Interview
Le Virus Manga… petite taille et gros atouts !
Sceneario : Tout d’abord, pour resituer un peu nos lecteurs, je rappelle que le Virus Manga est un magazine bimestriel traitant des mangas à parution française, des news et parutions Japonaises, un guide de critiques, un dossier central, des rubriques de décryptage, d’analyse, couvrant les événements importants pour le manga, des portraits, des interviews, entre autres choses…
A partir du numéro actuel, c’est à dire le 8, le Virus Manga propose aux lecteurs de découvrir une vingtaine de planches d’un manga inédit… pour ce numéro, Zatchell.
|
![]() |
Sébastien Langevin (Co-Redacteur en chef): Le Virus Manga est né de la volonté des deux rédacteurs en chef et d’un éditeur de presse de faire paraître un magazine entièrement tourné vers la bande dessinée japonaise. L’idée était dans les cartons depuis un moment, lorsqu’au mois de juin 2003 nous avons commencé à travailler sérieusement sur le projet. À cette période, le nombre de sorties en France a commencé à exploser : il était temps de créer un magazine professionnel qui réponde aux exigences des lecteurs de manga. Le premier numéro est donc sorti en janvier 2004. Le nombre de traductions et d’éditeurs de manga n’a pas cessé de croître depuis cette date.
Sceneario : Dans une autre interview, vous évoquez le fait que l’équipe du Virus Manga s’est constituée un peu différemment du schéma de base, qui consiste à ne prendre presque que des spécialistes du domaine pour les faire écrire. Pourriez-vous nous en dire plus ? SL : L’idée est de proposer un magazine professionnel, ce qui ne devrait pas être très original, mais n’est pourtant pas la règle dans la presse BD en général, et dans la presse manga en particulier. La base est donc d’employer des journalistes professionnels, même s’ils ne sont pas légion dans notre domaine. Plutôt que de chercher systématiquement de fins connaisseurs du manga, nous avons donc préféré contacter des journalistes attirés par la BD, que nous avons incité à parfaire leur “ culture manga ”. Pour résumer, nous privilégions la compétence à la connaissance. Autant les connaissances s’acquièrent assez facilement si l’on est bien guidé, autant les compétences et le savoir-faire sont plus ardus à assimiler. Et nous ne sommes pas une école de journalisme ! Mais tous nos journalistes ont une bonne culture BD, et nous essayons de multiplier les binômes : un journaliste pro travaille avec un “ spécialiste ”. Cette démarche part du respect de notre lecteur et la matière que nous traitons : la bande dessinée, donc le manga, est une forme d’expression majeure en ce moment, aux côtés du cinéma ou de la musique, par exemple. Les titres de presse de bonne qualité abondent sur ces deux sujets : ce n’est toujours pas le cas sur la bande dessinée, même si l’offre tend à s’élargir. |
|
![]() |
Sceneario : Quand je regarde la forme et le traitement du magazine, je trouve que l’ensemble a une construction et une cohérence rare au fil des numéros mais aussi un aspect artisan, je veux dire par là une certaine proximité avec le lecteur, le fruit d’un équilibre mûrement réfléchi ?
SL : Nous n’avons pas la volonté de faire un magazine s’adressant seulement aux spécialistes du manga. Pour des raisons commerciales tout d’abord : ce lectorat-là n’est pas assez nombreux pour assurer la pérennité d’un titre. Notre but est de créer l’équivalent de Première pour le cinéma, soit un magazine grand public qui apporte néanmoins des infos pointues et une certaine dose de réflexion.
|
Le manga est désormais une culture très largement partagée par de nombreux adolescents et jeunes adultes. Certains connaissent beaucoup de choses sur le sujet, d’autres ne lisent qu’une ou deux séries, d’autres encore ne sont amateurs que de BD franco-belge mais réalisent peu à peu que le manga a une offre très large, avec de nombreux titres de grande qualité. Nous souhaitons avoir une offre éditoriale suffisamment large pour satisfaire ces différents publics. Notre but : être intéressants tout en restant toujours accessibles.
