Sceneario.com: Bonjour, pourrais tu te présenter en quelques mots?
Luc Jacamon: J’ai eu un parcours assez banal si ce n’est que j’ai commencé à être publié assez tard.
J’ai passé mon bac et intégré une école d’art appliqué en section
pub et image de communication.
Pour ensuite faire du rough et de l’illustration publicitaire.Mais
j’ai toujours cherché en parallèle à
développer un style pour la bd jusqu’à ce que je franchisse le pas
avec « le tueur » malgré tous mes doutes.
Sceneario.com: Comment as tu rencontré Matz?
Luc Jacamon:Par hasard puisque c’est un ami qui travaillait avec lui qui nous a
amené à nous rencontrer.
Sceneario.com: Quelle est votre façon de travailler : vous vous voyez beaucoup, vous utilisez internet?
Luc Jacamon:On communique surtout par téléphone et internet qui est évidemment
un moyen très pratique pour
communiquer entre nous, notamment pour envoyer des images.
Il y a une grande confiance mutuelle dans le travail de l’autre et
une volonté réciproque de nous
permettre de nous exprimer pleinement dans nos domaines respectifs à
savoir donc le dessin et l’écriture.
Ce qui n’implique pas un échange soutenu entre nous. Nous sommes
evidemment amenés à discuter
sur certains points mais je dirais que notre collaboration sur le tueur
depuis maintenant 6 ou 7 ans fait
que nous nous connaissons suffisamment pour ne pas avoir à remettre en
cause fréquemment le travail
de l’autre.
Sceneario.com: Quelles sont tes influences?
Luc Jacamon: Mes influences sont multiples, elles ne s’arrête pas forcément à tel
ou tel genre.
Je ne suis en tout cas pas un gros consommateur de bd, ce qui m’a
peut-être aussi préservé
d’une influence trop marquée. C’est vrai que le cinéma comme le dessin
animé sont aussi
de grandes sources d’inspiration.
Sceneario.com: Quelles sont tes derniers coups de cœur? Coups de gueule?
Luc Jacamon:Le 2eme tome de « l’histoire de siloe » de Servain et Letendre est une
belle réussite
j’y trouve beaucoup de qualité, la lecture y est très fluide, la mise
en page remarquable
et le dessin de Servain a gagné en finesse et en lisibilité par rapport
au premier tome.
Et c’est un genre (l’anticipation) qui m’intéresse particulièrement.
Et puis Je suis un inconditionnel des derniers albums de Larcenet.
Sinon, pour le coup de gueule, disons que je trouve excessif la
surexposition mediatique
de certains albums de bd qui ont leurs qualités et leur place dans le
paysage bedephilique, mais qui
ne justifient pas à mes yeux une telle débauche de superlatifs. (ouuuh
le jaloux…)
Elle est la plupart du temps symptomatique de la difficulté des medias
à trouver une légitimité
intellectuelle à la bande dessinée dans sa diversité. Ce qui fait la
spécificité de la bd par
rapport à d’autre support, à savoir cette alliance subtil du texte et
de l’image, s’en trouve
donc parfois négligée je trouve. Il y a beaucoup trop d’albums qui
sortent et donc beaucoup
de mauvaise qualité, c’est sûr, mais au moins on en parle pas.
Des noms? bof, est-ce bien nécessaire…
Sceneario.com: Quels sont tes projets maintenant?
Luc Jacamon:Eh bien je commence à travailler sur une série d’anticipation toujours
avec Matz qui traitera
notamment de la surpuissance des medias et de leur implication dans la
politique et les conflits internationaux.
Mais je ne peux en dire plus.
C’est en tout cas pour moi l’occasion d’aborder un nouveau genre et
d’avancer graphiquement.
Sceneario.com: On voit de plus en plus de sites internet consacrés à la BD. Les éditeurs l’utilisent de plus en plus. En tant qu’auteurs, que penses tu de ce media?
Luc Jacamon: C’est un formidable vecteur, tout devient accessible et dans l’immédiat.
Les editeurs l’ont évidemment compris. Et en ces temps de surproduction
et donc de visibilité réduite dans les rayons de librairies, certaines
bd’s
qui en sont à leur premier pas peuvent espérer exister à travers
internet et
notamment tous les sites dédiés à la bd.
Moi qui suis un peu cloîtré dans mon bureau atelier, je consulte
régulièrement
plusieurs sites pour me tenir au courant de ce qui sort.
Sceneario.com: Le mini site du tueur chez Casterman est d’ailleurs très réussi, c’est vous qui l’avez fait?
Luc Jacamon: Ce n’est pas moi qui l’ai réalisé, je laisse cela à des gens qualifiés,
mais c’est
vrai qu’il est sympa et c’est une manière assez efficace de traduire le
ton et
l’ambiance d’un album à la manière d’une bande annonce de cinéma.
