Interview
Youssef DAOUDI dans la trilogie Noire et Mayday T1
Sceneario.com : Afin de mieux te connaître, pourrais-tu en guise d’introduction nous expliquer comment tu es venu à la bande dessinée ?
Youssef Daoudi : Comme tous les enfants, j’ai rêvé de faire mille choses et la bande dessinée était sur la liste !
Mais ce n’est qu’à 34 ans que cela s’est concrétisé. J’ai toujours dessiné, mais peu, car mon travail dans la publicité me laissait très peu de temps. Cependant j’attendais le moment opportun pour tenter ma chance, j’écrivais à mes heures et faisais quelques planches pendant les vacances.
Sceneario.com : "La trilogie noire" est, semble-t-il, la première série grand public à laquelle tu as participé. Comment s’est fait ta rencontre avec Philippe Bonifay, le scénariste ? Qui a eu l’idée d’adapter le roman de Léo Malet ?
Youssef Daoudi : J’ai pris contact avec Philippe Bonifay par internet. A cette époque, il cherchait des collaborateurs pour son adaptation de la Compagnie des Glaces. Nous avons parlé de plusieurs possibilités en fonction de ses projets en « magasin » et mes aspirations graphiques. Il a eu la bonne idée de me faire lire la Trilogie qu’il comptait adapter chez Casterman, et c’était le coup de foudre. J’ai la plus grande gratitude pour Philippe qui est aujourd’hui un ami.
Sceneario.com : Quel a été ta méthode pour reproduire les ambiances noires parisiennes des années 30 ?
Youssef Daoudi : En fait, c’est des années 20 qu’il s’agit, plus précisément autour de 1926, J’adore le film noir et à la lecture des romans, les images se bousculaient dans ma tête. J’ai dû effectuer un long travail de préparation et de documentation, qui ne se voit pas partout, mais cela donne de la crédibilité à la bd. En cela, j’ai pu bénéficier de l’aide de collègues de bureau (je travaillais encore en agence à l’époque), j’ai visité le musée de la police, les archives nationales et enfin, j’ai fait appel au web pour quelques détails, comme les affiches de l’époque. Enfin, je suis un vrai rat de bibliothèque.
Sceneario.com : Maintenant que cette trilogie est close, quel est ton avis quant au travail que tu as exécuté sur ces trois albums ?
Youssef Daoudi : Très mitigé, mais c’est le lot de bien des dessinateurs qui n’osent regarder d’anciennes planches. Mais l’essentiel est de progresser. C’est ce qui se passe aujourd’hui, jour après jour. Graphiquement, ce que j’attends de ce métier, c’est de faire ces progrès, même minimes, à chaque dessin, strip, planche, album. Et tant que cette évolution se fera, tant que j’aurais cette joie, je continuerai.
Sceneario.com : Depuis peu (mai 2009), tu es à la tête d’une nouvelle série qui s’intitule "Mayday". Qu’est qui t’a motivé pour t’engager sur cette série très contemporaine ? Est-ce que l’actualité malheureuse y est pour quelque chose ou est-ce une phobie du crash que tu cherches à endiguer ? Souhaites-tu dénoncer quelque chose de particulier au travers de ta fiction ?
Youssef Daoudi : Je suis un fou d’aviation, entre autres, car je pourrais vous dire la même chose de l’Histoire.
Je cherchais un angle pour créer une série qui parlerait d’aéronautique. Et comme j’aime beaucoup plus les avions civils que les avions militaires, j’avais pensé à un pilote de ligne. Et puis je suis tombé sur une série de bouquins australiens traitant des accidents aériens, cela a fait tilt ! « Mayday » était tellement évident comme titre, et en plus, ce n’était pas pris. L’actualité récente n’a rien à y voir puisque l’album est sorti bien avant la série de crashes (AF 447, l’amerrissage sur l’hudson, Yemenia), en revanche, je lisais depuis des années des rapports d’enquête, très arides et techniques, mais tellement passionnants. Il faut savoir que cette curiosité n’est nullement morbide. L’intérêt des enquêtes est de prévenir de futurs drames. Je n’ai pas peur de l’avion et je ne souhaite dénoncer personne. Ce qui me plaît dans ces histoires, c’est le côté polar, le travail de fourmi qui consiste à maîtriser les éléments, à dompter la machine, à chercher la perfection technologique pour minimiser les risques dans la plus hardie entreprise de l’homme : voler. Non, je ne veux pas dénoncer, bien que certaines pratiques nous ont plongé dans la présente crise. Je désire juste parler d’une industrie, le transport aérien, démythifier certains aspects et rendre justice à d’autres.
Sceneario.com : Pour les besoins de ce thriller aéronautique, on peut supposer que des recherches ont été nécessaires. Comment as-tu procédé ?
