Sceneario.com : Vous êtes « toute neuve » dans la bd. Pouvez-vous nous raconter un peu votre parcours?
Marie-Charlotte Delmas: Un parcours un peu atypique (mais n’est-ce pas le lot de tous les parcours). Une famille de saltimbanques (parents et grands-parents artistes lyriques), premiers pas dans le théâtre à 7 ans, première écriture pour le théâtre à 17 ans. Un premier métier, comédienne et metteur en scène (qui m’aide beaucoup aujourd’hui dans la bd, car je ne peux m’empêcher de jouer mes dialogues). Et puis, comme dans beaucoup de familles d’artistes, on tente de diriger la petite sur un chemin plus sûr. Celui des études. Curieuse et volontaire, par nature, je suis allée au bout de ce chemin, jusqu’à l’obtention d’un doctorat en sciences du langage. Comprendre dans les mots, dans les objets, dans les signes comment se crée le sens. C’est aussi ce qui a motivé, parallèlement, ma passion pour les superstitions populaires. La quête du sens.
Et puis ces fameuses coïncidences qui décident de notre vie.
La rencontre avec l’écrivain de littérature fantastique et folkloriste, Claude Seignolle, que j’admirais depuis toujours. C’est grâce à cet ami et sur son oeuvre que j’ai publié mes premiers essais.
La rencontre avec Françoise Mateu, directrice des éditions Syros pour qui j’ai publié mes premiers romans avant de prendre la direction de la collection “Chauve-Souris”.
La rencontre avec Max Cabanes qui m’a fait faire mes premiers pas dans la bd en me demandant de scénariser deux petites histoires pour des albums collectifs.
Et me voilà aujourd’hui, partageant mon temps entre l’écriture (de romans, de bd, de documentaires, avec l’envie d’explorer tous les moyens d’expression) et mon métier de bibliothécaire (je dirige la médiathèque Louis-Aragon de Bagneux, dans les Hauts-de-Seine).
Sceneario.com : Vous êtes également romancière. Comment êtes-vous arrivé à la bd?
Marie-Charlotte Delmas: Je n’étais pas lectrice de bande dessinée. J’avais abandonné la bd avec Gaston Lagaffe et Philémon, il y a bien longtemps. Et puis, j’ai rencontré José Jover (aujourd’hui directeur des éditions Tartamudo) que j’avais fait venir pour une animation en bibliothèque. Il m’a apporté une énorme pile de bd qu’il jugeait essentielles pour ma culture (dont Les Villages de Max Cabanes) et m’a permis d’appréhender ce genre dans toutes ses nouvelles dimensions. C’est aussi grâce à José que j’ai rencontré Max Cabanes lors d’une exposition qui lui était dédiée. Et puis un pas en amenant un autre… Voilà toute l’histoire!
Sceneario.com : Maintenant que vous en faites, recommencez-vous à lire des bd ?
Marie-Charlotte Delmas: Oui, bien obligée! Je plaisante. J’ai des copains dans la bd, dont j’aime découvrir les productions. Au-delà, je lis aussi des bd de façon plus attentive, plus professionnelle, pour voir ce qui se fait, et, le cas échéant, progresser dans mon travail de scénariste.
Sceneario.com : Cela a-t-il affecté votre travail de bibliothécaire ?
Marie-Charlotte Delmas: Sûrement, un peu. J’avais déjà mis en place à la médiathèque de Bagneux la manifestation annuelle “Planches de printemps” autour de la bande dessinée. Disons que mon rapport aux invités (dessinateurs, scénaristes) est différent, plus facile pour moi. Pour le reste, une bibliothécaire doit pouvoir construire une collection y compris avec des genres qu’elle ne lit pas. Les goûts personnels ne sont pas des critères d’acquisition. Les bandes dessinées sont très empruntées en bibliothèque et il me semble important de disposer d’une bonne collection. La nôtre doit avoisiner les 8000 titres.
Sceneario.com : Que vous apporte la bd par rapport aux romans et aux essais que vous avez
écrit?
