Interview
Thierry Labrosse pour le premier tome de Ab Irato
Sceneario.com : Bonjour Thierry. C’est la première fois que vous répondez à une interview pour Sceneario, alors du coup pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Quel est votre parcours ?
Thierry Labrosse : En France, je suis connu pour avoir été le dessinateur de la série Moréa scénarisée par Christophe Arleston et Dominique Latil. Je suis par ailleurs illustrateur de métier. Pendant longtemps j’ai travaillé dans le milieu de la publicité ici à Montréal au Canada ainsi que dans celui du dessin animé avant d’arriver à la BD en Europe. Aujourd’hui, je fais à l’occasion de la peinture et j’aime en particulier peindre et dessiner les femmes. En gros, je pratique mon métier depuis 20 ans déjà. Je vous invite à découvrir mon site (www.thierrylabrosse.com) pour mieux voir l’ensemble de mon parcours.
Sceneario.com : Si je ne fait pas d’erreur, Ab Irato est la première série de bande dessinée que vous scénarisez, cela représentait quoi pour vous d’écrire ?
Thierry Labrosse : Vous avez raison, c’est la première fois que j’écris un scénario. Au départ quand j’ai commencé ce métier, je ne pensais jamais en arriver là un jour. Mais, avec le temps, j’étais de moins en moins à l’aise à l’idée d’illustrer les histoires d’un d’autre. Est donc venu tout naturellement le désir d’écrire. J’ai eu la chance de lire de très bons ouvrages sur la scénarisation au cinéma qui m’ont permis de démystifier le processus d’écriture, que je croyais jusqu’alors impénétrable.
Sceneario.com : Pour cette nouvelle série vous êtes seul aux commandes, scénario, dessin et mise en couleur. Vous pouvez nous en dire un peu plus à ce propos, c’est par envie, par « contrainte » ?
Thierry Labrosse : Par envie et envie seulement. J’ai une vision plutôt précise de ce que je veux raconter : je vois les images, les scènes, les ambiances, les atmosphères et les couleurs. Or, qui d’autre que moi peut mieux servir cette intuition première ? Je pense également que l’amalgame des trois fonctions par une seule et même personne engendre une meilleure expérience d’immersion à l’histoire.
Sceneario.com : Comment est né votre projet Ab Irato ? Vous avez déjà en tête un nombre défini de tome, une idée précise de la fin de l’histoire ?
Thierry Labrosse : Je prends des notes depuis des années. J’avais dans mon carnet deux histoires distinctes que j’avançais en parallèle. Puis un jour, j’ai compris qu’elles faisaient partie du même univers. En les fusionnant, la série prit forme. À partir de là, le reste s’emboîta naturellement, convergeant ainsi vers une fin bien précise. Je présume déjà qu’il y aura environ 4 tomes. Mon histoire a une fin.
Sceneario.com : Ab Irato est un récit de SF dans la veine de la science-fiction des années 70-80 à laquelle vous mêlez un peu de fantastique et une touche de modernisme. Vous pouvez nous expliquer votre démarche ?
Thierry Labrosse : J’ai toujours aimé le cinéma de genre, et surtout celui de science-fiction. J’adore les vieux films des années 50, 60, 70 et 80. L’atmosphère qui s’en dégage, me fait rêver. J’ai été un gamin dans les années 60 en Amérique, et je me souviens qu’à l’époque il y avait une pléthore incroyable d’émissions télé à caractère SF que j’écoutais assidûment : Le capitaine Scarlett, Batman, Les agents très spéciaux ou encore des films comme La planète des singes – des mondes fabuleux qui marquent l’imaginaire d’un gamin.
Sceneario.com : Et au delà de la science-fiction on ressent l’envie d’aller outre, de construire des personnages et de leur imaginer une « histoire dans l’histoire » en quelque sorte. Est-ce que vous confirmez cette envie ?
Thierry Labrosse : J’aime les personnages qui ont de la profondeur. Hormis les scènes d’action et les intrigues qui vous gardent scotché jusqu’à la fin d’une histoire, c’est l’humanité des personnages qui m’intéresse et m’inspire. J’estime avoir plusieurs beaux personnages qui ont une humanité riche et complexe à exprimer. Réussir à créer des personnages vrais est, selon moi, l’ingrédient majeur qui donne une force inouï à une histoire. Quand c’est réussi, on s’en rappelle des semaines, voire des années après. Quand je vois un film ou lis un bouquin, si le personnage n’est pas crédible dans sa façon d’être ou d’agir, je décroche. Mon défi avec Ab Irato est d’écrire une histoire où je ne décroche pas.
