Un entretien avec Marc Lataste

Sceneario.com : Dis moi Marc, je me souviens qu’on s’était rencontré à l’époque de Semic, tu avais réalisé des planches pour le Semicverse ?

Marc Lataste : Oui, quelques unes

Sceneario.com : C’était tes débuts ou tu avais déjà produits des choses avant ?

Marc Lataste : Non, c’était mes débuts, j’ai commencé à cette époque.

Sceneario.com : Comment étais tu arrivé vers Sémic ?

Marc Lataste : En fait je faisais partie de Sugar Comga.

Sceneario.com : Sugar Comga c’était bien un collectif d’ou sont issus d’autres gens comme Nat Legendre si je me souviens bien ?

Marc Lataste : Tout à fait. A l’époque je faisais mes armes.

Sceneario.com : Tu étais lecteur de comics, de mangas ?

Marc Lataste : J’ai commencé les comics en 6e, et les mangas à peu près à la même époque. Avant, c’était du franco-belge : Tintin, Spirou, Astérix… Et pas mal d’animation à la TV (Dragon Ball…). Je suis de la génération Club Dorothée 😉

Sceneario.com : Quand on voit ton dessin actuel très cartoony c’était une approche qui t’intéressait déjà à l’époque ou qui a découlé naturellement de tout tes centres d’intérêt ?

Marc Lataste : Non à l’époque j’étais déjà très influencé par Bruce Timm et son Batman Animated, je me dirigeais vers ce style, mais je me réfrénais, j’étais entouré de dessinateurs au style réaliste/comics (muscles partout…), j’avais pas fait mon "cartooning out" 😉

Sceneario.com : Oui l’ambiance graphique de cette période était très marquée par les comics réalistes, bien plus que par le FB ou le mangas d’ailleurs ;-))))

Marc Lataste : Oui, Liefeld, Jim Lee, Silvestri, etc… Mais le tournant a eu lieu plus tard, après une pause, j’ai découvert tardivement Donjon et Lewis Trondheim.

Sceneario.com : Néanmoins, en te tournant vers du Timm tu te démarquais de cette mouvance, même si tout le monde était tout de même très libre graphiquement. A quel point cette expérience chez Semic a t elle été marquante pour toi ?

Marc Lataste : Ca a été mon premier contact avec le monde professionnel, j’ai rencontré plein de gens supers, notamment Thierry Mornet !

Sceneario.com : Oui, une personnalité très fédératrice.

Marc Lataste : Jean-Marc, les Péru, Louis…
Je n’avais pas leur niveau, mais ils m’ont accepté. Et j’ai de plus appris pas mal de trucs de dessins.

Sceneario.com : C’est personnellement ce que j’ai le plus apprécié, cette ouverture !

Marc Lataste : Oui voilà, pas de barrières, un truc à l’américaine en fait.

Sceneario.com : Qu’est ce qui t’a amené ensuite à t’éloigner de ce milieu ?

Marc Lataste : Je me suis un peu "dégoûté" de mon dessin, je me forçais à avoir ce style "réaliste" et en fait je me mentais à moi-même. Je ne prenais plus plaisir à dessiner.
Je pense qu’on est tous passés par là, on s’est aussi ouvert et moi ça a été Trondheim et Donjon, Larcenet, Sfar, la nouvelle génération de BD, le style "jeté" ! J’ai dû tout réapprendre.

Sceneario.com : Tu t’y retrouvais davantage ?

Marc Lataste : Pour moi c’était nouveau, un monde inconnu. J’avais du mal à envisager qu’on puisse faire de la BD avec un style de dessin pas anatomiquement correct !

Sceneario.com : Et qu’as-tu fait en parallèle, pendant que tu remodelais ton dessin, que tu te le réappropriais plus intimement ?

Marc Lataste : J’ai dû me "laver" la tête de tout ça, j’avais un boulot dans le web (graphiste/concepteur web/infographiste) depuis mon arrivée sur Paris.
Ma 2eme passion, c’est le monde des médias et le numérique, je suis dedans au quotidien !

Sceneario.com : Et est-ce que ce boulot a un impact sur ton travail de dessinateur, sur ta façon de synthétiser ton dessin, sur le fait que tu travailles dorénavant en numérique ?

