Interview

Le scénariste Roger Seiter dévoile les secrets d’H.M.S.

 

Sceneario.com : Bonjour Roger Seiter. Nous nous retrouvons ce mois de septembre pour la sortie du tome 4 de HMS dans la collection « Ligne d’Horizon » de Casterman. Ce tome 4 conclue la nouvelle enquête du docteur Fenton. Mais avant de parler de cela, pouvez-vous nous dire quelle a été l’envie qui vous a poussé à vous lancer dans ce genre de récit maritime et historique ? Où avez-vous puisé les influences parmi vos lectures ? En bref, comment est née la série HMS ?

Roger Seiter : Pour être honnête, ma première rencontre avec l’univers du roman maritime a été la lecture de « Mémoires d’un Gentilhomme Corsaire », qui n’est pas du tout un roman, mais les véritables mémoires d’Edward John Trelawney, un officier anglais de l’époque napoléonienne devenu corsaire dans les mers du sud. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert, puis dévoré les œuvres de Patrick O’Brian, Alexandre Kent, David Donachie ou C. S. Forester. Et en BD, dans les années 80, j’ai bien évidemment succombé, comme des milliers d’autres lecteurs, au charme des « Passagers du Vent » de Bourgeon. Pour un scénariste de BD, raconter des histoires avec pour cadre un tel univers était bien sûr très tentant. Mais en même temps, cela avait déjà été fait par d’autres et donc n’avait peut-être qu’un intérêt très relatif pour les lecteurs. C’est pourquoi le propos principal de HMS n’est pas le récit maritime pur, mais des enquêtes plutôt policières à bord de navires de guerre à la fin du XVIIIème siècle. Nous avons ainsi un contexte original pour des récits policiers et beaucoup moins d’abordages, sabre au poing et couteau entre les dents.

Sceneario.com : HMS présente donc un univers particulier qui est celui de la marine du XVIIIème siècle. Pouvez-vous nous reparler du contexte dans lequel se situe la série ?

Roger Seiter : De la marine anglaise de la fin du XVIIIème siècle. Cette précision est très importante, car les conditions de vie sur les navires de la flotte britannique étaient assez différentes de celles des autres flottes européennes. L’action des différents cycles de HMS se déroule dans les années 1795/96. Si la série continue au-delà des tomes 5 et 6 qui sont déjà écrits, nous traiterons toute la période des guerres napoléoniennes. C’est une période cruciale pour la survie de l’Angleterre. La France domine l’Europe. Napoléon dicte sa loi à l’Occident. Seuls les Anglais résistent sur leurs îles. Et le dernier rempart de l’Angleterre est sa flotte. Sans elle, les 500000 hommes du camp de Boulogne débarquent à Douvres et les îles britanniques deviennent des départements français. A cela, il faut ajouter une énorme flotte commerciale qui assure la liaison entre l’Angleterre et son empire coloniale. Pour faire naviguer ces milliers de navires, il faut des centaines de milliers de marins et de matelots, dont l’Angleterre ne dispose bien sûr pas. Aussi retrouve-t-on à bord des gens de tout horizon. Quelques volontaires, des engagés, mais surtout des repris de justice et des hommes enrôlés de force par les « press gangs ». Les conditions de navigation sont épouvantables, la discipline comparable à de l’esclavage. En plein hiver, les gens gèlent dans les mâtures. Ce sont les accidents et les maladies, plus que les combats, qui déciment les équipages. Et quand il faut se battre, les affrontements se transforment souvent en véritables boucheries. Sur les navires, les hommes vivent dans une promiscuité invraisemblable. Un navire de 74 canons, qui mesure en soixante et soixante-dix mètres de long, transporte un équipage de 800 à 900 membres. Et c’est dans ces conditions extrêmes que se déroulent les enquêtes de HMS, ce qui ne peut que les rendre plus intéressantes.

Sceneario.com : Comment travaillez-vous avec Johannes Roussel sur cette série ? Participez-vous à l’élaboration des planches ?

Roger Seiter : Johannes est un ami de plus de vingt ans et nous avons énormément de plaisir à travailler ensemble. Nous discutons beaucoup et il n’y a jamais la moindre tension entre nous. Ceci pour dire que j’ai une confiance totale en son travail et donc peu de raisons d’intervenir. Je fais un travail très classique de scénariste. Nous échangeons beaucoup avant et pendant la rédaction du scénario et normalement, tous les éléments qui pouvaient poser problème sont abordés durant cette période. Je fais ensuite le découpage complet de l’album et Johannes m’envoie les planches encrées. S’il y a un problème mineur, un coup de fil et un échange suffisent normalement à le régler. S’il pense qu’il faut adapter les textes, il m’en parle ou prend l’initiative de faire les changements mineurs qu’il juge utiles.

