Interview
Nicolas Tackian et Andréa Mutti
Nicolas Tackian : En fait l’idée était de proposer à Soleil une collection qu’ils n’avaient pas encore, une collection qui aborderait les thèmes fantastiques ésotérique, mais en ayant une réflexion afin de ne pas faire ce qui existait déjà, car de nombreux éditeurs le font déjà et le font très bien, et ça marche très bien. Comme c’est un secteur qui marche, avec beaucoup d’histoires à raconter, beaucoup de choses à dire et que les lecteurs sont intéressés et aiment bien, avec un vivier de lecteurs aussi gros que celui de l’Héroïc Fantasy qui est le domaine traditionnel de Soleil, je voulais donc essayer de mettre en place une collection, avec à la fois des séries classiques en X tomes, 4 tomes, 6 tomes, dont le Syndrôme de Caïn est un exemple, et une série de oneshots permettant ainsi aux lecteurs d’avoir des histoires longues et des histoires courtes. Le Corpus Hermeticum est la série de one-shots dont Opération Gremikha est le premier tome. Pour ce qui est du Syndrôme de Caïn en particulier, moi j’ai un background un peu particulier, car l’ésotérisme je connais très bien : je suis à la base journaliste, j’ai été rédacteur en chef d’un joural sur l’ésotérisme, et un autre sur l’astrologie, à l’époque de X-Files et du magazine Factor X. Pendant 2 ans tous les mecs qui avaient des histoires invraisemblables à raconter venaient dans mon bureau et m’exposaient leurs théories… J’ai donc eu un gros background d’histoires et d’univers qui me sont arrivés de par mon travail, et forcément on ne sort pas indemne d’un plongeon dans les arcanes du fantastique. Donc j’ai eu envie de faire chez Soleil une histoire qui soit à la fois ambitieuse comme le Triangle Secret, mais en même temps pas aussi littéraire, pas de la même manière dans la forme, mais à plus proprement parler "Soleil" : plus dynamique, plus d’action. Et c’est cette corde raide (hahaha… corde Red….) sur laquelle j’ai monté le scénario, pour être à la fois dans une histoire qui donne du mystère et qui essaie de raconter des choses réelles et réalistes, et en même temps lorsque l’on tourne les pages, que l’on ne se dise pas que cette BD devrait être chez Glénat. C’est cette symbiose qui était donc la volonté première.
Au delà de la dimension un peu enquête, énigme, mystère, il y a pour moi un élément qui va prendre de plus en plus d’importance dans l’album, c’est la vision du monde d’un homme. On va avoir une réflexion sur le monde que cet homme va traverser, et lui faire tirer des conclusions comme nous aussi nous en tirerons. C’est le niveau un peu plus profond de l’album.
Sceneario.com : Il va donc y avoir d’autres scénaristes.
Nicolas Tackian : Oui, il va y avoir de nombreux autres scénaristes. Il est prévu une parution de 10 à 12 albums par an. J’ai été mis à contribution pour lancer cette collection et j’ai écrit les deux premiers albums ainsi qu’un autre album à paraître. Mais il y a déjà quatre auteurs qui ont signé pour d’autres albums dans la série des Corpus Hermeticum, et trois autres séries qui sont en train de se monter avec d’autres auteurs, comme Jean-Luc Istin et Fabrice David des auteurs confirmés de chez Soleil, mais aussi des auteurs qui n’ont aucun rapport avec Soleil à la base, mais que j’ai amené car j’estime leur travail. Ma charge sera de suivre le travail avec Jean et non pas d’intervenir sur les scénarii, mais plustôt de bien affirmer les axes que l’on s’est fixés pour cette collection.
Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi Andréa Mutti, alias Red, pour cet album?
