Interview

R.M. GUERA, un pirate dans la BD

Interview réalisée par CUBIK en Février 2004

Sceneario.com: Bonjour. Je n’ai trouvé pratiquement aucune info vous concernant sur Internet. Alors, tout d’abord, pourriez-vous vous présenter un peu? Quel a été votre parcours jusqu’à la bd?
RM Guéra:
Bonjour. Eh bien, la bande dessinée EST ma vie. Je ne vois pas ce que je peux dire de plus. Vous ne pouvez pas trouver grand chose me concernant sur Internet parce que je n’ai pas besoin de ça. Je suis auteur professionnel depuis de longues années, mais j’ai toujours fait attention avec mes choix de travail, ceci expliquant cela… J’ai du sacrifier beaucoup de choses en agissant ainsi, mais je continue à penser qu’il est mieux de ne pas faire quelque chose si on n’y croit, et en particulier des bandes dessinées car je respecte énormément cet art et que j’ai aussi eu de mauvaises expériences par le passé… Et quotidiennent parlant, dans mon ex-pays (l’ex Yougoslavie), être bon ne veut pas dire grand chose, même si vous recevez des prix ou que vous êtes "très" bon…

Sceneario.com: Votre travail n’est pas très connu en France. Avez-vous publié dans d’autres pays?
RM Guéra:
Je vis en Espagne, à Barcelone depuis 12 ans maintenant et j’ai été publié en Espagne, en ex-Yougoslavie, aux USA et ailleurs. J’ai également beaucoup travaillé dans le monde de l’animation au travers du storyboard en Espagne, Italie, Danemark… J’ai aussi beaucoup travaillé dans la publicité pour des marques comme Honda, des musées de science, des festivals de musique et beaucoup d’autres choses trop nombreuses à dénombrer. Mais durant toutes ces années, ma vie était et reste consacré à la bande dessinée. Je ne sais pas comment cela est perçu de France, qui a une longue et essentielle histoire de la bande dessinée, mais pour moi, c’est une réalité.

Sceneario.com: Vous venez de l’ex-Yougoslavie et vous ne parlez pas français (NDR: l’interview a été faite en anglais). Est-il difficile de faire des bandes dessinées pour un public qui n’a pas forcément les mêmes références culturelles que vous?
RM Guéra:
Le minimum que l’on puisse en dire, c’est que ça donne de l’inspiration. Donc, ce n’est pas si difficile, même si ça demande beaucoup de travail. Aux éditions Glénat, je me sens vraiment accepté et c’est vraiment la base pour pouvoir créer "son univers". Je me suis toujours senti proche de la bd française, à force de passer beaucoup de temps dedans. Je la connais vraiment bien, nous sommes "amis". La seule chose est que la bd française ne me connait pas encore. C’est ce à quoi je travaille. La différence de références culturelles peut être un avantage, car nous sommes tous humains et cela est plus important que des faits. Kusturica est un bon exemple de cela.

Sceneario.com: En France, Howard Blade sera votre première bd seul (scénario et dessin). Quelle différence cela fait-il pour vous?
RM Guéra:
Une différence incroyablement grande et importante! Dans cette position, j’ai le contrôle naturel de toute la création alors qu’en travaillant à plusieurs, on doute toujours de savoir si ce qu’on fait remplira les attentes du scénariste. Je considère que notre profession est de nous exprimer, d’exprimer ce que nous sommes et pas juste d’être "les mains OU les idées". Exprimer vraiment notre être. Et je dois dire que, bien que je souhaite collaborer avec des scénaristes français (certains sont vraiment très bons!) l’approche d’auto-suffisance me semble plus naturelle et m’attire plus…
Mais il y a un temps pour tout, si on sait attendre.
Pour le moment, je suis comblé car je reçois également beaucoup d’aide d’un ami et collaborateur de longue date de Serbie nommé Dragan Savich. Nous avons déjà fait des bd ensemble en Yougoslavie, lui étant au scénario, et cela me rassure beaucoup.

