Interview

Rencontre avec R.A. Salvatore à l’occasion du Comic Con 2013

Portrait de Salvatore

Sceneario.com : Bonjour et merci de nous accorder cette interview à l’occasion de ce Comic Con dont vous êtes l’un des invités vedette, qu’est-ce qui vous inspire, comment trouvez-vous toujours plus d’idées originales?

R.A. Salvatore : Mon inspiration vient de mes personnages. Un écrivain est une personne qui observe. Ce que j’ai appris très tôt, c’est que j’ai une petite idée de qui sont les personnages lorsque je commence à écrire, mais je ne sais pas qui ils sont réellement.
Ensuite, lorsque j’arrive aux moments clefs du récit, les différentes civilisations que les personnages rencontrent par exemple, tout cela m’est inspiré de la connaissance de notre propre monde. Il faut connaitre l’histoire, regarder les informations, faire attention aux gens qui sont autour de nous. Lorsque j’ai besoin de créer un personnage, je suis influencé par les personnes que je rencontre. Je ne les copie pas bien sur, mais j’apprends certaines choses sur la manière dont les gens agissent, sur ce qui fonctionne ou non, et je les écris, simplement. C’est comme si j’étais au téléphone avec un autre monde, et que je me contentais d’écrire ce que l’on me dicte.

Sceneario.com : Quelles ont été vos influences majeures en tant qu’écrivain?

couverture demonwar

R.A. Salvatore : Il y en a eu beaucoup. J’ai été très inspiré par James Joyce, et j’aimerais tellement pouvoir écrire comme lui ! Ses nouvelles sont fantastiques. Avec le rythme qu’il donne à ses récits, parfois les mots eux-mêmes ne sont pas importants, c’est le flot des mots, et le rythme qui nous font ressentir ce qu’il veut que nous ressentions.

Un autre auteur qui a eu beaucoup d’influence sur mon travail – ce que je n’ai réalisé que tardivement – est Fritz Leiber qui a écrit Le Cycle des Epées, cette série fondatrice dans le genre de la fantasy, c’est tout ce que j’aime.
La raison pour laquelle mes livres attirent certaines personnes je pense, c’est qu’ils découvrent les personnages dans les livres, et qu’ils aimeraient être en leur compagnie, et vivre cette aventure. C’est ce que Fritz Leiber a fait avec beaucoup de talent dans Le Cycle des Epées.

Bien sur, il y a également Tolkien. Je dois aussi reconnaitre l’influence de Terry Brooks qui est maintenant un très bon ami à moi, c’est un homme merveilleux.
Lorsque j’étais très jeune, je lisais beaucoup, tout le temps, j’adore Charlie Brown et la série des Peanuts Comic Strips, j’en ai énormément. Mais lorsque je suis allé à l’école, j’ai arreté de lire, car on me forçait à lire des choses que je n’aimais pas. Lorsque je suis entré à l’université, ma soeur m’a offert Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, et lorsque je les ai lus, je me suis souvenu de ce que l’on peut ressentir lorsque l’on part à l’aventure avec des personnages, et je suis tombé amoureux de la lecture et de l’écriture grâce à cela.

 

Sceneario.com : Beaucoup de vos oeuvres ont une dimension de «roman d’apprentissage», l’écriture est-elle une manière d’apprendre?

R.A. Salvatore : Oui, mais de m’apprendre des choses à moi ! Ecrire est pour moi une façon de comprendre le monde, car il y a beaucoup de choses qui pour moi n’ont pas de sens. Je regarde les informations, et cela n’a pas de sens, pourquoi les gens agissent ils ainsi, pourquoi font-ils cela à d’autres personnes? Lorsque j’ai perdu mon frère qui a succombé à son cancer, cela n’avait pas de sens, pourquoi cela est-il arrivé?
Ainsi, je me pose ces questions, et je les pose à mes personnages. C’est de cette manière que j’arrive à répondre à ces questions. Ecrire est ainsi une façon de m’apprendre des choses, je n’écris pas pour enseigner à d’autres personnes.

