Interview

Nicolas VADOT et Olivier GUERET

Sceneario.com : Il y a un côté autobiographique dans Norbert ?


Nicolas VADOT : Totalement.

Olivier GUERET : C’est plus des expériences de vie qui ont été accumulées. En fait, on a un petit décalage au niveau de nos vies respectives, qui fait que la perspective n’est pas la même. Donc nous avons des discussions existentielles très intéressantes. En tirant chacun de notre côté, on arrive peut être à un milieu qui est juste.

Nicolas VADOT : Il y a une tendance dans la BD actuelle à l’autobiographie des trentenaires un peu névrosés, mais nous, on ne veut pas dire  » Voilà, c’est notre histoire « , mais plutôt:  » C’est un peu la vôtre « .

Olivier GUERET : Et Norbert est quelque chose de très fragile. D’un côté, c’est très bateau, et d’un autre pas du tout. C’est un univers très délicat à manipuler pour le lecteur. On n’a pas la volonté de raconter une histoire. Je crois qu’on  » explique  » des sentiments.

Nicolas VADOT : Pour moi, l’intrigue est comme la toile pour un peintre : ce n’est pas la toile qui fait le tableau, c’est ce que tu vas mettre dessus. La toile permet simplement au tableau de tenir debout. L’intrigue sert à ce que le lecteur tourne les pages. Point à la ligne. Peu importe qui est le coupable et qui a tué qui. En plus, chez nous, les méchants n’en sont pas et les gentils non plus…

Sceneario.com : vous êtes vous documentés sur la psychanalyse ?


Olivier GUERET : Nicolas, oui, moi, pas trop. En fait, je suis plus émotionnel et instinctif.

Nicolas VADOT : moi, je suis plus analytique. Je me suis donc beaucoup documenté. Je trouve ça fondamental et passionnant. Alors parfois, je mets des bouquins dans les mains d’Olivier; il les lit ou non, et on arrive à discuter.

Olivier GUERET : en fait, sur ses analyses, je calque mes émotions. Ça permet encore une fois de trouver un juste milieu, avec un fondement psychanalytique effectif, et avec une sensibilité, une vie derrière. Ça évite le côté rébarbatif.

Nicolas VADOT : Tu as dans Norbert des références psychanalytiques très précises, que des psychologues vont voir. Par exemple Norbert qui casse le sein de la statue de Nora, c’est du Mélanie Klein, version rigolote. Mais je veux que quelqu’un qui lit de la psychanalyse ne pense pas que je le prends pour un con, et que quelqu’un qui n’en lit pas ne trouve pas ça chiant.

Sceneario.com : Vous êtes tous les deux fans de cinéma. Cela vous influence pour la BD ?


Nicolas VADOT : Oui, mais Olivier est beaucoup plus calé que moi. Et à partir du moment où on fait de la BD, on essaye d’aller jusqu’au bout de ce médium. On fait rarement de champs/contre-champs ou du langage purement cinématographique parce que ça marche pas.
La BD, c’est de l’image fixe, et ce qui est important dans les images fixes, c’est ce qui se passe entre elles. On ne va pas faire des grands mouvements ou autres. Ça, c’est du cinéma du pauvre et on n’a pas envie de le faire. Ça reste de la BD, même si on a des références cinématographiques évidentes.
Parfois, en lisant une BD, je sais quels sont les films que l’auteur a vus pour faire son album. C’est vain.

Olivier GUERET : Au cinéma, il y a des outils que tu n’as pas dans la BD, donc ça ne sert à rien d’essayer : ton cadrage est mauvais, ou tu n’as pas de gestion de l’espace, à moins de faire des cases énormes, exactement comme un réalisateur qui ne sait pas cadrer.

Nicolas VADOT : En plus, au cinéma, tu dois suivre la narration imposée par le réalisateur : s’il a décidé qu’un plan ferait 3 secondes, tu vas le voir 3 secondes. Alors qu’une case peut être lue en une seconde et un autre lecteur va passer 5 minutes dessus. Donc, c’est important que le lecteur fasse son chemin à lui. On ne doit pas lui imposer cette narration. Il suffit de se replonger dans Hergé, pour voir qu’à ce niveau, c’est parfait. Mais on casse quand même des codes, comme dans les pages du conte, et on aime ça.