Sceneario.com : J’ai aussi posé la question à Johannes Roussel : n’est-il pas gratifiant, pour un auteur, de pouvoir redonner vie à une période historique, de se déplacer dans un contexte passé et pourquoi pas revivre des événements du passé ?

Roger Seiter : C’est tout à fait ça. Dans un tel cas, la BD, peut-être même plus que le cinéma, permet aux auteurs de faire revivre et de revisiter le passé. Je dis plus que le cinéma, car cela se passe essentiellement dans notre imaginaire et il n’y a pas les décors ou les artifices du cinéma. Pas de caméras, pas d’équipe techniques. Rien pour nous ramener au présent toutes les cinq minutes. L’immersion dans le passé dure tant qu’on ne décide pas de revenir dans le présent. C’est un peu comme un voyage dans le temps, un rêve éveillé qui nous ramène quelques siècles en arrière. De ce fait, l’écriture d’un nouveau scénario est toujours un moment très grisant. J’essaye de faire ce travail à une période où je peux m’y plonger entièrement. Je suis alors isolé dans mon bureau, d’où je ne sors que pour les repas (et encore). Le reste du temps, je lis les nombreux ouvrages indispensables à ma documentation ou j’écris.

Sceneario.com : Y a-t-il des scènes plus difficiles à écrire que d’autres ?

Roger Seiter : La difficulté, dans une série comme HMS, c’est d’arriver à introduire des personnages féminins dans les histoires. Placer une femme à bord d’un navire de guerre tout en restant crédible est souvent un vrai tour de force scénaristique. Et quand de surcroît l’héroïne est jeune et belle, le piège de tomber dans des clichés est très important. Que pourrait-il bien arriver à une belle jeune femme seule au milieu de centaines de marins qui n’ont pas touché terre depuis des mois? Sinon, ce qui pose également problème, c’est le manque d’intimité sur les navires. Garder un secret ou ourdir un complot sur une frégate de quarante mètres où sont entasser deux cents cinquante hommes n’est pas une chose aisée. Même si les lecteurs ne sont pas des spécialistes de l’univers maritime, ils sont néanmoins conscients de cette situation et rester crédible n’est pas toujours évident.

Sceneario.com : Pour ce tome 4, sans dévoiler vraiment l’intrigue, pouvez-vous nous dire ce qui nous attend à bord du navire « La Perle » (The Pearl) ?

Roger Seiter : Ce deuxième cycle est un récit très dense, avec beaucoup d’ingrédients qui vont du polar pur et dur à l’aventure en passant par le combat naval. En faire un simple résumé me semble difficile. L’enquête principale se révèle être un « cold case », avec de nombreux flash-back, mais d’autres récits interfèrent dans le récit principal. L’histoire en elle-même n’est pas vraiment compliquée, mais le récit est complexe. Le plus simple est de relire le tome 3 avant de vous plonger dans le tome 4. Mais honnêtement, je pense que vous ne serez pas déçu et probablement plutôt agréablement surpris.

Sceneario.com : Vous devez déjà avoir la prochaine trame en tête, si vous ne l’avez pas encore écrite. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Roger Seiter : Oui effectivement, les tomes 5 et 6 sont déjà écrits. Nous serons en 1797, dans l’archipel des Grenadines. Il y aura des révoltes d’esclaves et de Garifunas, des pirates guadeloupéens et pour John Fenton, une enquête plus politique que criminelle. Heureusement pour lui, il sera en bonne compagnie, puisque Mercy Rathbone va l’accompagner.

Sceneario.com : Où avez-vous trouvé la documentation nécessaire pour la réalisation de la série ? Vous êtes-vous mis à la voile pour connaître les termes adéquats, les sensations que confère ce genre de navires ou bien, au contraire, vous ne pouvez pas monter sur un bateau car vous êtes sujet au mal de mer ?!

Roger Seiter : Non, pas spécialement de mal de mer pour moi. J’ai même déjà fais une petite croisière sur un voilier. Mais bon, j’habite en Alsace, qui n’est pas vraiment un département maritime. Donc, pour l’instant, je puise plutôt ma documentation et mes connaissances dans les livres. Mais l’idée de faire une croisière sur le « Belem » m’effleure de temps en temps. Il faudra que j’en parle à Johannes et que nous nous programmions ça un de ces jours.