Maintenant, il ne faut pas que ce genre de démarche traduise une sorte
de
complexe de la bd (image fixe) par rapport au cinema…
Sceneario.com: On sent dans la série « le tueur » qu’il y a une recherche et une évolution permanente. C’est un besoin?
Luc Jacamon: C’est effectivement un besoin que j’ai dû d’ailleurs refréner, dans la
mesure
où une série nécessite une certaine constance dans le style.
Je crois que je ne serai de ce fait jamais le dessinateur d’une seule
série,
ce serait pour moi beaucoup trop sclérosant.
Sceneario.com: Peux tu nous parler de ton encrage (certains éléments du décor n’étant pas encrés)?
Luc Jacamon: Mon style découle en fait d’une faiblesse de dessin. Mon dessin en noir
et blanc
se limite en effet aux contours et ne comporte aucun aplat noir. Sans
la couleur,
il n’est qu’un squelette sans sa chair.
La couleur fait donc partie intégrante de mon dessin. Mais je n’en
travaille pas moins le trait
avec un feutre calligraphique qui me permet d’obtenir cet aspect un peu
torturé.
Sceneario.com: Au niveau des couleur, tu travailles sur photoshop? Peux tu nous en dire plus? (on m’a notamment parlé de « détouration »?)
Luc Jacamon: C’est un outil que j’ai découvert au cours de la réalisation du 2ème
album du « tueur »
et qui m’a libéré littéralement des contraintes liées à la couleur
directe qui ne vous
laisse pas le droit à l’erreur. La palette des couleurs est également
très large et
permet des choix plus judicieux. Et puis ce que j’apprécie vraiment,
c’est de pouvoir
sans arrêt découvrir de nouvelles possibilités. Pour quelqu’un qui qui
cherche à
évoluer graphiquement, c’est l’outil rêvé!
L’aspect quelque peu froid et automatique que l’on reproche souvent à
cette
technique peu être évité si on sait bien s’en servir.
Sceneario.com: Participes tu au découpage du récit? Y’a t’il un story board?
Luc Jacamon: Non, Matz s’en occupe très bien. Pour ce qui est du story-board Je n’ai
pas le courage d’en faire un,
j’ai peur d’y laisser trop d’énergie même si je suis conscient de
l’intérêt d’une telle démarche.
Sceneario.com: Est il difficile de mettre en scène cette introspection que le tueur nous fait partager?
Luc Jacamon: Je ne dirais pas que ça a été difficile mais plutôt intéressant.
Je suis quelqu’un d’assez intuitif dans ma façon de travailler,ce qui
explique peut-être aussi l’absence
de story-board et j’ai donc notamment pas mal usé de gros plan, ce qui
est une manière assez simple
et efficace « d’approcher » les pensées du tueur.
Je dirais même que cela ma rendu assez libre dans le choix du contenu
de mes images dans la mesure où celui-ci pouvait être en complet
décalage
avec la réflexion du personnage pour éviter la redondance avec le texte.
Sceneario.com: Dans le tome 5, la narration est vraiment particulière (alternance de scènes, à des moments différents). Comment as tu mis ça en scène?
Luc Jacamon: Ca m’est apparu effectivement tout de suite comme étant un peu
casse-gueule.
Et la mise en couleur m’a aidé à accroître la lisibilité ou la
compréhension de ces
changements de contexte.
Chaque scène est traitée dans des tons plutôt
monochromes
assez distincts. Ainsi, le lecteur peut, je l’espère se repérer dans ce
dédale qui au bout
du compte, permettait de donner à l’histoire un rythme assez haletant,
je crois.
Sceneario.com: Le tueur voyage beaucoup (Paris, New York, le Venezuela…). Tu as fait des repérages?
Luc Jacamon: J’aurais bien apprécié, mais c’est une clause qui hélas, n’a pas été
prévue à notre contrat chez casterman.
Sinon, nous parlions d’internet précédemment, et c’est là encore, un
moyen formidable pour se documenter.
Sceneario.com: Après 5 tomes, quel regard portes tu sur cet anti-héros?
Luc Jacamon: J’ai finalement pas mal de détachement par rapport à lui, il n’y a pas
d’affinité particulière
et heureusement quelque part…Et c’est normal car nous n’avons pas
voulu en faire un
personnage sympathique même si son humanité transparaît au bout du
compte.
Mais c’est un peu le principe des anti-héros, vous allez me dire…
C’est en tout cas un personnage assez fort pas seulement doué pour la
gâchette mais
aussi pour la « gamberge » ce qui la rendu particulièrement singulier.
Sceneario.com: Y’aura t-il un tome 6? Et d’autres?
Luc Jacamon: La porte reste ouverte, mais en ce qui me concerne, je passe à autre
chose et on verra dans
quelques années…Ce qui compte, c’est l’envie et mon envie me porte
pour le moment
vers ce nouveau projet d’anticipation.
Sceneario.com: Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé.
Luc Jacamon: A bientôt.