Sceneario : En s’intéressant à la densité des informations contenues dans le magazine, on peut dire qu’on peut trouver à la fois des analyses poussées, et un point de vue parfois plus léger. Pour être plus précis, je dirais qu’il y a à la fois de la matière pour le néophyte, mais aussi pour les fans souhaitant vraiment approfondir un thème. Comment jongle-t’on avec ces différentes catégories de public, qui représentent à mon sens des étapes dans la vie du lecteur ? (Néophyte, puis amateur éclairé, passionné …) |
|
Sceneario : Question public, les échos sont globalement bons, est-ce que justement le virus s’est bien transmis ? Le public est-il réceptif à votre approche du sujet ?
SL : D’après les retours que nous avons, notre façon de considérer la bande dessinée japonaise comme une culture, notre façon d’en parler sérieusement, sans pour autant livrer un verbiage pseudo philosophique, reçoit un certain écho chez les lecteurs. L’une des idées fortes est également de ne jamais prendre le lecteur pour un c… Et cela se ressent, je crois. Sceneario : Pensez-vous avoir amené un nouveau public à la découverte du manga avec votre magazine ? Je pense notamment à la génération plus attachée à la bande dessinée traditionnelle franco-belge… |
![]() |
SL : Nous sommes nous-même au départ des amateurs de BD franco-belge, puis de comics américain. Nous aimons les bonnes BD, d’où qu’elles viennent. Et si l’on prend le temps de lire certains manga, il est indéniable que la bande dessinée japonaise produit de purs chef d’œuvre, et ce depuis plus de cinquante ans… Nous essayons de montrer que la production nippone de BD va bien au-delà des clichés habituellement admis en France, et que quelqu’un se disant amateur de bande dessinée ne peut pas regarder le manga avec dédain, faute d’avoir eu la curiosité de se plonger dans cette BD exotique. Les préjugés ont la vie dure, et ce public fan de franco-belge déplace lentement ses centres d’intérêt. Mais les éditeurs français tentent de séduire ce public, et nous essayons d’accompagner le mouvement.
Sceneario : Un petit peu plus d’un an après la sortie du premier numéro du Virus Manga, qu’en est-il du chemin parcouru ? SL : En un an, Le Virus Manga s’est forgé une réputation, et le titre commence à être bien connu. De nombreuses institutions viennent notamment nous trouver : il paraît que nous sommes “ le ” magazine de référence dans le domaine. Par exemple, nous avons été très heureux d’organiser le premier espace dédié au manga et au manwha au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Le Festival nous a proposé de mettre sur pied cet événement et de l’animer. De nombreuses bibliothèques et médiathèques nous contactent pour des formations de documentalistes, la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette nous confie le programme de son week-end manga. Il y a un réel mouvement autour du manga, qui fait un peu office de bête curieuse dans le milieu de l’édition française. Les gens sentent que ce n’est pas que de la bande dessinée, qu’il y a toute une culture derrière, et qu’il faut l’appréhender avec circonspection. En un an, nous avons été identifiés comme un lien fort efficace entre notre public et des institutions qui cherchent à le toucher. |
|
![]() |
Sceneario : Y’aurait-il des choses que vous auriez voulu changer ? Des points à développer dans le futur ?
SL : Bien entendu, nous avons envie de développer de nombreuses choses… L’un de nos objectifs serait de passer mensuel, de proposer plus de pages de rédactionnel. Nous avons dans nos cartons de nombreuses innovations pour rendre le magazine plus vivant, plus réactif. Mais nous devons au préalable fidéliser un plus large lectorat. |
Sceneario : D’ailleurs au sujet des changements et des particularités du magazine, vous laissez les jeunes créateurs s’exprimer par une planche ou une illustration, ainsi que sur votre site Internet, où les internautes peuvent écrire des chroniques déjà réalisées dans le cadre du magazine papier, le meilleur ayant le droit d’avoir une chronique d’une page… mais paradoxalement pourquoi cette absence de courrier des lecteurs ?