Sceneario.com : La télé est très présente dans Norbert l’Imaginaire ?


Olivier GUERET : Ce n’est pas vraiment la télé, ce sont les médias ; comme Nicolas est dessinateur de presse, et comme je travaille pour les médias, ça a forcément une influence énorme sur nous.

Nicolas VADOT : L’utilisation des médias comme on l’a fait permet une mise en abîme. En tant que dessinateur de presse, je suis informé en permanence : je lis 2 ou 3 quotidiens par jour, j’écoute la radio tout le temps, je regarde les infos. Il y a plein d’images qui me viennent. C’est un peu du virtuel, mais ça permet de raconter plein de choses. C’est aussi des chasses d’eau scénaristiques, et ça permet de réinventer le médium. Des planches de BD traditionnelles dans la dame de trèfle, il y en a 35 sur les 46. Le reste ce n’est pas vraiment de la BD.

Olivier GUERET : Et il faut voir qu’on est tout le temps et en permanence sous information. Et pour densifier notre univers, il fallait un système d’information à l’intérieur même.

Nicolas VADOT : Pour nous, les aléas du monde qui nous entoure ne sont en fait que des retranscriptions de nos tourments individuels, mais à l’échelon collectif. Ça, c’est l’un des thèmes principaux de Norbert l’Imaginaire. Et puis il y a la contrainte de tenir en 46 pages, et nous on a envie de mettre plusieurs couches, si bien que le lecteur a l’impression d’en avoir lu 150. Par exemple, on voulait faire la scène des élections, représentée par 2 pages  » classiques « , sous forme de débat télévisé. Mais un débat prend de la place, et on ne peut pas utiliser suffisamment d’informations. Et moi, je ne voulais pas réutiliser  » Notre Monde « , alors qu’Olivier si. Du coup, on en a mis 3 pages, dont deux intérieures !
Mais on discute beaucoup, et l’un se fait l’avocat du diable de l’autre. Par exemple, pour la scène d’Elodie chez le coiffeur, Olivier voulait la chanson  » confidences pour confidences « , de Jean Schulteiss. Mais à partir du moment où l’on a décidé de ne prendre que des chansons australiennes, il fallait rester cohérent. Du coup, la scène était muette. Puis à 15 jours du bouclage, Olivier est arrivé avec sa lettre d’amour, qu’on a mise, et c’est vrai que ça apporte beaucoup.
Mais on a beaucoup discuté, et la question est toujours  » est ce que ça apporte quelque chose à la scène et à l’ensemble ? ».

Olivier GUERET : En fait, quand on arrive à la page 40, on prend du papier de verre, et on commence à frotter l’album, on relit tout, on rechange, et il y a des cases qui sont refaites.

Nicolas VADOT : Dans un album, il y a à peu près de 50 à 60 cases qui sont refaites.

Olivier GUERET : Au bout du compte, ce n’est pas  » rentable « , financièrement parlant, et c’est extrêmement exigeant pour les auteurs. Alors on met 14 à 15 mois pour faire un album, mais derrière, on y va, on travaille. Parce que c’est un point de vue sur la vie, et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi.

Nicolas VADOT : Dans 20 ans, on l’aura encore, notre Norbert. Donc, on a envie d’en être fier. En plus, 14 mois c’est long, mais le rythme est irrégulier : la scène des kangourous qui attaquent Arnold, c’est 7 planches en 3 semaines, alors qu’il y a des mois où on n’avance pas, parce qu’on bute sur un truc.

Olivier GUERET : On n’était pas d’accord sur la fin, et on a débattu pas loin d’un an pour savoir si Elodie et Simon finissent ensemble ou non : il faut que le lecteur se dise que ces trois ans décrits dans Norbert ont servi à quelque chose.

