Interview

TACITO

Sceneario : Sceneario : Bonjour
Franck Tacito :
Bonjour

Sceneario : Peux-tu te présenter, comment en es-tu arrivé à faire de la bd ?
Tacito :
C’est une passion, c’est ce que je voulais faire quand j’étais tout gamin. Cela commence par recopier les strange, fantask, les bandes dessinées américaines. C’est comme ça que j’ai probablement appris à dessiner.

Sceneario : Comment as-tu rencontré Froideval ?
Tacito :
Disons que ça a été une rencontre un petit peu provoquée. Zenda venait de se créer, avant de passer sous le giron de Glénat, j’étais passé montrer mes planches et Froideval avait vu certaines planches avec des décors qui l’avaient intéressé. Il m’a contacté et on a travaillé ensemble. Cela s’est fait assez naturellement et relativement facilement par rapport à ce que l’on croit.

Sceneario : En même temps, tu as un deuxième métier, tu es médecin.
Tacito :
Oui, tout fait

Sceneario : Ce qui m’avais impressionné, c’est une année, au festival bd de Maison Laffite, une femme dans la file d’attente a eu un malaise et tu t’es levé pour la rattraper avant qu’elle tombe !
Tacito :
Oui, j’avais vu qu’elle devenait un peu blanche (rire). Mais ce n’est pas la première ni la dernière fois que ça m’arrivera, c’est très fréquent. Au salon du livre, une année, c’est deux personnes que j’ai « ranimées » en attendant l’arrivée des pompiers.

Sceneario : Comment gères-tu le temps avec tes deux métiers ?
Tacito :
Je pense que je suis quelqu’un de très organisé, et c’est grâce au études de médecine, que j’ai réussi à rentabiliser mon temps. J’ai des créneaux et je ne m’éparpille pas. J’ai un temps pour faire telle ou telle chose, j’ai des objectifs à tenir. En fait, je bosse la bd comme si je passais un concours de médecine avec des horaires très précis. Quand je dois travailler le matin, je ne me lève pas à 9 heures. A 6 heures, je suis debout et je me mets à bosser le plus rapidement possible en essayant de perdre le moins de temps et d’aller à l’essentiel. Je planifie énormément les choses.

Ainsi j’ai l’impression de vivre deux fois plus de choses différentes. La bd, c’est un métier de solitaire. Tu es tout seul devant ta planche à dessin. A la limite, tu écoute de la musique ou la radio, mais tu n’as aucun contact. Alors que la médecine, tu passes ton temps à parler avec les autres. C’est totalement différent. Moi j’ai besoin des deux pour mon équilibre. Donc je m’organise d’une façon très simple. Le matin, je fais de la bd et l’après midi, je deviens docteur et je vais soigner les gens.

Sceneario : L’organisation est quelque chose de très important pour toi.
Tacito :
Oui, tout à fait. L’organisation c’est vraiment un leitmotiv dans ma vie. Les choses sont bien définies, prévues, planifiées, pas de dispersion. C’est même un peu chiant pour les autres. Ils diront que je manque un peu d’imprévu mais si je ne fais pas ainsi, je ne pourrais pas faire les deux. Ce n’est pas possible. Je me force un petit peu effectivement à gérer l’imprévu de manière à ce qu’il soit prévu de manière à pouvoir planifier les choses et de rentabiliser mon temps au maximum.

Sceneario : Et tu travailles comment avec Froideval ?
Il fournit entièrement le scénario ?
Tacito :
Non non, et c’est mon énorme problème de travailler avec François. Il me donne l’histoire 5 planches par 5 planches, pas forcement dans l’ordre. Il lui arrive de me donner les 5 planches qui sont au milieu de l’album ou bien à la fin de l’album. Pour moi c’est une grande angoisse. Moi qui adore les choses planifiées, qui adore ou je mets les pieds, qui adore travaille de manière très ordonnées c’est vraiment un calvaire.
C’est terrible, il y a des fois, je ne sais pas où je vais dans l’album, j’ai des scènes mais je sais pas comment cela va se raccorder. Et même pour dessiner ce n’est pas évident car les personnages ne sont pas forcement habillés de la même façon et il y a des raccords qui ne sont pas forcement évident à faire. Souvent je suis obligé de revenir en arrière pour rajouter ou enlever des trucs. Ce n’est pas une façon rassurante de travailler ainsi.

