plus touchantes ou les plus étonnantes que le public vous a faites ?.Arnaud Guillois : J’ai rencontré des types qui lisaient beaucoup de polars, comme moi, et c’était très agréable de discuter d’auteurs, de références communes, de titres … On ne discutait pas bd, mais lecture ! J’ai même un lecteur qui est revenu prendre le tome 2 après avoir pris le tome 1 le matin même, avec un cadeau : un roman d’un auteur irlandais, Ken Bruen, dont la lecture lui avait fait pensé à mon irlandais, et qu’il venait de finir. Il pensait que ça me plairait. Et ça m’a plu. J’ai adoré. J’en profite pour le remercier encore une fois s’il lit ses lignes. Eric Derian : « Ça a l’air bien… Je ne connais pas, mais je vais prendre les deux tomes ! » Sceneario.com : Comment envisagez-vous le troisième tome ? Plutôt « Chevauchée des walkyries » (Wagner) ou « Une chanson douce .. que me chantait ma maman.. » (H. Salvador) ?Arnaud Guillois : Le 3e tome est une chevauchée jusqu’à la page 33, et se calme ensuite sur la fin. Certains seront peut-être déçu, mais c’était prévu dès le départ. A l’origine j’ai écris l’histoire pour un seul tome, épais, et donc les 15 dernières pages sont telles que prévues. Je n’en dirai pas plus pour ne pas déflorer la fin, et je m’expliquerai à ce moment-là. Eric Derian : J’aimerais que ce soit plutôt un truc du genre www.sabotage79.com, mais tel que je me connais, avec ma façon plutôt bordélique d’organiser mon temps et mon travail, ce sera encore la « Chevauchée des walkyries »… Wagner a finalement inspiré plus d’un grand homme ! Sceneario.com : Si la série devait être adaptée au cinéma.. quel réalisateur serait le plus proche de vos goûts ? Une idée du casting ?Arnaud Guillois : Sacré question ! J’adore le cinéma. Il m’influence beaucoup, ainsi que les bonnes séries télé américaines, les sopranos, the shield, six feet under, 24 heures, dead like me … En France pourquoi pas Guillaume Nicloux. Pour les USA, j’ai une petite anecdote. Clint Eastwood vient de réaliser un film, « million dollar baby », pour lequel il a reçu des oscars, et que je n’ai pas encore vu. Le film est inspiré d’une nouvelle de « La brûlure dans les cordes » de F.X.TOOLE, livre que j’ai lu pour préparer et enrichir l’univers de la boxe afin d’en restituer la philosophie et l’esprit. Le livre est magnifique, simple à lire, et même si on n’aime pas forcément ce sport pour sa violence (je n’en regarde pas à la télé), on peut aimer. Donc pourquoi pas le grand Clint (qui choisi de bons livres que j’ai lu pour ses films, cf les derniers Denis Lehane et Mickael Connely). Eric Derian : Pour ma part, je ne pense pas que le but d’une bande dessinée soit son adaptation au cinéma. La bande dessinée est un mode de narration spécifique bien plus à même d’adapter les autres médias que d’être adaptée, il faudra bien s’en rendre compte un jour. Je n’ai donc pas d’avis sur cette question. Sceneario.com : Un message perso ?Arnaud Guillois : Non. Rendez-vous en dédicace, ou pour la sortie du tome 3. Eric Derian : Maman, va te coucher maintenant, traîner sur internet à cette heure-ci, c’est mauvais à ton âge ! Sceneario.com : Merci à tous les deux de votre collaboration, grand succès pour cette série et rendez-vous pour la fin de l’histoire.Arnaud Guillois : Un grand merci à toi Marie et à sceneario.com. Continue de parler aussi bien de ce que je fais ! Eric Derian : Fayot ! |