Nicolas VADOT :Le directeur éditorial n’a pas vu une ligne de scénario de  » la dame de trèfle « . Il a vu 18 planches en avril, et après plus rien. D’abord, il nous faisait confiance, Mais ensuite il ne pouvait pas voir quoi que ce soit, car nous ne savions pas nous-mêmes ce qu’on allait faire. Je crois que si je devais dessiner un truc tout écrit, je m’ennuierais.

Olivier GUERET : Mais dans Norbert, il y a des moments de panique:  » Je ne sais pas, je n’ai pas d’idées ! » Mais déjà là quand l’album sort, pffft ! C’est comme un accouchement (enfin, j’imagine!), c’est seulement maintenant qu’on dégage, parce que même pendant le tirage, on est encore sous pression.

Nicolas VADOT : Il y a à peu près 3 mois de production, et pendant ce temps là pour nous, l’album n’existe pas encore. Quand je l’ai eu dans les mains avant hier, c’est comme si un truc  » partait « .

Olivier GUERET : Alors maintenant, il faut 4 mois pour vraiment souffler, et après on s’y remet. On a le sentiment de remplir un vase, de refaire du café, il faut que la marmite chauffe : qu’est ce qu’on va raconter, comment ? Et là, on commence à faire des scénarii qu’on va mettre à la poubelle, on se demande où on en est dans la vie, par rapport au propos.
Et puis l’accueil du public est important. Pour le premier, comme il était écrit, nous étions moins tendus. On avait juste la fin à défendre.  » Imaginaire 1 / raison 0  » était un peu une équation : le monde c’est ça, garçon, fille, le coup de foudre: comment ça marche.  » Monsieur i « , en revanche, était plus risqué. On allait sur des concepts jamais évoqués en BD, surtout de cette manière-là, et pour  » la dame de trèfle  » c’est encore pire.

Nicolas VADOT : Sur  » Monsieur i « , j’avais vraiment peur. Finalement, je n’ai pas encore le recul sur le 3, mais je crois que le 2 est mon préféré.

Sceneario.com : Vous auriez préféré un 54 pages pour la dame de trèfle ?


Nicolas VADOT : Oui, mais c’est un problème de coût de production. Déjà sur le 1, j’en voulais 62, Le Lombard 46, et on en a eu finalement 54. Mais sur le 3, je me suis dit, mais après l’avoir terminé, qu’il aurait fallu peut-être quelques pages de plus. L’attaque des kangourous aurait sûrement mérité plus de mise en scène : mais il m’aurait fallu 4 planches de plus, et ça ne faisait pas un nombre qui collait.

Sceneario.com : Le film Heat de Michael Mann a une grande place dans le tome 2 ?


Nicolas VADOT : Oui, c’est un film qui nous a énormément marqués l’un comme l’autre. La relation De Niro-Pacino dans ce film est quasiment psychanalytique justement, c’est à dire que le méchant n’est pas forcément celui qu’on croit. Je suis allé voir Olivier pour lui dire qu’on allait reprendre la scène entre De Niro et Pacino, qui n’est pourtant pas ma préférée du film, et qu’on allait faire le parallèle entre Norbert et le capitaine.
Pacino et De Niro sont les deux facettes d’un même personnage, et je me suis aperçu en relisant Norbert qu’il en va de même pour Elodie et Simon: la partie féminine dans un homme et la partie masculine dans une femme. Et encore une fois, les gens qui n’ont pas vu le film Heat doivent pouvoir saisir la référence.

Sceneario.com : Vous avez de grandes influences pour  » Norbert l’imaginaire  » ?