Sceneario.com: Pourriez-vous présenter la bd Howard Blake?
RM Guéra:
Basiquement, à travers cette bd, j’essaye d’expliquer le problème de grandir avec la mauvaise réputation de ses parents. Donc, une réputation dont on n’est pas responsable. Daniel Blake est le fils d’Howard Blake, qui est notoirement connu pour avoir été un assassin exécuté (il a été pendu) et un pirate. L’environnement violent de cette époque ne diffère pas beaucoup de celui que nous avons actuellement. Et le meilleur ami de son père, Gilliam Perrin (le vrai héros de l’histoire en ce qui me concerne), va essayer de montrer et de lier Daniel à la personne qu’était réellement son père. Ce dernier ayant d’ailleurs en fait été assassiné (et non exécuté) avant que Daniel ne naisse. C’est une tache difficile (celle de Gilliam et la mienne).

Sceneario.com: D’où vient cet intérêt pour le dernier pirate?
RM Guéra:
Cela vient du fait que je ne pense pas que la fin d’une ère signifie la fin d’une personne telle qu’elle est. Je trouve cela suffisament intéressant pour écrire une histoire là-dessus. C’est incroyablement difficile de changer un personnage qu’on a déjà eu beaucoup de mal à construire (c’est ce que j’ai du faire de toutes façons). Cela nécessite autant de force que pour le construire. Mais quand on change d’ère, vous devez décider si vous allez changer avec elle et toute happy end est impossible. Il y a un dicton dans mon pays à propos d’une "sombre grotte": Il existe une sombre grotte avec un panneau à l’entrée qui dit "si vous entrez, vous le regretterez, et si vous n’entrez pas, vous le regretterez aussi". C’est une métaphore sur le souhait de savoir plus. Pas juste connaitre, savoir.
A partir d’un certain moment, vous savez que savoir plus ne veut pas dire être meilleur. Vous êtes pratiquement persuadé du contraire. Alors entrer ou non dans la grotte sombre devient un problème moral. C’est un problème éthique. Une fois que vous savez que la grotte sombre est là (sans savoir ce qu’elle cache) et que vous connaissez le problème d’entrer ou non, vous ne serez plus jamais la même personne, même si vous partez. Comme lorsque les temps changent. Vous ne pouvez pas rester la même personne, même si vous avez l’impression du contraire. C’est comme être trop faible pour vivre, mais trop fort pour mourir.

Sceneario.com: Habituellement, quand on pense aux pirates, on pense avant tout à des batailles navales et des chasses au trésor. Même si vous parlez d’un trésor dans Howard Blake, il n’y a pas de bataille navale ou de long voyage sur des bateaux. Pourquoi ce choix?
RM Guéra:
Je suis pratiquement sur que le premier album d’Howard Blake sera un peu compliqué pour la partie du public qui espère des stéréotypes. J’ai essayé d’éviter ces derniers, bien que j’aime les stéréotypes sur les pirates. D’ailleurs, je fais actuellement le second album qui s’ouvre sur une bataille navale. Donc je donnerai aussi ma vision de ces stéréotypes. C’est trop attirant au niveau dessin pour que je ne le fasse pas. Mais la nécessité de créer une base pour mes personnages et de donner de fortes motivations pour la violence m’ont poussés à accentuer la noirceur de l’ambiance, plutôt que des faits précis. Je pense plus particulièrement au clair-obscur des âmes.
Après en avoir fini avec ce départ, bien qu’il soit un peu compliqué à mettre en place, je pense que l’histoire s’ouvrira complètement au lecteur.
Par exemple, dans ce premier tome, on trouve un assassin nommé Jesop. Il est pragmatique, efficace, il parle peu, il n’a pas d’état d’ame. MAis qu’est-ce qui a fait de lui une personne sans sentiment apparent? Je n’essaye pas de justifier tous les assassins, mais je vais essayer d’éclairer un peu ceux que je considère comme intéressant. Et chaque éclairage génère une ombre…