En ce moment, je suis en train de travailler sur Claudia une série dérivée de requiem de Mils et Ledroit. Et là j’ai le scénario en entier. J’ai les 68 pages toutes écrites. Et là je peux y aller sans problèmes, à mon rythme, en planifiant les difficultés que je vais avoir. Qu’à tel endroit, je vais avoir besoin de documentation. Et même temps si je n’en ai pas besoin tout de suite, je peux chercher sans chercher. Quand je lis quelque chose, je me demande si cela peut me servir pour telle ou telle scène, etc. …

C’est ma façon de travailler que j’aime beaucoup. Pour moi, elle est beaucoup plus satisfaisante. Et même temps, dans ce cas là, je ne ferais jamais la page 12 avant la page 10. je vais faire les planches de manière chronologiquement. Le problème est que si tu fais des pages avant, c’est parce qu’elles te paraissent plus faciles. Le problème c’est que tu te mets toi-même des bâtons dans les roues. Il ne va te rester que les pages les plus difficiles. Plus tu vas avancer, plus cela va être dur. Je ne veux pas faire de cette façon ou alors commencer par les tâches qui posent le plus de problèmes et ensuite aller au plus facile (rires) là, effectivement pourquoi pas ?

Mais même pas, je préfère me tenir à ma méthode de A à Z. toujours dans cette logique de choses bien ordonnées.

Sceneario : Tu as dessiné Dead Hunter un western, 666 qui se passe dans le monde contemporain et maintenant 6666 se passe dans le futur. Tu as voulu changer à chaque fois d’époque ?
Tacito :
Je ne me suis pas posé de questions. Les trois choses sont vraiment différentes. 666, c’est au départ l’histoire de Froideval. L’idée vient de lui, évidement j’y apporte ma touche graphique et ma marque de fabrication. J’avais le choix de refuser ou d’accepter, cela me paraissait intéressant de le faire. C’est pour cela que je l’ai fait. Faire une fois du fantastique, une fois de la SF, une fois du western, ce n’était pas un choix délibéré de faire des choses différentes. C’est surtout parce que c’est venu comme ça. Je peux difficilement dire pourquoi cela c’est passé de cette façon là.

Sceneario : Quel type d’univers préfères-tu ?
Tacito :
Cela dépend des jours. Je ne suis pas un grand lecteur de fantastique. J’en lit un peu mais je préfère lire un bon James Ellroy qu’un roman d’heroic fantasy. D’ailleurs je ne peux pas te citer de titre. Je n’en ai pas qui me vienne en tête à part évidement le Seigneur des anneaux. Je suis plus dans la réalité dans ce que j’aime mais par contre au niveau dessin, je m’éclate plus dans le fantastique. Je préfère créer plutôt que passer mon temps à chercher de la documentation sur des choses qui existent déjà. Il n’y a rien de pire pour moi que de passer une journée à essayer de trouver un hélicoptère xy parce que j’en ai besoin pour le dessiner. Cela me paraît une perte de temps abominable. Je respecte les gens qui font de la bd réaliste, historique documentée, etc. … Ce n’est pas du tout mon truc. Je déteste ça. C’est aussi pour ça que j’aime le fantastique, c’est plus facile pour moi car ce demande moins de documentation.

Sceneario : Donc le fait de faire le nouveau cycle 4000 ans plus tard c’est un avantage !
Tacito :
Oui oui, je pense. Au niveau graphique, je suis beaucoup plus à l’aise. Même si, et c’est paradoxal, pour dessiner des choses qui n’existent pas, je prends quand même de la documentation pour les faire exister un peu. Pour qu’elles aient un contenu palpable ! Je ne voulais pas quelque chose qui paraisse improbable. Dans 6666, il y a des vaisseaux cathédrale, je me suis quand même basé sur des cathédrales et pour le corps du vaisseau, ce sont des bateaux. Il y a quand même une certaine documentation, même si je brode énormément autour.

Sceneario : En plus des trois séries citées précédemment, tu as aussi participé à Magika, mais on ne sait pas qui a fait quoi !
Tacito :
Pour Magika, c’est très très simple. J’ai fait le scénario et le découpage de l’album. Fabrice Angleraud a fait les dessins/encrage et Nicolas Guenet a fait les couleurs. C’est une collaboration à 3. C’est un peu plus complexe que ça. Quand j’envoie le scénario a Fabrice, je lui envoie l’album complet, dessiné au brouillon sur un story-board assez poussé. Il peut le lire comme une bande dessinée et il voit tout de suite s’il y a des choses qui ne fonctionnent pas. A ce moment là, on en parle et on les modifie ensemble.

Sceneario : Si je résume, sur 666 tu es dessinateur, sur Dead Hunter tu es scénariste/dessinateur et sur Magika le scénariste. Tu as donc testé toutes les possibilités ?
Tacito :
Non pas toutes. Je n’ai pas été coloriste. Enfin si, je l’ai fait sur le 6666 mais pas en tant que coloriste uniquement. J’ai fait les dessins et les couleurs.

Sceneario : Et tu préfères faire quoi ?
Tacito :
Cela dépend des jours. J’adore écrire des histoires. C’est une passion avant tout. La bd c’est écrire des histoire et les dessiner évidement. Le fait d’être tout seul sur Dead Hhunter était une grande liberté.