Marie-Charlotte Delmas: Je découvre dans la bande dessinée un moyen d’expression qui offre une étonnante palette de possibilités narratives. Le parti pris narratif de la Maison Winchester n’était possible avec aucun autre media. Je n’en dirai pas plus pour ne rien dévoiler, mais, ni le roman, ni le cinéma, par exemple, n’étaient susceptibles de recevoir cette histoire, telle quelle. Rien que le fait d’avoir à tourner la page représente un outil de fiction vraiment intéressant. Dans la Maison Winchester, je me suis servi de ce geste pour mes retours dans le passé. On tourne la page et on change de temps. Et ces passages se font toujours, grâce au dessin, par le biais de portes naturelles (celles de la maison) ou surnaturelles (les miroirs par exemple). Comment jouer avec ces éléments dans un roman ? Impossible.
Par ailleurs, quand on est scénariste et que l’on travaille avec un dessinateur, il y a la magie de l’autre, le premier lecteur, celui qui va donner sa lecture de l’histoire en la dessinant, qui ajoute à l’imaginaire de l’auteur, celui du dessinateur. Le talent de Max m’a époustouflé tout au long de cette aventure. Personnages, ambiance, cadrages, tout était juste, parfait, et mettait en valeur le scénario, lui donnant une nouvelle dimension. Message personnel : Franchement, Max, pour renouveler cette expérience, c’est quand tu veux!
Sceneario.com : Comme je l’ai déjà dit, vous êtes neuve dans le milieu de la bd. Considérez-vous Max Cabanes un peu comme un parrain pour vous ?
Marie-Charlotte Delmas: Je n’ose pas dire qu’il a été ma bonne fée, ça le vexerait. Disons qu’il m’a fait confiance, m’a ouvert les portes et m’a aidé à passer le seuil. C’est beaucoup plus qu’un parrain, non?
Sceneario.com : Comment présenteriez-vous l’album?
Marie-Charlotte Delmas: Joker ! Nous avons donné naissance, Max et moi, à cet album. Il ne nous appartient plus. Qu’il vive sa vie. Qu’il rencontre ses lecteurs et que ces derniers prennent autant de plaisir à le lire que j’ai eu à l’écrire. C’est tout ce que je souhaite. Cadeau ! Dans ce dialogue avec soi-même qu’est la lecture, que chacun trouve ce dont il a besoin. Pour les présentations, que d’autres s’en chargent !
Sceneario.com : Vous êtes passionnée de mythes et de superstition, je crois. La maison Winchester est une maison qui existe réellement. Pourquoi choisir cette histoire plutôt qu’un mythe oral qui aurait sans doute été plus facile à raconter puisque sans référence visuelle?
Marie-Charlotte Delmas: Tous mes écrits, fictions ou documentaires, sont basés sur la survivance des superstitions populaires. Au-delà du conditionnement culturel de la société occidentale, il demeure en chacun de nous une part de pensée primitive et archaïque, nourrie par nos interrogations existentielles. La mort et son mystère mènent la danse. Je lisais dernièrement dans la presse que 50% des Américains croient aux fantômes. Je suis passionnée par ce folklore (qui s’écrivait encore au XIXe siècle folk-lore, mot anglais qui signifie connaissance du peuple). Au travers des superstitions, ce sont les humains qui les transmettent et les mettent en oeuvre qui m’intéressent. A ce titre, Sarah Winchester est un personnage étonnant, qui a poussé de façon tout à fait démesurée ses croyances. Ca ne s’invente pas !
Sceneario.com : Comme l’héroïne de votre bd, avez-vous visité la maison Winchester? Comment travaillez-vous avec Max Cabanes? J’imagine que vous devez beaucoup le conseiller via de la documentation visuelle puisque la maison existe. Intervient-il sur l’histoire par exemple?
Marie-Charlotte Delmas: C’est lors d’un séjour avec Max en en Californie, il y a quelques années, que nous avons découvert et visité en ensemble, la Maison Winchester. Cette maison et son histoire m’ont immédiatement passionnée et je savais, qu’un jour, j’en ferais une fiction.
Lorsque Max a été sollicité par Didier Convard pour la collection Loge Noire, il m’a tout de suite contactée, connaissant mon intérêt pour l’imaginaire ésotérique et fantastique. Il m’a demandé si j’avais une idée de scénario. Je n’ai pas hésité une seconde. La Maison Wincheste
r s’est imposée à moi. Max a approuvé cette idée et, à partir de ce moment, m’a entièrement fait confiance.