Sceneario.com: Combien y aura-t-il d’albums pour cette histoire?
RM Guéra:
Au départ, je pensais que 4 seraient suffisants pour donner toutes les réponses, mais en travaillant dessus avec mon ami Savich, je me suis retrouvé entrainé par le développement des personnages. Donc aujourd’hui, je pense plutôt à 7, voire 8 albums. L’histoire grandit seule simplement, comme si je n’étais pas celui qui la créait. Les quatre premiers albums donneront une conclusion claire à l’intrigue, mais je me sens obligé de faire les autres car les personnages me donnent leurs vies, alors je dois leur donner une partie de la mienne. Comme s’ils avaient soudainement pris la place dont ils avaient besoin sans me demander…

Sceneario.com: Avez-vous d’autres projets à venir?
RM Guéra:
J’en ai beaucoup. Le plus attirant pour moi est une série humoristique baptisée "Smokey Joe", sur les origines du blues. Glénat encore une fois, semble intéressé par cette série. Au cours des années, j’ai déjà fait beaucoup de pages de cette histoire, mais elle devra attendre qu’Howard Blake ait trouvé sa vitesse de croisière. J’ai beaucoup d’autres projets, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant.

Sceneario.com: Pour Howard Blake, vous allez être parrainé, dans le cadre des coups de coeur d’Alfred. Comment ressentez-vous cela?
RM Guéra:
Je suis très reconnaissant. Je ne vois pas comment je pourrais ressentir cela différement. Que pourrais-je demander de plus? C’est une expérience exceptionnelle qui n’est possible que dans votre pays, d’après mon expérience. Je suis vraiment profondément reconnaissant.

Sceneario.com: Votre parrain sera André Juillard. Le connaissez-vous? Qui a choisi votre parrain?
RM Guéra:
Je ne suis pas sur, mais mon agent Csaba Kopeczky est en contact proche avec Didier Convard et Laurent Muller chez Glénat, et je leur dois beaucoup. Je ne sais pas qui a choisi mais ma gratitude va aux trois et bien sur à Juillard qui, en tant qu’artiste, ne laisse de la place à rien d’autre qu’à de l’admiration et qui mérite chaque miette de sa renommée. Cela est arrivé d’un seul coup, je ne connais pas André personnellement et je suis resté abasourdi…. Juillard? Mon parrain?.. !!!!!…. Je ne vais pas faire plus de commentaire, de peur qu’ils changent d’avis (et aussi parce que je suis déjà marié (rires)).

Trois questions au parrain de Guera:
André JUILLARD

Sceneario.com: Monsieur André Juillard, bonjour et merci de nous accorder quelques instants pour nous parler des Alfred et de votre parrainage de la BD de GUERA l’auteur de Howard Blake.
André Juillard:
Bonjour.

Sceneario.com: comment avez vous connu GUERA et sa BD Howard Blake?
André Juillard:
Le principe des Alfred est d’avoir un parrain pour chaque BD de cette collection. Didier Convard le directeur de collection des éditions Glénat m’a contacté pour me proposer de parrainer une BD. C’est Howard blake que l’on m’a remis et que j’ai lu avant d’accepter de devenir le parrain de ce jeune auteur (que je dois bien avouer je ne connais pas encore).

Sceneario.com: Que pensez vous de cette BD?
André Juillard:
J’ai trouvé le dessin très bon avec un graphisme de bonne qualité, en revanche je trouve qu’il y a encore quelques petites choses à améliorer. Mais je pense que ce dessinateur est très prometteur.

Sceneario.com: Et de votre coté, quels sont vos projets?
André Juillard:
 Tout d’abord de finir mon deuxième tome de Blake et Mortimer, mais aussi de travailler sur un projet que je réalise en solo.

 

Livres

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