Sceneario.com : Quels conseils donneriez-vous à un scénariste débutant ?

Roger Seiter : Sérieusement ? De se mettre au badminton, au tir à l’arc ou au jardinage. Au risque de jeter un pavé dans la mare, il faut que les gens réalisent que la BD franco-belge va très très mal. Je pense même qu’à très court terme, la bande dessinée que vous aimez et que vous appréciez va disparaître. La situation de la BD franco-belge est en train de rejoindre celle de l’édition en général. Les chiffres de ventes moyens sont en chute libre. Il y a encore trois ou quatre ans, une vente moyenne se situait autour de sept à dix milles exemplaires. Elle est actuellement plutôt autour de deux à trois milles, avec beaucoup d’albums que ne se vendent même pas à mille exemplaires. Dans ces conditions, les systèmes actuels d’avances sur droits qui permettaient aux auteurs de travailler dans des conditions acceptables ne seront plus possibles. Comment un éditeur pourra-t-il continuer à avancer des à-valoirs correspondant à des ventes potentielles de quinze à vingt mille exemplaires s’il n’en vend que mille ? Je suis vraiment très pessimiste et je ne vois aucune solution à moyen ou à long terme. Je crains qu’il ne soit trop tard pour faire marche arrière. La surproduction délirante qui frise la cavalerie va continuer, les mangas (pour lesquels les éditeurs n’ont pas de frais de création) représentent déjà plus d’un tiers des ventes et dans la conjoncture économique actuelle, on peut comprendre que l’achat d’albums ne peut être une priorité pour les gens. Et pourtant, tous les ans, de nouvelles maisons d’édition lancent sur le marché de nouveaux auteurs qui voudront très légitimement continuer à être publiés. On va donc probablement s’orienter vers la situation qui est celle de l’édition des romans et des livres en général. Les auteurs feront leurs albums sur leur temps de loisir et toucheront des droits d’auteur sur les quelques centaines d’exemplaires qui seront vendus. Cela ne changera rien pour les éditeurs, qui pourront encore publier davantage, ni pour les libraires, dont la marge restera la même. Dans ce cas de figure, seule la situation de l’auteur va évoluer, puisqu’il n’y aura pratiquement plus que des auteurs amateurs. Reste le problème de la qualité des albums publiés et ça, c’est une autre histoire.

Sceneario.com : Outre vos autres séries en cours, avez-vous d’autres projets en prévision pour 2009, par exemple ? Sur quels univers ou quelles époques aimeriez-vous travailler ?

Roger Seiter : En tenant compte de ce que je viens de vous expliquer, si je peux continuer et terminer les séries en cours, ce sera déjà pas si mal. Mais j’ai effectivement un projet de triptyque dont le principe est accepté par Casterman et pour lequel nous cherchons actuellement un dessinateur. Quant à une période historique ou un sujet sur lequel j’aimerai travailler, je dirais le moyen-âge, puisque c’est une période que je connais bien et sur laquelle j’ai paradoxalement peu travaillé pour l’instant.

Sceneario.com : Depuis notre dernier entretien, quel a été votre dernier coup de cœur du côté de la bande dessinée ?

Roger Seiter : J’ai bien aimé le tome 5 du « Marquis d’Anaon » de Vehlmann et Bonhomme, le « Bois des Vierges » de Béatrice Tillier et le « Belem » de Delitte.

Sceneario.com : Quel a été votre dernier coup de cœur au cinéma ?

Roger Seiter : A vrai dire, je vais peu au cinéma ces derniers mois, faute de temps. Et les rares films que je suis allé voir n’ont pas été de grandes révélations. Je crois que mon dernier coup de cœur a été « 300 » d’après la BD de Frank Miller, mis ça date déjà de plus d’un an.

Sceneario.com : En littérature ?

Roger Seiter : Je viens de dévorer les trois tomes de « Millénium » de Stieg Larsson. J’ai adoré.

Sceneario.com : En musique ?

Roger Seiter : J’écoute assez peu de musique, là encore faute de temps. Mais ma femme nous approvisionne régulièrement en chanteurs à textes et je dois dire que j’ai beaucoup aimé le dernier disque de Cabrel.

Sceneario.com : Roger Seiter, merci encore pour ce temps passé avec nous et à bientôt.

Roger Seiter : Merci à vous et désolé si mon pavé dans la mare fait quelques vagues. Mais les réactions suscitées pourraient être intéressantes.

 

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