Marc Lataste : Je me suis bcp intéressé à la BD numérique, mes deux passions se rejoignaient, ça me plaisait, j’y ai cru, bcp… Et puis moins maintenant 🙂

Sceneario.com : Néanmoins, ça n’est qu’un support, avec son potentiel, avec ses nouvelles pistes…

Marc Lataste : Exactement, à mes yeux ça permettait de renouer avec le feuilleton, comme à l’époque de Pilote, A suivre, etc.
La BD comme elle est née, qui existe encore aux US, au Japon et en Corée (sur internet)…

Sceneario.com : Qui a un rythme de lecture fascinant.

Marc Lataste : Lastman a réussi à faire ce dont je rêvais, de la BD populaire !

Sceneario.com : Et avec Professeur Infini, sens-tu qu’il y a cette possibilité ?

Marc Lataste : J’ai des idées pour aller vers ce modèle, construire en arcs narratifs, découper en épisodes de 20 pages, avec cliffhanger etc.

Sceneario.com : Parce que dans ton album tu ouvres vers un univers très riche, avec des tas de pistes a explorer.

Marc Lataste : Oui ! D’ailleurs, le titre Professeur Infini est un clin d’oeil aux pulps des années 50/60, avec ces scientifiques fous, ce genre de bd !

Sceneario.com : Oui, je vois bien 😉 Mais je vois plus de parenté avec des animations bien barrées, aux ambiances très colorées ! D’ailleurs mis a part les vieux pulps, quelles sont tes "inspirations » sur cette série ?

Marc Lataste : Ouh là 🙂
Les BD Disney que je lisais gamin dans Mickey Parade et Super Picsou !!! Pour l’aventure les mangas, animé, Dragon Ball pour l’esprit "famille/clan ».

Sceneario.com : Evidemment !

Marc Lataste : Autour du Professeur indéniablement 😉 Les comics pour l’aspect SF, la double page de fin est un clin d’oeil aux X-men de Jim Lee période Claremont. Un peu de X-files aussi. La séquence d’intro et la double qui suit, c’est mon intro/générique d’une série TV en fait 😉

Sceneario.com : Pourquoi n’avoir pas davantage chapitré ton récit d’ailleurs ?

Marc Lataste : J’avais le format 90 pages, et comme aucune prépub n’était envisagée, je me suis pas contraint à chapitrer. Mais c’est vrai que j’ai pensé coller à cette structure.

Sceneario.com : Ca peut parfois amener des aérations intéressantes !
Avant de revenir plus directement au contenu, j’aimerais que tu me racontes à nouveau la genèse de ce projet, tes dessins sur le net, ta rencontre avec Sfar…

Marc Lataste : Le concept m’est venu il y a quelques années. Je l’ai mûri un temps, j’ai ajouté les personnages à l’équipe. J’avais le concept du Prof qui cherchait son corps, j’avais fait quelques pages et études que j’avais postées sur mon blog à l’époque, puis je n’ai pas poussé davantage pendant un temps.

Sceneario.com : Tu envisageais déjà une publication, ou c’était un projet qui te trottait dans la tête, que tu formalisais de temps en temps ?

Marc Lataste : Je voulais monter un dossier et le proposer, mais j’avais plein d’idées en parallèle, je le laissais avancer doucement, j’y revenais de temps à autre.

Sceneario.com : Et un jour, Sfar est tombé sur ces dessins, c’est ça ?

Marc Lataste : C’est presque ça. Je le suivais sur Twitter. Il a un jour envoyé des dessins sur le numérique et ce que ça changeait pour les dessinateurs. Il était dubitatif, je lui ai alors posté des exemples (Silvestri montant un Kickstarter) et il a dû trouver le lien vers mon blog. Il a vu mes dessins et m’a proposé de faire une BD chez Bayou 😉 Après m’être assuré que ce n’étais pas un faux compte.

Sceneario.com : Ca allait soudain très vite alors !

Marc Lataste : Oui ! D’autant plus que je ne lui avais jamais rien présenté auparavant. Il m’a demandé si j’avais des projets à lui montrer et je lui ai parlé du Professeur Infini !

Sceneario.com : L’exemple typique des nouvelles possibilités de ces réseaux sociaux !
C’était le moment rêvé pour rebondir avec ton projet !

Marc Lataste : Oui ! Tout mes boulots en BD sont issus du réseaux sociaux, Facebook et Twitter…

Sceneario.com : Et quel a été ton cahier des charges pour cet album ? As-tu du repenser complètement ton projet initial ?

Marc Lataste : Pas du tout. J’ai gardé l’équipe de départ, le concept, tout comme je l’avais imaginé quelques années avant, je devais juste avoir mon histoire pour 90 pages !