Lorsque j’ai commencé ma carrière en tant que jeune écrivain, je pensais que le travail de l’écrivain était de dire aux gens comment les choses devraient être, mais ce n’est pas ça du tout. Le travail de l’écrivain est d’aider le lecteur à se poser des questions auxquelles seul le lecteur lui-même est en mesure de répondre. Cette différence est profonde.

 

Par exemple, dans la trilogie de L’Elfe Noir, au début de chaque section, Drizzt rédige une sorte de dissertation. Il ne vous parle pas, il se parle à lui-même, c’est son journal intime. Il est totalement honnête envers lui-même, il n’a pas un discours moralisateur, il se parle simplement sans toutes les barrières que nous hissons lorsque nous parlons à d’autres personnes. Drizzt se parle donc à lui-même, il ne parle pas au lecteur. Si on aborde ces débuts de section ainsi, Drizzt n’essaye pas d’enseigner quoi que ce soit au lecteur, cependant, le lecteur a peut-être les mêmes interrogations. Ces questions sont ainsi proposées à travers les personnages.

 

Sceneario.com : Le personnage de Drizzt a pris une énorme place à la fois dans votre oeuvre, et dans le genre de la fantasy tout entier, est-ce que Drizzt est devenu l’ambassadeur de la fantasy?

Donjons et Dragons

R.A. Salvatore : Je n’irais sans doute pas si loin. Je suis toujours surpris, par exemple lorsqu’un nouveau jeu vidéo sort, et lors de la création des personnages, il est interdit d’utiliser les noms des personnages mythiques de la fantasy comme Merlin, Bilbo Baggins ou encore… Drizzt ! Je me dis wow, je n’avais pas vu cela arriver ! Je trouve extraordinaire de voir qu’il est devenu si populaire, et les lettres que je reçois sont tellement sincères et émouvantes, Drizzt est devenu un ami pour beaucoup de personnes. Cela me rend très humble, je suis toujours surpris que des gens lisent mes livres, je me demande, mais pourquoi les gens lisent-ils ça, j’écris pour moi !
Puis j’ai découvert que les gens lisent mes livres dans d’autres langues, et cela me paraît encore plus surprenant, et me rend encore plus humble.
Lorsque je reçois des lettres comme celles-ci, je me rends compte que le personnage de Drizzt prend de plus en plus de place. La plupart des auteurs ressentent cela, c’est presque choquant de rencontrer des personnes qui lisent mes livres.
Je participe à des séances de dédicaces maintenant, et parce que cela fait de nombreuses années que j’écris – le premier livre a été publié en 1988, il y a 25 ans – j’ai rencontré un grand-père avec son fils et sa petite fille, et ils lisent tous mes livres les plus récents, c’est très étrange. J’ai l’impression que ce n’est même pas moi, que c’est quelqu’un d’autre qui écrit. Je suis Bobby Salvatore, et il y cet autre homme, R.A.Salvatore, c’est une expérience surréaliste.

Sceneario.com : De nombreux mondes que vous avez créés sont devenus le fondement de jeux de rôles, ces mondes sont-ils toujours les vôtres?

R.A. Salvatore : Et bien, les Royaumes Oubliés ne sont pas mon monde, cet univers a été créé par Ed Greenwood, j’ai plus tard été invité à le rejoindre. Il y a certains parties de ce monde, comme la Cité des Elfes Noirs, ou encore le Valbise, que j’ai créés, mais c’est un monde partagé, et c’est le monde d’Ed.

