Interview
Tom Gauld ou la culture du pince sans rire en BD
Chaque semaine depuis dix ans, l’auteur écossais illustre le courrier des lecteurs du Guardian. Il donne une coloration inédite, à la croisée des mondes geek et de la littérature classique, aux pages culture hebdomadaire du grand journal anglais.
A lire les strips teintés de mélancolie, aux dialogues décalés ou à l’humour si délicieusement absurde de Tom Gauld, on a du mal à croire que l’auteur écossais ne dispose que 24 heures pour réagir sur un thème imposé par la rédaction du Guardian. Pourtant, depuis dix ans, Tom Gauld vit des mardi soirs et des mercredi matins palpitants. Il se penche sur des questions de littérature et de culture soulevées par des lecteurs qu’il réinterprète à sa façon.
vec sa retenue et son amabilité en toute circonstance, il ne lâchera jamais qu’il est confronté à des thématiques barbantes ou des débats pénibles et sans intérêts. Il préfère dire que c’est difficile à mettre en dessin ou que telle problématique le fait réfléchir. Et même si cela fait plus de trois fois qu’il illustre les conversations houleuses entre fans de Science-Fiction (SF) et réactionnaires de la Grande Littérature, il essaie de ne jamais se répéter. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il a donné naissance à "Vous êtes tous jaloux de mon jetpack", l’illustration qui sert de couverture au recueil éponyme publié en août dernier par les éditions 2024.
Un pince-sans-rire en BD
Que ce soit sur ce conflit épidermique ou à propos du pessimisme de Samuel Beckett, par exemple, Tom Gauld essaie de ne pas prendre parti. S’il confie du bout des lèvres, comme à regret, qu’il a une légère préférence pour la SF, il s’efforce de privilégier l’ironie afin de se moquer des antagonistes, de prendre de la distance et de proposer une troisième voie.
Cette sensibilité, cette volonté de ne pas choquer, on la retrouve également dans son humour tantôt absurde, tantôt railleur et tout l’inverse de l’outrance et du tonitruant, il arrive sur la pointe des pieds, presque comme une surprise ou une sensation d’étrangeté qui prendra tout son sens lors d’une seconde lecture. Il tient en cela du pince-sans-rire. Ce qui, en BD, s’apparente à une belle prouesse.
Une recette secrète
Lorsqu’on lui demande s’il a trouvé une recette imparable pour fabriquer ses strips, Tom Gauld répond avec flegme par l’affirmative : "je l’ai déjà fait 300 fois, alors je me dis que ça va aller". Si l’on creuse davantage cette réponse, il finit par admettre que si aucune idée ne lui est venue le mardi soir, il va se coucher tôt et espère qu’il aura une bonne idée au réveil le lendemain matin. "Et ça marche", confie-t-il avec les yeux un peu plus pétillants peut-être.
Côté influences, Tom Gauld se nourrit d’émissions de télévision et de comédies, des chroniques de Woody Allen dans le New Yorker (journal auquel Gauld contribue) et des créations d’autres illustrateurs. Parmi eux, se trouvent Edward Gorey, Roz Chast, une illustratrice qui utilise des diagrammes et croquis pour faire passer ses messages, ou encore Gary Larson qu’il lisait tout jeune. Par delà ces influences, Gauld a réussi à trouver sa propre tonalité, à faire naître sa propre originalité, un style fin, tout en retenu et délicatesse.
Bientôt de retour dans les bacs
On aura la chance de le retrouver d’ici quelques mois en librairie. En effet, après Goliath sorti en 2013 à l’Association, Gauld prépare à l’heure actuelle un autre roman graphique. Celui-là aura pour thème la SF (tiens, tiens !) et donnera sa propre grille de lecture de Star Wars et de 2001 Odyssée de l’espace. "Il y aura peu d’action mais beaucoup de mélancolie", prévient d’ores et déjà l’auteur. Chez 2024, l’éditeur prépare la sortie d’un second volume de strips du Guardian et du New Yorker. Il sera normalement publié fin d’année 2015.
Propos recueillis au FIBD d’Angoulême 2015.