Sceneario.com : C’était très confortable cette confiance de Sfar et de Gallimard. Tu as du pleinement apprécier ces années à laisser murir ce projet, j’imagine !

Marc Lataste : Oui, et surtout après avoir pris tant de refus. Joann aime mon univers et mes personnages, il m’a dit des trucs super gentils et même gênants sur mon boulot 🙂
Je passais d’un monde à l’autre. Des refus où tu te dis que tu vas arrêter à des mails où Sfar te dit que tes univers et tes persos sont "géniaux" !

Sceneario.com : Sur ce projet ce fut donc bénéfique de travailler avec une personnalité rassurante et dynamisante comme Sfar ?

Marc Lataste : Oh oui, ça te booste ! Tu sens qu’il est amateur de ce genre de culture pop, de films de genre, des comics de Kirby, etc.

Sceneario.com : Tu as maintenant ce premier album, quels sont les premiers retours de la part de la "critique", des premiers lecteurs ?

Marc Lataste : Les retours de mon entourage proche et plus éloigné sont très enthousiastes. Les gens aiment le livre, petits comme grands, lecteurs de BD ou lecteurs occasionnels ! Ca me fait plaisir de voir que tout le monde passe un bon moment. C’est ce que je voulais faire, une BD "populaire », grand public ou "all ages"

Sceneario.com : Ton album déborde d’énergie, avec un charme très fédérateur, je trouve !

Marc Lataste : Merci 😉
J’ai essayé d’être généreux et honnête. Je pense que ça se ressent, à la lecture, quand tu mets tout ton coeur dans un livre !

Sceneario.com : Par contre globalement il est très sérieux aussi, n’aurais tu pas eu envie d’y glisser davantage de fantaisie, d’humour décalé ?

Marc Lataste : C’est vrai qu’il est assez 1er degré. Je pense à insérer un peu d’humour via des personnages, des situations, mais ça ne glissera pas vers du délire !

Sceneario.com : Tu te referais tout a l’heure aux comics Disney par exemple, l’humour y est omniprésent, mais jamais de façon complètement "fofolle" et jamais au détriment du récit lui même. Ca pourrait être une bonne concession !

Marc Lataste : Oui, c’est un bon exemple. D’ailleurs, je pense mettre un peu plus d’humour dans le tome 2 (s’il voit le jour), via un personnage un peu "dérangé" !

Sceneario.com : Personnellement, en tant que lecteur "adulte », ce que j’ai beaucoup aimé c’est ta façon de ne pas tout résoudre, de ne pas présenter tout les perso, de laisser du mystère qu’il faut accepter tel quel pour l’instant. Ca installe une atmosphère très particulière que j’ai beaucoup apprécié!
J’ai toujours entendu dire que l’humour c’était difficile a doser.

Marc Lataste : Oui, c’est dur à placer… c’est une alchimie très subtile.
Pour ce qui est de l’atmosphère et des mystères en suspens, l’univers que j’ai en tête est assez vaste. Les personnages ont des passés et une histoire et je n’avais que 90 pages pour raconter cette première histoire !

Sceneario.com : Oui, d’ou aussi le sentiment parfois d’avoir un album en partie introductif !

Marc Lataste : Oui, j’aimerais bien que ça soit le début de quelque chose de plus grand.

Sceneario.com : On croise tout les doigts des mains et des pieds 😉

Marc Lataste : J’ai eu cette série en tête tout le long de la conception de l’album.

Sceneario.com : En tout cas, ça t’a redonné confiance en ton dessin, en ta faculté de raconter une histoire !

Marc Lataste : Oui, c’est certain !

Sceneario.com : Ta volonté de t’éloigner de ces univers comics a un moment donné s’est avérée bénéfique au final !

Marc Lataste : En fait c’était pas vraiment m’éloigner, c’était plutôt "me retrouver », me libérer et dessiner comme j’étais, une somme d’influences !
C’était le début de quelque chose de neuf que j’ai mis 10 ans à mettre en place et que je continue à construire.

Sceneario.com : Pour l’instant, donc tu observes les réactions vis a vis de l’album, mais envisages tu d’autres projets, d’autres envies ?

Marc Lataste : Mon objectif c’est un tome 2. Je vais tout faire pour l’avoir, mais j’ai d’autres projets à côté, notamment dans l’animation…

Sceneario.com : Tu parlais tout a l’heure du numérique. Tu penses que ce deuxième éventuel volume pourrait déjà exister en virtuel, ou tu attends le papier ?