J’ai créé le monde des Demon Wars, et j’ai également développé l’univers du jeu Reckoning (Les Royaumes d’Amalur : Reckoning, jeu de rôle sorti en 2012).
Donjons et Dragons Le jeu Padhiver est sorti récemment, et il se déroule principalement dans l’univers que j’ai créé dans mes derniers livres, c’est ça qui est amusant. C’est un partage du travail et des oeuvres.
Je me souviens la première fois que j’ai joué au jeu Baldur’s Gate (jeu de rôle sorti en 1999), je ne savais pas que Drizzt était l’un des personnages, et je n’ai d’ailleurs pas apprécié, car ils auraient du m’en parler, et travailler avec moi. Mais lorsque je l’ai vu, je me suis dit, mais c’est Drizzt ! Alors j’ai essayé de le tuer, car je savais qu’il avait un très bon équipement et des armes puissantes, mais c’est lui qui m’a tué, il a anéanti ma compagnie entière. Mais c’est un très bon jeu, et grâce à ce jeu, davantage de personnes ont lu mes livres. Je préfère bien sur faire partie du processus de création du jeu. En ce qui concerne les Comics, je les co-écris avec mon fils, c’est ainsi que j’aime travailler, en collaboration avec d’autres personnes. Je suis très protecteur de mes créations, et surtout de Drizzt et de ses amis, car cela fait longtemps que nous sommes ensemble, et ce sont de bons amis à moi maintenant. Drizzt a été créé en juillet 1987, il a donc 26 and ce mois-ci.

Une autre chose qu’il m’est difficile de comprendre, est que la plupart des gens qui lisent mes livres aujourd’hui sont plus jeunes que le livre qu’ils lisent.

Sceneario.com : Que pensez-vous de la traduction de vos oeuvres dans autant de langues différentes?

R.A. Salvatore :Cela me parait irréel, complètement surréaliste. Je vois mon livre en russe, je ne parle pas russe, je vois mon livre en français, je peux lire quelques mots mais je ne sais pas si la traduction est fidèle. Grâce à facebook et aux autres réseaux sociaux, j’ai l’opinion de nombreux lecteurs. Je ne savais pas par exemple que mes livres avait un énorme succès en Turquie.
Désormais, grâce aux réseaux sociaux, le monde est plus petit et je peux parler à des gens en France, en Italie, en Turquie et en Allemagne, tout le temps, et ils me disent ce qu’ils pensent de la traduction. J’espère que les traductions sont de qualité, mais il n’y a rien que je puisse faire !

Sceneario.com : Jouez-vous beaucoup aux jeux de rôles?

R.A.Salvatore : Oui, une fois par semaine, chaque dimanche. Cela fait des années que nous jouons à Donjons et Dragons, et avec mon fils, nous avons créé notre propre jeu qui se fonde sur le cycle Demon Wars, avec la magie des gemmes, l’Eglise Ombilicale et les Moines. C’est ce à quoi nous jouons en ce moment, nous y avons joué toute l’année et on s’est beaucoup amusés. Chaque dimanche, une dizaines de copains viennent, on achète de la nourriture pas très diététique, on boit quelques bières et on joue à Donjons et Dragons, ou un autre jeu, ce sont vraiment de bons moments.

Sceneario.com : Avez-vous un projet d’adaptation filmique pour vos oeuvres?

Homeland couverture

R.A. Salvatore : J’ai tenté de faire adapter le cycle Demon Wars, et j’essaierai encore. The Highwayman est également un livre que je verrais bien sur grand écran. En ce qui concerne les livres de Drizzt, cela ne dépend pas de moi car les Royaumes Oubliés appartiennent à Hasbro. Lorsque je travaillais avec George Lucas sur Star Wars, L’Attaque des Clones, j’aurais adoré pouvoir laisser un exemplaire de Terre Natale sur son bureau et lui dire, hé George, tu peux faire celui-là. Mais comme je ne possède pas les droits, tout dépend d’Hasbro. Je pense que c’est possible, et que ça va arriver un jour.

Un autre problème est que, lorsqu’on a affaire à Hollywood, on ne sait jamais ce qui va se passer. Il y a quelques temps, un producteur influent a annoncé qu’il allait produire les Demon Wars, et une grande star était rattachée au projet. Ils ne m’ont jamais contacté, et le projet est tombé à l’eau. Avec Hollywood, tout peut changer d’un instant à l’autre.
J’y croirai lorsque je verrai le film au cinéma.

Sceneario.com : Très souvent, vous décrivez une société hiérarchisée à l’extreme, et archaïque, est-ce une façon de critiquer notre propre société?