SL : Beaucoup de nos lecteurs utilisent régulièrement internet, et communiquent donc – entre eux et à notre destination – via le forum de notre site web. Vu notre nombre de pages, le courrier des lecteurs ne nous apparaît donc pas comme une nécessité. Internet révolutionne vraiment la façon de communiquer, et nous cherchons à travailler l’interactivité avec les lecteurs avec des moyens en phase avec les outils à notre disposition. |
|
Sceneario : Dans vos deux premiers numéros, vous constatiez, comme une certaine tranche du public, que le festival international de la bande dessinée d’Angoulême manquait cruellement à son devoir de représentation de toutes les branches du média BD…
Or à Angoulême cette année, une des nouveautés était le pôle manga/manwha, avec des conférences, des auteurs japonais, des rencontres, des projections, …, et le virus comme coordinateur et acteur tout de même essentiel de ce nouvel espace. Comment cela s’est-il fait, développé, organisé ? Est-ce un pas en avant ? |
![]() |
SL : Le Festival nous a contactés tardivement, mais nous avons pris la balle au rebond, évidemment, car l’occasion était trop belle de poser une première pierre. Ils ont validé nos choix de conférences, tables rondes et autres rencontres d’auteurs. Nous avons organisé ces quatre jours avec beaucoup de soin et le résultat semble à la hauteur de nos espérances. Les retours sont très positifs, en tout cas. Cette première vraie démarche du Festival pour considérer la bande dessinée asiatique comme un secteur important de la bande dessinée mondiale nous apparaît bien entendu comme très positive. C’est le reflet d’une réalité à la fois éditoriale et commerciale, en France et dans le monde entier.
Sceneario : Quelques temps après le festival, quel bilan tirez-vous de cette expérience, que ce soit en termes de retombées médiatiques ou en termes de réception point de vue du public. SL : Du point de vue des retombées, le bilan est assez mitigé de notre point de vue. De même, le public « cœur de cible » n’était pas forcément présent sur place. Mais la plupart des animations ont fait salle comble, et séduire le public traditionnel du Festival d’Angoulême était l’un des objectifs. Nous préparons d’ors et déjà la prochaine édition, et nous communiquerons cette fois bien à l’avance pour que les amateurs de manga comptent Angoulême parmi les rendez-vous incontournables. |
|
![]() |
Sceneario : Je sais que tout au long de l’année, vous réalisez des interventions auprès des universités, des médiathèques, etc., que ce soit en France comme à l’étranger… Ne pensez-vous pas qu’il y a une réelle volonté du public de connaître et découvrir cette autre culture, qui a trop souvent été décriée ? Le public en a t-il eu assez de se voir dicter ses choix ? |
SL : Effectivement, le manga suscite beaucoup d’intérêt en ce moment. On en est au stade où de nombreuses personnes se demandent exactement ce qu’est le manga, après une période de défiance absolue où tout le monde s’accordait pour dire “ manga = sexe et/ou violence ”. Je ne sais pas s’il est question de “ se voir dicter ses choix ”. Plusieurs facteurs expliquent cet intérêt. D’une part, la très forte demande des adolescents pour qui le manga fait partie de la “ culture générationnelle ”, au même titre que la musique ou le cinéma, donc. D’autre part, la découverte en France par le grand public de grands noms du manga et de la Japanime, comme Taniguchi ou Miyazaki. On se rend compte que certains récits ont des choses originales à dire, d’une manière bien différente de nos conceptions occidentales de la BD de l’animation. Tout cela contribue à mettre le traitement visuel “ made in Asie ” à la mode. Et comme d’habitude en France et en Europe, une fois les a prioris tombés, on cherche à comprendre…
|
|
Sceneario : En regardant de plus près les différents bilans de parution des ces trois dernières années, on remarque sans peine que la proportion de mangas édités est de plus en plus importante, les éditeurs chercheraient-ils à rattraper le retard ? Ne risque t-on pas une saturation à trop vouloir faire d’un coup ?
SL : Les éditeurs ne cherchent pas à « rattraper » leur retard, mais plutôt à exploiter au maximum un secteur qui a le vent en poupe et une progression à deux chiffres des plus impressionnantes. On pouvait effectivement craindre une certaine saturation du marché, mais le public semble toujours répondre présent. Il est intéressant de noter que les filles et les femmes, souvent délaissées par la BD franco-belge, sont la cible de nombreuses traductions.
|
![]() |
L’autre tendance, c’est la conquête du public adulte, habituellement plus intéressé par la franco-belge. En multipliant l’offre dans ces secteurs bien particuliers tout en continuant à sortir nombre de nouvelles séries pour ados, les éditeurs français étoffent leur catalogue et semblent sans cesse gagner des lecteurs. Si le travail éditorial (traduction, adaptation, impression…) demeure de bonne qualité, on ne peut que se réjouir de cette diversification de l’offre.