Marc Lataste : Non, ça serait juste en format papier.

Sceneario.com : Tu parles d’animation, c’est une envie qui te titille ?

Marc Lataste : C’est plus qu’une envie, je suis sur un projet en cours de pre-prod où je serais DA/Character designer.

Sceneario.com : Génial !

Marc Lataste : Et j’ai vendu une option pour une série animée à un studio l’an dernier ! Et j’ai d’autres projets en cours…

Sceneario.com : Une autre corde a ton arc !

Marc Lataste : Oui 😉 Parmi mes influences, il y a Cartoon Network, avec notamment Adventure Time…

Sceneario.com : C’est important pour toi de varier les approches comme ça ?

Marc Lataste : C’est complémentaire, je trouve, de monter des projets BD et d’animation à côté.

Sceneario.com : Ce sont deux métiers bien distincts !

Marc Lataste : Oui, mais qui peuvent se retrouver via le transmedia.

Sceneario.com : Donc plein d’idées, plein de projets, tu es boosté pour un bout de temps !
Des dédicaces de prévues ?

Marc Lataste : Dès la rentrée oui, certainement Montreuil et puis Angoulême.

Sceneario.com : C’est un aspect du "métier" qui t’impressionne ? Ce côté "service après vente" ?

Marc Lataste : Non ça me stresse, je suis super timide. Très content d’être chez moi, je suis dans ma grotte, à créer des univers, des mondes, à m’évader dans ma tête… Je suis un ours, alors croiser du monde, parler, être scruté en train de dessiner, ça me terrifie !!!

Sceneario.com :  »Msieur Lataste, dessine moi un Prof Infini avec la coupe de Wolverine steuplait" !

Marc Lataste : ;-)) Là ça va, mais un cheval ;-))

Sceneario.com : Ou alors "Un Prof infini qui combat des trolls sur une murailles avec 3522 guerriers elfes" 🙂
Tu disais tout a l’heure que c’était important pour toi cette lecture populaire.

Marc Lataste : Super important, c’est ma culture, la culture pop, les films populaires de Louis de Funes aux Avengers, une "sous-culture" pour certains, la culture geek.

Sceneario.com : Oui, pas de sectarisme, une aventure très accessible, sans chichis !

Marc Lataste : Je suis un gros geek, j’aimerais bien que les geeks apprécient ma bd, ainsi que leurs enfants 🙂

Sceneario.com : Je trouve personnellement que cet album n’est pas si connoté "Geek" !

Marc Lataste : Y’a des clins d’oeil !

Sceneario.com : On sent que ça fait partie de ta culture, mais ça n’est pas prépondérant.

Marc Lataste : Non, et ça j’en suis content. Je pense avoir intégré mes influences et j’ai fait quelque chose de personnel, du moins j’ai essayé.

Sceneario.com : Je vois bien plus ce professeur Infini et sa troupe comme les représentants d’une aventure décomplexée et généreuse qui parle d’autres mondes, d’une science omniprésente plus fantasmée qu’autre chose, avec des créatures étranges, des expériences qui partent en vrille, des héros aux super pouvoirs etc. C’est du comics comme je les aimais gamin, très enlevé.

Marc Lataste : Tu as raison !

Sceneario.com : Avec le côté "gamin super bizarre, très typé avec sa mèche étrange" !

Marc Lataste : Aventure fantastique, un peu de Indiana Jones…

Sceneario.com : Donc si a un moment je me retrouve devant toi, assis à ton stand, que je te tends l’album, tu accepterais de me dessiner quoi ? Qu’est ce qui te plait le plus dans ces personnages ?

Marc Lataste : Je dessinerais le Prof Infini si on me demande rien. C’est le héros et c’est lui qui me ressemble le plus en fait. Il met tout c qu’il a pour retrouver son corps, comme j’ai tout mis pour faire de la BD !
Il y a d’autres points sur lesquels il me ressemble, mais chaque perso de l’équipe a une facette de ma personnalité. Olrik le nain, c’est le côté bougon/ours, par exemple… Miss Ward, c’est un peu la maman, elle gère tout. J’aimerais bien raconter son passé.

Sceneario.com : J’aime bien ce côté bêcheuse, ça me faisait marrer !

Marc Lataste : Elle ne parle pas bcp. Je suis un peu comme ça.

Sceneario.com : En tout cas je te remercie pour ce très sympathique dialogue Marc, et je l’espère à très bientôt 😉

Marc Lataste : Plaisir partagé 😉
A très bientôt !