Nicolas VADOT : Oui, Burton est une influence majeure. Tout d’abord, j’ai eu l’idée de Norbert l’imaginaire en sortant de la projection de  » l’Étrange Noël de Monsieur Jack « , avec ses deux mondes parallèles, le bien et le mal nichés en chacun de nous, un héros prisonnier de sa fonction, etc, etc… Visuellement, ce fut un véritable choc.
Ensuite, j’ai lu « Burton on Burton », livre d’entretiens dans lequel Burton parle de son travail et de son rapport à la vie en général. Je me sentais extrêmement proche de lui, intellectuellement, ce que j’avais ressenti en voyant ses films correspondant exactement à ce qu’il avait voulu faire passer. Ses thèmes de prédilection sont aussi les miens: l’enfance, la peur de la mort, le sentiment de non-appartenance au groupe, les fables politiques, les jeux de pouvoirs, les miroirs déformants, etc…
 » Batman returns  » est mon préféré, par rapport à sa réflexion vis-à-vis du pouvoir. Burton, comme Scorcese, Mann, Soderbergh et d’autres encore, fait partie de ses auteurs qui travaillent au sein du système, comme moi, et dont on reconnaît le style au premier coup d’œil, des gens qui creusent inlassablement le même sillon, en dehors des modes, qui font leur truc sans se soucier de l’air du temps, sans faire des recettes de cuisine scénaristiques. Plus que des modèles, ce sont pour moi des références, comme Bilal ou Tardi en BD.
Quand je suis sorti de  » Traffic « , de Soderbergh, je me disais que rien que pour voir des films comme ça, la vie valait la peine d’être vécue… Avec Olivier, nous avons commencé à discuter, il y a cinq ans, vers cinq heures du matin, morts saouls dans un bar bruxellois, en parlant de Danny Elfman, le compositeur attitré de Burton… Voilà pourquoi le maître est bel et bien omniprésent, même si nous nous sommes dégagés de son univers à partir du tome 2. Car contrairement à lui, notre univers se distingue par un ancrage dans le réel plus prononcé, et l’amour dans ses films n’est qu’entrevu de manière adolescente, puisque ses personnages tombent amoureux, mais ne poursuivent jamais leurs relations.
C’est là que ma deuxième influence majeure, U2, intervient: la problématique du couple, omniprésente dans les textes de Bono.
Dernière chose, « Edward aux mains d’argent » est mon film culte par excellence.

Sceneario.com : Pouvez-vous nous parler de votre travail sur les couleurs ?


Olivier GUERET : C’est très important, parce que c’est de la BD, parce qu’il faut exploiter tout ce qu’on a sous la main, et on veut que le dessin soit narratif.

Nicolas VADOT : Norbert est un album incompréhensible en noir et blanc. Dans le dessin de presse, la couleur est très importante ; on ne travaille jamais les couleurs de façon réaliste, on les travaille de manière symbolique : les couleurs doivent être un fil narratif qui va rester dans l’esprit du lecteur. C’est pour ça qu’il y a un travail énorme sur la couleur.
Les traités théoriques sur le sujet, d’Étienne Chevreul notamment, sont à ce titre très intéressants. C’est Chevreul qui a délimité les couleurs en primaires et complémentaires. Son travail a servi de base aux impressionnistes et surtout aux pointillistes. Par après, les cubistes ont changé l’art moderne en déstructurant la forme, les Fauves l’ont fait en déstructurant la couleur.  » Ce n’est pas parce que c’est bleu que je vais mettre du bleu « . Et dans la BD, par rapport au cinéma, on peut maîtriser ça beaucoup mieux, parce que chaque centimètre carré peut s’exprimer graphiquement. Et là, j’utilise énormément l’informatique.

Sceneario.com : Arnold Dépressor est-il inspiré de Le Pen ?


Nicolas VADOT : Les scènes du tome 2 où il y a Arnold ont été faites avant les élections présidentielles en France. Pour moi, Arnold, c’est un peu Le Pen, mais c’est surtout l’icône du méchant. On a tous une pulsion d’extrême-droite en nous, qu’on arrive à refréner ou non. Mais ce n’est pas une attaque sur Le Pen en particulier : il n’est pas assez intéressant pour en faire un sujet d’album. C’est plutôt la quintessence du mal. Mais ça m’intéresserait d’aller à l’intérieur de Le Pen : il doit avoir une souffrance au départ, car pour haïr les autres à ce point, il ne doit pas beaucoup s’aimer lui-même à la base. Et c’est pour ça que les personnages méchants nous intéressent plus que les gentils: ils se construisent par leurs failles.

Olivier GUERET : Oui, et même au niveau de l’histoire. Le bonheur est stérile : on ne peut pas raconter une histoire de gens heureux. Ce n’est pas intéressant. Quand on est heureux, c’est simple, c’est naturel.