Nicolas Tackian : On ne choisit pas vraiment… C’est Jean Vacquet qui nous a fait nous rencontrer par l’intermédiaire d’internet, et ensuite c’est une question de feeling. Je crois qu’Andréa a beaucoup aimé le scénario. J’ai été pour ma part enthousiasmé par l’investissement d’Andréa, que ce soit pour la lecture, les échanges que l’on a eus tous les deux dans le travail. La première séquence qui ouvre le Syndrôme de Caïn, était une séquence d’essai dans notre collaboration. Elle était difficile car c’était une scène sur laquelle j’étais assez précis, je ne voulais pas faire du révisionnisme historique, avec des histoires qui revisitent l’histoire, et pas en la réinventant et en cautionnant des choses. C’est l’écueil dans lequel on peut facilement tomber en faisant du thriller historique. Il fallait qu’au niveau du dessin l’on décrive une scène assez horrible avec ce massacre, avec justesse et avec émotion, et Andréa a immédiatement compris. On a eu quelques retours entre nous, mais vraiment pas grand chose, et c’etait donc parti. Moi je suis surpris de la vitesse et de la rapidité d’Andréa. Il y a non seulement la qualité de son trait mais aussi, sa présence, et il sait avoir un rythme de travail très soutenu, comme moi… Il se lève tous les matins de bonne heure. On s’échange des courriels dès 7 heures du matin, en sachant l’un comme l’autre qu’on travaille déjà. C’est agréable aussi d’avoir un dessinateur très investi, qui fait que l’on avance vite et bien. Les idées qu’on a un jour peuvent changer, ça donne une impulsion au travail et à l’histoire. Avoir un dessinateur qui travaillerait sur des mois et des mois, voire des années, fait perdre cette impulsion, nous obligeant à nous replonger dans le projet, alors qu’avec Andréa c ‘est du flux tendu. Ses pages je les commentais, quasiment le lendemain j’avais les corrections, et j’ai eu l’impression que cette histoire se montait naturellement, et je pense que dans l’album ça se sent.
Sceneario.com : C’est Andréa qui fera aussi la suite du Syndrôme de Caïn ?
Nicolas Tackian : Oui, oui, c’est très important de faire comprendre ça aux lecteurs. Toutes les séries qui seront faites chez Terres Secrêtes en dehors des one-shots de Corpus Hermeticum sont des séries qui seront réalisées tout le temps par le même dessinateur. Ca va donc permettre de sortir plusieurs albums dans la même année, puisque pour la série du Corpus il y aura des auteurs différents pour chaque one-shot.
Sceneario.com : Andréa, tu as aimé travailler avec Nicolas.
Red : Oui, j’ai beaucoup aimé dès le début le concept de cette collection, ainsi que l’histoire sur laquelle je travaille. Les personnages sont très intéressants, surtout parce que dans cette bande dessinée, il ne s’agit pas de héros-type, ni d’une hisoire déjà vue. Travailler avec Nicolas est un très grand plaisir, car il est sérieux, précis et rapide. C’est vraiment très bien et très agréable pour moi de travailler dans cette collection avec cette équipe.
Sceneario.com : Tu n’es pas un dessinateur-type toi non plus… mais plutôt un héros, avec toutes les Bandes Dessinée que tu fais tous les ans.
Red : Je suis juste un dessinateur italien, et je travaille beaucoup pour arriver à ça. Mais comme c’est un vrai plaisir pour moi, il n’y a pas de problème. C’est possible pour moi, de travailler sur plusieurs albums en même temps.
Nicolas Tackian : Il y a aussi une raison culturelle. Je travaille avec un Coréen et un Japonais, et voici un bon contre-exemple : on pense que ce sont les dessinateur les plus productifs du monde, alors qu’en fait, ils se mettent tellement la pression, qu’ils ont vraiment la sensation d’être dans un domaine artistique, qu’ils ne travaillent pas dans un domaine industriel,qu’ils ne font pas tomber de la page comme en manga. Et c’est drôle, car là où Andréa est fort, c’est qu’il arrive à lier le coté qualitatif et très artistique de la Bande Dessinée franco-belge, avec un rendement. Alors que lorsque l’on demande ça, même à un Japonais, ça le sclérose et il n’arrive pas à sortir un album en 1 an, car il pense vraiment que son travail va devenir un objet de collection. Le Coréen avec lequel je travaille fait 3 planches par mois… maxi 5, alors que je suis certain qu’il fait 5 planches par jour dans ses manhwa, parce qu’il se stresse sur l’objet. Clément Sauve avec qui je viens de sortir Black Bank travaille sur de nombreux comics, qui sortent toutes les semaines. Sur Black Bank il est allé plus vite qu’un auteur franco-belge, mais beaucoup plus lentement que sur un comics. Je pense que l’objet impressionne les créateurs. Ne pas être un objet de consommation qui va être jeté, mais plutôt conservé, avec leur nom dessus, les stresse. Andréa est totalement détaché de ça, et du coup à mon avis, ça lui permet de travailler aussi plus vite.