R.A. Salvatore : Oui ! Non en réalité, je ne peux vraiment dire ça, je ne fais jamais de critique directe et intentionnelle. Lorsque j’écrivais les livres plus récents du cycle de l’Elfe Noir, j’ai traité une question très importante. En effet, il y a un débat, les personnages doivent-ils continuer de combattre les orcs, ou bien signer un traité de paix? J’ai écrit ce livre au moment où se tenait aux Etats-Unis le grand débat sur la question de la guerre en Irak. Il n’y a pas de corrélation directe, je n’assimile personne aux orcs ou bien aux autres personnages, mais j’ai simplement soulevé cette question qui était alors d’actualité : doit-on déshumaniser l’ennemi et faire la guerre? Ce qui bien sur n’est pas une bonne solution.

Ainsi, lorsque je vois ces événement dans l’actualité, comme les attaques du 11 Septembre, ou encore la guerre en Irak ou en Afghanistan qui a duré plusieurs années, j’ai toujours ce débat en tête, et c’est un véritable conflit intérieur.
Evidemment que tout ceci transparait dans mon écriture, je n’ai pas du tout un discours moralisateur, je n’essaye pas de dire aux gens, il ne fallait pas faire ci ou ça. Mais c’est une question qui se doit d’être posée, le débat doit exister, car les décisions qui sont prises à l’issue de ce débat affectent le monde entier, et des gens sont tués.
couverture de Streamsilver En réalité, il faut écrire à propos du monde qui nous entoure, sans parler du monde qui entoure. Par exemple lorsque j’ai créé la cité des Elfes Noirs, j’avais écrit la trilogie Icewind Dale, les éditeurs souhaitaient que je retourne dans le passé des personnages pour expliquer d’où venait Drizzt. J’avais sous la main de vieux modules du jeu ou apparaissaient les Elfes Noirs, et j’avais le livre-in folio avec une seule page sur les Elfes Noirs. C’est tout ce que j’avais ! J’ai appelé l’éditeur pour le lui dire, et lui demander ce qu’il allait m’envoyer d’autre à ce sujet, et il m’annoncé qu’il n’y avait pas d’autres sources, et que je devais créer la société des Drows dans les Royaumes Oubliés.

J’y ai réfléchi pendant assez longtemps : comment une société aussi maléfique peut-elle survivre? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas sympathiques, comment peuvent-ils survivre et prospérer sans annihiler leur société? J’ai attrapé mon exemplaire du Parrain de Mario Puzo, qui raconte l’histoire de cinq familles mafieuses à New York, et j’ai utilisé ceci comme structure de base pour la cité de Menzoberranzan.
Tout ce que l’on voit, et tout ce que l’on lit devient une partie de soi, et en tant qu’auteur, nous restituons ces éléments sous différentes formes, et de différentes manières. Les familles mafieuses des Etats-Unis sont devenues Menzoberranzan, avec une marraine diabolique à la place du parrain.

Sceneario.com : Pourrait-on appeler votre oeuvre une saga, une véritable épopée?

R.A. Salvatore : Il y a un nombre de livres très important, c’est certain ! A ma connaissance, il n’existe rien de similaire pour l’instant, sauf peut-être les Chroniques de Gor qui se sont étendues sur de nombreuses années. Ce format d’écriture est un choix de ma part, j’ai écrit à la manière des Sherlock Holmes ou des James Bond, plutôt que de la façon dont la plupart des auteurs de fantasy écrivent. Il est impossible de lire le cinquième tome de la Roue du Temps à moins d’avoir lu les quatre premiers tomes, ce serait incompréhensible. Ceci est également vrai des livres de George R.R. Martin, on ne comprendrait pas qui sont tous ces personnages qui sont morts lorsque l’on arrive au troisième tome.

Chacun de mes livres est indépendant, bien que l’ensemble retrace une progression logique dans l’histoire des personnages. C’est pour cela que je considère mes livres comme une série telle les James Bond ou les Sherlock Holmes, c’est un choix absolument intentionnel. En effet parfois, les gens se mettent à lire de la fantasy, puis s’arrêtent, puis reprennent, je voulais qu’ils puissent se raccrocher là où ils le souhaitent. Je ne sais pas s’il existe quelque chose de similaire dans le genre de la fantasy maintenant.

Sceneario.com : Un grand merci pour cette interview très riche !

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