Sceneario.com : Qui est la dame de trèfle ?


Nicolas VADOT : Eh bien il y a une scène, qu’on a coupée, où on expliquait ce qu’était la dame de trèfle. Alors certains vont savoir ce qu’elle représente, et d’autres mettront sur elle ce qu’ils considèrent comme le pire défaut.
La dame de trèfle représente la jalousie, ou plus exactement l’envie, sentiment beaucoup moins romantique.
La jalousie c’est A aime B, qui lui-même aime C ; A est alors jaloux de C, mais n’en veut pas à l’être aimé.
L’envie, c’est le même schéma, sauf que A est envieux de B, l’être aimé, qui aime C. Le jaloux a peur qu’on lui retire son bonheur. L’envieux veut le bonheur de l’autre. Il faut lire Othello. Shakespeare l’explique bien mieux que moi!!!

Sceneario.com : Et la dame de trèfle est le pendant d’Arnold au féminin ?


Olivier GUERET : Non, parce que Arnold, c’est l’autodestruction, et la dame de trèfle, c’est la destruction de l’autre.

Nicolas VADOT : Ils sont semblables dans le sens ou Arnold est la face cachée de Norbert et la dame de trèfle celle de Nora. La dame de trèfle est vraiment notre première vraie méchante, ce qui la rend intéressante. Enfin, ce n’est pas qu’elle soit méchante, c’est qu’elle est malheureuse, tragique. Et ça, on l’explique en filigrane dans la première page. Comme dans tous les albums de Norbert, on explique tout dès le début. Mais le lecteur ne le sait pas encore.

Sceneario.com : Le conte au début est un pré-générique ?


Olivier GUERET : Oui, c’est aussi un code, mais que le lecteur ne pourra décoder que 20 ou 30 pages après.

Nicolas VADOT : C’est quelque chose qu’on voulait pour les deux premiers, mais l’éditeur n’était pas d’accord. Mais sur le 3, j’y tenais vraiment. La première case dit  » Au début, il n’y avait rien  » Il faut donc qu’avant cette case, il n’y ait – effectivement – rien. Et en plus, la page titre  » la dame de trèfle  » devient narrative.

Sceneario.com : Quel est votre personnage préféré ?


Nicolas VADOT : Moi, celui que je préfère, c’est le Capitaine ; justement parce qu’il a ce côté tragique et bicéphale.

Olivier GUERET : Moi, c’est Monsieur i. Si je devais être un personnage, ce serait lui.

Nicolas VADOT : Par ailleurs, j’aime beaucoup dessiner la dame de trèfle ; et celui que j’aime le moins dessiner, c’est Norbert.

Olivier GUERET : C’est le personnage le plus faible. C’est la boule de flipper qui prend tout dans la tête, et qui n’arrive pas à prendre les bonnes décisions parce qu’il vit sous l’influence de différents personnages.

Nicolas VADOT : Ça fait 3 albums que Norbert n’arrive pas à s’assumer, qu’il ne veut pas être un héros alors qu’il en est un.

Sceneario.com : Et pourquoi la transformation physique de Norbert à la fin du 2 ?


Olivier GUERET : La maturité.

Nicolas VADOT : Et aussi parce que graphiquement, il était beaucoup plus faible que les autres. Avec le dessin qui arrive à maturité, on avait besoin d’une forme plus humanoïde. On s’est beaucoup posé la question, et je pense qu’on a bien fait de le changer. Il a beaucoup plus de corps.
Et c’est aussi un code qu’on brise : dans la BD, tu ne dois jamais faire mourir ton héros, et tu ne dois jamais le changer. On ne l’a pas encore fait mourir, mais on l’a changé. Les personnages humains évoluent, il n’y a pas de raison que les personnages intérieurs n’évoluent pas. D’ailleurs, ça n’a pas plu à notre directeur éditorial, Yves Sente, à qui je n’en avais pas parlé et que j’ai mis devant le fait accompli. Il me disait qu’il ne fallait pas changer la tête du héros en cours de route, commercialement parlant. Mais j’ai tenu bon, et j’ai bien fait. Artistiquement, pas commercialement, bien entendu!!!