Pour la documentation visuelle, il n’y avait aucun problème. Max connaissait la maison. J’avais ramené le catalogue qui la présentait et dans lequel il y avait déjà quelques photos, plus celles que j’avais prises sur place lors de notre visite. De plus, la personne qui nous avait invités en Californie était Guillaume Aretos, un dessinateur français de talent, directeur artistique des studios 3D de Spielberg. Je lui ai envoyé le scénario, et sa femme, Nathalie, s’est rendue dans la Maison Winchester pour prendre des clichés de tous les lieux dans lesquels se déroulait l’histoire. Guillaume ! Nathalie ! Ca devrait vous rappeler quelque chose, pas vrai ?
Sceneario.com :Votre album dépasse le cadre habituel des 46 pages. Qu’est-ce qui a motivé ce choix plutôt qu’un autre (plusieurs albums par exemple)?
Marie-Charlotte Delmas: Je n’ai rien contre les séries, et je suis en train d’en préparer par ailleurs, mais il m’a semblé que l’histoire de la Maison Winchester perdrait de sa force si elle était diluée sur plusieurs albums. Le travail de l’écrivain est bien souvent un travail sur lui-même. Une confrontation de son inconscient ou de son ombre (au sens jungien du terme) à l’expérience de l’autre et du monde. Un moyen de se révéler à soi-même. Ma relation à Sarah Winchester et à son histoire s’est incarnée dans l’argument narratif unique que j’ai développé, mais qui nécessitait néanmoins plus de 46 pages. On ne choisit pas !
Sceneario.com : Sans vouloir trop dévoiler l’histoire, vous associez mythes indiens et outils modernes. Essayez-vous de créer de nouveaux mythes, de nouvelles légendes urbaines?
Marie-Charlotte Delmas: Non, je ne cherche pas à créer quoi que ce soit et je ne crois pas que quiconque soit en mesure de créer un mythe nouveau. Daniel Defoe, pas plus que Goethe (auxquels je n’ai pas la prétention de me comparer) n’ont cherché à créer un mythe, même si Robinson Crusoé et Faust sont deux des rares mythes modernes. La mythologie indienne est forte et poétique, elle s’imposait dans la mesure où la winchester avait servi à exterminer ce peuple. Mais, si elle emprunte ses propres “masques” pour dire le rapport de l’homme à la nature et à l’univers, elle possède un fond commun avec toutes les autres mythologies populaires, celui du côté obscur de l’âme humaine…
Sceneario.com : En dehors de la maison Winchester, vous avez également une série en cours dans la collection Loge Noire, Les miroirs du Temps. Pensez-vous, un jour, vous attaquer à un autre genre que le fantastique ?
Marie-Charlotte Delmas: Aucune idée. Pour l’instant, mes projets en cours tournent tous autour de thèmes que l’on range habituellement dans l’univers fantastique, même s’ils l’abordent différemment par les traditions populaires, l’intrigue policière… Cet univers m’est familier. Il est ma clé d’accès au monde. Mais sait-on jamais ?
Sceneario.com : Vous semblez prête à refaire un album avec Max Cabanes. Lui avez-vous déjà soumis d’autres projets ?
Marie-Charlotte Delmas: J’aurai grand plaisir à travailler de nouveau avec Max. Je lui ai effectivement parlé d’un projet qui semble bien lui plaire. Mais, nous avons l’un et l’autre d’autres contraintes éditoriales et rien est encore décidé pour le moment.
Sceneario.com : Quels sont vos projets, mis à part Les miroirs du Temps ?
Marie-Charlotte Delmas: Multiples et variés. Un documentaire fiction qui sortira chez Glénat en novembre “Sur la trace des fées de France”, dans la lignée de mes travaux sur les superstitions populaires. Ce livre présentera l’histoire des lieux de France (département par département) où des récits de fées ont été enregistrés, principalement au début du XXe siècle où la croyance était encore vivace. Il sera illustré de gravures d’époque et d’aquarelles de Laurie Prévot.
Je viens également de terminer un thriller “La mémoire assassine” qui trouvera, je l’espère, preneur dans les prochaines semaines.
En BD, plusieurs séries sont en chantier. Une sur le mystère de “Rennes-le-Château” (probablement Loge Noire), une avec Franck Dumouilla qui met en scène des personnages récurrents dans des albums indépendants et, la dernière, co-écrite avec l’écrivain Edouard Brasey.
Plus une tonne d’envies, de rêves, d’idées… qui attendront probablement le prochain semestre.
Sceneario.com : Merci pour tout.
Interview réalisée par mail entre le 17/01/2004 et le 06/02/2004.