Sceneario : Dans le scénario, tu avais prévu une scène mais que tu n’arrive pas la dessiner. Le scénariste contraint le dessinateur ou le dessinateur convainc le scénariste de revoir la scène ?
Tacito :
Oui cela m’arrive d’être fainéant et de changer un peu la scène de manière à m’y adapter. Et quand je suis juste dessinateur, ça m’arrive aussi. Quand tu travailles avec un scénariste qui n’est pas dessinateur, il a des choses en tête que toi, tu ne vois pas forcement. Et parfois il y a des choses qui sont impossibles à dessiner ou qui, une fois sur le papier n’auront aucun impact.

Et j’ai remarqué que le scénariste conçoit une scène en mouvement. Comme un film. Et ce que le pense en mouvement n’aura pas le même impact une fois qu’il sera fige sur le papier. Le rôle du dessinateur c’est de prendre, dans une scène en mouvement, l’image, il n’y en a qu’une, et pas deux qui permettra d’avoir la meilleure efficacité. Pour faire un mouvement en bande dessinée, tu ne peux pas le faire en une case ou alors c’est très difficile. Parfois, il y a des incompatibilités entre ce que veut le scénariste et ce que peut faire le dessinateur. Effectivement, il y a des dessinateurs qui sont capables de se sortir de n’importe quelle situation. Mais bon comme cela n’est pas mon cas, je suis parfois obligé de modifier pour aller à des choses que je sais faire et avoir beaucoup plus d’impact.

Sceneario : Dans le 6666, on voit qu’il y a plus de grandes pages avec de grands décors comme la double page avec la cathédrale, le Vatican ou le vaisseau château
Tacito :
C’est normal, on a un nouvel univers, en plus un univers qui n’existe pas donc on a envie de le montrer. Et pour moi, c’est vachement bien, j’adore faire des décors. Je m’éclate à le faire. C’est l’aspect scientifique que j’ai. Il permet de faire cela sans grande difficulté. C’est bien droit, défini, …

Sceneario : D’ailleurs je trouve qu’il y a eu une évolution sur les couleurs du 6666. on voit qu’il y a des effets par informatique
Tacito :
Elles ont été complètement changées. Elles ont été faites entièrement par informatique.

Sceneario : Ce n’est pas super flagrant par rapport à d’autre bd.
Tacito :
J’ai commencé avec un vieux programme et au milieu de l’album, je suis passé à quelque chose de plus récent et avec de nombreuses possibilités. Cela a été une révolution. Avant c’était assez rudimentaire et que je ne maîtrisais pas complètement le programme. Avec le nouveau, j’ai changé complètement ma façon de travailler. Au lieu de faire des aplats ou des dégradé avec la souris et la fonction remplir, je suis passé à la tablette graphique. Je peignais comme avec un pinceau sur la fin de l’album. J’ai essayé qu’il y ait une cohésion dans l’album de ne pas trop modifier mais maintenant ma façon de travailler est différente.

Sceneario : Il y a un petit détail sur le 6666 qui m’a intrigué. Toutes les pages de l’album sont numérotées dans un petit carré à part la page 7 qui elle est mis dans une croix.
Tacito :
Tout simplement parce que c’est le septième album de la série. J’avais envie de le démarquer un petit peu. Il n’y a rien, pas de connotation, cela ne va pas plus loin. C’est pour faire un clin d’œil.

Sceneario : Tu as d’autres projets ?
On a parlé de Requiem et de Magika…
Tacito :
Le tome 2 de 6666, je suis déjà en train de travailler dessus.
Le requiem avance lui aussi j’en suis à peu prés à la moitié.
Magika, le troisième doit sortir incessamment sous peu, et le quatrième est presque fini en ce qui concerne du dessin.
Et en ce moment je travaille avec Fabrice Angleraud sur une autre série qui s’appelle paladin, une série d’heroic fantasy.
J’ai beaucoup de scénarii écrits, il ne reste plus qu’à les proposer à un éditeur et trouver un dessinateur qui serait intéressé pour les mettre en image. De toute façon je n’aurais pas le temps de les faire.

Sceneario : Donc même en temps que dessinateur, il faut planifier pour gérer les multiples projets ?
Tacito :
Oui, oui, tout à fait, c’est normal. C’est clair, chez moi, je planifie tout, c’est un peu chiant mais c’est comme ça (rires)

Sceneario : Et pour finir, quelles sont tes dernières lectures bd ? Tes préférées ?
Tacito :
Mes dernières lectures bd, comme je disais j’ai commencé par la bd américaine, les comics qui paraissaient dans Strange et je suis encore dans la bd américaine. Mes bd préférées sont The Preacher de Garth Ennis chez le téméraire à l’époque. Et par la même équipe, ils ont fait Just a pilgrim, … c’est ce genre de bd que j’aime bien. Et dans la bd franco belge j’admire aussi Ledroit quand il fait requiem.

Sceneario : Merci beaucoup

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