Olivier GUERET : Et on a déjà pensé à un petit Norbert. Comme il y a un petit Spirou.

Sceneario.com : Que pensez vous des couvertures de la série ?


Nicolas VADOT : Avec le recul, je trouve que la couverture du tome un est un peu ratée, mal dessinée et qu’on aurait dû en rester à ma première idée, qui se trouve sur la quatrième de couverture : c’était la couverture initiale.
Mais on me l’avait refusée en me disant que ce n’était  » pas assez drôle « !! Yves Sente m’avait même dit, à propos du premier projet:  » avec une couverture pareille, j’ai peur qu’on gagne un prix à Angoulème ! « . Finalement, on a juste eu une nomination…
En revanche, le même Yves Sente a été très précieux pour les couvertures des deux tomes suivants, qu’il a  » recadrées  » afin qu’elles deviennent ce qu’elles sont aujourd’hui, qu’elles percutent plus. Autant j’entends garder un contrôle total sur l’intérieur de l’album, autant je considère la couverture comme du packaging, qui se discute en équipe, avec l’éditeur.
Le logo pose aussi problème. Pourtant, c’est un copain à moi qui l’a fait, un copain que je suis allé chercher. J’assume la responsabilité, car à l’époque, je le trouvais très bien, ce logo. En lui-même, il est très bien, mais il ne reflète plus vraiment ce qu’est devenue la série. On appelle cela l’apprentissage du métier…

Sceneario.com : Pour vous, c’est l’album de la maturité ?


Nicolas VADOT : C’est surtout le deuxième qui marque la transition. Maintenant, c’est vraiment de la BD pour adultes. Un ado de moins de 13, 14 ans ne va rien piger. Le grand changement, c’était dans le 2 ; et dans le 3 on a juste poussé le bouchon un peu plus loin. Et graphiquement, c’est vrai que je dessine mieux parce que j’ai plus de pratique. Même si j’ai encore beaucoup de lacunes techniques.

Sceneario.com : Et vous envisagez une suite.


Nicolas VADOT : Nous ne sommes pas les seuls maîtres à bord…

Olivier GUERET : Mais en tout cas, s’il y a une suite, elle est déjà esquissée à la fin du 3.

Nicolas VADOT : Mais ça reste une trilogie cohérente. Si on repart sur quelque chose, on va évidemment changer de décor.

Sceneario.com : Ce serait un autre univers ?


Nicolas VADOT : On écrit à droite à gauche, mais on a du mal.

Olivier GUERET : Norbert est tellement proche de nous, de la vie, et on a beaucoup de mal à travailler seul ou avec d’autres sur un autre projet, parce qu’on n’arrive pas à trouver ailleurs quelque chose d’aussi dense que Norbert. Pour moi, c’est un handicap énorme. Je fais d’autres choses, et j’ai du mal à y trouver la satisfaction que j’ai avec Norbert.

Nicolas VADOT : L’avantage avec Norbert, c’est que tu peux parler de quasiment tout. Ce qui fait que dès qu’on a des idées ailleurs, quand on creuse un peu, on se dit que se serait bien dans Norbert. C’est un peu un piège. Mais de toute façon, en 2004, on a l’intention d’écrire, Norbert ou autre chose, mais on va faire un truc. Mais ça fait 5 ans qu’on bosse ensemble, et on a beaucoup d’automatismes. Et repartir avec quelqu’un d’autre, ce que j’ai essayé de faire, j’ai l’impression de repartir de rien. Et puis on est des débutants, il y a plein de défauts dans Norbert ; mais l’univers est tellement riche qu’il n’en est qu’à ses débuts.

Sceneario.com : Voulez-vous rajouter quelque chose ?


Nicolas VADOT : Non, le plus important c’est ce que les lecteurs pensent de Norbert. C’est une invitation au débat.

Olivier GUERET : on a transmis quelque chose, j’espère que le lecteur va le transmettre à d’autres.

Sceneario.com : Merci beaucoup, et encore bravo pour cette série remarquable.

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