Sceneario.com : A première vue, le marketing Soleil met le paquet sur cette série : très beau support presse, flyer, affiches, pubs presse, impression sur sacs… C’est important pour toi de te sentir soutenu?
Nicolas Tackian : Oui, c’est très important, car aujourd’hui on sait la difficulté d’arriver sur un marché quelque peu saturé. J’ai lu il y a quelques temps le rapport sur le marché de la BD en 2006, où il y a de plus en plus de nouveautés. Comme pour l’immobilier, on s’imagine qu’il va y avoir un crack, mais tous les ans c’est toujours en augmentation, car la capacité d’absorbtion du marché est plus grande que ce que l’on pense. Donc aujourd’hui un éditeur qui lance des albums en l’air, en faisant des coups, peut-être arrivera-t-il sur certain noms qui signeront chez lui à faire des bons coups, mais s’il s’agit de créer et de capitaliser sur une valeur avec du contenu, il est obligé de le cadrer dans une collection. Et il faut derrière tout ça quelqu’un qui puisse cerner ça et assurer une ligne éditoriale. Ce n’est évidemment pas tout le temps évident, surtout quand il y a beaucoup d’albums. C’est moi qui ai ce rôle, et je le fais vraiment, car je crois en cet éditeur et à la capacité de ce qu’il peut apporter à ce secteur. Je pense que la thématique de l’ésotérisme est très vaste, on m’a souvent demandé si ce thème n’allait pas s’éteindre. Et bien je pense que comme il existe depuis la création de l’humanité, l’homme ayant besoin de croire en quelque chose qui le dépasse et a besoin de comprendre des mystères, je crois que ce n’est pas prêt de s’éteindre. Il faut faire attention de ne pas reproduire certains shémas, certains sujets. Il est évident que lorsque l’on va aborder des sujets comme les Templiers, si on l’aborde de manière classique, on va faire quelque chose qui sentira le réchauffé, si on l’aborde le sujet par un autre bout de la lorgnette, tout le monde trouvera ça génial et innovant. Je souhaite avec cette collection me désaxer de ce qu’on voit habituellement.
Sceneario.com: Le Triangle Secret, INRI sont-elles des séries que tu as aimées ?
Nicolas Tackian : Ce sont des séries que j’ai adorées. J’ai beaucoup de respect pour l’auteur, je pense que c’est quelqu’un de très sérieux dans l’approche du travail. Ces séries ont donné un espèce de plafond qualitatif très important, qui m’a fait dire dans mon travail que si je voulais faire quelque chose d’ambitieux, ça ne pouvait pas être fait par dessus la jambe. Il y a quand même des millions de lecteurs qui ont lu cette série (Note de Sceneario.com : Le Triangle secret a été imprimé à 2 millions d’exemplaires), il y a une barre très haute au niveau du sérieux et de la qualité. Mais en même temps il ne s’agit pas de refaire ça, car ça a été très bien fait, et à mon avis ça n’aurait pas sa place chez Soleil, tout du moins pas d’une manière aussi brutale. Mon travail a donc été de faire le même travail que Didier Convard, mais de l’habiller d’une manière différente pour être plus accessible au public des Editions Soleil, mais aussi à ceux qui n’achètent pas les BD de Soleil, parce qu’ils ont l’impression que c’est faux ou pas assez intéressant.
Sceneario.com : Andréa, tu travailles sur de nombreuses séries, pour de nombreux éditeurs… après ce tome 1 du Syndrôme de Caïn, sur quoi travailles-tu actuellement?
Andrea Mutti : Hum… le 2° tome du Syndrome de Caïn est bien entamé, et je suis sur le tome 3 de SAS.
Sceneario.com : Y aura-t-il plus de sexe dans ton tome 3 que dans ton tome 1, afin comme dans le tome 2 de te rapprocher de l’esprit des SAS ?
Andrea Mutti : Oh yes, beaucoup plus de scènes de sexe, oui.
Sceneario.com : Merci beaucoup à tous les deux.
Andrea Mutti : Thanks my friend
Nicolas Tackian : merci à toi et à l’équipe de Sceneario.com
Nicolas Tackian et Andréa Mutti
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