Interview

Le Voeu de Marc

Sceneario.com : Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouvez vous vous présenter en quelques mots ?

Lucie Albon: J’adore la patouille et le bidouillage avec un petit faible pour le dessin et la peinture.
Boulet: J ‘adore le racontage et le gribouillage, je passe mon temps à écrire des histoires.

Sceneario.com : La première question qui me vient c’est de savoir si cet album correspond à un souvenir d’enfance, des rêves de lutin qui exaucent des vœux ?

Lucie Albon:Il faudrait poser cette question aux scénaristes, je leur transmet.
Boulet:L’idée des lutins venait de Nicolas… Un gamin faisait des voeux et chaque voeu se retrouvait incarné sous forme d’un petit lutin… L’idée des voeux et des lutins m’a très naturellement ramené vers l’univers des contes.

Sceneario.com : C’est important le fait que vous ayez mis cette histoire dans le cadre scolaire ?

Boulet: Personnellement, je ne me suis pas posé la question du pourquoi quand Nicolas m’a montré des bribes d’histoires situées dans l’école. Je pense que l’idée d’un pouvoir incontrôlable est plus interessante quand on l’imagine dans les mains d’un personnage irresponsable comme peut l’être un enfant. Le cadre de l’école nous a ensuite aidé pour montrer une galerie de personnages très différents, adultes ou enfants…

Sceneario.com : D’ailleurs c’est la question bateau, mais quels auraient été les vœux que vous auriez fait, chacun de votre côté ?
Lucie Albon: Moi je voulais être une sorte de fée, pour exaucer les vœux des autres (une sorte de petite Najette) Mon papa m’avait soutenu à l’époque, en me fabriquant une baguette lampe. Je cherche encore la formule qui va avec !
Boulet: Moi j’aurais fait le même voeu que Marc. Je me demandais tout le temps pourquoi personne n’y pensait tellement ça me paraissait évident.

Sceneario.com : Finalement, cette histoire de vœu apparaît plus comme une sorte de « malédiction » que comme une « bénédiction », n’est ce pas un peu le juste retour des choses ? Avoir droit à tout ce que l’on veut mais en payer le prix !
Boulet: A part peut-être dans le « Alladin » de Disney, toutes les histoires de voeux se terminent mal… Je ne sais pas trop pourquoi…
Le personnage du Génie, dans les contes, est fascinant… Il est à la fois omnipotent et esclave, (ce qui en soit est déjà une parabole: « Le pouvoir soumis au service des autres ») et il ne « piège » pas, il se contente d’exaucer au pied de la lettre, laissant ceux qui abusent égoïstement du pouvoir se détruire eux-mêmes. On peut y voir soit une référence biblique (Dieu qui offre l’intelligence aux hommes, mais les laisse ensuite se dépatouiller), soit une allégorie des dangers du pouvoir (le pouvoir qui corrompt les plus purs !)
Ce sont des histoires qui sont en ça profondément morales à chaque fois. L’homme n’a plus qu’à baisser le front et admettre qu’il n’est pas assez solide pour avoir le pouvoir.
Notre histoire n’est pas morale, les personnages sont tous plus ou moins ambivalents: la mère est violente mais pleine d’amour, l’institutrice blasée finit par s’inquiéter du sort de ses élèves… Même Marc, exclu, battu, malmené, n’est pas totalement « gentil »… Il est totalement prêt à se soumettre aux plus forts pour être leur ami, et il repousse le plus faible pour ne pas gâcher son image.
On a voulu que le seul personnage qui aie l’air heureux soit Séverine, hors du « bien » et du « mal », bien à l’abri dans sa folie.

Sceneario.com : Très rapidement, ce qui m’a marque le plus dans cet album c’est les choix graphiques, une sorte de mixe entre plusieurs techniques, comment avez vous procédé sur ces planches ?
Boulet: C’est un mélange de gratouillis sur rodo et de couleur ordi

Sceneario.com : Il se dégage comme une sorte d’atmosphère « naïve » de cet album qui correspond bien à cette histoire, est ce que cela correspond à une volonté de votre part ? Ou est ce que c’est venu un peu tout seul ?
Boulet: Je pense que cette atmosphère « naïve » vient de la technique de Lucie, qui est très proche d’une logique de peinture… Son dessin est très axé sur la composition et le rendu, ce qui nous plaisait parce que ça apportait une touche mystérieuse mieux adaptée à l’univers des contes et des anciennes gravures qui les illustraient souvent.

Sceneario.com : Racontez nous un peu la genèse de ce projet !
Lucie Albon:En 2000 c’était un des projets de fin d’études de Boulet et Nicolas Wild
Puis placard, ressorti plusieurs fois pour être mis dans les mains de divers dessinateurs (ex: Reno). J’ai fini par dire que j’aimais bien le projet, et que j’en avais assez de faire des livres pour les enfants.
Le coté décalé de mon graphisme a semblé convenir aux scénaristes et après avoir réalisé quelques planches, on c’est mis a chercher un éditeur.
Boulet: Nicolas et moi voulions monter un projet d’album ensemble afin de le présenter à notre diplôme. On s’était retrouvés à la terrasse d’un café et il m’avait parlé de cette histoire de vœux qui font apparaître des lutins. Il avait dessiné deux ou trois scènes au brouillon, surtout pour les dialogues. J’ai accepté de participer, on a passé l’après-midi à trouver des idées en rigolant, et on est repartis chacun de notre côté pour y travailler.
Finalement j’ai réalisé le découpage en 46 planches en utilisant beaucoup de scènes que Nicolas avait imaginé presque sans les retoucher (si ce n’est dans les cadrages).
Je ne voulais pas dessiner cette histoire. Mon graphisme trop cartoon la ramenait vers un récit jeunesse, ce qui n’est pas le propos. Nicolas a fait quelques essais mais comme il voyage beaucoup, il n’a pas eu l’occasion de s’y atteler sérieusement… Reno avait fait aussi des essais très intéressants mais quand il a commencé à démarcher le projet, il a été embauché sur autre chose par l’éditeur! Au final, Lucie s’est proposée, et comme je suis complètement fan de son dessin, j’ai accepté en moins d’une seconde.

Sceneario.com : Comment avez-vous tous travaillé sur ce projet ?
Lucie Albon:Dans la joie et la bonne humeur ! Gilles, tu veux bien répondre serieusement a cette question ?
Boulet: Dans la joie et la bonne humeur, donc ! Nicolas nous a un peu confié la réalisation parce qu’il était en voyage, du coup j’ai joué le rôle du chef de projet… Lucie est quelqu’un de très réactif et très rapide dans le travail, c’est un bonheur de bosser dans de telles conditions, d’autant que j’ai été assez insupportable et intransigeant quand je trouvais qu’un dessin avait ceci-celà qui ne marchait pas. Elle a su très bien s’approprier les personnages, leur donnant une profondeur qui n’était pas dans mes brouillons, et apporter des ambiances colorées que je n’aurais jamais pu trouver.

Sceneario.com : Quels sont les prochains projets ?
Boulet: Nicolas a commencé à écrire un second tome, mais on va attendre son retour pour s’y atteler… en attendant on va écrire aussi un tome d’après un récit de Lucie. Le principe sera le même, le même génie qui exauce les voeux, mais cette fois ce sera le vœu d’un autre personnage.

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