Sceneario : En parlant du phénomène manga qui se développe donc, sans aucun doute possible, que pensez vous de l’apport d’Internet ? Je pense aux équipes de scantrad*, aux sites de news, au phénomène du fan-subbing** … SL : Internet a longtemps été le seul endroit où les fans de manga pouvaient trouver des informations, se retrouver pour parler de leur passion, etc. Internet demeure donc un média incontournable dans le milieu, avec ses spécificités fortes. Pour ce qui est des scantrad, il faudrait poser la question aux éditeurs français et japonais… Mais ceux-ci s’en accommodent généralement bien, vu que dès l’acquisition des droits d’une série, les scantrad correspondants sont retirés du site. Ces traductions en ligne peuvent parfois même servir à “ sonder ” l’intérêt du public pour tel ou tel titre. |
|
![]() |
Sceneario : Que pensez-vous des sites de critiques de BD en général qui sévissent sur Internet ?
SL : Je ne les pratique pas régulièrement. Internet permet aux fans de parler aux fans, sans intermédiaire, et c’est très positif. En même temps, je pense qu’il faut toujours garder une distance par rapport aux critiques, surtout lorsqu’elles ne sont pas le fait de professionnels. Ce n’est pas une question de compétence, mais d’indépendance. Normalement, un journaliste est payé pour être honnête, pour dire ce qu’il pense et pour réfléchir à ce qu’il écrit… Ce n’est par définition pas le cas des amateurs, qui peuvent se permettre de plus se laisser aller. Mais c’est aussi l’avantage de ces critiques amateures ! |
Sceneario : Plus personnellement, comme avez-vous attrapé le virus du manga ? Quels sont les titres qui vous ont marqués ?
SL : J’ai attrapé le Virus manga après avoir attrapé le virus BD. Bien entendu, Akira, au début des années 90 a été un vrai choc, et ça l’est peut-être encore plus avec sa réédition au format original, en noir et blanc. Mais déjà à l’époque et par la suite, les bons manga étaient avant tout des bonnes BD… J’ai notamment mieux compris le manga avec la découverte de Tezuka, en particulier avec L’histoire des 3 Adolf, qui reste l’une de mes bandes dessinées préférées par son ampleur. Une fois que l’on a compris que Tezuka, avec son immense génie visionnaire et révolutionnaire, a influencé toute la production de manga depuis les années 1950, on ne peut que se douter que la BD japonaise recèle de véritables trésors. Mon dernier coup de cœur absolu est pour Urasawa Naoki : la fin de Monster est un véritable délice (ou une torture, cela dépend des gens). Cet auteur atteint une certaine perfection à mon sens : il reste facile d’accès, donc grand public, tout en racontant des histoires extrêmement complexes, avec un art de la bande dessinée d’une efficacité implacable. |
|
Sceneario : En bande dessinée plus traditionnelle, vers quoi allez-vous ?
SL : Je suis aussi bien lecteur de Trondheim que de Mattoti, de Zep, de Franck Miller ou de Bill Watterson. Peu importe, en fait. Si une BD se propose de faire rire et qu’elle le fait bien selon moi, j’apprécie. Si son but est de faire réfléchir et que ça fonctionne, itou. La bande dessinée est un mode d’expression total, qui permet de faire voyager le lecteur en l’enfermant pourtant dans des cases. Plus généralement, c’est la lecture qui reste pour moi synonyme d’évasion et de liberté Sceneario : Merci à vous. |
![]() |
Mini Lexique :
Scantrad* : Sur internet des groupes de personnes, ou parfois de simples fans, proposent aux internautes des traductions d’oeuvres japonaises. Après avoir scanné l’oeuvre en version originale, ils modifient le résultat en y incorporant la traduction, d’où le nom de scantrad Fansubbing** : procédé qui consiste à faire une copie d’une oeuvre animée en version originale, en y intégrant la traduction sous forme de sous titres. |
|
Retour en haut.
|