Sceneario.com : : Il y a beaucoup de personnages dans votre album, il s’agirait même presque d’un récit « chorale », comment allez-vous gérez tous ces protagoniste au fil de la série ?
Thierry Labrosse : Chacun a sa place. Comme dans la vraie vie, nul n’est le centre de l’univers, mais chacun a un rôle bien précis à jouer. Chaque personnage est un petit rouage servant à faire tourner la grande mécanique. Tout est interconnecté. Je raconte certes UNE histoire, mais je veux aussi, dans la mesure du possible, mettre en lumière chacun pour qu’ils aient un petit moment à eux. Riel sera le personnage central.
Sceneario.com : Pourquoi le choix de ce titre Ab Irato qui en latin veux dire « dicté par la colère » ?
Thierry Labrosse : C’est un titre extraordinaire, hermétique au début, mais tellement en accord avec la série. Rappelons que le personnage de Riel débarque dans un monde au bord du chaos. Aussi, il y a quelque chose de "classique" dans un titre en latin. C’est une langue intemporelle et j’aimerais que mon histoire le soit tout autant. Mon pari est d’écrire une histoire d’hommes et de femmes, qui pourrait très bien se passer au temps d’Ulysse, à celui des cowboys ou encore dans mille ans et qu’on y croit.
Sceneario.com : Vous pouvez nous expliquer votre technique de dessin et de mise en couleur ?
Thierry Labrosse : Dans un premier temps je commence la mise en pages en griffonnant des petits sketches pas plus grands qu’une boîte d’allumettes. C’est là que la plupart des décisions sont prises. Ensuite je dessine la planche sur du papier A3 de façon libre et instinctive ce qui donne une première ébauche. À cette étape, je fais tous les ajustements nécessaires, c’est-à-dire cadrages, perspectives, anatomie, recherche de mouvement, le tout dans un va-et-vient continuel d’essai-erreur. Car, vous l’aurez sans doute deviné, la création d’une planche ne relève pas d’une science exacte. Une fois que je suis content du résultat, je passe au dessin final. Sur une table lumineuse, je retrace la planche au propre sur une deuxième feuille de papier A3 au moyen d’un crayon 2B. En résulte la page finale en noir et blanc. Ensuite, je numérise cette dernière, puis au moyen du logiciel Photoshop sur une texture de fond, j’ajoute la couleur.
Sceneario.com : En fin d’album vous remerciez des artistes pour je vous cite « avoir étés des phares dans la vie d’un jeune homme cherchant sa voie ». Vous pouvez nous en dire un peu plus sur vos influences ?
Thierry Labrosse : Mes influences seraient trop nombreuses à énumérer, mais celles qui figurent dans le livre sont celles qui m’ont accompagné pendant le plus longtemps. Tous les gamins ont besoin d’idoles ou de héros qui incarnent la réalisation possible d’un rêve. Quand le chemin devient difficile, ces idoles ont tout leur sens.
Sceneario.com : Vous remerciez également Régis Loisel. Comment vous êtes vous rencontrez ? Qu’est-ce qu’il vous a apporté ?
Thierry Labrosse : Nous nous sommes rencontrés lors du Festival de BD francophone de Québec en 2001. Là, il m’a annoncé qu’il venait s’installer au Canada avec sa famille. Puis, nous nous sommes revus à maintes occasions et, depuis 2005, nous partageons le même atelier. Or, pendant toute la progression du premier album de Ab Irato, j’ai eu la chance d’avoir tout près un maestro à qui demander conseil à chaque étape de la création. Où peut-on trouver expertise aussi pointue ? C’est plutôt rare… Beaucoup constateront que la mise en pages ainsi que les cadrages de l’album en ont grandement bénéficié.
Sceneario.com : Et enfin avant de terminer, pouvez-vous nous dire combien de temps nous reste t-il à attendre pour avoir le tome 2 entre les mains ? Vous avez d’autres projets ?
Thierry Labrosse : L’an prochain. Je mets en gros un an à fabriquer un album. J’ai d’autres projets BD, mais, pour l’instant, je ne prends que des notes pour l’après Ab Irato. Je fais également des illustrations coquines pour un mensuel féminin québécois et tous les mercredis soir, je peins d’après modèle. En résumé, je fais le plus beau métier du monde.
Sceneario.com : Thierry, merci et à bientôt !
Thierry Labrosse : Merci à vous !
Site de Thierry Labrosse : http://www.thierrylabrosse.com/