Youssef Daoudi : Je dispose d’une grosse bibliothèque. Mais les livres ne sont pas suffisants. J’ai donc contacté des pilotes de ligne qui tenaient un podcast. Leur aide a été déterminante sur le volet technique, et même sur le scénario puisqu’ils étaient mes premiers lecteurs. J’ai aussi rencontré des enquêteurs. J’utilise aussi un simulateur de vol pour reconstituer les diffèrentes configurations de vol, pour essayer des livrées de compagnies comme la PANAX. Enfin, internet, et là, ce n’est vraiment pas par facilité, mais je n’ai pas pu aller dans un cockpit de md-11 et sur le web, il y a quelques vidéos intéressantes.
Sceneario.com : On sent également que tu as voulu travailler l’aspect psychologique de tes personnages (Azad Mikoyan en particulier). Pourquoi ?
Youssef Daoudi : Parce que paradoxalement, je ne veux pas que la série soit une série purement aéronautique où les avions seraient les vedettes. Certes, j’adore ces « cétacés du ciel », mais je voulais que tout l’aspect avion soit en arrière-plan. J’ai essayé de construire une histoire avec des personnages forts. Azad n’est pas encore tout à fait mûr, pour le moment, il subit le drame qu’il vient de vivre et où il est impliqué malgré lui. Mais je lui prévois un parcours où il évoluera petit à petit, en fonction des événements.
Sceneario.com : As-tu arrêté le nombre d’albums qui constitueront la série "Mayday" ? Prévois-tu éventuellement des cycles ?
Youssef Daoudi : Si les lecteurs le veulent bien, je prévois un cycle de 2 albums par histoire. Cela veut dire que le tome 2 bouclera l’épisode « Air Danger ». Je trouve que c’est le meilleur compromis aujourd’hui.
Sceneario.com : Où en es-tu du deuxième chapitre de "Mayday" ? Aurons-nous droit à toutes les réponses aux questions posées à la lecture du premier opus ? Ou faudra-t-il attendre encore un autre épisode ? Vas-tu nous surprendre en partant sur des circonvolutions autres que réalistes ?
Youssef Daoudi : Nous aurons la plupart des réponses dans le tome 2. Cela se passera en République Démocratique du Congo. Je ne peux pas en dire plus sous peine d’éventer la fin. J’en suis à la page 15, ce qui nous permet une sortie début de l’été. Et en ce qui concerne le réalisme, oui, j’y reste attaché. Mais comme on dit : méfions-nous des apparences. Ce qui m’intéresse de faire avec Mayday, c’est de traiter de plein de thématiques, de voyager dans le monde entier.
Sceneario.com : Est-ce que le fait de partir en solo sur cette série dénote une envie farouche de toucher à tous les stades de réalisation de l’album (scénario, dessin, couleurs) ? Le regrettes-tu éventuellement ou, au contraire, c’est pour toi une motivation supplémentaire ?
Youssef Daoudi : C’est naturel. J’adore raconter des histoires et j’aime dessiner. Quoi de plus logique que de marier les deux occupations ? Et puis, la bande dessinée est le medium idéal pour cela, à condition de trouver l’équilibre. Cela prend enormément de temps, mais la passion est plus forte. Oui, c’est une motivation supplémentaire et j’ai des dizaines de projets en tête. Des histoires que je porte depuis longtemps.
Sceneario.com : Ton style graphique, très réaliste, a semble-t-il quelques consonances avec celui de Jean Giraud. Me trompe-je ? Quels sont éventuellement les auteurs ou les œuvres qui t’inspirent ?
Youssef Daoudi : Cette influence est évidente et je ne m’en cache pas. Il est normal de faire ce genre d’hommage quand on débute. Après, si tout se passe bien, on s’en libère, on s’en émancipe et on adopte son propre code. La liste de ces auteurs serait trop longue. Ce que je peux dire c’est que ce sont des grands comme Giraud qui ont inspiré toute une génération. Techniquement, ils ont poussé l’art à des cimes de perfection, mais ils ont donné aussi l’exemple avec leur rigueur et leur professionnalisme. Quand j’ai découvert Pilote, Métal Hurlant, A suivre, ce fut un choc, car autant je m’amusais à lire certains bouquins et m’en contenter, autant en regardant Blueberry, Tanguy et Laverdure, Michel Vaillant, je me disais qu’il serait fantastique de faire ce m étier ! Je me rappelle des interviews de Tillieux, Franquin et bien d’autres qui parlaient de leur travail : Ils évoquaient cela avec tellement de passion, d’humilité !
Sceneario.com : Travailles-tu en parallèle sur d’autres projets ? Peux-tu éventuellement nous mettre l’eau à la bouche ?
Youssef Daoudi : Le temps me manque hélas pour développer plus avant les projets futurs. Je travaille sur histoire sur la dernière guerre mondiale. Et puis aussi le prochain cycle de Mayday.
Sceneario.com : Es-tu un boulimique de travail au point de sortir plusieurs albums dans une année ou, au contraire, préfères-tu prendre ton temps pour réaliser tes projets ?
Youssef Daoudi : C’est mon objectif à court terme, augmenter ma cadence de planches, mais avec Mayday, c’est vraiment pas facile. Cela dit, j’ai l’impatience et la fougue du débutant. Cela ne fait jamais que quatre ans que j’ai commencé !